Un peu moins de 10.000 décès en Belgique, plus de 130.000 aux USA et 60.000 au Brésil, plus d'un demi-million dans le monde. Les drames causés par le covid 19 ne cessent d'augmenter.
Il arrive cependant aussi que, grâce au coronavirus, des 'vies' aient été en quelque sorte sauvées. Comparaison n'est pas raison, et la peine des uns ne peut évidemment être comparée à la joie des autres. Mais ce qui s'est passé pendant la session d'examens de juin 2020 n'aurait sans doute jamais eu lieu sans la pandémie.
Tout le monde s'accorde pour le dire: en moyenne, les résultats scolaires de juin 2020 sont meilleurs que ceux des années précédentes. Il y a eu moins d'échecs, et plus de réussites. Dans une proportion relative toutefois: non pas tout le monde, mais davantage de monde, a réussi à sauter l'obstacle. Pour l'école de la réussite, c'est assurément une bonne nouvelle. Surtout que, dans certains cénacles, on avait cru que, devant le désarroi auquel ils avaient été confrontés, beaucoup d'apprenants auraient rencontré des difficultés à réussir leur session. Certains avaient aussi redouté que les modes d'évaluation imposés par la crise n'aient pas été favorables aux éudiant·e·s.
On ne peut pas tout à fait dire que ces appréhensions aient été confirmées par les faits…
A l'échelon de l'enseignement supérieur, les plus optimistes expliquent cette augmentation des taux de réussite par les incontestables progrès réalisés pendant le covid par les éudiant·e·s. Ayant eu davantage de temps pour étudier, ils auraient pu mieux approfondir leur connaissance des matières et ainsi être fin prêts au moment de l'épreuve. Le fait que certains cours aient vu leur mode d'évaluation modifié, par exemple remplacé par un travail personnel, leur aurait aussi permis de s'approprier le contenu de cours de meilleure manière et de démontrer, voire de révéler, aux professeur·e·s, leurs capacités analytiques, réflexives et interprétatives personnelles. Dans la foulée, des voix se sont fait entendre pour que les institutions scolaires s'interrogent à l'avenir sur leurs critères et modèles d'évaluation, et remettent en cause, renoncent ou minimisent, la part qui y est réservée à la restitution des acquis de connaissances, ceux-ci ayant parfois, en temps normal, une fâcheuse propension à pénétrer par une oreille des apprenants à la veille d'un examen pour en ressortir aussitôt par l'autre, celui-ci terminé…
De grands chantiers prometteurs s'annoncent donc!
Assurément, une partie des 'vies sauvées' lors des examens de juin est liée à la ténacité des éudiant·e·s, voire à leur opiniâtreté, à tenir tête aux circonstances et à se surpasser pour réussir, malgré tout, une année pas comme les autres. Mais on ne peut pas se voiler la face et n'expliquer cette bonne nouvelle que de cette manière positive. Pour les examens écrits (ne parlons pas des oraux, qui constituent un autre cs intéressant), la hausse des réussites n'est pas seulement due aux opportunités d'étude fournies par la crise du covid. Les conditions dans lesquelles les examens 'traditionnels' écrits se sont réalisés n'ont pas, elles non plus, été étrangères aux taux de réussite rencontrés.
SANS SURVEILLANCE
Réalisés en distanciel et non en auditoire, les examens écrits se déroulant sous forme traditionnelle ont placé les éudiant·e·s dans des configurations exceptionnelles. En auditoire, la première chose qui est demandée aux candidats est de déposer toutes leurs affaires loin d'eux, hormis de quoi écrire et éventuellement de se désaltérer. Des dispositifs de distanciation entre éudiant·e·s sont organisés, faisant en sorte de les dissuader de porter un regard involontaire sur la copie de leur voisin·e. Le silence est de rigueur. Les assistants passent entre les rangées pour s'assurer que l'un ou l'autre petit papier, ou un téléphone, tombé à terre, n'a pas été malencontreusement ramassé. Les seuls ouvrages autorisés sont souvent des dictionnaires de langue, un code (sans annotation), ou une calculette (sans mémoire permettant de stocker des informations). Aucun participant n'est autorisé à remettre sa copie avant un certain nombre de minutes, et les retardataires ne sont acceptés à entrer que pendant un laps de temps limité, afin que les énoncés des questions ne circulent pas inopinément en dehors des auditoires dès le début de l'examen. Enfin, lors de la remise de sa copie, l'étudiant·e est invité·e à présenter sa carte d'identification académique, afin que son identité soit vérifiée.
Bien difficile, évidemment, d'appliquer tout cela lors d'examens à distance, réalisés chacun chez soi. Et ce d'autant que, à juste titre, étudiant·e·s et associations représentatives ont crié au viol de la vie privée face aux tentatives de certaines institutions d'imposer à domicile, domaine du privé par excellence, des mesures qui s'inspiraient un tant soit peu de ce qui se déroulait en public en auditoire (en recourant en l'occurrence cette fois au contrôle par caméra, à la prise de photographies, à l'enregistrement visuel de la carte d'étudiant, etc…).
INSPIRATIONS
Sans dévoiler la couronne, il semble que l'on peut au moins dire que, dans plusieurs jurys d'examen, on a évoqué cette année l'un ou l'autre cas ponctuel de "tricherie" à l'écrit. Ceux-ci ont été un peu plus nombreux que d'habitude. Mais pas dans des proportions impressionnantes. Difficile, en effet, d'identifier avec précision ce qui se passe à distance à partir du moment où le correcteur ne se trouve pas devant une reproduction flagrante d'un même contenu sur plusieurs copies. Et ce d'autant que rien ne peut prouver la source de cette similitude, hormis si celle-ci est une pure reproduction d'un énoncé trouvé sur internet (ce qui, semble-t-il, a parfois été le cas). La question devient, de plus, totalement incontrôlable lorsque l'on a affaire à des examens de type QCM où même l'éventuel choix majoritaire d'une réponse erronée n'a pas de signification en soi (on n'est tout de même pas au Grand concours des animateurs de TF1…).
Bon nombre d'enseignants ayant pratiqué des examens écrits à questions ouvertes seront d'accord pour estimer qu'un 'certain esprit' a soufflé sur le déroulement de plusieurs épreuves en ligne. S'est-il propagé par télépathie, téléphonie, visiophonie, ou via d'autres modes de médiation? Impossible de le savoir. Tout au plus certain·e·s ont-ils pu relever dans les copies virtuelles des concordances de réponses, des formulations un peu trop identiques, qui ne se retrouvent pas d'ordinaire avec la même fréquence lors d'examens en présentiel. Parfois, l'inspiration tombée du ciel a été plus flagrante. Par exemple quand, à un examen où chaque question comprenait plusieurs variantes que le logiciel distribuait aléatoirement entre les questionnaires, un étudiant en est venu à fournir une réponse qui ne correspondait pas à la question qui lui avait été spécifiquement posée, mais à une autre de ses variantes. Ou lorsque, au sein d'une réponse, un participant avait inclus une donnée quantitative (du type production totale de cacahuètes en Ouzbekistan en 2014) de ma manière tellement précise que, sauf par miracle, seul un éléphant drillé côté mémoire eût été susceptible de la retenir de manière aussi détaillée…
Mais, en temps de covid, n'est-il pas parfois bon de croire au miracle?
Ces étonnements passés, on en viendrait presque à plaindre les quelques malheureux qui n'ont pas exploité les inspirations qui les ont touchées avec la finesse requise pour passer entre les mailles des filets des éventuel·le·s inquisiteurs et inquisitrices. Comme l'a écrit Victor Hugo, Ô combien de marins, combien de capitaines. Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont évanouis ! Combien ont disparu, dure et triste fortune !
SUR L'HONNEUR
"Pourquoi ne part-on pas du principe qu'il faut faire confiance aux étudiants?", a-t-on aussi entendu dire de divers bords avant et pendant la session. Certaines universités et écoles supérieures, qui étaient parties sur ce principe, en sont quelque peu revenues. Pour un peu cadrer la chose, des enseignants avaient parfois aussi fait signer aux étudiant·e·s une "déclaration sur l'honneur" où le/la candidat·e s'engageait à ne pas consulter ou avoir recours à des sources extérieures pendant la durée de l'examen en ligne. De manière quasi unanime, les participant·e·s à ce type d'épreuve s'y sont engagé·e·s. Mais sans doute le sens des mots 'sur l'honneur' n'est-il pas universellement compris. Et comme il était interdit de chercher le sens de celui-ci sur internet pendant l'examen, peut-être a-t-il simplement échappé à certains participants.
Ces derniers jours, des médias se sont aussi fait écho de situations plus inimaginables encore. Dès que les modes d'évaluation à distance avaient été connus, des bourses en ligne auraient été ouvertes afin de recruter des 'remplaçants' prêts à prendre, contre menue rémunération, la place de certain·e·s étudiant·e·s ne se sentant pas assez préparés pour réussir l'épreuve. Des étudiants d'années supérieures, voire d'anciens étudiants, auraient été sollicités et, de facto, des examens auraient été passés par procuration. Derrière l'invisibilité de la toile, impossible de le vérifier, ni dans un sens ni dans l'autre. Mais si pareils appels ont bien circulé en ligne, ne serait-il pas du devoir des universités et des écoles concernées de porter plainte contre x, et de réclamer enquête aux autorités compétentes, comme la Federal Computer Crime Unit?
Pire, il se dit même que des parents auraient eux-mêmes été solliciter d'anciens professeurs de secondaire de leurs enfants pour leur demander de remplir ce rôle de remplaçant temporaire. Certains ont-ils cédé à ces stridentes sirènes? Sur ce dossier, l'omerta ne planerait-elle que sur Palerme?
REBELOTE
Afin d'avoir le cœur net, le véritable test aura-t-il lieu lors de la session d'août-septembre?
Certaines institutions ont choisi à ce moment de revenir autant que possible au présentiel, qui devrait aplanir les éventuelles équivoques de la session de juin. Mais est-il juste de ne pas donner aux étudiants présentant en août les mêmes conditions (pour ne pas dire les mêmes 'chances') que lors de la première session? Déjà, les étudiants de première année d'enseignement supérieur, qui pouvaient repasser en juin des examens ratés en janvier, s'étaient plaints de ne pas disposer alors des mêmes conditions que lors de leur premier passage, certains enseignants ayant modifié leurs modalités d'examen ou leur type de questions, afin d'y rendre en juin les 'réponses collectives' un petit peu moins aisées…
L'adaptation des questions aux nouvelles configurations semble, dans certains cas, avoir été le mode de réponse le plus adéquat au changement de conditions de l'épreuve que constitue un examen. Même si cela n'a pas toujours plu aux personnes concernées, le 'bouche à oreille' virtuel tant pratiqué à l'heure actuelle ayant davantage l'habitude de recommander la manière d'étudier une matière sur base de la manière dont celle-ci avait précédemment été évaluée que d'anticiper ce vers quoi une nouvelle évaluation pourrait s'orienter…
Quoi qu'il en soit, les comparaisons de taux réussite entre juin et septembre seront difficiles à établir. Restera ensuite à déterminer qui sera le grand gagnant de cette année coronavirus. Les résultats seront peut-être étonnants.
"Dans quelques années, lorsque je consulterai un kiné, je commencerai par lui demander la date de la fin de ses études", disait en boutade il y a peu quelqu'un prenant part à une conversation. Devra-t-on l'avenir poser la même question à son ingénieur·e des ponts et chaussées, son/sa chirurgien·ne, son infirmier·e, son avocat·e ou son/sa communicat·eur·rice préféré·e? "Pour toutes les matières qui ne sont pas au cœur de la formation, tout cela n'est pas très grave", entend-on parfois dire en réponse. Oui, mais pour les autres?
Frédéric ANTOINE.