L'émission d'information sur le covid de La Une était prévue jusqu'au jeudi 4 juin. Finalement, elle continuera, avec une fréquence moindre. Mais avec un public toujours nombreux.
Le déconfinement est presque complet en Belgique à partir de demain lundi 8 juin. Quasiment quotidienne, l'émission Questions en Prime, qui fait suite au JT du soir de la RTBF, n'aurait à l'origine pas dû se poursuivre la semaine prochaine. Ce ne sera pas le cas: elle reste programmée ces prochaines semaines les lundi et mardi. L'occasion de clôturer une séquence où ce programme aura été, pendant près de trois mois, pour des centaines de milliers de spectateurs, un rendez-vous à peu près quotidien.
Nous avons déjà évoqué Questions en Prime à deux reprises dans ce blog. L'article d'aujourd'hui entend dresser un regard d'ensemble sur ce programme qui débuta le 16 mars dernier, soit la veille de la réunion décisive du CNS de mettre la Belgique en confinement. La demande d'informations et de clarifications de la part du public, la nécessité de recourir à des experts pour éclairer le sujet, mais aussi le besoin d'expression de tous les groupes concernés par l'événement (…et le clin d'œil de Kroll), feront bénéficier l'émission d'une audience importante, supérieure à bien des programmes ordinaires de début de primetime proposés par le service public.
Comme le montre le graphique ci-dessus, cet auditoire n'est pas constant: il varie en nombre selon les moments et les événements. Mais ces variations se manifestent plutôt "vers le bas". Le programme dispose en temps normal d'une audience assez stable et fidèle d'environ 600.000 spectateurs. Et, à certains moments, celle-ci se raréfie. Par contre, sur toute la période se clôturant jeudi dernier, un seul pic est à relever: le 24 avril, soir de la fameuse conférence de presse d'annonce du plan de déconfinement du gouvernement.
UN REBOND INATTENDU
Cette stabilité est particulièrement visible si l'audience est mesurée non par jour mais en moyenne par semaine, ce qui écrème les extrêmes. La moyenne quotidienne/semaine d'environ 600.000 spectateurs est patente pendant les sept premières semaines, soit jusqu'à la fin avril. Début mai, celle-ci diminue de 50.000 personnes environ. Le déconfinement étant alors amorcé, on aurait pu croire que la baisse d'audience engagée à mi-mai marquerait toute la suite de la courbe. Or il n'en est rien. On enregistre bien une audience moyenne faible la semaine du 18 au 21 mai, celle-ci remonte ensuite aux environs des 500.000 spectateurs. Les hésitations atermoiements, nuances, modifications de mesures expliquent assurément un besoin de clarté, de précision et de cadrage de la part de l'audience. Celle-ci est alors un peu moins présente qu'au cours du plus fort de la crise, mais son volume explique sans doute pourquoi la RTBF a choisi de maintenir l'émission au-delà du terme prévu.
L'observation de la fréquence de programmation de l'émission démontre aussi que celle-ci n'a pas, jusqu'à présent, été organisée dans une logique de decrescendo progressif. Si la moyenne de diffusions hebdomadaires est de 4 (lundi-jeudi), ce nombre sera dépassé à deux reprises, mais réduit à trois certaines autres semaines. C'est donc bien l'actualité qui détermine la fréquence, et non la pré-programmation. En témoigne le fait, que, au cours de la première semaine de juin, le programme a été proposé à quatre reprises.
IMPACT SUR L'HORLOGISME
Dans les années 1990, le chercheur Dominique Chateau avait constaté que "l'horlogisme télévisuel" était en train de dominer les logiques de programmation, la "dictature" de la grille encourageant la diffusion de programmes "compacts a priori" plutôt que de productions "compactes a posteriori"(1). Questions en prime est un contre-exemple à cette règle qui s'est imposée dans l'organisation de la télévision linéaire. En effet, ce programme est venu bousculer la compacité de la grille de primetime de La Une en y ajoutant une émission qui décalait le moment de début du véritable spectacle de soirée. De plus, même si Questions en prime a une durée moyenne d'environ 22 minutes, celle-ci a été à quatre reprises de moins de 20 minutes, et à cinq reprises de plus de 25 minutes. Ajoutée à la compacité, elle aussi variable, des JT de temps de crise, celle de ce programme rend impossible la fixation d'un horaire permanent de rendez-vous pour le téléspectateur de La Une. Quand commence la soirée? Bien malin qui peut le dire. Se jouant des grilles, le programme ne permet pas à l'audience de planifier aisément son emploi du temps vespéral.
VOLATILES
Mais Questions en prime cannibalise-t-il quelque peu le spectateur qui, ayant suivi
l'émission, le contraignant peu contraint à regarder aussi celle qui suit? Questions en prime est-t-il une illustration la technique du lead-in (2)? La moyenne de l'audience de l'émission sur toute sa période est de plus de 567.000 spectateurs. Pour les jours où on peut comparer l'auditoire de Questions en prime et du programme qui suit, la moyenne/jour de l'audience de l'émission d'informations est de 556.000, le programme qui suit ayant, toujours en moyenne, environ 225.000 spectateurs de moins. Si l'on peut supposer que les personnes concernées étaient identiques (ce que les données dont nous disposons ne nous garantissent pas) cela signifierait que le programme de primetime suivant Questions en prime a, en moyenne, conservé 60% de l'audience antérieure.
Jour par jour comparable, il n'y a qu'une seule fois où le programme qui suit a rassemblé davantage de téléspectateurs que Questions en prime: le mercredi de mars où a été diffusé le reportage "Dans l'ombre du virus". Ce jour-là, Questions en prime est essentiellement une courte séquence de lancement proposé avant le reportage.
A quatorze reprises, l'émission qui a suivi Questions en prime a enregistré une baisse d'audience de plus de 50% par rapport au programme d'information, et la perte d'auditoire a été entre 30 à 49% à vingt-et-une reprises. Les pertes d'audience inférieures à 20% n'ont eu lieu que huit fois. On ne peut donc pas confirmer que Questions en prime a eu un effet déterminant sur le volume du public du programme suivant. Au contraire, celui-ci a fait preuve, à l'issue de l'émission d'information, d'une grande volatilité.
Frédéric ANTOINE.
(1) CHATEAU D., “Horlogisme ou la télévision comme forme”, Médias et information, n°1, 1993.
(2) "A program's "lead-in" is the program that precedes it in the channel's lineup" (NAPOLI Ph. M., Audience Economics: Media Institutions and the Audience Marketplace, Columbia University Press, 2003, p. 188).