Après des années de chute, les chiffres de ventes de la presse quotidienne belge francophone se sont moins mal portés en 2019. Certains patrons de presse revoyaient déjà la vie en rose. En tout cas avant la crise du covid.
Quel sera l'impact du coronavirus sur la diffusion payante de la presse? Si les états-majors des journaux francophones belges ont sûrement un œil sur la question, les données officiellement accessibles ne permettent pas de répondre actuellement à la question.
Depuis fin 2016 en effet, les éditeurs sont devenus très avares d'informations sur l'état de leurs ventes. Seul un "brand report" annuel révèle depuis lors quelques data sur chaque titre, alors que précédemment le CIM rendait largement accessibles des rapports trimestriels grâce auxquels les médias se plaisaient, plusieurs fois par an, à commenter les baisses des ventes de la presse. Désormais, seuls les chiffres d'audience, qui eux sont toujours à la hausse, bénéficient d'une large diffusion.
Dans ce contexte, on a accueilli avec attention la déclaration faite fin janvier dans son journal par le directeur général du Soir, affirmant notamment que "pour 2020, nous nous dirigeons vers le cap des 100.000 personnes qui, de
manière hebdomadaire, se connecteront sur nos plateformes numériques de
contenus payants" (1).
La phrase a fait grand bruit, et un rapide raccourci a fait circuler un peu partout en Belgique que Le Soir comptait, dès à présent, cent mille abonnés numériques. Ce qui n'est pas tout à fait ce qu'expriment les propos reproduits ci-dessus. Ces usagers seront-ils des personnes réglant directement à Rossel le montant d'un abonnement numérique? Recourront-ils ponctuellement des accès payants à la pièce? Ou cette comptabilisation prend-elle aussi en compte les lecteurs qui, grâce à leur abonnement Proximus, bénéficient désormais via "my e-Press" d'un accès en ligne gratuit au Soir ou au Laatste Nieuws (2)?
Inversion de tendance
Laissons là aussi la question ouverte pour porter un regard rapide sur l'état de la diffusion de la presse francophone belge (à ne pas confondre avec celui de son lectorat) et son évolution au cours des dix dernières années. Cette situation est résumée dans le graphique figurant en tête de ce texte. Il tient compte des données CIM authentifiées disponibles jusqu'en 2018 et des déclarations d'éditeurs (non encore authentifiées) pour 2019. Selon ces chiffres, la diffusion payante totale des cinq titres généralistes du sud du pays a baissé de près de 30% en dix ans. Mais la courbe, dont la pente descendante était régulière jusqu'en 2018, commence à se relever en 2019. Comme si l'on avait alors touché le fond, et que le plongeur était désormais en train de remonter.
L'étude de la diffusion payante totale (papier+numérique) par titre nuance cette impression d'ensemble: si tous les journaux ont connu une baisse de leurs ventes, l'importance de celle-ci n'est pas identique et, depuis 2018, les situations diffèrent quelque peu selon les quotidiens. La dégringolade des ventes du groupe Sud Presse a été vertigineuse, mais s'est stabilisée en 2018. Celle de L'avenir a été plus lente, et le titre était même parvenu à stabiliser ses ventes en 2017, avant de plonger à nouveau l'an dernier. Le Soir a connu une évolution en dents de scie, mais remonte la pente. La Dernière Heure a, elle aussi, beaucoup perdu, mais ralentit fortement sa chute en fin de période. Quant à La Libre, son essouflement était déjà bien entamé depuis deux décennies. Il a été plus faible au cours des dix dernières années, le journal étant même en rebond depuis 2017.
Le papier qui s'effrite
Sur l'ensemble période, c'est la presse populaire qui enregistre les moins bons résultats. La Dernière Heure connaît la proportion de baisse des ventes la plus forte, suivie par les titres de Sud Presse. Le Soir perd près d'un quart de ses ventes et L'Avenir 20%. La Libre Belgique limite quelque peu les dégâts, tout ces chiffres concernant la diffusion payante totale des titres, c'est-à-dire à la fois celle des exemplaires papier (vendus au numéro et par abonnement) et celle des ventes en ligne (essentiellement sous forme d'abonnement).
Si l'on ne prend en compte que les ventes papier, les pertes sont plus marquées. La chute de ses ventes papier (-38%) explique à elle seule la forte baisse de diffusion des titres de Sud Presse, qui perd en 2018 son hégémonie sur le marché au profit du groupe L'Avenir. En pourcentage, c'est toutefois La Dernière Heure qui connaît la baisse papier la plus forte. Ces deux titres sont ceux qui, par le passé, comptaient le pourcentage d'abonnés le plus faible. La diminution des ventes papier du Soir et celle de La Libre est à peu près identique en pourcentage. L'Avenir est le titre dont l'érosion papier est la plus faible (moins de 15%), les habitudes d'usage de son fidèle lectorat et sa moyenne d'âge n'y étant pas étrangères.
En ligne, une explosion relative
Longtemps, le niveau de diffusion payante des quotidiens n'a pas été boosté par leurs ventes digitales. Il y a dix ans, celles-ci étaient quasi nulles, seul le modèle du "tout gratuit" étant alors cultivé comme une véritable religion par les médias. Devant l'échec du financement du numérique par la publicité, le "tout payant" ou le "paywall+payant" ont ensuite été appliquée. Les pentes des courbes, toutes ascendantes depuis le début de la dernière décennie, sont cependant loin d'être en croissance constante. Les coups de pub sans lendemain, la difficulté de persuader un usager du gratuit de basculer sur le payant ou la volatilité de l'abonné numérique, nombreux à être infidèles sur le long terme, expliquent le parcours sinueux de certaines courbes. Depuis 2017, la tendance à la hausse est toutefois, en général, redevenue plus constante.
Comme sur les marchés étrangers, les quotidiens de qualité sont ceux qui réussissent le mieux à attirer de nouveaux abonnés numériques payants ou à faire basculer vers le digital des usagers du papier. Ses 36% d'abonnés numériques rapprochent Le Soir des quotidiens de la PQN française, qui affichent également désormais des scores élevés de vente en ligne. Confirmant la tendance, le pourcentage de La Libre lui est à peine inférieur. Les titres de presse populaire éprouvent plus de difficultés à récolter des abonnés numériques payants, le lecteur de ces titres étant classiquement moins enclin à s'engager sur le long terme. Le cas de L'Avenir est plus interpellant. Le groupe régional avait entamé, plutôt tardivement, une lente mais constante collecte d'abonnés numériques. Mais celle-ci marque le pas en 2019 et est, l'an dernier, le groupe de titres ayant le pourcentage d'abonnés numériques le plus faible en Belgique francophone. Ces éléments ne peuvent échapper aux éventuels repreneurs du groupe, tant pour évaluer son état de santé que pour expliquer ses actuelles difficultés financières.
Frédéric ANTOINE.
(1) https://plus.lesoir.be/276904/article/2020-01-31/olivier-de-raeymaeker-directeur-du-soir-notre-modele-se-rapproche-plus-de-disney
(2) https://www.proximus.be/fr/id_cr_my_epress/particuliers/r-orphans/actualite-inclus-dans-les-packs.html