L’empressement avec lequel le
gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est emparé du dossier des
télévisions de proximité a de quoi surprendre, de même que la rapidité avec
laquelle le Parlement de la FWB en a été saisi. Si l’objectif est bien d’
« assainir » le secteur à l’horizon 2031 (à supposer qu’il faille
l’assainir), n’est-il pas encore temps d’arrêter les horloges pour dresser,
sans contestations possibles, un véritable état des lieux de la situation du
secteur et de ses composantes à la suite d’un audit clair et indiscutable. Et
qui pourrait ouvrir vers des perspectives différentes.
Vis-à-vis des télévisions de
proximité, les démarches gouvernementales n’ont
pas pris le temps de tarder : annonce de l’intention de réduire le
nombre de TVL à peine un peu plus de 4 mois après l’installation du
gouvernement ; projet de réforme officiellement présenté 10 mois après
l’installation ; accord gouvernemental sur le dossier
juste un an après l’installation ; première lecture au
Parlement 14 mois après l’entrée en fonction du gouvernement.
LA FORME ET LE FOND
Dans la rapidité de ce mouvement,
les démarches de concertation avec les acteurs concernés ont essentiellement
été entreprises post quem, c’est-à-dire après l’annonce des intentions
de la réforme, et non suite à une étude approfondie du dossier et à des
contacts préliminaires avec les acteurs, de telle sorte que la réforme se
présente davantage comme une démarche imposée au secteur des télévisions de
proximité que comme une initiative proactive (et positive) à son égard. Et ce,
même si, selon les sources ministérielles, « les travaux de réforme ont
débuté dès 2024 par une tournée de l’ensemble des médias de proximité » et
que « s’en sont suivis 8 groupes de travail, en plénière ou techniques
par petits groupes » (1).
On ne peut ainsi nier que les
objectifs de la réforme (gel de la subsidiation, révision des aides en personnel, réduction du nombre
d’opérateurs…) avaient été fixés avant que se mette en œuvre une dynamique de
« dialogue » avec les représentants des diverses télévisions, et que
celui-ci s’est surtout préoccupé des modalités de mise en œuvre de cette
réforme et non de son fond. Alors qu’il eût peut-être été pertinent de
commencer par cela.
MACRO OU MICRO-ÉCONOMIES
Le secteur est-il, comme affirmé
le 18/07/2025 lors de la présentation du projet au Gouvernement, « actuellement
en difficulté » ? Plusieurs sources, disant reproduire des
extraits de la note ministérielle établie en mai 2025, reprennent aussi une
citation selon laquelle « malgré l’aide croissante des
institutions publiques, un média de proximité sur deux sur le territoire de la
Fédération Wallonie-Bruxelles est en situation de déficit structurel ». Il
semble que cette affirmation ait par la suite été reprise par plusieurs
parlementaires. Car cet
argument constitue un des éléments essentiels avancés pour justifier un
impératif « assainissement » du secteur destiné à lui éviter de
disparaître.
Si l’on
se réfère au rapport de contrôle annuel des médias de proximité pour 2024 que
vient de publier le CSA (2), cette affirmation semble contredite.
L’organe de contrôle écrit en effet : « Le CSA
constate enfin une amélioration de la situation financière de la plupart des
MDP au regard du précédent bilan. Sept éditeurs ont remis un budget financier
en équilibre, quatre sont en léger déficit sans que cela n’affecte leur
solidité financière à court terme. Un éditeur présente toutefois une situation
financière préoccupante. »
Les comptes
annuels des ASBL qui chapeautent chaque télévision de proximité, tels que
déposés à la BNB, confirment cette analyse pour 2024 et sont même un peu plus
optimistes puisqu’ils comptabilisent 8 télévisions en boni, une (Ma Télé) dont
on ne connaît pas la situation (3),
et 3 en mali.
Si, l’an
dernier, de nombreux MDP (médias de proximité) ont tenu le cap de l'équilibre financier, il faut reconnaître que, sur le long
terme, la situation financière des télévisions de proximité a pu être plus critique. Les
résultats des exercices depuis le milieu des années 2000, tels que mentionnés
dans les comptes annuels BNB, montrent une situation moins stable qu’à l’heure
actuelle. À de nombreuses occasions par le passé, plusieurs télévisions de
proximité ont affiché un déficit annuel.

Une
lecture plus fine de ces chiffres, réalisée télévision par télévision, démontre
toutefois que, dans de nombreuses occasions, le déficit d’une année a souvent immédiatement été
comblé les années suivantes. Les périodes où les déficits sont les plus
fréquents se situent surtout au début des années 2010, et au tournant des années 2020.
Certaines
stations n’ont jamais connu (ou presque) d’année difficile.

D’autres,
par contre, ont davantage connu des moments difficiles, parfois plusieurs
années de suite, ou plusieurs séquences d’années de déficit de suite.

Et c’est
là que l’on retrouve le souvenir de MDP aux finances parfois
« inquiétantes ». Mais il est à souligner, comme le fait le CSA, que
cette situation est devenue rare à l’heure actuelle. L’affirmation selon
laquelle le secteur est en déficit chronique et exige une reprise en main
rapide aurait pu s’appliquer par le passé, il y a une dizaine d’années
notamment.
En
comparaison, certains discours actuels semblent reposer sur des représentations
mentales bien ancrées dans les esprits, mais qui manquent peut-être de quelque
actualisation. On ne peut en effet plus parler, depuis plusieurs années, d’un
état de « déficit structurel » concernant une majorité des MDP.
AFFINER
LE SENS DES CHIFFRES
Un
déficit ne signifie par ailleurs pas que les finances d’une ASBL sont en
mauvaise posture. Une analyse des « pertes ou bénéfices » des MDP à
reporter au terme de l’exercice 2024 démontre ainsi que, à l’exception d’une
station de télévision, toutes les autres ont pu reporter des bénéfices des
années antérieures.
Une
analyse des « pertes ou bénéfices à reporter » portant sur un laps de
temps plus long aurait probablement fourni des résultats de nature assez similaire.
Il y a
aussi lieu de ne jamais perdre de vue que les données comptables n’ont qu’une
valeur relative en tant qu’indicateur de « bonne santé » dans le cas
d’ASBL, le but même de ce type d’association étant de pas de faire du lucre,
mais d’équilibrer ses finances. Ce à quoi répondent la très grande majorité des
acteurs du secteur des MDP, l’état des finances de certaines télévisions
hennuyères étant toutefois ce qui pourrait faire l’objet de critiques. Mais est-ce une
raison pour en réduire le nombre ? Ne pourrait-on, au contraire, les
accompagner pour les mener vers de meilleures pratiques ?
En ce
qui concerne les « chiffres d’affaires » et la « marge
nette » des MDP, les données sont, au niveau des comptes annuels BNB, plus
difficiles à apprécier, car les rapports de certaines TVL ne mentionnent parfois pas le
chiffre d’affaires et se contentent de dresser un bilan des subsides reçus. Le
CSA doit disposer d’autres sources, puisque son dernier rapport de contrôle
mentionne que, en moyenne, 73,6 % des revenus
des médias de proximité proviennent de subsides publics,
et 26,4 % de revenus propres ou
contributions des distributeurs. Le CSA note aussi la forte disparité de masse
salariale selon les MDP, et mentionne qu’environ 36,4 % de cette masse salariale
est financée par des aides à l’emploi.
Ces données précises étant disponibles
auprès de l'organe de contrôle, tout comme de l’administration de la FWB, il eût été
utile de pouvoir les analyser de manière diachronique MDP par MDP, afin de
relever la disparité des situations et les évolutions en cours.
Le sujet des aides à l’emploi
dont bénéficient les MDP constitue apparemment un point épineux dans le débat actuel, les annonces
officielles n’ayant pas manqué de le mettre cela en exergue, en évoquant
la disparité des situations des différents MDP vis-à-vis des aides APE. Alors
que des intentions d’assainissement de ce type d’aide figurent explicitement
dans les projets présentés par le ministre en charge des médias, il faut rappeler que ce domaine ne relève pas vraiment des compétences
de la FWB. Celle-ci accorde bien des aides à l’emploi aux MDP, mais l’essentiel
de l’aide dans ce domaine est du type APE, qui dépend des Régions. Dans ses exposés, le ministre en charge des médias a annoncé (4) qu'une réforme des aides à l'emploi était « en cours de discussion » du coté du ministre responsable de ce dossier à la Région Wallonne. Mais cette éventuelle réforme, dont on dit qu'elle devrait « objectiver » les aides que reçoivent les TVL ne peut en tout cas pas être considérée comme relevant du ministre des médias. Quant à Bruxelles, en l’absence de nouveau gouvernement, c’est
toujours le ministre faisant fonction qui gère les ACS.
UNE GOUTTE D'EAU…
Pour terminer ce chapitre
financier, et en tout cas en ce qui concerne les aides apportées par la FWB aux
MDP, tout le monde s’accorde pour déterminer que l’enveloppe du subside de
fonctionnement s’élève à 10,454 millions € (en 2023), 10,449 millions € (en
2024) auxquels s’ajoutent diverses aides (y compris à l’emploi dans le secteur
non marchand pour 4,91,millions €), ce qui fixe l’aide totale 2023 de la FWB à un peu
plus de 16 millions €, et de 17 millions € en 2024.
Sur un budget
total 2024 de la FWB de 14,634 milliards
€, le secteur Santé, Affaires sociales,
Culture, Audiovisuel et Sport représente ± 15%. Sur le total du budget de la
FWB, les 17 millions € d’aide accordés aux MDP représentent donc 0,12%.
Cette constatation rejoint l’analyse
figurant dans le tout récenr rapport du comité d’experts auprès de la FWB, dans lequel
ceux-ci relèvent (5), dans le budget 2025, que l’ensemble de dépenses
audiovisuelles de la FWB ne représentent que 3% de son budget total, et que
(6) « le budget annuel de l’ensemble des
médias de proximité équivaut à 3,5% du budget alloué à la RTBF ». Ce qui amène les experts à écrire, a minima,
qu’il convient de « relativiser la portée » des économies qui
seraient faites de ce côté, et « de s’assurer que ces efforts
n’affectent pas la qualité du service offert en matière d’informations de
proximité ».
On peut supposer qu’il ne s’agit
là que d’un commentaire policé, inspiré par la prudence. Car une lecture
objective des chiffres ne peut que pousser à s’interroger sur les véritables
raisons du choix politique d’avoir décidé de réserver les premières mesures de
restrictions budgétaires à un secteur qui ne représente qu’une part aussi
infime du budget de la FWB, et une goutte d’eau dans la dotation accordée à
l’opérateur audiovisuel public (statut que, rappelons-le, n’ont pas les MDP).
UNE CARTOGRAPHIE DE PROXIMITÉ
L’étude de l’ensemble de ces
éléments, préalablement au dépôt d’un projet de restructuration, aurait pu
permettre d’établir un tableau de bord complet du secteur, opérateur par
opérateur, afin d’éviter les approximations (ou les impressions
d’approximations). La question des emplois et de leur financement, qui semble
aussi motiver le fond du projet de réforme, aurait ainsi sans doute pu être
mieux éclairée.
Le même travail aurait aussi pu
permettre une cartographie, tant générale que particulière, du secteur, en
s’attachant à la fois à l’étude de la couverture territoriale de chaque MDP et
de son volume de population, mais aussi de ses caractéristiques
sociodémographiques. Ce qui aurait permis de conférer tout son sens à la notion
de « proximité ».
À ce propos, le choix de
réorganiser le secteur sur une base provinciale peut poser question, alors que
l’on parle au même moment d’une suppression des instances politiques
provinciales et de « reconfiguration » des provinces. Il y aurait eu
lieu de s’interroger sur le choix de ce critère administratif comme critère de base
de la division des territoires des MDP. D’autres critères auraient pu être pris
en compte, par exemple celui des bassins « naturels », géographiques
et culturels, avec lesquels se confondent les zones de couverture de certains
(petits) MDP. Ces bassins ne correspondent en effet pas aux frontières des
provinces, en recouvrent parfois deux, et sont souvent plus restreints que
l’étendue des entités purement administratives que sont les provinces.
Dans la même optique, en raison
du fait que l’on a affaire à des « médias de proximité », on pourrait
s’interroger sur la pertinence de recours au critère du volume de population
couverte afin de définir le nombre de MDP, en fixant une « barre »
arbitraire au million d’habitants, d’autant que ce critère ne correspond pas
nécessairement aux bassins naturels et culturels du sud de la Belgique. La
notion de « proximité » ne dépend en effet pas seulement d’un critère
territorial, mais est aussi déterminée par des critères de nature
économico-socio-culturelle.
MÉDIAS DE TERROIR
Pour mener à bien leur mission de
proximité, on peut estimer que les télévisions devraient être encore plus « locales », c’est-à-dire
être ancrées dans un terroir et non dans une territorialité. C’est de la sorte
que les MDP pourraient réellement contribuer au renforcement des identités des
bassins géographiques naturels où elles se trouvent.
Alors que l’on ne parle que
d’économies, de réduction des opérateurs et des moyens, cette proposition ne
peut que paraître paradoxale. Mais elle entend montrer que, tandis que
l’individualisme et le repli sur soi et son téléphone portable n’ont jamais
été si développés que dans le monde actuel, les MDP devraient voir leurs
missions revues. Ne pas être « simplement » chargés d’informer un
bassin de population déterminé comme s’ils n'étaient que des excroissances
minimales de l’opérateur audiovisuel public national. Mais se voir confier la
tâche de recréer de la vie et du lien social dans des zones
socioculturellement cohérentes. Ne pas être les hérauts de la misère, des
drames et des tristesses d’une « zone » de population, mais les
promoteurs d’un retour au vivre ensemble (et au bonheur ?) à une échelle
humaine. C’est-à-dire à celle des MDP les plus menacés à l’heure actuelle,
parce que les plus petits, mesurés au volume de population de leurs zones de
couverture…
Frédéric ANTOINE.
(1) En réalité, une grande partie de ces visites de
terrain ont surtout eu lieu dans le courant du mois de janvier 2025.
(2) Rapport du 02/10/2025.
(3) Ce point ne fait l’objet d’aucun montant
chiffré dans son compte annuel tel que publié par la BNB, tant et si bien qu’on peut l’estimer = 0.
(4) « J’ai également informé les opérateurs, dans une volonté de totale transparence, qu’une réforme des Aides à la Promotion de l’Emploi (APE) est en cours de discussion sous la houlette du Ministre wallon de l’Emploi. Elle devra être l’occasion d’objectiver les montants alloués aux médias de proximité, jusque-là attribués sans critères clairs et selon le bon vouloir des Ministres. » (communiqué officiel 03/06/2025).$
(5) p.19.
(6) p.32.