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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

09 avril 2025

BLACK-OUT SUR LA DIFFUSION DE LA PRESSE ?


Ce n'est pas une bonne nouvelle pour la transparence des médias, et sans doute pas non plus pour la démocratie en général : les données concernant la diffusion des titres la presse  belge (papier + digital, quotidiens et périodiques) ne sont plus accessibles au public sur le site du CIM, et ne seront vraisemblablement plus communiquées. Seules les statistiques d'audience restent disponibles. Parce que l'auditoire augmente, alors que les ventes baissent.

Depuis dix ans environ, chaque année en d'avril, le CIM mettait en ligne des "brand reports" de tous les médias écrits belges. On y trouvait à la fois des infos sur le tirage, les différents types de diffusion papier, payante ou gratuite, et sur le nombre d'abonnés numériques payants.Depuis peu,  la précision de ces données permettait même de distinguer ceux qui étaient abonnés à une formule mêlant digital et print un ou deux jours par semaine de ceux qui avaient choisi que le full numérique ou celle du mix complet papier+digital. Ces rapports donnaient aussi des informations sur l'audience en ligne (mesurée par Metriweb) et sur le lectorat tel que le mesure le sondage annuel sur l'audience. 

BAGUETTE MAGIQUE

Dénommés "stated", ces rapports de printemps étaient issus des déclarations des éditeurs. Et, vers novembre, ces données étaient remplacées par des rapports "authentified", une fois que le CIM avait pu vérifier les infos transmises par les éditeurs. Les chiffres variaient d'ordinaire peu d'un rapport à l'autre. Mais voilà que, en novembre 2024, ces fameux rapports certifiés n'ont été mis en ligne que pour un très petit nombre de médias (quelques magazines thématiques ou des éditions locales de 7Dimanche). Pour l'ensemble des autres titres : rien. 

Étrange tout de même. On s'est alors rendu compte que, au même moment, tous les brand reports relatifs aux années précédentes à partir de 2017 avaient eux aussi disparu du site. Encore plus étrange. On a enfin attendu quelques mois, le temps de voir fleurir les brand reports de printemps. Et on n'a rien vu venir.

Le CIM étant intimement lié aux éditeurs de presse, qui sont les commanditaires de ses études et propriétaires de leurs données, on peut supposer que ce sont bien ces derniers qui ont exprimé au Centre d'Information sur les Médias leur souhait de ne plus voir rédiger de brand reports et que soit retiré l'accès public à tous les rapports qui figuraient en ligne depuis huit ans (1). 

AUDITOIRE vs CLIENTÈLE

À l'heure actuelle, pour la quasi-totalité des médias écrits belges, les seules data qui restent disponibles sur le site du CIM sont relatives à la meure de leur audience, dont les données sont issues du "belgian publishing survey" annuel. Ces informations, si elles ne manquent pas d'intérêt, permettent seulement de circonscrire le volume et le profil de l'audience présumée de chaque média, mais ne fournissent évidemment aucune information sur l'état de santé réel de la presse, qu'elle soit quotidienne ou périodique, sur papier ou en ligne.

Or, ces données sont primordiales pour réaliser une véritable analyse de ce secteur. En effet, bien des médias écrits peuvent voir croître leur auditoire sans pour autant augmenter leurs ventes. Les deux éléments ne sont pas ontologiquement liés. 

DE MOINS EN MOINS TRANSPARENTE

La méthodologie de l'enquête de lectorat que nous venons d'évoquer, et qui repose notamment sur des entretiens et les souvenirs des personnes interrogées, a, de plus, souvent été discutée. Nous ne nous attarderons pas sur ce sujet ici, car tel n'est pas notre propos. Par contre, la mise sous cloche des véritables données économiques permettant de mesurer l'état des médias écrits est regrettable. Être au courant non seulement du tirage, mais surtout de la diffusion réelle de tous les titres belges circulant sur notre marché, et de l'évolution des modes de diffusion, relève du droit à la transparence que l'on semble pouvoir demander aux médias. 

Pour cela, il faudrait toutefois qu'il soit considéré que les groupes de médias ne sont pas des entreprises comme les autres. Que, parce qu'ils contribuent à bâtir et à informer l'opinion, les médias sont redevables à leurs usagers du droit d'en connaître davantage sur leurs "produits" que par la seule lecture des bilans qu'ils doivent annuellement déposer à la BNB.  Être chien de garde de la démocratie, cela ne justifie-t-il pas quelques efforts ?

Mais voilà. À l'heure actuelle, les groupes médias sont souvent d'abord des entreprises. Ils cherchent donc surtout à appliquer l'adage "pour vivre heureux, vivons cachés". C'est-à-dire en étant le moins transparents possible. Surtout si certains indicateurs connus du public révèlent des fragilités.

UNE LONGUE GLISSADE

Les velléités des entreprises de presse de ne plus rendre publiques les données sur la diffusion de leurs titres (ce que les Anglo-saxons appellent 'circulation') ne datent pas d'hier. L'apparition des brand reports sur le site du CIM vers 2015 n'en constitue qu'un des indices. Avant cette date, le Centre d'Information sur les Médias publiait… quatre rapports par an sur la diffusion des titres de la presse. Un par trimestre. 

Quatre documents détaillés qui permettaient de suivre la vitalité du secteur à l'instar du médecin consultant au chevet de son malade la courbe de ses températures. Car la presse était déjà alors un peu malade, mais pas trop. Elle était encore dans l'état euphorique du patient qui semble avoir trouvé le remède à son mal. En l'occurrence, en mettant tous ses contenus gratuitement en ligne, elle espérait attirer un large public qu'elle aurait l'occasion de vendre avec profit à ses annonceurs. On sait qu'il y eut loin de la coupe aux lèvres : certes, le public se rua sur ces médias numériques gratuits, alors qu'il devait payer s'il les consultait sur papier. Mais les annonceurs ne suivirent pas, et la rentabilité du "clic" n'atteignit jamais celle de la presse papier. Et c'est vers 2015 que tous les groupes de presse décidèrent de basculer du tout gratuit vers le (presque tout) payant. Alors que la maladie était déjà bien avancée…

Au lendemain du covid, les données, à l'époque encore disponibles, attestaient d'une reprise du secteur de la presse quotidienne où, sans parvenir à boucher les trous des hémorragies de clients "papier", les abonnés numériques croissaient en nombre. Une sortie de crise s'annonçait. Les derniers chiffres accessibles, ceux "stated" de 2023, semblaient devoir modérer ces réjouissances. La croissance du numérique payant paraissait se stabiliser, voire pire : devenir une décroissance. Est-ce cette absence de lendemain qui chante, peut-être confirmée par les chiffres 2024, qui a incité les entreprises de presse à exiger que la lumière des chiffres soit mise sous le boisseau ? Aucune donnée ne permet évidemment à ce stade de l'affirmer. Mais l'hypothèse parait tentante. 

QUAND LE BÂTIMENT VA, TOUT VA

Lorsque tout va bien, qui n'est pas fier de montrer sa richesse ou sa réussite ? Mais lorsque les vaches maigres succèdent aux grasses, ne préfère-t-on pas plutôt se faire oublier ? En remontant l'histoire de cette publicité des données de presse, il est intéressant de constater que celle-ci n'est pas un fait récent. Quelques années après avoir créé sa publication trimestrielle La Presse - De Pers en 1954, l'association des éditeurs de presse belge décidera en 1958 de la compléter d'un annuaire annuel recensant toutes les publications réalisées sur le territoire national. Chaque support y bénéficiait d'une page, surtout destinée à présenter ses formats publicitaires, mais où figurait aussi une mention concernant la production des exemplaires du média. Très longtemps, l'information demandée aux entreprises de presse ne concernait qu'une donnée : le tirage. Alors que l'on sait que celui-ci n'est pas un indicateur pur de l'état d'un média, puisque rien ne permet de corréler le nombre d'exemplaires produits et celui des exemplaires diffusés. 

 Mais le tirage, c'était déjà cela. D'autant que l'annuaire précisait si celui-ci était une simple déclaration de l'éditeur, s'il avait été certifié par un bureau comptable ou par l'OFADI, qui était déjà chargé de contrôler la diffusion des titres qui l'acceptaient. L'annuaire présentait aussi une distribution des ventes de chaque titre par province. La presse alors se portait bien. Afficher des tirages importants (voire même exagérés) était un signe de bonne santé. Et il fallait le faire savoir.

DU SOLEIL À L'OMBRE

À partir de 1990, l'annuaire de la presse belge ajoutera une autre donnée essentielle à celle du tirage : grâce aux mesures du CIM, le tirage sera complété par  la diffusion de chacun des titres présentés. Une petite révolution puisque, pour la première fois, les éditeurs acceptent que leurs médias soient évalués non en fonction de leurs ambitions (le tirage) mais aussi en fonction de la situation réelle du marché (la diffusion). Parallèlement, d'autres supports exploiteront alors les données du CIM. Lorsque, au tournant de l'an 2000, le CIM créera son site internet, celui-ci comprendra des données précises et très détaillées sur la diffusion des titres de presse écrite et ce, en remontant à 1995 (nombre de numéros, abonnements, vente au numéro, diffusion payante, services réguliers gratuits, tirage, % étranger). Qui plus est, ces data peuvent alors être lues par l'internaute sous forme de graphiques. Un luxe.

Ces éléments démontrent que, à cette époque, le souhait des entreprises était de communiquer de manière précise sur le volume effectif de leurs activités médiatiques. La tendance actuelle s'avère être à l'opposé. Il sera à l'avenir impossible d'encore étudier avec pertinence l'évolution de ce secteur, à moins que les éditeurs ne permettent aux chercheurs d'accéder à des données "secrètes", dont la lecture par le grand public aura été supprimée. Ce qui ne se fera pas sans doute sans de strictes conditions. Si cela se fait. 

Peut-être faudra-t-il demain être du "sérail", c'est-à-dire soi-même actif dans le secteur de la presse ou de la publicité, pour pouvoir encore disposer de ces informations, et pouvoir les analyser. Avec distance et sans intention particulière.

Si cela aidera peut-être les entreprises elles-mêmes, pas sûr que la démocratie, elle, en sortira grandie. 

Frédéric ANTOINE.

(1) Par la même occasion, toutes les références à la diffusion des médias écrits et à ses indicateurs ont été retirées du site du CIM, y compris de son glossaire.

22 janvier 2025

Striptease, un enfant pas si naturel que ça


En ce début 2025, on fête dans la joie les 40 ans de Striptease et de ses créateurs, considérés comme les fondateurs d'un nouveau genre télévisuel. Mais on oublie de mentionner que cette émission est l'aboutissement du long flirt entre le documentaire et le réel qui avait magistralement commencé à la RTB dès la fin des années soixante. Un peu moins de 20 ans avant les débuts du programme qui déshabille la société belge…

Ah, qu'on se plaît pour l'instant à saluer les quarante bougies de ce programme unique en son genre, que le monde entier ne cesse de nous envier. Et que l'on aime entendre ses créateurs retracer leurs aventures de conception in vitro d'un nouveau genre télévisuel ! Il est vrai que la formule de Striptease est à nulle autre pareille, avec cette absence totale de voix off, des interviews presque sans voix du journaliste, un filmage à hauteur d'homme, des sujets révélant au plein jour des univers méconnus de notre petite terre d'héroïsme et un format court qui oblige d'aller droit au but en cassant les codes de la réalisation télévision classique. En 1985, c'était assurément révolutionnaire. Mais ce n'était pas tout à fait hors du commun, jamais vu, et créé de toutes pièces.

Cet hommage national ne l'a sûrement pas fait se retourner dans sa tombe, mais ils ont tout de même avoir dû démanger un peu, les os d'un de ces deux personnages qui, à la fin des années 1960, avaient posé les premiers jalons de cette école documentariste de la RTB unique en son genre, qui accouchera par la suite de Striptease. Nous écrivons ces mots avec prudence, car il est certain que l'un des deux fondateurs est décédé en 2009. Peut-être certains lecteurs pourront-ils nous éclairer davantage à propos de l'autre artisan de la RTBF qui inspirera Striptease

MANUEL ET PÉCHÉ

Les noms de ces inventeurs : Pierre Manuel (1930-2009), journaliste à la télévision publique à partir de 1960, et Jean-Jacques Péché (1936- ? ), réalisateur (puis journaliste) dans la même maison à partir de 1964 (1). Ce sont eux qui, en 1968, lancèrent sur les écrans de la télévision publique belge le magazine Faits Divers, dont Striptease est incontestablement l'enfant naturel. Si l'on s'en réfère aux documents numérisés par la Sonuma et disponibles en ligne (2), ce format produisit en dix ans (1968-1978) un peu moins de trente documentaires conçus en marge de la grande émission d'enquêtes-reportages que proposait alors la RTB  : Neuf Millions (qui deviendra en 1971 Neuf Millions neuf). 

Faits Divers était une émission éclectique, très largement orientée vers le documentarisme, mais qui hésitait encore entre traiter simplement le réel de manière journalistique ou se soucier de poser sur lui un regard.

Pierre Manuel avait été grand reporter et avait parcouru le monde pour en couvrir les crises et les guerres. Dans une longue interview qu'il avait accordée à Jean-Marie Delmée en 1973 (3), il précisait quelle démarche avait inspiré Faits Divers : « Nous voulions raconter un petit événement, mais en le traitant sur une durée d'émission plus longue. Afin, à travers lui, de faire apparaître - c'est le cas dans les émissions les meilleures -  une espèce de background très important, une grande question qui tient au cœur, qui est au centre des préoccupations de l'homme de notre temps. » Et d'ajouter : « C'est une méthode difficile à définir d'une manière précise. Vous vous situez sur le plan de ce qui est vécu, de ce qui est ressenti, de ce qui est important pour les gens. Dans le concret, dans le quotidien, et dans la vie nationale. Il était important aussi pour nous de donner des images de notre vie nationale, qui a tout de même aussi un certain intérêt, et de ne pas transposer à Katmandou ou à Tombouctou des problèmes qui existent ici. Il nous importait aussi de les exposer avec le langage des gens de chez nous. C'est une nouveauté très importante, et il  faut accorder que c'est la télévision qui l'a apportée. La littérature de chez nous a toujours échoué à rendre compte du langage des gens de chez nous. La télévision l'a fait. »
 

AU-DELÀ DU JOURNALISME ?

Parcourir la série des émissions Faits Divers témoigne du grand éclectisme des sujets et des traitements. Ils partent toujours du vécu des hommes, et concernent essentiellement la Belgique, à de rares exceptions près (4). Quasiment tous les films reposent sur de petits sujets et suivent des personnages 'simples', issus de 'la vie de tous les jours'. Mais, comme l'expliquait Pierre Manuel, grâce à ceux-ci se révélaient de grands thèmes et enjeux de société. Dans la plupart des sujets, la voix en off du réalisateur (ou le journaliste) n'intervient jamais, sinon parfois pour poser une question. Il n'y a quasiment jamais d'interview en tant que telle. Les images et les sons d'ambiance parlent d'eux-mêmes. 

Dans quelques films, la réalisation rappelle que le magazine relève du secteur télévisuel de l'information, et qu'il entretient une filiation avec le journalisme. Il arrive ainsi qu'une voix off se sente tout de même obligée de contextualiser le propos du sujet, ou afin de donner un sens précis aux images. Dans ces conditions, le rôle de l'interviewer peut aussi être plus marqué. Lorsque le sujet est plus touchy, ou que ses auteurs estiment devoir expliquer au spectateur le sens de leur démarche, on recense aussi plusieurs cas où l'émission commence par un in-situ où le journaliste apparaît plein cadre afin d'introduire sérieusement le propos. Le classique billet de lancement d'une séquence journalistique n'est alors pas loin…

AVEC DES PINCETTES

Étonnamment, ce rappel d'un lien avec le travail du journaliste n'est pas l'apanage des premiers documents de la série. Il se retrouve même plutôt dans les dernières années du magazine, notamment lorsque plusieurs sujets seront portés par un autre journaliste que le tandem Manuel-Péché (5). Cette préoccupation de contextualisation se retrouve aussi, à quelques occasions, dans la diffusion d'un texte, en déroulé, en début de film. 

Nous avons aussi recensé deux cas particuliers, où Pierre Manuel, plutôt tenant d'une stricte absence d'une instance énonciatrice, renonce à cette règle. Dans Bonjour monsieur le maître (1971), il est présent en voix off à plusieurs endroits du film. Sans doute pour dédouaner le film de toute intention de moquerie vis-à-vis du principal personnage (6). Signe d'une époque et du rôle que devait alors remplir le service public, lorsque, en 1975, Faits divers osera aborder le sujet de la sexualité et de la pornographie, l'émission le fera avec des pincettes. Dans une longue introduction de quatre minutes tournée devant sa bibliothèque, Pierre Manuel marchera sur des œufs pour justifier ce choix de sujet et son traitement. Il s'agit ici clairement de dégoupiller la grenade que le sujet pouvait représenter.  À cette fin, non seulement le film sera diffusé avec le carré blanc, mais, en finale de son intro, le journaliste-réalisateur n'hésitera pas à faire sienne la conclusion très critique vis-à-vis de la pornographie qui est exprimée à la fin du film (7). La morale sera sauve…

ÉPAULE ET SON SYNCHRO

Basée sur des sujets issus de la banalité (sens dans lequel il faut entendre 'faits divers' (8) ), incarnés dans un très petit nombre de personnages, la formule de faits divers choisit aussi de s'étendre sur des formats longs de ± une heure (à l'époque, les formats sont souples sur le service public puisqu'il ne faut pas se fondre dans l'horlogisme imposé par les écrans publicitaires). Le filmage réalisé en caméra à l'épaule, tournant à hauteur d'homme et en son synchrone, caractérise déjà la formule. Dans son interview évoquée plus haut, Pierre Manuel souligne en quoi les évolutions techniques du filmage tv survenues au milieu des années 60 ont permis de saisir le réel de la sorte (9). Il y dit notamment : « C'était une révolution qui n'était pas seulement une révolution technique, mais aussi une révolution qui nous a menés, plus tard, à aller beaucoup plus loin dans le sens que l'on pouvait donner aux choses. Alors on peut appeler ça cinéma vérité, télévision vérité, je ne sais pas très bien, il est difficile de mettre une étiquette là-dessus, on peut appeler ça écriture par l'image, peu importe. » 

En 1973, Pierre Manuel mettait déjà un nom sur ce qui deviendra la marque de fabrique des documentaires de société made in RTBF, et aboutira à Striptease. Et, pour réaliser ce projet, l'équipe de Faits Divers s'entourera notamment d'une série de cameramen de talent, dont Manu Bonmariage, que l'on retrouvera par la suite au générique de bon nombre d'épisodes de Striptease, avant qu'il ne passe lui-même à la réalisation de films de réel.

JUSQU'À LA FICTION ?

Dans Faits divers, les réalisations criantes de vie ne manquent pas. Si l'on salue souvent le format court et percutant de Striptease, le format long du traitement made in Faits divers mérite aussi d'être apprécié. C'était du slow journalism avant la lettre. De nos souvenirs de jeune téléspectateur de l'époque, le produit le plus fini, le plus abouti et peut-être le plus léché de la série est et restera Week-end ou la qualité de la vie, réalisé en 1972. Sans doute la mise en situation des intervenants de ce film dans le cadre d'un week-end à la côte belge, le choix des personnages et le goût de certains d'entre eux à se mettre en scène ainsi que les cadres où ils ont été filmés jouent-ils sur ce choix de notre part. Pour les membres de l'équipe du magazine, c'était aussi la première fois qu'ils cherchaient à organiser quelque peu le réel qu'ils abordaient, au risque de se voir accusés ensuite de chercher à la maîtriser (et donc, oh horreur, de le scénariser). 

L'expérience sera poussée beaucoup plus loin la même année avec le film Le Stress, dont Manuel et Péché reconnaissent dès le générique avoir été les auteurs du 'scénario'. Ce "téléfilm" ne sera d'ailleurs pas diffusé sous la bannière de Faits diversPierre Manuel (dans la même interview déjà citée) : « On a fait la tentative d'un téléfilm. Alors là, quelle étiquette ? Est-ce que c'est du reportage fiction ? Est-ce que c'est de la fiction ? Est-ce que c'est un script que nous avons développé nous-mêmes ? Là encore, les problèmes d'étiquette sont difficiles. Ce qu'on essayait de faire, en tout cas, c'est de trouver des voix spécifiques à la télévision. Le stress, ce n'est pas de la littérature, ce n'est pas du cinéma, ce n'est pas du théâtre. Les acteurs sont des non-professionnels. Ils essayent de rendre compte de leurs problèmes de tous les jours, sur la base d'un scénario qui, au départ, avait trois à cinq pages. Dans Le stress, les personnages se trouvaient dans la situation où on les a mis, me semble-t-il. Le professeur, c'était un professeur, le commissaire de police, c'était le commissaire de police de Schaerbeek, qui jouait magnifiquement son rôle. (…) Pour nous, c'était une expérience bouleversante, qui nous a appris énormément de choses. On a peut-être appris à éviter certaines choses à ne plus faire. Mais ce qu'on a voulu faire, c'est quitter les ornières d'une certaine télévision qui nous semblait un peu statufiée. On a parfois l'impression, au bout de quelques années, de tourner en rond. De refaire toujours le même reportage, de dire toujours la même chose. Avec Le stress, on a voulu faire autre chose. C'est peut-être une façon pour nous de nous remettre en question. Ça nous a fait passer quelques nuits blanches. » 

En 1978, les créateurs de cette nouvelle forme de télévision chercheront à passer à autre chose. Le dernier sujet tourné par Jean-Jacques Péché, Vens, village de montagne, n'est plus dans la même veine. Les journalistes-réalisateurs vogueront vers d'autres horizons.

UN AIR DE FAMILLE ? OU PAS ?

Dans l'article déjà cité où il entend cerner l'originalité de Faits divers, André Dartevelle relevait en 2009 trois éléments qui lui semblaient résumer l'esthétique de cette série de films : (1) Le cheminent. « Le film devient un parcours, une expérience humaine et sensorielle et non plus un discours informatif articulé sur des images. » (2) Le dévoilement. L'émission « cherche par tous les moyens à montrer, à filmer les rapports des gens ordinaires avec le pouvoir et ses entités ». (3) La double détente : « La caméra quasi invisible suit souplement les personnages, les laisse se débrouiller dans l'espace public et puis, en contradiction avec cette dynamique, elle fixe des visages en gros plans. Manuel veut savoir ce qu'ils ressentent (…). »

Dartevelle pointe peut-être là certaines des différences les plus fondamentales entre  Faits divers et Striptease : celles relatives aux buts, aux finalités du message qui transpirent des sujets tournés. Celles du rôle politique de ces films, de leur insertion dans une société donnée, dans un temps donné. Les deux émissions sont des reflets de leur époque. Le rêve des journalistes-réalisateurs-producteurs de Faits divers était sans doute que, par leur finesse et leurs incarnations, leurs films sensibilisent la société et poussent aux changements.  

Striptease s'inscrit-il dans la même lignée, ou se contente-t-il de portraiturer les incongruités d'une fin de siècle qui, petit à petit, délaissait les enjeux collectifs au profit de l'individuel et de l'épanouissement personnel (ou du non-épanouissement) ?

Frédéric ANTOINE.

(merci à chatgpt pour l'illu)

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(1) Source : André DARTEVELLE, "Du reportage au documentaire : une expérience de cinéma du réel à la RTB(F) de 1968 à 1978", in : Bulletin de la Classe des Arts, tome 20, 2009. pp. 133-142.
(2) https://www.sonuma.be/thesaurus/collection-faits_divers_1968_
(3) Dans la série de portraits tv Reporters. Diffusé le 24/08/1973 (https://www.sonuma.be/thesaurus/collection-reporters).
(4) Notamment : Dimanche des rameaux à Jérusalem (1968), réalisé 2 ans après la fin de la Guerre des Six Jours. 
(5) Il s'agit surtout d'Alain de Streel. Mais à cette époque Jean-Jacques Péché pratiquera aussi l'intervention face-caméra en début de film.
(6) L'auteur évoque ce reproche qui aurait malgré tout été adressé au film dans ce que l'on suppose être la même interview accordée à J.-M. Delmée (voir note 3 ci-dessus), mais qui figure sur Auvio entre le générique de la série Faits divers et le début du film sur cet instituteur proprement dit.
(7) « L'émission se termine donc clairement par une mise en garde, une condamnation si vous voulez, de certains procédés », dit-il alors notamment. (A corps perdus, 1975).
(8) Contrairement au sens que la formule éponyme revêtira par la suite sur la RTBF dans le titre d'autres émissions, d'abord en radio, puis en télévision.
(9) « C'est surtout pendant les tournages sur la campagne électorale américaine, qui est d'une part d'ailleurs un admirable spectacle pour leurs porteurs, qu'on a découvert avec jouissance vraiment, avec une joie profonde, ce que les Américains ont découvert depuis longtemps, l'utilisation de la caméra légère à son synchrone. La caméra portée à l'épaule par le cameraman à hauteur d'hommes, le cameraman qui se bat vraiment, et à hauteur d'hommes, qui se bat avec sa réalité. Le preneur de son qui, avec sa petite perche, va chercher partout le son vrai, ça a été pour nous une véritable révolution. Il fallait en quelque sorte assassiner, tuer le cameraman ancien pour le ressusciter, mais plus inventif, participant directement au sein de l'équipe au travail de création, d'imagination. Ça c'était très important. »





01 janvier 2025

Petit bêtisier subjectif de la presse 2024


Alors
que commence l'année nouvelle, pourquoi ne pas prendre quelques minutes pour sourire de l'une ou l'autre des inévitables bévues involontaires que la presse nous a offertes au cours de 2024 ? Des petits dérapages qui démontrent que, bien souvent, les journalistes manquent de temps pour parfaire leur travail jusqu'à la perfection…

Au sommet de ce hit-parade subjectif et évidemment fort incomplet, nous placerons cette nouvelle qui avait fait sensation le soir des législatives françaises :

Pour ce média belge francophone, affirmatif à 100% dans son titre, le sort des élections en était jeté : le RN devenait bel et bien le premier parti de France. D'autres sources belges seront au même moment un peu plus prudentes. On lira ainsi la même info, mais avec un point d'interrogation :

 

Ou en précisant qu'il s'agit de "premières estimations" :

 Ou, encore mieux, en précisant que c'est "selon un premier sondage" :

 
Mais il faudra attendre un peu plus avant que la presse belge fasse marche arrière, et annonce que :

  
Oui, tout le monde s'était fait berner.   À commencer par les médias belges trop avides de livrer  un scoop à leur public, mais surtout aux Français qui les lisaient alors en grand nombre, puisqu'il y avait black-out informationnel chez eux. Plus vite, toujours plus vite, telle est la devise…
 
À LA MODE DE NAMUR
 
Autre perle, dont on ne sait en définitive si elle était volontaire ou non : celle que les lecteurs d'un fil infos ont découverte à propos des voyages très secrets du président des Engagés :

Selon Le Robert, le "trip" est, en première définition, « l'état
qui résulte de l'absorption de substances hallucinogènes (défonce) ». On ne connaissait pas l'homme politique sous cet angle… Et sous celui du second sens du terme, « voyage intérieur »?  À vrai dire, on ne l'y retrouve toujours pas vraiment. D'autant que ce
titre original se retrouve aussi au début de l'article lui-même, mais ce alors que le mot  est rédigé d'une autre manière ("tripes") dans le chapeau de l'article.
Est-ce un jeu de mots volontaire ? Simple ? Ou alors lourd de sens ? En tout cas, pourquoi utiliser deux orthographes différentes dans le titre et le chapeau, chaque fois entre guillemets, ce qui signifie qu'il s'agit bien là d'une citation ?
Bravo en tout cas à l'auteur de ce calembour, intentionnel ou non. 
 
DES CONFUSIONS MOINS VOLONTAIRES
 
Dans la même catégorie "belles perles", relevons d'autres performances intéressantes.  À commencer par ce voyage raté de l'ex-éternel maïeur de Bastogne dans la capitale française (une vraie gageure !) :
 
Mais relevons aussi:
- cette finance flamande qui envahit jusque dans les couloirs du métro bruxellois :
- les capacités de nuire toujours grandissantes des arnaqueurs en ligne, qui atteignent des sommets :

 - les exploits de ce sportif batave qui compte ses distances parcourues en feet (= 0,304 m.) :
-l'étonnante déclaration de l'ex-président de Corée du Sud qui, finalement, entendait mettre fin au retrait des troupes qui avait pourtant débuté devant le Parlement de Séoul :

- la guigne du président Assad qui, non content d'avoir été destitué, s'est aussi pris les pieds dans les câbles d'un studio de tv :

- cette attaque qui tue "quatre blessé", ceux-ci étant tellement mal en point qu'ils en perdent leur pluriel :

- une Miss France réduite à lancer des SOS :

- la fragilité des arbres de Floreffe qui menacent conducteurs et des bêtes semi-sauvages :

- ou l'esprit de solidarité qui permet de beaucoup pardonner à des fauteurs de troubles... quand ils sont du coin :

 DES PHRASES PAS CLAIRES
 
Dans la catégorie "un peu de clarté svp", notre relevé 2024 comprend aussi quelques petites perles.
 
On s'étonnera peut-être ainsi de lire qu'un accident concerne “la veille de leur hélicoptère” (tout comme on ne verra pas fort bien a priori le lien entre le titre et le chapeau de l'article).
 
 
 
Une virgule (ou son absence) peut aussi changer le sens (ou pas). Ici, en fallait-il une avant Jimmy Carter ?
Mais il peut aussi arriver qu'il y ait trop de virgules…

… ou que l'on ne comprenne pas toujours à quoi un pronom "les" fait référence…


ACCORD OU DÉSACCORD ?

Grammaire, syntaxe… quand tu nous tiens. Ou pas. Un petit coup de correcteur ne serait pas toujours du temps perdu, par exemple pour le fameux accord du participe passé avec "avoir" :

Ou pour la différence entre un infinitif et un participe passé :
 
Ou pour distinguer le verbe au temps actif et son participe passé :
 
                                    
 
Ou pour ne pas confondre  l'auxiliaire "avoir" et une préposition :

Ou pour ne pas mélanger le subjectif imparfait et le passé simple : 
 
        
 
Ou pour le bon usage d'une majuscule ou d'une minuscule, pour ne pas être dans tous ses états… :

Mais y a-t-il un correcteur pour savoir comment écrire comment, chaque parti ayant un président, combien en ont les présidents de tous les partis ?Certains le font au singulier, ce parti-là ayant sans doute cinq présidents.
D'autres hésitent tellement que, parfois, ils utilisent les deux formules dans le même article, selon que l'on écrit "de" ou "des", ce qui est fort subtil !
 
 COUPER-COLLER
 
L'impression plâne aussi que, souvent, un petit dérapage peut être dû aux scories d'une ancienne version du texte (ou de la dépêche) qu'on a essayé de retravailler sans en avoir trop le temps. 
On ne sait alors plus trop si on encourage ou on lance…
 
…si finalement c'est inquiétant ou pas…
ou si on a vraiment annoncé de chez annonce…
IN HET FRANS AUB

Il y aussi ces petites fautes tellement typiquement belges, qui montrent qu'on a beau être francophone, au plat pays, on ne peut cacher qu'on parle (et écrit) aussi un peu comme les Flamands…

On se prend alors les pieds dans les prépositions :

On oublie tout simplement un article :
On mélange le transitif indirect et direct :

On met les éléments d'une négation où l'on peut :
Ou on ajoute un petit mot inutile :

Toujours à propos du bilinguisme belge, on ne pourra que saluer l'effort de ce site d'infos qui écrit ses articles en français mais légende ses photos en néerlandais :
LES PIEDS DANS LE CLAVIER
 

À vouloir écrire trop vite, il peut y avoir également des lettres qui se perdent ou se mélangent :


 
Des petites familiarités avec l'orthographe permettent de même de donner du piment à l'info.
Ainsi appréciera-t-on les “clochés” tournaisiens, c'est-à-dire sans doute ses habitants mis sous cloche, à ne pas confondre avec ses “bouchés” ou ses “éclopés”.

Cet article (publicitaire), inséré par les instances touristiques wallonnes dans un gratuit dominical, avait aussi parlé de WK inspirants, un acronyme qui, au fond, n'inspire vraiment pas grand chose…

CLICHÉS CLICHÉS

Pour ne pas être encore plus long, nous ne ferons cette fois qu'un petit détour par la catégorie "photos", en relevant d'abord cette superbe illustration du nouveau train "très grande lenteur" entre Bruxelles et Paris, la photo était celle d'un train des chemins de fer… hollandais.
Il faudra attendre quelques jours pour voir arriver une autre rame :
C'est que, voyez-vous, la source de la première image était… Belga, et la deuxième AFP. Or aucune des deux n'est pertinente, puisque, même si le Ouigo est un TGV français, la "nouvelle" ligne Bruxelles-Paris n'est justement pas TGV mais TLV…
 
Dans la même catégorie, pointons juste deux cas d'images prétextes qui ne collent pas directement avec le sujet abordé. Des pompiers de Paris pour un incendie à Angoulême…
… ou ce morceau d'ambulance supposé assez suggestif pour montrer qu'une femme est décédée…
Un cas hyper-fréquent : celui de mettre en illustration un fragment de véhicule de secours, sans que l'on sache de quel service il s'agit ou de quel pays il dépend. Mais ça passe…
 
Enfin, pointons ce petit mélange des genres, assez neuf dans la presse belge, où on ne sait plus si l'on est dans l'info ou dans la publicité : 


Bref, l'année 2024, dont nous n'avons révélé que quelques petites perles, a été riche pour les pêcheurs d'originalités informationnelles. Et ont peut parier que 2025 sera meilleure encore.
 
Frédéric Antoine

(le lecteur excusera bien sûr les éventuelles fautes de frappe, d'orthographe ou autres, dues à la période où ce blog a été rédigé. Et à nouveau merci à chatGPT pour son illu)




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