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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

25 juillet 2024

RTBF: Le retour de "L'autre vérité"


Sale temps pour la RTBF. Les projets de la nouvelle majorité qui prend les rênes de la Fédération Wallonie-Bruxelles entendent lui imposer un régime et remettre en cause sa légitimité en tant qu'opérateur "populaire". Mais le reléguer à de strictes missions ne risque-t-il pas d'entraîner la mort du service public ?

"Si on peut la regarder [la Formule 1] sur RTL, sans la payer avec mes impôts, c'est super !" Cet extrait d'un échange ayant circulé sur X à propos de l'éventuelle interdiction pour la RTBF de diffuser des événements sportifs en clair en dit long sur ce qui pourrait attendre le service public : perdre au moins une partie de son offre gratuite de grandes compétitions internationales, au motif que celle-ci ne correspondrait pas à sa mission de service public. Et, en corollaire, la "cession" des droits y afférents à un opérateur privé, que tout le monde verrait bien être le groupe RTL.

Avec, comme argument massue, que si ce sont les propriétaires de RTL Belgique qui achètent ces droits, le téléspectateur continuera à voir ces sports "gratuitement" alors que, quand c'est la RTBF qui les diffuse, ce serait le contribuable qui paierait ces droits. Pas via la redevance, puisque la Région wallonne ne pratique ce mode de récolte de fonds, mais via le fait que, comme tout le monde paie des impôts régionaux et qu'une partie de ceux-ci sont reversés à la FWB, c'est dans cette manne que l'on puise pour la dotation dont bénéficie la RTBF.

SPORT, PAR ICI LA PUB

Est-il possible de prouver que c'est sur sa dotation que la RTBF acquiert les droits de retransmission de la F1, du foot ou d'autres sports ? On oublie peut-être un peu vite que, selon les données provenant de son rapport annuel 2023 (1), 78% de ses recettes viennent bien de dotations publiques, mais 14% de la publicité, 3% des câblo-opérateurs et 6% d'autres recettes. Et encore 2023 n'est-il pas un bon exemple, car… en l'absence d'événements sportifs de grande ampleur, la RTBF n'a pas engrangé l'an dernier autant de recettes publicitaires que d'habitude.

Eh oui, les événements sportifs nourrissent, parfois de manière significative, les rentrées publicitaires de la RTBF. En 2022 (2), la part de ces recettes publicitaires avait constitué 16% de ses rentrées. Et 17% en 2021. Moins de retransmissions sportives rimerait aussi forcément avec baisse des rentrées commerciales...

 DU BELGE QUI RAPPORTE

Resterait aussi à savoir si RTL Belgique serait prête à s'engouffrer dans la brèche imposée par les autorités politiques. Que Rossel (et DPG) aient poussé à la charrette pour que la nouvelle majorité suggère ce type de restrictions à l'opérateur public paraît plus que plausible. La stratégie de la direction de l'entreprise n'a jamais caché vouloir mettre au maximum l'accent sur le sport, tout en regrettant que la RTBF phagocyte les meilleures parts du morceau. Le sport est en effet (pour RTL comme pour la RTBF) le moyen le plus rentable de "faire du belge" à l'antenne. Certes, ça coûte. Mais qu'est-ce que ça rapporte !

Mais tout de même, ça coûte. Bien sûr, DPG peut mettre dans la course toute le poids de ses chaînes flamandes, et négocier des packages associant l'acquisition nord+sud Belgique. Mais les vendeurs de droits ne seront-ils pas plutôt tentés de vendre les droits à des plateformes payantes ? Fini dans ce cas l'idée que, si c'est sur RTL, c'est gratuit et non payé par le contribuable. Tout qui voudrait voir une compétition internationale de haut niveau aurait alors l'obligation de payer lui-même. Juste ce que la RTBF s'efforçait d'éviter, au nom de sa conception de sa mission de service public.

LA FIN DE LA LÉGITIMITÉ

Car, derrière ce relatif épiphénomène des droits de retransmissions sportives, c'est bien la question de la définition exacte du rôle du service public qui est en jeu. On peut toujours considérer que, comme l'avait fixé le fondateur de la BBC Lord Reith il y a… un siècle, le rôle du service public de l'audiovisuel est, dans l'ordre, d'éduquer, d'informer et puis de divertir (3). Mais un siècle a coulé sous les ponts de la Tamise depuis lors, et l'UER, qui regroupe tous les opérateurs publics européens, définit plutôt maintenant ces missions dans un autre autre, le plus couramment admis, en plaçant l'information avant l'éducation (4).

Le divertissement n'est pas exclu des missions des MSP (médias de service public). Il permet même, en général, à l'opérateur public de conforter sa légitimité vis-à-vis de son audience. Et est donc en cela essentiel. Que serait en effet un opérateur public qui serait obligé d'austèrement se contenter d'éduquer et d'informer, alors que ses concurrents privés auraient toute liberté de noyer leurs téléspectateurs dans les charmes des divertissements ? Son audience ne ferait que diminuer. Et alors que, en parts de marché tv, la RTBF domine ces derniers temps les autres opérateurs actifs en Belgique francophone, il ne faudrait pas longtemps pour que cette primauté s'effondre comme un château de cartes. Le jour où le commun des mortels de Belgique dira : "La RTBF ? Connais pas", on pourra vite fait raboter l'entreprise publique à l'essentiel de l'essentiel de ses missions, en réduisant son financement à une peau de chagrin. Puisque plus personne ou presque n'en regarderait ou n'écouterait les programmes…

On n'ose imaginer que telle est l'intention finale des deux partis qui gouvernent désormais la Fédération Wallonie Bruxelles, et notamment de la ministre ayant été désignée pour gérer les dossiers liés aux médias. 

L'HISTOIRE D'UNE OBSESSION

En 1985, c'est-à-dire il y a presque quarante ans, une majorité PRL-PSC prenait les commandes de la Région wallonne et de la Communauté Française de Belgique. 


À
la même époque, une majorité de mêmes couleurs dirigeait le pays au fédéral. C'est sous cette majorité que le RTL Group avait obtenu l'autorisation de diffuser en Belgique un JT réalisé en direct de Bruxelles, grâce à un faisceau hertzien (normalement illégal) relayant les studios de RTL en Belgique à ceux de RTL Luxembourg, d'où le signal télévisé était envoyé vers les câblodistributeurs belges. À ce moment, RTL avait développé une grande campagne de presse autour d'un slogan: "L'autre vérité". Encourager l'info sur RTL était un vieux rêve des libéraux, qui considéraient la RTBF comme gauchiste, comme ne cessait de l'affirmer le chef libéral Jean Gol. La guerre contre le service public devait passer par la destruction de son monopole sur l'info. Ainsi fut fait. Et le 19h de RTL de dominer, quasi en permanence, le 19h30 de la RTBF.

Puis ce fut l'autorisation fédérale de la création d'opérateurs privés de l'audiovisuel, la traduction de cette loi dans un décret francophone, et le choix pour les libéraux et les chrétiens de concéder cette autorisation à… RTL. D'où la naissance de RTL TVI, d'abord seule autorisée à diffuser de la pub, avant que "le retour du cœur" prôné par Guy Spitaels n'amène à mettre un peu d'eau dans ce vin commercial, d'en autoriser aussi l'usage par la RTBF sous conditions, puis sans condition.

LE RETOUR DU JEDI

En 2024, on a un peu l'impression que l'Histoire se répète. Non sur le terrain de l'info (où RTBF et RTL font plus ou moins la même chose), mais sur d'autres terres qui sont devenues sensibles: celles du divertissement, et en particulier le sport. Pour qu'en définitive RTL supplante l'opérateur public? 

Il est incontestable que la RTBF en fait beaucoup. Elle est sur tous les coups, toutes les innovations, et a souvent réussi ces derniers temps à supplanter un navire RTL poussif et difficile à manœuvrer.  Être sur tous les terrains, cela demande des moyens. Mais cela permet de dresser un chemin vers le futur, dans un univers médiatique en constante évolution. Dans un contexte politique de restrictions, l'opérateur public est-il vraiment la première cible qu'il faut abattre? Peut-être pas. Surtout dans une communauté aussi restreinte que la Belgique francophone, qu'on ne peut comparer ni à la Flandre, ni aux grands pays européens.

Mais il y a sans doute des raisonnements politiques que la raison ne connaît pas (vraiment)…

Frédéric ANTOINE


(1) Au moment où ces lignes sont écrites, la page web du rapport 2023 n'affiche qu'un grand écran bleu…
(2) Selon le rapport annuel 2022, dont nous disposons.
(3) Comme le dit le site de la BBC "Reith is identified with the BBC's public service aims to educate, inform and entertain"
(4) "Public service media (PSM) is broadcasting made, financed and controlled by the public, for the public. Their output, whether it be TV, radio or digital, is designed to inform, educate and entertain all audiences."

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