Que faire encore quand on a déjà tout ce qui relève de son core business? Eh bien, investir ailleurs, quitte à entrer dans une jungle dont on ignorait à peu près tout. Rossel co-propriétaire de RTL Belgium, c'est un peu Rendez-vous en terre inconnue au pays des grands fauves.
Le RTL Group, DPG et Rossel ont confirmé ce lundi 28 juin au matin quel serait le futur RTL Belgium. Les supputations émises la semaine dernière sont donc confirmées. RTL Belgium is back to home, pour autant que son véritable "home" ait un jour été belge et non luxembourgeois. Demain, ses chaînes de télévision n'échapperont plus à la tutelle du CSA, et s'il vient encore à l'idée d'un·e ministre de distribuer de l'argent entre les médias de la francophonie belge, la société sera automatiquement comprise parmi les bénéficiaires.
Au niveau de la petite Belgique, ce rachat était en somme la seule solution restante pour sauver le soldat RTL. Seulse les deux plus grandes entreprises médias du pays avaient les épaules suffisamment larges pour décider de se mettre un tel fardeau sur le dos. Et ce même si, comme le rappelle L'Echo, la société est finalement plutôt en bonne santé. Et même si, comme personne ne le mentionne ou presque, ce sont surtout les bons chiffres de la régie IP qui assureront un intéressant retour sur investissement pour les copropriétaires.
Le banquet des ogres
Ce rachat est aussi l'aboutissement logique du processus de concentration des médias à l'œuvre dans tous les pays occidentaux, et auquel la Belgique n'échappe pas. Depuis une vingtaine d'années, le paysage médiatique belge se ratatine d'année en année, au nord comme au sud. Si le nombre de médias (ou de marques médias) ne diminue pas vraiment, le nombre d'opérateurs ne cesse, lui, de se réduire. Tant et si bien que les indices de concentration des médias belges sont devenus alarmants (comme ils le sont aussi ailleurs). Dans un paysage où, au Nord comme au Sud, la diversité s'est réduite à deux acteurs, que reste-t-il d'envisageable?
Des deux côtés du pays, le plus gros des acteurs de la scène des médias privés a racheté tout ce qui relevait de son core business, ancré dans les publications de presse et dont le berceau est l'édition de presse quotidienne. Ayant à peu près tout absorbé, tout en laissant de côté une partie du marché des périodiques, ces opérateurs ont, dans un premier temps, été voir ailleurs. C'est ainsi que DPG est devenu l'ogre de la presse hollandaise, mais a aussi un pied au Danemark. Rossel est parti à la conquête de la presse régionale française, secteur où ses avoirs dépassent en valeur ce qu'il possède en Belgique. Mais on ne peut pas dire que la campagne de France a été une grande victoire. A de nombreuses reprises, tout a été fait pour que l'entreprise belge rate le coche. Dame, en France, on préfère les acteurs belges plutôt que les investisseurs belges…
L'audiovisuel par défaut
Le marché de l'écrit un peu arrivé à saturation, que restait-il, sinon l'audiovisuel? DPG y était de longue date, associé dès le début à la naissance de VTM (comme tous les éditeurs flamands) puis étant longtemps resté copropriétaire de Medialaan, avec Roularta. Jusqu'à ce qu'il décide de devenir leur seul actionnaire de cette société qui rassemble la plus grande partie de l'audiovisuel privé flamand (tv+réseaux de radio). Rossel s'est bien lancé dans la radio privée dès que celle-ci a paru devenir un marché intéressant pour les groupes de presse, dans les années 1980. Mais, comme d'autres éditeurs, la société avait alors vite compris que faire de la radio, ce n'était pas comme éditer un journal. C'est ainsi qu'il a accepté de céder ses fréquences à la société qui s'est mise sur pied pour créer Bel RTL et absorber radio Contact. En télévision, Rossel a participé comme les autres éditeurs au deal Audiopresse, naïvement imaginé par l'Etat francophone afin de 'compenser' la perte de revenus publicitaires pour la presse lors de l'autorisation dans le sud du pays d'un opérateur privé, en 1986-1987. Un beau cadeau puisque, ce fameux gâteau publicitaire, RTL Luxembourg le grignotait déjà depuis des années. Son 'arrivée' sous l'étiquette TVI n'a donc pas vraiment bousculé la presse, mais elle lui a permis de s'associer sans investir dans la télé privée. Sans investir enfin pas tout à fait. Au début, les groupes de presse ont vraiment été associés à l'éditorial chez RTL Belgium. Mais là aussi il est vite paru que faire de la bonne info de presse n'était pas identique à faire de la bonne info tv. Les éditeurs ont donc touché des dividendes sans rien faire. Et sans rien apprendre.
"Un" nouveau géant
Et voilà qu'aujourd'hui, Rossel devient le (co)patron d'une entreprise qui édite de la télévision, de la radio, et des contenus audiovisuels en ligne… Alors que DPG a, lui, les mains dans le cambouis depuis des années. On ne peut sans doute pas comparer Rossel à Alice au pays de l'Audiovisuel, mais l'union entre les deux plus grands acteurs médiatiques privés belges n'a-t-il pas un peu du conte du Petit chaperon rouge? Le titre du Soir, journal de référence du groupe Rossel, annonçant ce 28/06 la naissance d'"un nouveau géant des médias en Belgique", donne une clé de lecteur de l'ensemble: ce n'est pas tant le rachat de RTL Belgium qui importe que la constitution d'un groupe "national" de médias audiovisuels privés, rassemblant à la fois des médias du nord (ceux de DPG) et du sud (propriété de PDG+Rossel). L'immense spécialiste du marché publicitaire des médias Bernard Cools ne s'y trompe pas lorsqu'il note, dans Le Soir, que le nouveau "groupe" proposera une offre publicitaire conjointe couvrant tout le pays. Et le spécialiste de parler de "fusion" de la régie IP avec celle de DPG, et parle de "du jamais vu" en Belgique.
Le rachat de RTL Belgium paraît donc comme la part visible d'un iceberg qui pourrait voir fusionner les médias audiovisuels privés du nord et du sud. Ce qui serait, là aussi, du jamais vu. Une sorte de retour au "monde d'avant" (la fédéralisation). Comme si, lorsqu'il s'agissait de lutter contre les GAFAM, les divergences linguistiques et culturelles retournaient au vestiaire. Une bonne chose? A condition que ce grand deal dont on parle aujourd'hui serve bien tout le monde. Et qu'il n'ait pas comme premier grand but de sauver l'audiovisuel privé flamand face aux plateformes, mais aussi face à Telenet, qui n'est jamais que la filiale belge du groupe US Liberty Global.
Alors, dans tout cela, quel poids aura Rossel, et quel rôle sera confié à l'ex-RTL Belgium? L'article du Soir, très bien informé, parle de synergies profitables dans de nombreux domaines. En vertu de ce qui vient d'être évoqué, il faudra probablement vite se demander: profitable oui, mais pour qui d'abord?
Frédéric ANTOINE.