Et si, pour une fois, on ne gardait pas juste pour soi les observations, les analyses, les études, les recherches, les commentaires… qu'on ne cesse de faire à titre académique, professionnel ou purement personnel ?
Regard médias
21 mars 2023
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16 février 2023
SudInfo rétrécit : parce qu'il croit à l'avenir de la presse ?
Passer du format berlinois au demi-berlinois correspond à diviser la surface du journal par deux. Une page en berlinois fait 44 cm de haut sur 29 de large. En demi-berlinois, on est plutôt à du 21 x 29. On glisse donc de ± 1200 cm2 à ± 600. Une réduction qui s'opère essentiellement sur la hauteur de la page.
En Belgique francophone, seuls les titres de Rossel (L' Écho y compris) aiment le format berlinois. Chez IPM, La DH et La Libre sont en tabloïd (33 x 23). L'Avenir, lors de son arrivée à l'imprimerie de Rossel, avait dû choisir le demi-berlinois. Metro s'y est aussi mis. SudInfo se glissant dans le même créneau que le journal namurois, il paraissait normal que ses titres finissent par passer au demi-berlinois, moins coûteux en papier que le berlinois.
Certains s'étonnent qu'un groupe de presse se préoccupe encore du futur de son édition papier, la consultation de l'info en ligne semblant aujourd'hui être devenue le seul mode d'appropriation des nouvelles, que ce soit via les sites des entreprises de presse ou, pour les plus jeunes, uniquement via les réseaux sociaux.
PASSER À LA CAISSE
Il est vrai, et on l'a souvent écrit sur ce blog, que depuis 2020, la commercialisation des journaux en ligne est devenue un vrai challenge, pour les titres, et certains ont réussi à bien monétiser leurs contenus dans des abonnements numériques. Sauf que la manne des ventes en ligne ne bénéficie pas à tous. À l'instar de ce qui se passe ailleurs dans le monde, l'abonnement digital sourit surtout aux titres de qualité, ainsi qu'à la presse spécialisée. Les médias locaux et populaires réussissent moins bien à persuader leurs lecteurs de passer à la caisse.
Ainsi, selon les derniers chiffres disponibles, une part appréciable des acheteurs de SudInfo et de L'Avenir continuent à préférer le papier à l'achat numérique. En 2021, 87% des ventes de L'Avenir étaient toujours en format papier, et 78% des ventes des titres de ce qui s'appelle désormais SudInfo. Pourtant, en tout cas pour les titres de Rossel, ce n'est pas faute de ne pas avoir cherché à hameçonner l'abonné potentiel par tous les moyens au tournant des années 2020. À ce moment-là, le pourcentage d'abonnés numérique avait cru. Mais, comme on l'observe pour d'autres titres, il semble que, de ce côté, on est arrivé sinon à un plafond, au moins à un palier. On disposera bientôt du "CIM Press Brand Report 2023", désormais la seule source d'info disponible sur la diffusion de la presse. On pourra alors vérifier si les tendances perçues jusqu'à 2021 se confirment.
LE PAPIER CHOUCHOU
Quoi qu'il en soit, face à de telles données, on comprend que les entreprises de presse continuent à choyer leurs acheteurs de papier ! Même si, au total, on leur en vend en quantité moins que par le passé, et pour un prix plutôt élevé.
(€, chiffres arrondis), (prix par mois) |
Accès web |
Accès web + replica |
Accès web + replica + journal papier à domicile |
L’avenir |
7,25 |
14,5 |
36 |
SudInfo |
6 |
11 |
36 |
Différence |
+1,25 (L’avenir) |
+3,5 (L’avenir) |
0 |
Dans cette compétition, SudInfo se montre toujours moins cher que L'Avenir… sauf pour le prix de l'abonnement "full", qui est identique dans les deux offres. Ce qui interroge: pourquoi ne pas être en compétition aussi sur l'offre comprenant la livraison du journal papier ?
Cette petite comparaison révèle aussi que les entreprises concernées estiment le prix de vente (en abonnement) de leur journal papier à ± 1,5 €/jour. Alors qu'en achat au numéro, le journal coûte 2€. Le prix de la production d'info en ligne représente 6-7€, et le prix propre de la production de l'exemplaire prototype du journal, avant sa production physique, à 5-7€. Pour l'abonné, le surprix lié à la production et à l'acheminement du journal papier se situe à 21-22€/mois. Soit près de 0,9€/jour.
ALLÉCHER ET CLARIFIER
Changer de format implique évidemment aussi de revoir la mise en page. Cette opération de rénovation s'avère d'autant plus importante si le titre compte une quantité appréciable de ventes au numéro en kiosque (chez le marchand de journaux). Ce type de vente est en décroissance constante depuis une bonne quinzaine d'années, notamment suite à la disparition de nombreux points de vente, mais aussi à cause des changements de comportement des lecteurs… et des éditeurs eux-mêmes.
Les entreprises ont en effet milité pour se voir réduire la vente au numéro, génératrice de coûts supplémentaires et d'éléments imprévisibles. Toutefois, ces ventes subsistent et nécessitent chaque jour de trouver le moyen d'alpaguer le lecteur occasionnel ou d'éviter de perdre le lecteur fidèle. Cette difficulté n'est que peu impactante pour L'avenir qui, en 2021, ne réalisait en kiosque que 10% de ses ventes print. Par contre, à la même époque, Sudpresse était toujours dépendant à 30% de ses ventes au numéro dans les librairies.
Cela explique l'attention que ce groupe de titres porte aux contenus de sa Une, qui doit être alléchante. Comme le montre l'illustration ci-dessous, un travail incontestable a été réalisé de ce côté, avec un recentrement du positionnement du titre.
SudPresse avait l'habitude de fréquemment modifier sa Une, notamment pour son titre de manchette, voyageant du côté droit au côté gauche de la page. Mais, pour le reste, la mise en page s'était maintenue ces dernières années dans un profil de Une de type "mosaïque vitrine", comprenant un nombre d'infos et d'accroches important.Une grosse révolution s'était manifestée l'an dernier, lorsque le groupe avait choisi d'insérer un édito sur la première page, ce qui est contraire au principe de la Une vitrine et rapprochait le titre populaire du journal Le Soir, dont une des spécificités est d'afficher un édito en première page. L'insert de cette originalité n'a sans doute pas séduit, car elle disparaît de la nouvelle Une 2023, évidemment plus petite et donc moins propice à la publication de textes. L'édito en Une apportait une touche de "sérieux" aux titres de SudInfo, et manifestait la volonté d'exprimer des avis, et d'inciter à l'échange…
La Une 2023 fait le choix de la clarté, avec une manchette incontestable qui occupe tout le haut de la page. On peut considérer que l'info verticale à droite en bas de page est sa "contre-manchette", dans la mesure où, lorsque le titre principal d'une édition n'est pas identique à celui des autres éditions, cette manchette-là se retrouve en "contre-manchette". Mais, comme on le voit ci-dessous, cette situation est rare.
Le jour de l'analyse, 8 des 11 éditions possédaient la même manchette, ce qui pourrait laisser penser que la politique choisie est de mettre en tête de page un "fait divers" général, les variations de titraille, avec coloration locale, concernant plutôt les petits titres. Une comparaison avec les éditions de la veille relativise cette impression : le 15/2, 6 des 11 éditions "seulement" affichaient la même manchette. Il semble que, lorsqu'un titre régional se distingue particulièrement, il accède à la manchette de cette édition, l'info générale qui occupe la manchette ailleurs étant reléguée dans ce que nous avons qualifié de "contre-manchette".
L'observation des Unes du jour de l'analyse relève aussi que, davantage que la manchette et son illustration, qui ne sont pas présentes dans toutes les éditions, une seule illu (et son titre) se retrouvent dans chacune d'entre elles : la photo d'une jeune femme en bikini sur une plage et son titre, Miss Belgique, véritable star sur TikTok. Comme quoi, on ne se refait pas…
Pas plus qu'on ne se refait pas dans les choix de sujets : faits divers, justice, sports et faits de société.
NI UNE, NI DEUX…
Au total, la Une de SudInfo paraît plus ouverte, aérée, que celle de L'avenir, qui donne une impression de "renfermé", de "non liberté", suite à la présence de "capsules" (cadres qui entourent les infos) qui isolent chaque info, l'enferment dans son encadré, et multiplient les traits noirs aux quatre coins de la page.
Peut-être dira-t-on que tout cela est un hasard, car les deux titres ne visent pas le même public, ou le même type de public ? En partie c'est sans doute vrai. Mais ils sont en tout cas de plus en plus en concurrence sur les mêmes terrains.
On dira peut-être aussi que tout cela est sans intérêt dans un monde où on ne lit plus le journal. On aura montré ici que la place du papier n'est pas si anecdotique que cela. Mais, surtout, cela démontre que la notion même d'édition n'est pas en train de se dissoudre dans les torrents d'infos qui déferlent via les fils info et les réseaux. Oui, éditer les nouvelles, cela existe toujours. Et le plus étonnant est que c'est toujours ce que recherchent celles et ceux qui s'abonnent en numérique. Ce n'est pas tant avoir accès à l'info qui les motive que de pouvoir lire le journal en ligne comme s'ils l'avaient en main.
Si l'édition n'est pas morte, le journalisme non plus n'est pas sur le point de passer le clavier à gauche.
Frédéric ANTOINE.
13 février 2023
Journée mondiale de la radio : vraiment la fête pour le DAB+ ?
13 février : depuis 2001, cette date a été baptisée par l'UNESCO “Journée mondiale de la radio”. Ce qui est, parfois, synonyme de “Journée mondiale du DAB+”. Celui-ci devait terrasser la FM. Mais les données qu'on nous avance sont-elles incontestables?
Si les premiers sondages affirmaient leur décollage, peut-on considérer que, ces toutes dernières années, celui-ci se soit confirmé avec force? Les pentes des courbes du numérique, et du du DAB+, particulièrement, tendent à plutôt de stabiliser.
Selon les lois statistiques de mesure d'intervalle de confiance, si l'on a une telle population au départ, et qu'on enquête sur un échantillon de 1.500 personnes, avec un niveau de confiance de 95%, on obtient une marge d'erreur de ± 3% (ce genre de calcul se fait gratuitement en ligne (3) -). Nous écrivons bien "±", ce que l'on omet souvent de mentionner. Cela signifie que, lorsque deux résultats se situent dans un intervalle plus petit ou égal à 3%, il est impossible de déterminer avec certitude lequel prime sur l'autre.Dans le cas qui nous intéresse, il est par exemple en définitive impossible de dire si, en 2022, la part d'usage du DAB+ est vraiment supérieure à celle de la radio sur internet. Tout comme, au terme d'une comparaison entre années, il est impossible de définir dans quel sens est la tendance (hausse ou baisse) quand les résultats ne sont que de quelques %.
30 janvier 2023
Un seul géant audiovisuel privé par pays en Europe : le rêve a fait long feu
Le RTL Group et la société Talpa, qui entendaient fusionner leurs activités aux Pays-Bas pour y créer un géant de l'audiovisuel privé, viennent d'y renoncer. Comme en France, les instances de contrôle de la concurrence y ont mis le holà. Adieu l'idée des grands quasi-monopoles nationaux pour contrer les GAFAM…
Le communiqué est tombé ce lundi matin à 08h00 (1) :"L'autorité néerlandaise de la concurrence ACM a informé le RTL Group et Talpa Network que l'autorité n'approuverait pas le projet de fusion de RTL Nederland et Talpa Network, initialement annoncé le 22 juin 2021."
Aux Pays-Bas comme en France, en Allemagne ou en Belgique (francophone) notamment, c'est-à-dire là où il était historiquement implanté de longue date, le RTL Group avait sonné la fin de la récréation au milieu de la crise du covid. Il estimait qu'on ne pouvait lutter en ordre dispersé contre les hordes des plateformes (GAFAM et Cie) qui risquaient de dominer les marchés européens en tuant les opérateurs audiovisuels des pays d'Europe, petits Poucet face à ces ogres mondiaux.
Charité bien ordonnée, le RTL Group voulait surtout se créer pour lui-même une forteresse imprenable sur le marché allemand. Pour cela, il lui fallait d'abord des moyens plus élevés que ceux dont il disposait à travers ses filiales dispersées en Europe, et pas toujours très rentables.
PLAN MACHIAVÉLIQUE
Ainsi est née la valse des mises en vente de ces avoirs, notamment en France, en Belgique francophone, aux Pays-Bas, en Croatie… avec des fortunes pas toujours aussi heureuses que celles souhaitées par le (déjà) géant allemand. Dans tous ces marchés, le RTL Group a finalement trouvé des amateurs qui, non seulement devaient le libérer du poids des ces avoirs historiques et bien remplir ses coffres-forts, mais qui mettaient aussi eux-mêmes en œuvre son plan de création de châteaux forts nationaux, hérissés de murailles, de tours et de mâchicoulis, pour tenir tête aux envahisseurs mondiaux.
TF1 annonçait son rachat de M6, le groupe CME celui de RTL Croatie, et le consortium Rossel-DPG Media de RTL Belgium. Au même moment, le groupe RTL renforçait au contraire sa présence en Hongrie, où l'opérateur éponyme, précédemment appelé RTL Klub, dominait déjà le marché. La forteresse se bâtissait ainsi autour du groupe lui-même. Au Luxembourg, RTL était déjà le maître historique. Les remparts de la place étaient donc déjà érigés. Aux Pays-Bas, enfin, le RTL Group n'avait pas choisi de vendre ses actifs, mais d'être, là aussi, lui-même, la pierre d'angle de l'opérateur quasimonopolistique de l'audiovisuel national privé, marché où il occupe une large place depuis la fin des années 1990. Pour cela, il lui suffisait de racheter son concurrent Talpa. Seule l'Espagne semble (sauf erreur ou omission) avoir épargné aux velléités du groupe allemand de bâtir des châteaux audiovisuels fortifiés partout où il est présent. Mais il faut dire que, dans la société hispanique Atressmedia, qui possède notamment la chaîne Antena 3, le RTL Group n'occupe qu'une place fort minoritaire face à Planeta De Agostini.
Hormis dans le cas espagnol, si son plan réussissait, la RTL Group parvenait ainsi à remplacer, sur de nombreux marchés, la diversité des opérateurs par une situation de quasi-monople, qui permettait aux nouvelles sociétés fusionnées de truster à elles seules la presque totalité du marché publicitaire de la télévision. Le RTL Group s'avérerait ainsi pour toujours l'incitateur des quasi-monopoles économiques des médias télévisuels privés en position de se défendre face aux plateformes. Que ce monopole lui appartienne, ou qu'il découle de la vente de ses actifs dans un pays. Et tout le monde croyait partout les choses faites…
COUPS DE THÉÂTRE
… Jusqu'à ce que, en France, TF1 jette le gant face aux exigences des autorités de contrôle de la concurrence, qui estimaient qu'il était tout de même un petit peu fort de café de voir TF1, déjà leader sur le marché, tout simplement absorber celui qui lui faisait de l'ombre. Ces derniers jours, leurs collègues bataves ont dit la même chose à propos de l'aspiration de Talpa par le RTL Group, alors que l'opérateur allemand avait déjà un fameux pied sur le marché hollandais de la tv privée.
Ces opérations-là ont donc été un échec, et le RTL Group a dû reprendre ses billes françaises et néerlandaises, laissant le marché en l'état. En finale, il confirme être un géant transnational européen des médias, mais sur certains marchés, en concurrence avec d'autres opérateurs. Sur d'autres, il a lui-même organisé un quasi-monopole autour de ses avoirs.
Comme d'habitude, la Belgique
francophone est restée à l'écart de ces événements récents, puisque le
rachat de RTL Belgium par le tandem DPG-Rossel a, lui, reçu la bénédiction de
l'autorité belge de la concurrence. Il paraît que, chez nous, cela ne
cause pas "une entrave significative" à la concurrence… En Belgique, pas de souci ! Ouf ! (2)
Même battu, le RTL Group affirme toujours qu'il avait raison, regrettant que l'instance de contrôle des Pays-Bas "n'aie pas pris en compte la rapidité et l'ampleur des changements dans le paysage médiatique néerlandais et de l'impact de ces changements sur les entreprises de médias locales." Avec Talpa, il continue ainsi "de croire fermement qu'une fusion de RTL Nederland et de Talpa Network aurait été la bonne réponse stratégique aux défis résultant de la concurrence accrue avec les plateformes internationales."
Le RTL Group a-t-il vraiment eu tort d'avoir raison trop tôt? Ou le maintien d'une concurrence loyale entre acteurs sur un marché est-il la garantie que, à terme, aucune dérive autocratique ne pourra y survenir? Certes, les décisions des organes de contrôle de la concurrence ont été de nature purement économique et financière. Mais ne sont-elles pas, in fine, particulièrement politiques? Même si, entretemps, les ogres des plateformes mondiales grignotent peu à peu le gâteau que, jadis, seuls les groupes européens (et les privés, dont RTL) se disputaient entre eux…
Frédéric ANTOINE.
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(photo de château dans l'illustration: c.c. https://www.flickr.com/photos/158652122@N02/39968064392/- Le RTL Group s'est retiré du marché britannique en 2010 en vendant les parts détenues dans Channel 5)
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