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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

21 mars 2023

Radioguidage surréaliste : le chantier fantôme de l'E411

Surréaliste. Il n'y a pas d'autre mot pour qualifier le décalage qui existait, ce lundi matin, entre les annonces radio catastrophistes sur une mise à deux bandes de l'E411 dans les deux sens, et le R.A.S. qu'on pouvait constater sur le terrain. 
Les gens de radio(guidage)  sont-ils dans une tour d'ivoire ?
 
 
Lundi 20 mars, 06h05 du matin. Sous la douche, écoute du JP de La Première qui annonce que "Un gros chantier débute ce matin sur l'autoroute E411 entre Namur et le Brabant wallon" et que "La première phase, c'est de Daussoulx à Aische-en-Refail en direction de Bruxelles". 
 
Aïe, c'est juste l'itinéraire prévu. Petite panique. D'autant que le journaliste annonce : "Il faut s'attendre à des ralentissements, principalement aux heures de pointe."
 
PANIQUE À BORD
 
Pas une minute à perdre donc. D'autant que, à 06h22, la présentatrice du flash Mobilinfo rappelle : "Vous allez rouler sur deux voies uniquement dans chaque sens jusqu'à l'hiver prochain", et ajoute: "On va voir si ça provoque beaucoup d'embarras de trafic. On va voir cela déjà aujourd'hui. Pour l'instant, en tout cas c'est fluide là-bas."
 
Devant le pain au chocolat du petit matin, la panique monte. Renforcée par la première séquence de la rubrique "Le tour des régions", totalement consacrée à cet "événement du jour". Dans son billet, le journaliste confirme que "Les travaux en deux phases ont débuté ce matin". Interviewée,  Éloïse Winandy, de la SOFICO le répète (avec une petite nuance temporelle, qu'on ne relève pas sur le coup): "La première phase du chantier va démarrer ce matin."
 
                                    (capture d'écran La Première sur La Trois,±06h10)
06h40. Les travaux ont commencé ? Il est plus que temps de prendre le volant. Le rappel des titres de 06h30 a en effet une nouvelle fois répété l'info, redisant que "La circulation s'effectuera sur deux voies dans les deux sens de circulation".
 
06h55. Montée sur l'autoroute à hauteur de Wierde. La circulation est fluide. Mais il faut se préparer au pire. À 7h08, dans le JP, serine une nouvelle fois que "C'est un vaste chantier de réhabilitation qui commence aujourd'hui."
 
07h12. Arrivée à Daussoulx. Alors là on envisage la cata. On guette les Warnings, les feux- stops et les coups de frein. Mais on a beau scruter partout : un quelconque chantier ? Que nenni. Tout roule comme sur du velours, et sur trois bandes de circulation vers Bruxelles, s'il vous plaît. Dans l'autre sens, il semble n'y avoir que deux bandes disponibles. Mais, en tout cas, vers la capitale, tout est au vert. Pour combien de temps ?
 
Progression prudente dans ce qui est annoncé comme la zone de chantier. 
"Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? «Je ne vois que le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie…»" (Charles Perrault). 
À une moyenne d'un peu moins de 120 km/h, trois bandes de véhicules progressent vers Bruxelles, sans encombre.

                                            (capture d'écran La Première sur La Trois, 07h46)

07h20. On serait alors assis sur une chaise que l'on en serait tombé d'un coup en entendant le dialogue qui se déroule dans le flash MobilInfo  :
"— C'est Marjorie Billo qui vous guide à travers les éventuels embarras de circulation. Et il y en a, hein, Marjorie, notamment sur l'E411! 
Oui parce qu'aujourd'hui vous roulez sur deux voies, à partir de ce week-end, entre Daussoulx et Thorembais dans les deux sens. (…). Pour l'instant, voilà, on sent qu'il y a du monde pour traverser le chantier, mais pas encore trop de ralentissements."
 
DES MONDES PARRALÈLES
 
On se pince pour le croire : alors que la circulation s'écoule ici peinarde sur trois voies, on vient de dire aux automobilistes se trouvant à cet endroit qu'ils ne roulaient que sur deux bandes. "Ceci n'est pas une pipe", comme aurait dit Magritte…
Le même flash affirme aussi que les voitures traversent un chantier. Coup d'œil à gauche (et même à droite): pas l'ombre d'un élément de chantier à l'horizon. Même pas le moindre panneau.
 
Entre MobilInfo, les studios de La Première et les navetteurs de l'E411, on doit être dans des mondes peut-être parallèles, mais en tout cas pas semblables.
 
07h30, descente à Wavre (attention au flash!). On remonte et on continue la route vers Bruxelles. Le chantier fantôme n'est pas devenu réalité. 
Alors que, vers Overijse, se dessinent les vrais bouchons avant la fin de l'autoroute, nouveau coup de magie radiophonique.  
À 07h48, retour du Mobilinfo :
" — Et ces soucis sur l'E411… ", demande le journaliste en studio
Oui c'est vrai qu'il y a ce chantier quand même qui est en place entre Daussoulx et Thorembais, répond l'animatrice du service au radio guidage. Elle rappelle aux auditeurs : "Alors vous roulez sur deux voies dans les deux sens (…)." Et elle termine :  "Pour l'instant, voilà, vous circulez, mais de manière apparemment fluide sans trop d'embarras, c'est déjà bon à savoir."
 
Et pour cause que la circulation est fluide ! il n'y a pas l'ombre d'un chantier, ni d'une réduction de bandes de circulation vers Bruxelles. "Apparemment sans trop d'embarras". Apparemment? Ou réellement, parce qu'il n'y a pas de travaux?
 
Encore heureux que de, pliés en quare de rire derrière leur volant, des auditeurs de La Première n'ont pas provoqué d'accidents…

Ce matin-là, le traitement de l'info sur le chantier de l'E411 était sur-réel. Trop beau pour être vrai. Puisqu'il ne l'était pas. Et tellement beau que, le lendemain matin, mardi, la situation n'avait toujours pas changé. Les navetteurs vers Bruxelles roulaient une nouvelle fois sur trois voies, et seuls quelque part deux panneaux de signalisation perdus proposaient sur cent mètres une limitation de vitesse et un rétrécissement qui n'a jamais eu lieu. Et vogue la galère.
 
DÉCROCHAGE EN CRESCENDO (1)
 
Un élément intéressant est ici la progression de l'irréalité de l'information. Si, à 06h00 du matin, l'info est déjà donnée comme immédiate ("Un gros chantier débute ce matin"), entre 06h00 et 07h00, la nouvelle de la remise à niveau de l'E411 est plutôt donnée au futur, même si le risque d'embarras de circulation est évoqué au présent. L'info se présente sur le mode d'une annonce. À l'auditeur de saisir si le futur alors utilisé sur MobilInfo (et dans la longue chronique régionale)  est un futur proche ("La première phase va démarrer ce matin") ou un futur lointain ("La Sofico va procéder à…").
À 07h00, le chantier est uniquement présenté au présent. ("Un vaste chantier de réhabilitation qui commence aujourd'hui")
À 07h20, tout bascule. Plus question de futur ou de phasage du chantier, le rétrécissement à deux voies et les embarras qui en découlent sont présentés comme se déroulant au moment même où l'on parle, le message délivré par par l'infotrafic faisant office d'opération d'authentification et de validation. Le basculement est alors accompli. Ce qui était une potentialité à 06h20 du matin et qui avait glissé vers le vraisemblable une quarante minutes plus tard devient une totale réalité radiophonique à partir de 07h20. 
Alors que la "vraie" réalité est, elle, totalement différente…

COMMENT EST-CE POSSIBLE?

Cet événement extra-ordinaire incite évidemment à se poser quelques questions. Et d'abord : mais où sont les auditeurs ? Comment se fait-il que, dès l'aurore, aucun automobiliste namuro-bruxellois auditeur de la plus prestigieuse station de radio de Belgique n'ait pris la peine d'appeler la radio pour lui faire part de son étonnement (ou de son émerveillement)? 
La Première est-elle écoutée le matin dans les voitures qui vont de Namur à Bruxelles? 
 
Si la station a une audience de de type, celle-ci doit soit être amorphe, soit blasée, soit incapable de savoir comment signaler l'erreur, et à qui. Seuls peut-être des personnes ayant des entrées "personnelles" à la RTBF auraient-elles pu imaginer prévenir la rédaction et MobilInfo. Mais, on le sait, téléphoner au volant n'est pas vrrrraiment conseillé par les pandores qui contrôlent les routes… (2)

On peut aussi se demander si ce type d'information "prédictive" ne méritait pas une petite vérification. Apparemment, tout le monde s'est ici basé sur une représentation erronée de la réalité, sans qu'il ait été à un quelconque moment envisagé de vérifier "sur le terrain" une annonce provenant sans doute des services de la Sofico. Il y a des communiqués de presse qui ont, apparemment, des relents d' Évangile…

On peut encore s'interroger sur le véritable travail du service MobilInfo, qui en vient à annoncer avec conviction d'énormes contre-vérités. La situation vécue lundi est d'autant plus rocambolesque que, sauf erreur, MobilInfo se trouve au centre Perex, qui se trouve lui-même à Daussoulx, c'est-à-dire là où auraient dû débuter les fantasmagoriques travaux dont la radio a parlé dans toute sa matinale.

Perex est-il un bunker? N'y a-t-il là personne pour regarder par une fenêtre, pour voir non seulement qu'il n'y a pas de file, mais qu'aucun aménagement n'a été fait à la voirie dans le sens Namur-Bruxelles pour réduire la circulation à deux voies ?

Ce cas vécu ne peut qu'inspirer quelques craintes. Si, à propos de simples travaux sur une autoroute, le service MobilInfo réussit à mener l'auditeur sur une autre planète, que pourrait-il en être dans d'autres circonstances ? Quelle crédibilité accorder alors à ses annonces et… à certaines infos de la radio ?

Le lundi soir, un long reportage diffusé au journal télévisé de La Une annonçait que les travaux allaient débuter… fin de la semaine. Le cameraman de l'équipe avait eu beau braquer sa caméra dans tous les sens, il n'avait pu capter ni bouchon ni ralentissement.

La Belgique sera toujours le pays du surréalisme…

Frédéric ANTOINE.

(1) Ce § a été rajouté, pour clarifier le propos, le 22/03 à 11h30.
(2) L'auteur de ces lignes a informé un journaliste de la station lors de son arrivée à Bruxelles, vers 08h20. A 08h30, le résumé des nouvelles de La Première annonçait toujours que l'E411 était réduite à deux voies entre Namur et Thorembais…


16 février 2023

SudInfo rétrécit : parce qu'il croit à l'avenir de la presse ?

 
Le 15 février, les versions papier des titres de SudInfo ont fondu au lavage. Pourquoi s'attacher ainsi au papier ? Et est-ce que ça change quelque chose, dans ce monde numérisé ?

Passer du format berlinois au demi-berlinois correspond à diviser la surface du journal par deux. Une page en berlinois fait 44 cm de haut sur 29 de large. En demi-berlinois, on est plutôt à du 21 x 29. On glisse donc de ± 1200 cm2 à ± 600. Une réduction qui s'opère essentiellement sur la hauteur de la page.

En Belgique francophone, seuls les titres de Rossel (L' Écho y compris)  aiment le format berlinois. Chez IPM, La DH et La Libre sont en tabloïd (33 x 23). L'Avenir, lors de son arrivée à l'imprimerie de Rossel, avait dû choisir le demi-berlinois. Metro s'y est aussi mis. SudInfo se glissant dans le même créneau que le journal namurois, il paraissait normal que ses titres finissent par passer au demi-berlinois, moins coûteux en papier que le berlinois.

Certains s'étonnent qu'un groupe de presse se préoccupe encore du futur de son édition papier, la consultation de l'info en ligne semblant aujourd'hui être devenue le seul mode d'appropriation des nouvelles, que ce soit via les sites des entreprises de presse ou, pour les plus jeunes, uniquement via les réseaux sociaux.

PASSER À LA CAISSE

Il est vrai, et on l'a souvent écrit sur ce blog, que depuis 2020, la commercialisation des journaux en ligne est devenue un vrai challenge, pour les titres, et certains ont réussi à bien monétiser leurs contenus dans des abonnements numériques. Sauf que la manne des ventes en ligne ne bénéficie pas à tous.  À l'instar de ce qui se passe ailleurs dans le monde, l'abonnement digital sourit surtout aux titres de qualité, ainsi qu'à la presse spécialisée. Les médias locaux et populaires réussissent moins bien à persuader leurs lecteurs de passer à la caisse.

Ainsi, selon les derniers chiffres disponibles, une part appréciable des acheteurs de SudInfo et de L'Avenir continuent à préférer le papier à l'achat numérique. En 2021, 87% des ventes de L'Avenir étaient toujours en format papier, et 78% des ventes des titres de ce qui s'appelle désormais SudInfo. Pourtant, en tout cas pour les titres de Rossel, ce n'est pas faute de ne pas avoir cherché à hameçonner l'abonné potentiel par tous les moyens au tournant des années 2020.  À ce moment-là, le pourcentage d'abonnés numérique avait cru. Mais, comme on l'observe pour d'autres titres, il semble que, de ce côté, on est arrivé sinon à un plafond, au moins à un palier. On disposera bientôt du "CIM Press Brand Report 2023", désormais la seule source d'info disponible sur la diffusion de la presse. On pourra alors vérifier si les tendances perçues jusqu'à 2021 se confirment.

LE PAPIER CHOUCHOU

Quoi qu'il en soit, face à de telles données, on comprend que les entreprises de presse continuent à choyer leurs acheteurs de papier ! Même si, au total, on leur en vend en quantité moins que par le passé, et pour un prix plutôt élevé.

(€, chiffres arrondis), 

(prix par mois)

Accès web

Accès web 

+ replica

Accès web 

+ replica 

+ journal papier à domicile

L’avenir

7,25

14,5

36

SudInfo

6

11

36

Différence

+1,25 

(L’avenir)

+3,5

(L’avenir)

0

Dans cette compétition, SudInfo se montre toujours moins cher que L'Avenir… sauf pour le prix de l'abonnement "full", qui est identique dans les deux offres. Ce qui interroge: pourquoi ne pas être en compétition aussi sur l'offre comprenant la livraison du journal papier ? 

Cette petite comparaison révèle aussi que les entreprises concernées estiment le prix de vente (en abonnement) de leur journal papier à ± 1,5 €/jour. Alors qu'en achat au numéro, le journal coûte 2€. Le prix de la production d'info en ligne représente 6-7€, et le prix propre de la production de l'exemplaire prototype du journal, avant sa production physique, à 5-7€. Pour l'abonné, le surprix lié à la production et à l'acheminement du journal papier se situe à 21-22€/mois. Soit près de 0,9€/jour.

ALLÉCHER ET CLARIFIER

Changer de format implique évidemment aussi de revoir la mise en page. Cette opération de rénovation s'avère d'autant plus importante si le titre compte une quantité appréciable de ventes au numéro en kiosque (chez le marchand de journaux). Ce type de vente est en décroissance constante depuis une bonne quinzaine d'années, notamment suite à la disparition de nombreux points de vente, mais aussi à cause des changements de comportement des lecteurs… et des éditeurs eux-mêmes.

Les entreprises ont en effet milité pour se voir réduire la vente au numéro, génératrice de coûts supplémentaires et d'éléments imprévisibles. Toutefois, ces ventes subsistent et nécessitent chaque jour de trouver le moyen d'alpaguer le lecteur occasionnel ou d'éviter de perdre le lecteur fidèle. Cette difficulté n'est que peu impactante pour L'avenir qui, en 2021, ne réalisait en kiosque que 10% de ses ventes print. Par contre, à la même époque, Sudpresse était toujours dépendant à 30% de ses ventes au numéro dans les librairies.

Cela explique l'attention que ce groupe de titres porte aux contenus de sa Une, qui doit être alléchante. Comme le montre l'illustration ci-dessous, un travail incontestable a été réalisé de ce côté, avec un recentrement du positionnement du titre.

SudPresse avait l'habitude de fréquemment modifier sa Une, notamment pour son titre de manchette, voyageant du côté droit au côté gauche de la page. Mais, pour le reste, la mise en page s'était maintenue ces dernières années dans un profil de Une de type "mosaïque vitrine", comprenant un nombre d'infos et d'accroches important. 

Une grosse révolution s'était manifestée l'an dernier, lorsque le groupe avait choisi d'insérer un édito sur la première page, ce qui est contraire au principe de la Une vitrine et rapprochait le titre populaire du journal Le Soir, dont une des spécificités est d'afficher un édito en première page. L'insert de cette originalité n'a sans doute pas séduit, car elle disparaît de la nouvelle Une 2023, évidemment plus petite et donc moins propice à la publication de textes. L'édito en Une apportait une touche de "sérieux" aux titres de SudInfo, et manifestait la volonté d'exprimer des avis, et d'inciter à l'échange…

La Une 2023 fait le choix de la clarté, avec une manchette incontestable qui occupe tout le haut de la page. On peut considérer que l'info verticale à droite en bas de page est sa "contre-manchette", dans la mesure où, lorsque le titre principal d'une édition n'est pas identique à celui des autres éditions, cette manchette-là se retrouve en "contre-manchette". Mais, comme on le voit ci-dessous, cette situation est rare.

Le jour de l'analyse, 8 des 11 éditions possédaient la même manchette, ce qui pourrait laisser penser que la politique choisie est de mettre en tête de page un "fait divers" général, les variations de titraille, avec coloration locale, concernant plutôt les petits titres. Une comparaison avec les éditions de la veille relativise cette impression : le 15/2, 6 des 11 éditions "seulement" affichaient la même manchette. Il semble que, lorsqu'un titre régional se distingue particulièrement, il accède à la manchette de cette édition, l'info générale qui occupe la manchette ailleurs étant reléguée dans ce que nous avons qualifié de "contre-manchette". 

L'observation des Unes du jour de l'analyse relève aussi que, davantage que la manchette et son illustration, qui ne sont pas présentes dans toutes les éditions, une seule illu (et son titre) se retrouvent dans chacune d'entre elles : la photo d'une jeune femme en bikini sur une plage et son titre, Miss Belgique, véritable star sur TikTok. Comme quoi, on ne se refait pas…

Pas plus qu'on ne se refait pas dans les choix de sujets : faits divers, justice, sports et faits de société.

NI UNE, NI DEUX…
 

Comment apprécier cette nouvelle vis-à-vis de celle de L'avenir, qui s'adresse d'abord à ses abonnés, sinon en notant que rien, ou presque, ne les rassemble. Élément commun : la manchette, qui occupe le haut de page de SudInfo et la partie inférieure de la page à L'avenir. Dès le nombre d'infos, les titres diffèrent : SudInfo en propose 5, dont un dans une oreille (en haut à gauche), L'avenir en présente six, dont une en insert à droite du titre du journal. Le registre des infos choisies distingue évidemment les deux titres, de même que le choix des illustrations. 

Au total, la Une de SudInfo paraît plus ouverte, aérée, que celle de L'avenir, qui donne une impression de "renfermé", de "non liberté", suite à la présence de "capsules" (cadres qui entourent les infos) qui isolent chaque info, l'enferment dans son encadré, et multiplient les traits noirs aux quatre coins de la page.

Peut-être dira-t-on que tout cela est un hasard, car les deux titres ne visent pas le même public, ou le même type de public ? En partie c'est sans doute vrai. Mais ils sont en tout cas de plus en plus en concurrence sur les mêmes terrains.

On dira peut-être aussi que tout cela est sans intérêt dans un monde où on ne lit plus le journal. On aura montré ici que la place du papier n'est pas si anecdotique que cela. Mais, surtout, cela démontre que la notion même d'édition n'est pas en train de se dissoudre dans les torrents d'infos qui déferlent via les fils info et les réseaux. Oui, éditer les nouvelles, cela existe toujours. Et le plus étonnant est que c'est toujours ce que recherchent celles et ceux qui s'abonnent en numérique. Ce n'est pas tant avoir accès à l'info qui les motive que de pouvoir lire le journal en ligne comme s'ils l'avaient en main. 

Si l'édition n'est pas morte, le journalisme non plus n'est pas sur le point de passer le clavier à gauche.


Frédéric ANTOINE.

 

 



 

 

 

13 février 2023

Journée mondiale de la radio : vraiment la fête pour le DAB+ ?


13 février : depuis 2001, cette date a été baptisée par l'UNESCO “Journée mondiale de la radio”. Ce qui est, parfois, synonyme de “Journée mondiale du DAB+”. Celui-ci devait terrasser la FM. Mais les données qu'on nous avance sont-elles incontestables?
 
Depuis cinq ans, le consortium Maradio.be publie pour la Journée de la radio quelques-uns des résultats d'un sondage commandé à l'IPSOS. Celui-ci tente notamment de cerner la notoriété des plateformes numériques de réception de la radio et de déterminer l'évolution de l'auditoire du média sur ces plateformes.
 
Chaque année, les données communiquées sont accompagnées de commentaires élogieux à propos de la conquête de terrain de la réception numérique par rapport à l'analogique, et en particulier la FM. Maradio.be n'est pas par hasard l'organe destiné à promotionner la consommation digitale du média, et (surtout?) à favoriser son écoute sur DAB+, vu les coûts liés au développement de ce mode de diffusion hertzien. 
Cette année, la presse s'est fait grandement (et parfois un peu complaisamment) l'écho des déclarations de victoire de Maradio.be. Il semble en ressortir que les jours de la FM sont définitivement comptés.
 
L'ART D'ACCOMMODER LES CHIFFRES 
 
Il peut toutefois être utile de nuancer quelque peu le poids de ces fameux chiffres qui plaisent tant aux médias.
 
Le sondage en question est réalisé depuis cinq ans. Les résultats qui en sont donnés ont, entre autres, comme but de démontrer la conquête de terrain du DAB+ sur la FM en comparant les chiffres déclaratifs recueillis. 
Un des arguments développés cette année est la baisse vertigineuse de l'usage de la FM depuis 2018. Or, il apparaît à l'étude que la base des résultats utilisés varie avec le temps. Si l'on se réfère aux premières années où les chiffres ont été communiqués, ceux-ci comptabilisent l'écoute FM à 80% de "parts de marché" (intitulé devenu récemment "volume d'écoute") - voir copie ci-dessous. Or, dans les comparaisons réalisées actuellement, ce volume est de 82%. Ce qui permet de montrer une victoire plus écrasante qu'avec les autres données…
De la même manière, les présentations antérieures mentionnent, pour les années 2018-2019, une écoute de la radio via la câblodiffusion. Cette notion n'est plus prise en compte dans la dernière communication des résultats. Enfin, chose plus étrange encore, la répartition de l'audience via les différents modes de réception n'a pas toujours atteint les 100%. Cela a été le cas en 1998. Cette année, au contraire, le total dépasse les 100%. On expliquera sans doute cela par des arrondis de décimales. Mais au profit de quel support ?
Les dernières communications affirment que "le numérique est en plein boom", et que cela met "la FM sous pression". Que, dans les réponses au sondage, le déclaratif sur l'audience en FM soit en baisse est une évidence. Mais quid des supports numériques ?

Si les premiers sondages affirmaient leur décollage, peut-on considérer que, ces toutes dernières années, celui-ci se soit confirmé avec force? Les pentes des courbes du numérique, et du du DAB+, particulièrement, tendent à plutôt de stabiliser.
Ainsi, entre 2021 et 2022, le déclaratif sur l'usage des plateformes a fait baisser l'emploi de la FM de 4%, mais n'a fait croître celui du DAB+ que de 1%. C'est la "radio IP" qui entraîne une hausse significative de l'écoute numérique (+3%). En pourcentages, la baisse de l'écoute FM en 2002
par rapport à 2021 est d'un peu plus de 6%, tandis que la hausse de consommation de la radio DAB+ par rapport à l'année précédente est de 5%, celle via la télévision  de 17% et l'écoute IP de 23%, !
 
Selon ces données, la diminution de l'écoute en FM est manifeste. Quant à son remplaçant hertzien, on ne peut dire que, sur ce court terme de l'après-covid, il a cru son usage de manière significative.

Restons de bon compte. Si l'on met de côté les années covid (2020-2021), la hausse de la consommation de la radio par DAB+ est remarquable. Mais ce mode de réception venait de très loin (voir premier tableau ci-dessus)…

MAIS QUAND MÊME…
 
Le DAB+ est-il en train de supplanter la radio FM ? Pas sûr quand on voit que, selon les déclarations faites lors de l'enquête IPSOS, près de 60% des "gens" consomment toujours de la radio en fréquence modulée, contre seulement 20% via son remplaçant hertzien, le DAB+. Ce n'est qu'en associant DAB+ et radio IP que les parts "numériques" atteignent un peu plus du tiers du marché de l'écoute radio.
 
Il serait à ce propos intéressant de savoir ce que les répondants à l'enquête ont mis derrière la référence à l'usage d'internet. Est-on exactement dans une écoute de radios-IP en streaming, ou certaines personnes ont-elles plutôt pensé à une écoute non-linéaire, voire à de la consommation de podcasts, radiophoniques ?
 
Comme ce sondage n'est pas accompagné d'une notice technique explicitant la méthodologie utilisée, le public ne dispose pas clairement d'éléments d'appréciation.
 
EN MARCHE, L'ERREUR ?
 
Cette enquête étant annuelle, et inspirant des comparaisons et des lectures longitudinales de ses résultats, on peut supposer qu'elle recourt toujours à la même méthodologie, dont quelques rares éléments ont été révélés il y a quelques années. Mais ceux-ci ne permettent par exemple pas de comprendre comment ce "volume d'écoute" (précédemment appelé "parts de marché") a été mesuré. Il semble qu'on interroge le sondé sur son écoute la veille de son questionnement. Que se passe-t-il si celui-ci a recouru à des supports de types différents ? Comment procède-t-on à une pondération ? Le temps consacré à l'écoute selon chaque modèle est-il pris en compte et pondéré ?
 
Et puis, il ne faut  jamais oublier que les résultats communiqués sont ceux d'un sondage. Ce n'est pas un relevé systématique réalisé auprès de l'ensemble de la population, ni une étude recourant aux mêmes méthodes que celles classiquement utilisées pour mesurer l'écoute de la radio. Selon les données disponibles par le passé, le sondage est mené sur 1500 Belges francophones, sans doute par la méthode des quotas, la plus aisée, mais pas nécessairement la plus exactement représentative (1).
 
Et enfin, sinon surtout, on ne doit jamais perdre de vue qu'un sondage de ce type doit se lire en tenant compte de la marge d'erreur statistique liée à la mesure de l'écart potentiel entre les réponses recueillies au sein de l'échantillon et celles de l'ensemble de la population. La notice technique du sondage doit la présenter de manière précise. En l'absence de ce renseignement, il nous faut estimer le volume de la population belge francophone, puisqu'il n'existe plus de chiffre officiel à ce propos depuis la suppression du volet linguistique dans le recensement de la population, en 1963. Nous ne nous fierons pas aux data de la Francophonie, qui vient d'annoncer fièrement que les Belges francophones représentent 76% de la population du pays (!) (2). En associant population wallonne et 3/4 de la population bruxelloise, on arrive à ± 4.500.000 personnes.

Selon les lois statistiques de mesure d'intervalle de confiance, si l'on a une telle population au départ, et qu'on enquête sur un échantillon de 1.500 personnes,
avec un niveau de confiance de 95%, on obtient une marge d'erreur de ± 3% (ce genre de calcul se fait gratuitement en ligne (3) -). Nous écrivons bien "±", ce que l'on omet souvent de mentionner. Cela signifie que, lorsque deux résultats se situent dans un intervalle plus petit ou égal à 3%, il est impossible de déterminer avec certitude lequel prime sur l'autre.
Dans le cas qui nous intéresse, il est par exemple en définitive impossible de dire si, en 2022, la part d'usage du DAB+ est vraiment supérieure à celle de la radio sur internet. Tout comme, au terme d'une comparaison entre années, il est impossible de définir dans quel sens est la tendance (hausse ou baisse) quand les résultats ne sont que de quelques %. 

Ce qui est juste certain, ce sont les tendances fortes. Au fil du temps "les gens" disent qu'ils écoutent moins la radio via des récepteurs FM, et une (relativement petite) partie de la population a aujourd'hui recours au numérique pour écouter la radio. Mais comparer l'évolution année après année n'est pas réaliste, les changements étant souvent très faibles. 
Tout cela à supposer que, dans le cadre de ce sondage comme de tant d'autres, le déclaratif recueilli soit sincère et véridique. Mais qui en douterait ?

Frédéric ANTOINE.



(1) Voir par exemple l'intéressant avis de Catherine Vandermandele dans cet article : https://bx1.be/categories/news/sondages-etudes-enquetes-de-limportance-de-mettre-les-chiffres-en-perspective/
Voir aussi l'excellent Vademecum Sondages réalisé à propos des sondages politiques par mon collègue Pierre Baudewijns, à la demande du CSA (https://www.csa.be/document/vade-mecum-sondages-et-autres-pratiques-de-consultation-du-public/)
 
 







30 janvier 2023

Un seul géant audiovisuel privé par pays en Europe : le rêve a fait long feu


Le RTL Group et la société Talpa, qui entendaient fusionner leurs activités aux Pays-Bas pour y créer un géant de l'audiovisuel privé, viennent d'y renoncer. Comme en France, les instances de contrôle de la concurrence y ont mis le holà. Adieu l'idée des grands quasi-monopoles nationaux pour contrer les GAFAM…

Le communiqué est tombé ce lundi matin à 08h00 (1) :"L'autorité néerlandaise de la concurrence ACM a informé le RTL Group et Talpa Network que l'autorité n'approuverait pas le projet de fusion de RTL Nederland et Talpa Network, initialement annoncé le 22 juin 2021." 

Aux Pays-Bas comme en France, en Allemagne ou en Belgique (francophone) notamment, c'est-à-dire là où il était historiquement implanté de longue date, le RTL Group avait sonné la fin de la récréation au milieu de la crise du covid. Il estimait qu'on ne pouvait lutter en ordre dispersé contre les hordes des plateformes (GAFAM et Cie) qui risquaient de dominer les marchés européens en tuant les opérateurs audiovisuels des pays d'Europe, petits Poucet face à ces ogres mondiaux. 

Charité bien ordonnée, le RTL Group voulait surtout se créer pour lui-même une forteresse imprenable sur le marché allemand. Pour cela, il lui fallait d'abord des moyens plus élevés que ceux dont il disposait à travers ses filiales dispersées en Europe, et pas toujours très rentables.

PLAN MACHIAVÉLIQUE

Ainsi est née la valse des mises en vente de ces avoirs, notamment en France, en Belgique francophone, aux Pays-Bas, en Croatie… avec des fortunes pas toujours aussi heureuses que celles souhaitées par le (déjà) géant allemand. Dans tous ces marchés, le RTL Group a finalement trouvé des amateurs qui, non seulement devaient le libérer du poids des ces avoirs historiques et bien remplir ses coffres-forts, mais qui mettaient aussi eux-mêmes en œuvre son plan de création de châteaux forts nationaux, hérissés de murailles, de tours et de mâchicoulis, pour tenir tête aux envahisseurs mondiaux.

TF1 annonçait son rachat de M6, le groupe CME celui de RTL Croatie, et le consortium Rossel-DPG Media de RTL Belgium. Au même moment, le groupe RTL renforçait au contraire sa présence en Hongrie, où l'opérateur éponyme, précédemment appelé RTL Klub, dominait déjà le marché. La forteresse se bâtissait ainsi autour du groupe lui-même. Au Luxembourg, RTL était déjà le maître historique. Les remparts de la place étaient donc déjà érigés. Aux Pays-Bas, enfin, le RTL Group n'avait pas choisi de vendre ses actifs, mais d'être, là aussi, lui-même, la pierre d'angle de l'opérateur quasimonopolistique de l'audiovisuel national privé, marché où il occupe une large place depuis la fin des années 1990. Pour cela, il lui suffisait de racheter son concurrent Talpa. Seule l'Espagne semble (sauf erreur ou omission) avoir épargné aux velléités du groupe allemand de bâtir des châteaux audiovisuels fortifiés partout où il est présent. Mais il faut dire que, dans la société hispanique Atressmedia, qui possède notamment la chaîne Antena 3, le RTL Group n'occupe qu'une place fort minoritaire face à Planeta De Agostini.

Hormis dans le cas espagnol, si son plan réussissait, la RTL Group parvenait ainsi à remplacer, sur de nombreux marchés, la diversité des opérateurs par une situation de quasi-monople, qui permettait aux nouvelles sociétés fusionnées de truster à elles seules la presque totalité du marché publicitaire de la télévision. Le RTL Group s'avérerait ainsi pour toujours l'incitateur des quasi-monopoles économiques des médias télévisuels privés en position de se défendre face aux plateformes. Que ce monopole lui appartienne, ou qu'il découle de la vente de ses actifs dans un pays. Et tout le monde croyait partout les choses faites…

COUPS DE THÉÂTRE 

… Jusqu'à ce que, en France, TF1 jette le gant face aux exigences des autorités de contrôle de la concurrence, qui estimaient qu'il était tout de même un petit peu fort de café de voir TF1, déjà leader sur le marché, tout simplement absorber celui qui lui faisait de l'ombre. Ces derniers jours, leurs collègues bataves ont dit la même chose à propos de l'aspiration de Talpa par le RTL Group, alors que l'opérateur allemand avait déjà un fameux pied sur le marché hollandais de la tv privée.

Ces opérations-là ont donc été un échec, et le RTL Group a dû reprendre ses billes françaises et néerlandaises, laissant le marché en l'état. En finale, il confirme être un géant transnational européen des médias, mais sur certains marchés, en concurrence avec d'autres opérateurs. Sur d'autres, il a lui-même organisé un quasi-monopole autour de ses avoirs.

Comme d'habitude, la Belgique francophone est restée  à l'écart de ces événements récents, puisque le rachat de RTL Belgium par le tandem DPG-Rossel a, lui, reçu la bénédiction de l'autorité belge de la concurrence. Il paraît que, chez nous, cela ne cause pas "une entrave significative" à la concurrence… En  Belgique, pas de souci ! Ouf ! (2)

TORT D'AVOIR RAISON ? OU MENACE ?

Même battu, le RTL Group affirme toujours qu'il avait raison, regrettant que l'instance de contrôle des Pays-Bas "n'aie pas pris en compte la rapidité et l'ampleur des changements dans le paysage médiatique néerlandais et de l'impact de ces changements sur les entreprises de médias locales." Avec Talpa, il continue ainsi "de croire fermement qu'une fusion de RTL Nederland et de Talpa Network aurait été la bonne réponse stratégique aux défis résultant de la concurrence accrue avec les plateformes internationales."

Le RTL Group a-t-il vraiment eu tort d'avoir raison trop tôt? Ou le maintien d'une concurrence loyale entre acteurs sur un marché est-il la garantie que, à terme, aucune dérive autocratique ne pourra y survenir? Certes, les décisions des organes de contrôle de la concurrence ont été de nature purement économique et financière. Mais ne sont-elles pas, in fine, particulièrement politiques? Même si, entretemps, les ogres des plateformes mondiales grignotent peu à peu le gâteau que, jadis, seuls les groupes européens (et les privés, dont RTL) se disputaient entre eux…

Frédéric ANTOINE.

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(photo de château dans l'illustration: c.c. https://www.flickr.com/photos/158652122@N02/39968064392/- Le RTL Group s'est retiré du marché britannique en 2010 en vendant les parts détenues dans Channel 5)


(1) https://media.rtl.com/meldung/No-approval-expected-for-the-proposed-merger-of-RTL-Nederland-and-Talpa-Network/?__locale=en
(2)  "L'Autorité belge de la concurrence a approuvé, à une condition près, la vente de RTL Belgium à Rossel et DPG Media, estimant que la concentration n'impliquerait pas "une entrave significative" à une concurrence effective sur les marchés." https://www.lecho.be/tech-media/divertissement/feu-vert-pour-la-vente-de-rtl-belgium-a-rossel-et-dpg-media/10377164.html

 


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