Alors que Nethys espérait ne pas vendre les Editions de L'Avenir par appartements, voici que Roularta insiste, dans l'urgence, pour en reprendre les magazines. Le premier pas d'une stratégie bien réfléchie.
La vente des Editions de L'Avenir (EDA) tarde. Nethys voulait tout céder d'un bloc, pour que le repreneur embarque tout le package, quitte à lui-même trier plus tard le bon grain de l'ivraie. On le sait, les propositions déposées sur la table par les quatre candidats à la reprise n'ont pas vraiment été à la hauteur des espérances de la SA dépendant d'Enodia, ni de ses commanditaires. Brader les EDA n'arrangeant personne, on était plutôt sur le bouton "pause". Or, voici que ce 22 juin Roularta s'annonce publiquement candidat à la reprise des hebdomadaires du groupe, en veillant bien à ce que les médias francophones relaient sa communication. Est-ce une information? Le groupe flamand figure depuis le début dans le quatuor de repreneurs potentiels des EDA. Il n'y a donc là rien de neuf. Sauf que Roularta dévoile cette fois un coin d'un voile, pourtant dès le début quasiment translucide: dans son offre, le groupe de Roulers n'a jamais été intéressé que par les hebdos de L'Avenir. Pour le reste, il s'y est plutôt plié pour la forme.
Dans l'œil du core-business
Et pour cause: Roularta n'a aucune expertise dans le domaine de l'édition de presse quotidienne. C'est même le seul secteur des médias où il n'a jamais historiquement investi. Le seul pied qu'il a mis dans cet étrier est tout récent, lorsqu'il a racheté les parts de DPG dans Mediafin, le holding co-propriété de Rossel pour éditer L'Echo et De Tijd, afin de renforcer son emprise dans le domaine des médias économiques et financiers. Si l'on ajoute à cela que les subtilités du marché sous-régional wallon des médias sont, elles aussi, plutôt étrangères à l'entreprise, on comprend aisément qu'elle n'a pas d'intérêt à s'engager dans cette galère. Alors que, côté presse magazine, c'est tout autre chose. Même si ce secteur n'est pas le moteur historique du groupe, il est bien, par contre, son domaine d'excellence. Avec une belle compétence à décliner plutôt avec succès des concepts de magazines flamands dans le monde francophone. Rajouter Moustique et Télé Pocket à son arc revient pour Roularta à élargir son offre de presse périodique francophone, et conforter ainsi sa place sur ce marché.
Mid-market
Dans un premier temps, on opposera bien sûr à cette lecture ce qui paraît une évidence: la place que la presse magazine de télévision occupe déjà chez Roularta, depuis le temps lointain de son rachat de 50% de Télépro. Oui mais voilà: à l'heure actuelle, Moustique n'a plus grand chose d'un magazine télé. Le faire tomber dans l'escarcelle du groupe ne risque pas de causer beaucoup d'ombre au deuxième titre le plus vendu de la presse magazine francophone.
On rétorquera peut-être que, soit, Moustique est plutôt aujourd'hui un news magazine. Mais que, dans ce cas, il risque de faire doublon avec Le Vif, dont Roularta essaie depuis plus de vingt ans d'élargir l'assiette de lectorat.
Or, là est l'originalité ce cet éventuel rachat: au lieu d'essayer sans succès de supprimer le plancher de verre qui empêche Le Vif de toucher un public un peu plus "classes moyennes", pourquoi ne pas laisser le pendant francophone de Knack dans sa niche, et chercher à toucher ce fameux lectorat mid-market par un autre magazine? Dans ce cas, inutile de devoir le créer: il suffit de racheter Moustique, et le tour sera peut-être joué. Tout au plus s'agira-t-il d'éliminer les 'scories' du passé télé qui y subsistent, et d'un peu reprofiler le produit. Restera bien sûr la question du 'replacement' des journalistes spécialisés de l'ancien magazine des éditions Dupuis, souvent plein de talents. Pas sûr qu'ils seraient accueillis à bras ouverts chez Télépro…
Le segment manquant
Dernière objection à régler: la place de Télé Pocket dans pareil montage. Ne fait-il, lui aussi double emploi? Là également, la réponse coule de source: si Le Vif-L'Express est confiné dans sa niche, il en est en quelque sorte de même pour Télépro, même s'il serait ici plus pertinent de parler de "chenil" que de "niche", pour peu que l'on reste dans le cadre d'une métaphore canine. Certes, le magazine télévisuel verviétois continue à être une réussite. Mais il s'adresse à un public au profil particulier, et plutôt âgé, sans beaucoup de commune mesure avec celui de Ciné-Télé-Revue, son principal concurrent. Pourquoi ne pas installer Télé Pocket sur ce segment manquant? Roularta pourrait ainsi réussir, dans le secteur de la presse tv, la même répartition de ses publics que celle qui découlerait d'un partage du marché "news magazine" entre Le Vif et Moustique.
S'il se concrétisait, ce deal de vente des seuls magazines d'EDA à Roularta réjouirait aussi un autre candidat à la reprise des éditions de L'Avenir: Rossel, qui n'a pas vraiment cure des magazines mis en vente, Moustique étant, au moins en partie, dans le même créneau que Le Soir Mag, et Télé Pocket, à certains égards, dans la même ligne de mire que Ciné-Télé-Revue. En cas de cession des hebdos à Roularta, la porte serait alors ouverte à la seule reprise par Rossel du journal L'avenir. Il ne resterait plus alors qu'à fixer le sort du Journal des Enfants, outil pédagogique utile à l'image de marque d'un groupe de presse moderne, et éventuellement se questionner sur le futur de Proximag, sauf si celui-ci ne s'avérait pas d'office condamné, vu l'état du marché de la presse gratuite push.
Déjà, L'avenir est imprimé chez Rossel et les deux entreprises ont en commun des activités liées à la recherche publicitaire. Le pas suivant, fourni grâce à Roularta, avec qui Rossel est déjà allié, serait alors presque naturel.
Frédéric ANTOINE.