Après s'être porté candidat en mars à la reprise des Editions de l'Avenir, il s'est empressé de se manifester lors de la mise en vente du groupe Paris-Normandie, en avril.
A chaque fois, il rencontre devant lui un fameux adversaire de taille: Rossel.
Le 6 mars dernier, quatre candidats manifestaient leur intérêt pour le rachat à Nethys des Editions de l'Avenir: le fonds d'investissement allemand Fidelium Partners, Rossel, IPM (associé à des partenaires) et Roularta. Le covid ayant aggravé la maladie du groupe de presse wallon, la vente est toujours en suspens, mais IPM semble y croire, puisque le groupe avant déjà fait acte de candidature à l'automne 2019, en partenariat avec quatre investisseurs wallons (Bernard Delvaux, Laurent Levaux, Pierre Rion et Juan de Hemptinne).
Quelques semaines après la révélation des noms des repreneurs potentiels du média wallon, le 21 avril, le groupe de presse français Paris-Normandie était (re)mis en liquidation judiciaire, les acquéreurs éventuels étant invités à se manifester pour le 22 mai. Pour cet acteur de la PQR (presse quotidienne régionale), ce n'était pas une première. Le groupe avait déjà connu plusieurs procédures judiciaires depuis 2012. La dernière, survenue en 2017, avait vu le groupe Rossel se porter candidat au rachat, avant d'être évincé par le tribunal au profit de l'offre faite par le PDG de l'époque, jugé moins croque-mitaine que l'éditeur belge. Une réputation que le groupe tenait de la manière 'vigoureuse' dont il avait mené la restructuration de La Voix du Nord, qui lui avait déjà valu, en 2014, de rater la reprise de Nice-Matin (ce qui donnera alors des idées à Nethys…)
Je suis ton père
2020 sonne le retour du Jedi. Rossel remet le couvert, étant cette fois porteur d'une réputation moins sulfureuse, et démontrant que la solution précédemment choisie n'était manifestement pas la bonne, puisqu'elle avait connu l'échec, le covid n'étant que le souffle qui avait ravivé les braises.
Le boulevard était grand ouvert pour le groupe bruxellois, où les activités françaises pèsent déjà plus lourd que son imposante place sur le marché belge. Or voilà qu'arrive une deuxième offre… pilotée par IPM. Non contents de s'affronter dans leur propre pays pour voir qui mangera le groupe de presse namurois, voici les deux protagonistes également en lutte sur le plan international.
On l'a dit: pour Rossel, cette candidature au rachat est presque une habitude. Elle s'inscrit dans le cadre de la stratégie d'une développement qui, depuis longtemps, considère la petite Belgique comme trop étroite pour satisfaire des ambitions de croissance. Une stratégie que Rossel n'est pas seul à avoir adopté dans ce petit royaume: les deux groupes de presse flamands DPG et Mediahuis, eux aussi étouffés par la petitesse du marché national, ont adopté une attitude de même nature. DPG est aujourd'hui le patron d'une bonne partie de la presse hollandaise, et est parti à la conquête de la presse danoise. Mediahuis a mis la main sur une autre partie de la presse batave, a posé ses valises en Irlande et vient de prendre possession de l'essentiel de l'édition de médis écrits au Luxembourg.
Impasse, pair et manque
Pour IPM, on est plutôt dans le registre de la surprise. Longtemps, ce groupe a été vu comme le Petit Poucet du secteur de la presse de Belgique francophone, à la fois par la faiblesse de diffusion de ses titres, les limites de ses capacités financières, et la très faible diversification de ses activités. L'international ne l'a jamais intéressé, ou il n'en a pas eu les moyens. Ses seuls fleurons dans le domaine sont l'édition, pour la Belgique, de versions adaptées de Paris-Match et du Courrier International. Et sa participation dans le titre français Libération est plutôt anecdotique. Les choses ont changé au cours de la décennie 2010, pendant laquelle le groupe a pris l'option de diversifier ses activités, mais en investissant hors du secteur des médias. Soit à l'opposé des choix de son principal 'concurrent' (même s'il n'est pas sûr que les deux compétiteurs jouent dans la même division).
Le choix d'IPM d'investir dans les paris sportifs est économiquement compréhensible. L'est-ce à d'autres titres pour un groupe média éditeur d'un des quotidiens les plus illustres de la presse belge, dont un de ses anciens patrons se plaisait jadis à dire qu'il était illustre, mais pas illustré? La question est ouverte, et peut-être davantage depuis que, en 2018, une partie de Sagevas, la S.A. faîtière de Betfirt, a été cédée par IPM à la société BF Capital Malta, que venait juste de créer au Français Jacques Elalouf, résidant à Londres et spécialisé à l'international dans le secteur des jeux en ligne.
A côté de ce domaine, IPM a aussi investi, entre autres, dans le tourisme de luxe en rachetant, notamment, un spécialiste français des voyages sur mesure.
La manifestation d'intérêt d'IPM pour le groupe L'Avenir n'est pas neuve. Déjà par le passé, l'éditeur de La Libre et de la DH avait tenté de l'acquérir. Mais sans succès. Son insistant intérêt récent s'enracine donc dans une histoire, tout en l'ayant jamais été aussi manifeste. L'implantation de L'Avenir, son importance sur le marché wallon, ses capacités à gérer une information de proximité, sont sans conteste tentantes pour un opérateur plutôt bruxellois qui a, depuis des années, rencontré des difficultés (et un peu renoncé) à gérer une véritable présence régionale. Sa présence dans les candidats à la reprise de Paris-Normandie est plus questionnante dans la mesure où, jusqu'à présent, le groupe n'avait manifesté aucune velléité de croissance de cette nature.
Roulage de mécaniques
Même s'il a grandi, s'est stabilisé et est aujourd'hui plus solide qu'hier, IPM est conscient qu'il n'est sans doute pas assez puissant pour assurer seul la reprise d'une entreprise presse de grande importance. D'où la subtilité d'offres de rachat où le groupe s'associe à d'autres partenaires. Dans le cas de L'Avenir, ceux-ci lui assurent une crédibilité wallonne. Et qu'un d'entre eux joue une rôle dans le repilotage de Nethys n'est sans doute pas innocent. Cela avantagera-t-il l'offre "d'ouverture" du 'petit' groupe belge face à son immense concurrent, dont le rêve reste (aussi) de contrôler une bonne partie de la PQR française?
Pour Paris-Normandie, s'être associé dans le NP Holding à Jean-Louis Louvel, l'ancien propriétaire du groupe, relève de la même stratégie. Mais ne produira peut-être pas les mêmes effets. Cette fois, le personnel du groupe français semble avoir pris le parti de Rossel, et se méfie du retour de l'ancien patron, qui n'avait pas vraiment convaincu. Pourquoi IPM est-il dès lors entré dans cette arène? Pour gagner à ce coup-ci, ou pour fourbir ses armes pour le coup d'après? Ou pour montrer que, face au chêne de la rue royale, l'ancien habitant de la rue Montagne aux herbes potagères n'est plus le frêle roseau d'antan?
Frédéric ANTOINE.