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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

04 décembre 2024

Présidence du CA de la RTBF : un miroir aux alouettes ?


Céder la présidence du Conseil d'administration de la RTBF aux Engagés n'est pas une concession de la part de son partenaire à la FWB. Car il y a gros à parier que c'est ce parti qui choisira, en 2026, le successeur de l'actuel Administrateur général de l'entreprise publique. Celui qui, quoi qu'on dise, a en main les destinées de l'opérateur audiovisuel.

Après ce qui semble avoir été de longues palabres, la nouvelle majorité à la FWB a annoncé ce 3 décembre son choix pour le poste, semble-t-il tant convoité, de président du Conseil d'administration de la RTBF. Preuve de l'imposant renouvellement survenu entre l'apparition des Engagés, l'ancien parti social-chrétien et le CdH, Joëlle Milquet, qui commença jadis sa carrière comme assistante parlementaire PSC au Sénat,  a finalement recueilli l'assentiment des instances des deux partis pour être prochainement élue à ce perchoir.

Face aux récents roulements des mécaniques (pour ne pas dire face aux menaces) des ténors du parti libéral à l'égard de la RTBF, confier la présidence de son CA à une figure tutélaire de l'autre gagnant des élections de juin pourrait avoir de quoi rassurer.

À lire la lettre ouverte que les deux anciens présidents de cette assemblée ont récemment publiée dans la presse (1), le rôle de cette instance serait en effet déterminant dans le fonctionnement de l'institution, et celui de son président comparable à celui du timonier à la manœuvre d'un immense paquebot.
 

CLÉ DE VOÛTE

 
Ce serait toutefois un peu vite perdre de vue que, comme le rappellent les signataires de la carte blanche précitée, le pouvoir de fait est partagé, au sein de ce qu'on appelait jadis la Kasa Kafka (2), entre le CA et son président d'une part, et l'Administrateur général de l'entreprise publique de l'autre. Sans être membre du Conseil, ce dernier siège avec le président et les vice-présidents du CA dans le “comité permanent” qui gère l'institut au quotidien. Il pilote aussi, par ailleurs, son “comité exécutif”, qui « réunit, au côté de l’Administrateur général, 6 directions : Pôle Contenus, Pôle Medias, Info & Sports, Ressources Humaines, Finances, Technologies ». (3).

L'Administrateur général est la clé de voûte à la jointure de la structure de direction interne de l'institut et sa structure de pilotage externe.

Sans aller jusqu'à partager la lecture de certains politiques qui ont récemment pu considérer que l'Administrateur général était une sorte de Deus ex machina, on doit tout de même reconnaître que son pouvoir est énorme, et que c'est lui qui, notamment, impulse les grandes réformes et suggère les orientations que l'entreprise devrait prendre. Qu'il reçoive à ce propos l'aval du CA (et du ministre de tutelle) est évident. Mais qu'il joue un rôle déterminant dans la fixation des axes de développement de l'opérateur audiovisuel est indéniable. Le cas de l'actuel Administrateur général en est la plus parfaite illustration : ce que la RTBF est aujourd'hui devenue et les tournants que la poussive administration publique de jadis a opérés, elle les doit grandement à la vision que celui-ci a développée pour elle, et à son expérience de gestionnaire d'institutions publiques.

CHANGEMENT DE COULEUR

Si le CA et son président sont supposés représenter “le public” au service duquel la RTBF est chargée de se mettre, et sont pour cette raison élus par le Parlement de la FWB, le rôle de son Administrateur général se situe bien au-delà de celui de simple gestionnaire des affaires intérieures de la boîte. Il n'est pas loin de représenter “l'âme” du système.

Jean-Paul Philippot, étiqueté socialiste, est ce poste depuis 2002, c'est-à-dire depuis plus de vingt ans. Lors de chaque échéance de son mandat, le PS était aux affaires en FWB, la présidence du CA de la RTBF n'étant pas entre ses mains, mais dans celles d'un de ses partenaires de majorité. La reconduction systématique du détenteur du poste allait donc quasiment de soi (4) (pour rappel, la composition du CA et sa structure dirigeante changent après chaque élection, alors que le calendrier de l'Administrateur général n'est, lui, pas fixé sur celui des échéances électorales). 

En 2020, l'actuel Administrateur général a été reconduit pour un quatrième mandat de six ans. Dans une grosse année, l'ère Philippot prendra donc fin pour l'opérateur public. Qui succédera à cet ingénieur commercial diplômé de l'ULB et maître de conférences invité à l'UCLouvain ?

Une saine gestion publique devrait sans doute veiller à choisir pour ce poste une personne au profil proche de son prédécesseur, c'est-à-dire un féru de gestion, soucieux de la défense de la place du service public dans une société de plus en plus mercantile, et conscient que l'audiovisuel public doit disposer d'une réelle légitimité pour s'assurer une place indiscutable dans le paysage médiatique de l'État aussi grand qu'un timbre-poste qu'est la FWB.

HIS MASTER'S VOICE ?

En sera-t-il ainsi ? Comme écrit plus haut, la tradition du partage des postes (et des influences) au sein des majorités a permis depuis les années 1960 au PS de placer à la tête la de la RTB(F) une personne qui disposait de sa confiance (et de sa fidélité). Mais, en 2026, le PS ne fera pas partie de l'attelage dirigeant la Fédération. Les Engagés tenant la présidence du CA de l'institution, le MR aura tout loisir d'imposer son choix d'Administrateur général, le candidat retenu ayant sans doute présenté pour la RTBF un projet d'avenir en phase avec celui que ce parti politique entend assigner aux médias publics. Une vision que devrait aussi plaire à la majorité politique du Parlement de la FWB. Alors surviendra peut-être le véritable virage souhaité par le MR, et dont diverses déclarations politiques dans les médias et au Parlement de la FWB révèlent depuis quelques semaines le visage. Avec, notamment, la réduction des missions de la RTBF à l'information et à l'éducation permanente, ou l'abandon total du divertissement, l'opérateur public n'étant pas là pour fournir (à la plèbe ?) « du pain et des jeux », alors que telle serait bien l'édifiante mission des médias privés.

Accorder la présidence du CA de la RTBF à son partenaire permet à l'autre parti au pouvoir de reculer pour mieux sauter.  Être à la tête du Conseil ne lui aurait rien rapporté. Tandis qu'être à la manœuvre du bateau Reyers...

Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.lalibre.be/debats/opinions/2024/11/30/le-ca-de-la-rtbf-repond-a-la-ministre-galant-vous-avez-remis-en-cause-notre-gouvernance-vous-avez-tenu-des-propos-simplistes-et-offensants
(2) Nom qu'a subtilement repris la boîte de prod filiale de la RTBF
(3) https://www.rtbf.be/entreprise/a-propos/gouvernance
(4) Si la reconduction a parfois été discutée au Parlement, notamment pour des questions de clauses de contrat, le bateau au pu tanguer mais l'issue de ces discussions n'a jamais de fait de doute.

(l'illustration de cet article est un "dessin d'artiste" fait par Chatgpt)

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