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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

26 mai 2024

Paris Match: le poids du catho, le choc de la photo

La Une du dernier numéro de Paris Match France rompt avec tous les codes traditionnels utilisés par ce magazine : sur la couv., aucun people, aucun personnage de face ou en gros plan. Pas d'image choc. Mais une photo d'église. Est-ce ainsi que le magazine entend se faire vendre ?

Paris Match est-il devenu un magazine d'informations catholique ? Même les titres classiques de la presse française étiquetés comme tels n'auraient sans doute jamais osé afficher en première page aussi "vide" que celle qui celle du dernier numéro de la célèbre publication parisienne : une seule photo, celle de deux tours d'un clocher se détachant sur un fond blanc, avec, dans le bas de l'image, des drapeaux et tout en bas la tête de quelques personnages pris de dos, la plupart coiffés d'un chapeau.

Pour nos lecteurs belges, qui n'ont pas accès à la version française de Match dans leurs kiosques, nous reproduisons cette couv. ici. Une Une d'autant plus atypique qu'elle ne comprend aucune autre illustration et que, hormis son titre majeur sur le grand retour des pèlerins, elle n'en affiche que deux autres, plus un dans le bandeau supérieur. Un de ces titres concerne un dossier spécial de 12 pages sur les stars présentes à Cannes. Mais qui ne méritaient sans doute pas d'être en couverture. Alors que la cathédrale de Chartres, oui. Car, en lisant le chapeau figurant en dessous du titre sur les pèlerins, on apprendra que ce bâtiment religieux ayant deux clochers n'est autre que la première église d'Eure-et-Loir.

Au même moment, la Une de l'édition belge de Match n'était pas du tout dans le même registre. Elle utilisait pour sa part les codes classiques des couv. du magazine : une grande photo d'un personnage connu (ici, la reine Paola) et, en insert, une deuxième illustration, elle aussi en lien avec des personnages people, issus de la famille royale belge.

QUI A PIQUÉ MATCH ?

Cette Une belge décline les conventions classiques du "poids des mots" et du "choc des photos" chères à Match. Elle les décale même quelque peu, puisque les personnages qui y sont présentés ne regardent pas le lecteur les yeux dans les yeux (le fameux "axe Y-Y").

Cette communion de regard entre le lecteur et le média, pratiquée dans quasiment toutes les Une de la presse magazine,  est un élément canonique de l'écriture iconique de Paris-Match, comme le démontrent les quelques exemples ci-dessus, dont on trouve de nombreuses variations sur internet. Comparer ces Une habituelles et celle du dernier numéro du magazine a de quoi donner le tournis. Mais quelle mouche a donc piqué Match ?

On répondra peut-être que, si le modèle classique de la Une de Match est bien celui de la mise en scène de personnages people en axe Y-Y, l'hebdo consacre de temps à autre sa première page à des événements à forte intensité dramatique desquels les people sont évidemment exclus. 

L'objection est pertinente. Sauf que, dans ces cas-là, le choix rédactionnel de Match est, d'ordinaire, d'inclure dans la photo de Une des personnages non people, mais actifs au cœur de l'événement (voir ci-dessus). Certes, l'axe Y-Y a disparu, mais la représentation de l'info dans des incarnations vivantes reste l'élément primordial d'accroche de la Une.

 POUR FAIRE VENDRE ?

Dans le cas de la couverture de Match France de cette semaine, cet élément grammatical disparaît. Ce sont les deux clochers d'une cathédrale qui constituent le point focal de la première page, où on distingue à peine, dans le bas de l'image, des "pèlerins" aux têtes dissimulées sous d'énormes chapeaux. N'étant pas expert en iconographie parismatchienne, contrairement à notre éminent collègue Philippe Marion, nous n'affirmerons pas que Match n'avait jamais auparavant agi de la sorte. Mais, dans un passé récent, il nous semble que seule sa Une sur Notre-Dame de Paris en feu, en avril 2019, présentait aussi un bâtiment (religieux) sans aucun personnage à proximité. Sauf que Notre-Dame était en feu, et était donc le véritable personnage de l'info.

Quel chaland passant par hasard chez son marchand de journaux ou devant un kiosque à journaux sera-t-il attiré par la Une de Match France de cette semaine, au point de se précipiter pour en acheter un exemplaire ? Et ce même si des présentoirs situés près des caisses des libraires font normalement tout pour capter le regard d'un éventuel lecteur ? 

À moins qu'il soit un catholique convaincu, ou intéressé de près par les choses de la religion, on peut se poser la question. D'autant que la problématique religieuse n'y est incarnée ni par un personnage people, ni par un religieux, ou même un simple pèlerin. Seule la silhouette de l'édifice religieux occupe l'essentiel de la page. 

Les services commerciaux de Match auraient-ils perdu le nord?

PROSÉLYTISME MÉDIATIQUE ?

La réponse est sans doute plus simple : jusqu'à présent, Match appartient à Vincent Bolloré. Comme CNews ou C8, cette chaîne qui a récemment produit et diffusé une télé-réalité mettant en scène la retraite vécue dans un monastère de Corse par une série de people bien connus. Par cette Une, comme par d'autres célébrant précédemment quelques personnalités catholiques, Paris Match pourrait s'inscrire dans la stratégie de vulgarisation médiatique religieuse souhaitée par son propriétaire. Peut-être. Si on y pense bien…

On vient pourtant d'annoncer que, pour éviter des pénalités de la Commission européenne, Vincent Bolloré a décidé de vendre Paris Match à LVMH-Bernard Arnault. Mais cette cession ne devrait survenir qu'en septembre si tout va bien. D'ici-là…

Eh bien, peut-être que, d'ici-là, le grand magazine du poids des mots et des choc des photos  pourrait afficher d'autres Unes plutôt contre-commerciales. Mais idéologiquement porteuses. Du moins pour qui les commandite. Sait-on jamais…

Frédéric ANTOINE.


 

12 mai 2024

Eurovision : la démocratie ne s'use-t-elle que si l'on s'en sert ?


Les votes pour Israël survenus lors du dernier concours de la chanson de l'Eurovision démontrent une chose : c'est que la démocratie ne s'use que si l'on s'en sert. Ou, plutôt ne sert que ceux qui en usent.

Objet de contestations diverses, la chanson représentant Israël samedi dernier au concours Eurovision de la chanson a (presque) failli remporter la palme. Selon les infos relayées par de nombreux médias dignes de foi (et communiquées ce dimanche par les organisateurs), la chanteuse de l'Etat hébreu n'avait recueilli que 52 points lors du vote des jurys professionnels, ce qui la classait à la douzième place du concours. Mais, du côté du "vote du public", elle a emmagasiné pas moins de 323 points, soit à peine moins que la chanson la plus plébiscitée, celle de la Croatie. Résultat des courses : au total, la chanson israélienne s'est classée cinquième de la compétition. Le décryptage des "votes du public" révèle qu'elle a recueilli le maximum de 12 points dans 15 pays (dont la Belgique), et 10 points dans 7 autres pays. Et ce sur le total des 37 pays participants plus les votes du pays "imaginaire" supplémentaire, regroupant les choix provenant de tous les autres pays du monde.

LE PUBLIC A BON DOS

 De quoi s'étonner un peu ? Oui, si l'on croit naïvement que "le vote du public" est une représentation statistiquement représentative de l'audience du programme. Ou, encore mieux, une photographie des choix de l'opinion publique à propos des chansons en lice dans chacun des pays participants. Le fruit d'une gigantesque enquête qui ferait de l'Eurovision le plus grand sondage démocratique en son genre.

De quoi ne pas s'étonner ? Oui, si l'on ne perd pas de vue que le "vote du public" n'est jamais que le vote de tous ceux qui ont pris la peine de voter (et peut-être plusieurs fois, puisqu'un même numéro de téléphone peut voter jusqu'à 20 fois) ou que l'on a aimablement invités (ou incités) à voter pour tel ou tel candidat. "Le public" au donc bon dos, le vote exprimé n'étant pas le sien, mais seulement celui de certaines personnes (pas nécessairement spectatrices), pouvant voter de manière "censitaire", plusieurs fois de suite, comme c'était le cas dans les systèmes qui ont précédé la démocratie actuelle du "un homme-une voix".

Pourtant, une élection à laquelle tout le monde peut potentiellement participer (à condition d'avoir 'simplement' accès à un téléphone), que pourrait-on rêver de mieux ! Peut-on imaginer plus démocratique ? Sûrement pas depuis que les télé-crochets et la télé-réalité, la télévision n'ont cessé de nous le faire croire que : "C'est vous qui votez !" "C'est vous qui décidez !". "Le candidat que vous avez choisi d'éliminer cette semaine, c'est : …

Ce serait peut-être un peu vrai si, par un coup de baguette magique, chaque zappette se transformait réellement de temps en temps en machine à voter. Mais tout le monde sait que ce n'est pas le cas. Mais tout le monde (y compris les médias et les organisateurs) s'efforce de croire que le système des votes par téléphone serait un miroir objectif et exhaustif de "l'opinion".

UN MIROIR, OU UN LEURRE

Comme lors des élections (dans tous les pays sauf en Belgique et au Luxembourg où le vote est très théoriquement obligatoire), la "démocratie" ne s'use que si l'on s'en sert. Ou plus exactement ne sert vraiment qu'à ceux qui en usent. Les absents y ont toujours tort. Dans l'isoloir comme dans les concours du grand prix de l'Eurovision. Sauf qu'ici, on peut même user la mécanique jusqu'à la corde, puisqu'on peut voter 20 fois de suite…

N'étant pas l'image du choix des téléspectateurs ou de la population des pays, les votes pour le concours de l'Eurovision sont une énorme tromperie. Un leurre. Mais ils révèlent le poids que peuvent peser certains intérêts ou certaines causes, et, surtout, la manière dont des mobilisations de groupes d'individus peuvent être organisées afin de les amener à agir (c'est-à-dire à voter) en faveur d'un représentant particulier. Les choix manifestés ne sont alors pas naturels, mais le fruit de stratégies bien organisées, voire bien rodées d'année en année.

INTERNATIONALE DES SOUTIENS

Dans cette mécanique qui n'a pas grand-chose de démocratique, plus la cause à promouvoir sera capable de concerner un public large, plus l'action mobilisatoire (pour ne pas dire manipulatoire) aura de chance de réussir. Les opérations de mobilisation en fonction de la nationalité d'un candidat sont donc en général vouées à l'échec, le pays que représente la chanteuse ou le chanteur ne pouvant voter pour lui, et l'étendue de la dispersion internationale de chaque nationalité étant tout de même limitée. Ce système ouvre par contre la voie à toutes les opérations de mobilisation derrière lesquelles une très grande quantité de personnes peuvent se retrouver dans un grand nombre de pays. Le soutien à l'Etat d'Israël via le vote pour la chanson d'Israël en est un bel exemple cette année (mais il n'est pas le seul). Si, de plus, les causes en question sont elles-mêmes naturellement, et de longue date, soutenues par des lobbys de natures diverses, les actions de soutien ne seront que plus aisées à mettre sur pied.

L'Eurovision met ainsi au grand jour le poids que peuvent peser de larges opérations d'influence de « l'opinion ». Dire qu'on pensait qu'il s'agissait de choisir la chanson de l'année, celle qui allait se répandre partout et rapporter gros au show-business. Eh non. L'Eurovision ce n'est pas un jackpot. Mais un champ d'action d'influence politique. 

Quand on pense qu'on nous disait le contraire depuis 1956. Soit depuis bientôt 70 ans…

Frédéric ANTOINE

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