On l'aura lu, ces derniers jours, le mot « roi » dans les médias belges ! Mais avec d'étonnantes variations entre Roi et roi. Comme si, parfois, la presse ne savait plus à quel souverain se vouer. Un jeu MAJ à min qui implique plus qu'un simple rapport aux conventions d'écriture.
Alors, écrit-on le Roi ou le roi ? Ou les deux ? Pour le vieux prof auteur de ces lignes, qui s'est échiné pendant des années à enseigner les conventions de l'écriture journalistique, la question relève un peu du toc. Et interpelle d'autant plus que, alors qu'on s'était appliqué à faire entrer quelques règles dans la plume d'étudiants en bachelier, il apparaissait souvent que, une fois arrivés en master, ceux-ci les rangeaient vite fait au fond d'un tiroir. Et ce sans que personne, parmi les éminents professionnels chargés de les encadrer, n'y voient quoi que ce soit à redire. Mais que soit…
Le survol rapide des écrits médiatiques publiés ces derniers jours à propos de l'usage du bas-de-casse ou du haut-de-casse pour désigner un souverain en constitue un bon exemple.
Le (R)roi Philippe
De manière générale, lorsqu'il s'agit d'associer le substantif roi au nom d'un personnage connu, la plupart des journalistes appliquent la même règle : ils laissent roi débuter par une minuscule. On désigne ainsi généralement dans les médias le roi Philippe, comme on écrivait hier le roi Albert, sur base de la convention selon laquelle roi est alors un nom commun accompagné d'un nom propre.
On notera tout de même que cette convention, assez bien appliquée dans les médias, n'est pas de mise dans tous. Ainsi trouve-t-on par exemple la phrase « Un des exemples "extraordinaires", comme l'a décrit le Roi Philippe » (RTL Info, 02/09) ou, il y a quelques mois : « Le Roi Philippe s'adresse aux Belges » (RTBF, 16/03). Une insistance peut-être destinée à (re)dorer la couronne du monarque ?
Le (R)roi des Belges
La question se corse un peu si l'élément qui suit roi n'est pas son nom mais une autre manière de le désigner, par exemple en définissant de quoi ou de qui il est le souverain. Dans ces cas-là aussi, l'usage normal est de garder la minuscule. Mais, sans doute dans l'intention de bien faire, certains médias peuvent ne pas être avares de majuscules, comme dans ce « Canvas (VRT) revient sur l'enfance loin d'être rose du septième Roi des Belges » (La Meuse, 28/09). A moins que, plus simplement, ces médias ne sachent pas vraiment comment faire. Sans trop chercher, les deux versions de la graphie peuvent ainsi se retrouver dans une même publication : « Si j'étais le roi des Belges, je prononcerais l'allocution suivante » (La Libre Belgique, 29/01) et « Une première pour un Roi des Belges en fonction. » (La Libre Belgique, 30/06). A chacun de choisir la formule qu'il préfère… Parfois, on pourra même mettre la main sur un beau doublé : « Leopold II était avant tout le Roi des Belges, tout comme le Roi Philippe. » (RTBF, 12/06). Si l'on convoque une fois la majuscule, pourquoi pas deux…
Le roi tout court
Cela devient plus compliqué, quand le roi n'est pas accompagné. Et dans l'écriture, la chose est plus rare que dans la vie réelle. C'est là que les choses commencent vraiment à se discuter. En effet, la règle générale, qui est celle que l'on essaie d'abord d'inculquer dans les Ecoles, est d'appliquer ce que recommandent la plupart des auteurs, à savoir que « les noms de fonctions, titres et charges civiles sont toujours en minuscules » (1), ou autrement dit, que « les titres de civilité et titres de fonction prennent la minuscule lorsqu'on parle de quelqu'un » (2). On s'efforce ainsi de faire auprès d'étudiants trop formatés la chasse aux Prince, Ministre, Pape, Cardinal, Recteur, Député et autres Empereur que la nature humaine, par essence trop modeste (ou un peu servile), a toujours tendance à porter au pinacle.
Roi n'échappe pas à la règle. Il n'a donc, en principe, pas droit à être élevé au rang de capitale. Et, dans la presse francophone belge, un groupe de quotidiens applique cela avec rigueur. En toutes circonstances et avec une belle constance, L'Avenir laissera le monarque débuter par du bas-de-casse. Le 06/09, il titrera par exemple : « Elia et d’autres «héros du Covid» reçus au palais par le roi ». Parlant de la crise politique, le 21/09, il explique : « Ceux-ci ont remis leur démission, qui a été refusée par le roi. » Et le 1er octobre, il mentionne que : « Ce matin, les ministres prêtent d'abord serment devant le roi: ils jurent fidélité au roi. » Le souverain est un personnage public, voir un (simple) homme (ou un homme simple), comme les autres. Inutile donc l'élever sur les autels en l'affublant de majuscule.
Le Roi tout court
Sur le petit sondage réalisé ces derniers jours, L'Avenir est le seul à agir de la sorte. A l'opposé, et avec la même constance, un autre titre a opté pour la radicalité majusculaire : dès qu'il s'agit d'un roi bien précis, et en l'occurrence celui des Belges (3), la personne désignée par le substantif roi y débute toiujours par une lettre capitale. Le Soir déroge ainsi à la règle générale. Est-ce se référant aux usages tolérés par les spécialistes dans des cas précis et explicités ici : « Lorsque, dans un texte particulier, le titre prend la place du nom du personnage qui le portait et sert à désigner, sans confusion possible, le personnage historique, on peut alors l'écrire avec une majuscule. » (4) On notera, comme le confirme cette autre recommandation, que cet usage est une possibilité, et non d'une obligation : « Lorsque ce mot est employé seul, sans ambigüité sur la personne et selon le contexte, il peut prendre valeur de nom propre et la majuscule qui sied. » (5)
La pratique du quotidien vespéral est si constante qu'elle ne nécessite pas d'exemplification. Elle est aussi de mise chez Sud-Presse (Sud-Info), mais souffre là de quelques omissions où, sans qu'on sache trop pourquoi, roi supplante Roi (par exemple, le 21/09 : « en marge de la réunion des préformateurs fédéraux avec le roi », ou le 01/10 : « Visiblement ému, celui que le roi avait nommé co-formateur aux côtés d'Alexander De Croo, a rappelé le travail accompli »). On retrouve le même usage de la majuscule à L'Echo, même si, parfois, les deux types de caractères sont exploités à fort peu de distance. Ainsi, par exemple, le journal a écrit le 21/09 : « a déclaré le préformateur Conner Rousseau après que le roi ait refusé sa démission et celle d'Egbert Lachaert »… alors l'article en question est lui-même titré de la manière suivante : « Le Roi refuse la démission des préformateurs ». Nuance difficile à comprendre…
Roi tout court et roi qui court
On retrouve cet usage majoritaire de la majuscule mâtiné de recours sporadiques à la minuscule dans d'autres publications de presse, sans toujours en saisir la substantifique raison.
Sans doute respectueuse de sa mission de Service Public et de son rapport à l'Etat, la RTBF utilise plutôt la majuscule, comme dans : « Les nouveaux ministres du nouveau gouvernement belge ont prêté serment ce matin chez le Roi » (01/10). Mais, quelques minutes plus tôt le même jour, le même site d'informations avait écrit : « Ludivine Dedonder, comme les autres ministres prêtera serment ce jeudi à 10h devant le roi. » Entre 'chez' le Roi et 'devant' le roi, seul le linguiste appréciera l'épaisseur de la différence.
La Libre Belgique, loin de renier pas son histoire monarchiste, choisit en règle générale de doter le monarque d'une couronne à lettre capitale ( « Le Roi refuse la démission des deux préformateurs: ils ont deux jours pour rétablir la confiance » [22/09]). Mais, parfois le même jour, les deux graphies sont utilisées simultanément. Le 29/09, le quotidien titrera « Quel rôle a joué le Roi dans la crise politique? », mais écrira aussi : « Le roi a tenu lundi, avec les formateurs, sa 36ème audience dans le cadre de la crise politique » et : « Mais le roi peut aussi tenir sa décision en suspens durant quelques jours ».
Même valse-hésitation chez le quotidien-frère de La Libre qu'est la DH. A certains moments, on y utilise la majuscule (« Formation fédérale: les négociateurs tiennent un accord sur le programme, les formateurs se rendent chez le Roi » [30/09]), à d'autres la minuscule ( « cela a permis au roi de nommer des co-formateurs »)… et à d'autres on applique les deux formules dans un seul texte ( « Le rapport fourni au Roi par les co-formateurs a fuité dans la journée de mardi, mais la note finale n’a pas encore été communiquée. Le rapport au roi offre toutefois un bel aperçu des mesures validées par le nouveau gouvernement, » [DH 30.09]).
Côté audiovisuel, RTL Info, comme la RTBF, semble privilégier un Roi majuscule. Mais de temps à autre, il est aussi ramené à la dure réalité des petites lettres. « Egbert Lachaert et Conner Rousseau, ont été désignés préformateurs par le roi. » (06/09) « Le roi est arrivé à l'issue de cet accord. » (16/09) « Lundi, le roi a contraint les actuels préformateurs » (22/09). Retranscrivant l'interview télévisée d'un expert, le 30/09, la chaine privée n'écrira aussi roi qu'en minuscules…
Une communion solennelle ?
De manière générale, une grande majorité de médias aiment affubler le substantif roi d'une majuscule. Y compris les télévisions locales, ou même 7sur7.be. Mais, à certaines occasions, la déférence ainsi de mise disparaît, et on assiste au retour des 'petites lettres'.
Sans doute l'inattention, l'absence de relecture, voire l'inexistence de règles d'usage strictes à l'intérieur de certaines rédactions expliquent-elles, au moins en partie, cette constante hésitation. Mais les moments où cette variation de graphie se manifeste pourrait aussi laisser supposer que les auteurs des textes semblent influencés par ce qu'ils estimeraient l'importance ou la solennité de l'événement dont le monarque est un des acteurs.
Si le roi intervient peu, voir est simplement évoqué, on pourra avoir tendance à ne pas lui accorder beaucoup d'importance, et rien ne s'opposera à ce que le nom n'ait pas de capitales. Voire, en le laissant en bas-de-casse, on minimisera la place royale.
Par contre, si le souverain est au cœur de la pièce et y joue un rôle essentiel, la propension à lui concéder un sceptre majuscule sera plus marqué.
Ces observations ponctuelles devraient évidemment être confirmées par des études sur la distance, et non un focus sur un seul événement. Mais elles démontrent la fragilité des règles et la difficulté que peuvent rencontrer les journalistes à maîtriser leur écriture dans un monde où, certes, on rédige beaucoup. Mais pas nécessairement avec beaucoup de systématisme…
Frédéric ANTOINE.
(1) www.lalanguefrancaise.com
(2) Recommandation de l'Université Laval qui, comme bien d'autres acteurs francophones dans ce pays majoritairement anglophone qu'est le Canada, veille tant que faire se peut à mettre des points sur les i de l'usage de langue.
(3) Selon la formule officielle puisque, rappelons-le, le monarque de ce pays n'est pas roi de Belgique mais des Belges.
(4) Selon le correcteur grammatical et orthographique Cordial.
(5) www.question-orthographe.fr