User-agent: Mediapartners-Google Disallow: User-agent: * Disallow: /search Allow: / Sitemap: https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/sitemap.xml

Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
Affichage des articles dont le libellé est L'Avenir. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est L'Avenir. Afficher tous les articles

02 octobre 2022

Économies chez IPM : pour croître, acheter ne suffit pas

IPM a-t-il vu trop grand et grandi trop vite ? Les plans d'économies 2023 que la direction a présentés à deux branches du groupe démontrent que, avec la crise, ses finances ne sont peut-être plus à la hauteur de ses ambitions.

Dans un post sur ce blog, en juillet 2020, nous nous demandions si, avec l'absorption du groupe L'Avenir, face à Rossel, IPM n'était pas "la grenouille" qui se voyait aussi forte que le bœuf, ou "le roseau" qui, contrairement au chêne, pliait mais ne se rompait pas.

Selon Belga, la semaine dernière, le groupe bruxellois a annoncé à ses deux principales branches de presse (L'Avenir et IPM) la mise sur pied pour chacune d'elles en 2023 d'un plan d'économies d'un million d'euros chacun. Motifs : les hausses de coût des matières premières, de l'énergie et les indexations salariales. Selon Belga repris par plusieurs médias (1),  la direction aurait aussi dénoncé « la fragilité du secteur médiatique, qui est en perte de lecteurs et d'abonnés ». 

Si l'on ne peut nier que toute l'économie souffre à l'heure actuelle des hausses de prix et des salaires, justifier un plan d'économies en 2023 sur base du dernier argument évoqué (l'état du marché des médias) peut paraître étonnant, tant les éléments avancés à ce propos sont, au moins en partie, endémiques au secteur. 

L'AVENIR EN MIRE ?

Ce n'est pas d'hier que les médias écrits sont à la recherche d'abonnés payants, essentiellement sur le numérique.  Mais alors que par le passé "abonnement" signifiait "sécurité", la volatilité des abonnés numériques met à mal ce principe (voir les chiffres 2021 analysés précédemment sur ce blog, et dont les tendances ont dû se confirmer début 2022). La perte de lecteurs, s'il s'agit bien de cela, est plus étonnante, les médias écrits s'étant toujours félicités davantage du nombre de personnes qui les "lisaient" (selon ce que le CIM met derrière le mot "lecteur") que de leur diffusion payante.

Entre les lignes, il semble que ces critiques visent surtout la branche L'Avenir du groupe IPM qui, effectivement, ressent de grandes difficultés à faire croître son numérique payant et dont le lectorat, vieillissant, ne connaît pas le même remplacement par de jeunes générations que d'autres titres du groupe. Et ce malgré les efforts entrepris depuis son arrivée par le nouveau rédacteur en chef du titre namurois.

ÉCONOMIQUE OPTIMUM ?

Face au colosse Rossel, IPM a depuis dix ans comme objectif de bâtir autour de ses deux titres historiques une véritable entreprise multimédiatique, visant à atteindre "l'optimum économique" grâce au rachat de divers médias. Alors que son concurrent de la rue Royale devenait copropriétaire de RTL Belgique (et que personne ne s'y opposait, contrairement à ce qui vient de se passer en France), IPM ne pouvait faire autrement qu'encore veiller à accroître sa taille. La reprise de LN24 s'inscrira clairement dans ce cadre.

Mais voilà. Tout a un prix. Et si celui-ci paraît abordable en temps d'eaux calmes, lorsque la tempête se lève, tenir haut les voiles devient tout à coup plus problématique. Le groupe IPM s'est félicité depuis plusieurs d'années avoir dépassé la période où il manquait de cashflow. Il a aussi disposé de davantage de moyens grâce à ses investissements dans les jeux et paris en ligne, même s'il a réduit ses participations dans ce secteur (et même si on peut toujours s'interroger sur les rapports entre une mission d'information et la promotion de jeux  de hasard).

MAUVAIS SOUVENIRS

À trop tirer sur la corde, celle-ci ne risque-t-elle pas de finir par se rompre ? IPM n'est est point là, mais l'apparition de programmes d'économies, qui rappelleront des souvenirs pas toujours agréables à ceux qui ont connu le groupe dans les années 1990, font en tout cas poindre l'oreille. D'autant que les solutions de réductions de dépenses dont parlent les dépêches Belga paraissent assez proches de celles que le groupe avait déjà mises en œuvre par le passé. Travailler plus sans gagner plus, ou travailler moins en gagnant moins. « Il n'est pas […] question de licenciement collectif », affirme une source syndicale dans une dépêche Belga. Mais cela veut hélas pas dire qu'il ne soit pas question de licenciement individuel.

Malgré les ouragans, IPM n'a jamais disparu, et ne disparaîtra pas de si tôt. Mais à quel prix ?

Alors que la crise n'a pas encore dit son dernier mot, il y a gros à parier que les pouvoirs politiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles vont eux aussi être interpellés à propos de ces plans. Et il n'est pas peut-être pas exclu, en toute logique, que la ministre compétente envisage d'ouvrir une nouvelle fois son portefeuille. Au nom du sauvetage du (très relatif) pluralisme des médias dans notre Communauté.

 Frédéric ANTOINE.

 

(1) Notamment: www.rtl.be/info/monde/economie/medias-un-plan-d-economies-d-un-million-d-euros-egalement-presente-chez-ipm-1405695.aspx?dt=15:54

31 décembre 2021

En 2021, la presse a sauvé la télé


2021 restera comme l'année du grand bouleversement des structures de propriété des médias de Belgique francophone. Avec cette incroyable particularité d'avoir vu des entreprises de presse se porter au secours de l'audiovisuel. Alors qu'on les croyait moribondes.

 Presque morte la presse écrite? Cela fait des années qu'on le dit. Mais pourtant, ce sont ces bons vieux éditeurs de journaux de grand-papa qui ont, en 202,  redonné un futur à des médias qui semblaient être leurs concurrents. 

Fin juin, Rossel (accompagné de DPG Media) annonçait avoir, avec 250 millions d'euros, raflé la mise pour le rachat de RTL Belgium, principal acteur de l'audiovisuel privé dans le sud du pays. Le plus grand groupe de presse devenait ainsi encore plus dominant sur le marché. 

Le 1er janvier 2021 prenait officiellement cours le rachat des Éditions de l'Avenir et de leur branche magazines par IPM, qui entrait ainsi dans la cour des grands. Mais l'éditeur de La Libre et de La DH n'avait pas dit ainsi son dernier mot. Ce 22 décembre, il devenait aussi officiellement l'actionnaire de référence et « l'opérateur industriel » de LN24, la fragile chaîne de tv all-news dont tout le monde avait prédit le crash dès la naissance, à l'automne 2018.

 DANS DES VIEILLES MARMITES

Les vieux médias en ont de la sorte sauvé de plus jeunes, en les faisant entrer dans des structures entrepreneuriales historiques reposant sur la production d'informations. LN24 trouve ainsi une place dans un groupe, ce qui lui manquait grandement. L'acquisition de l'Avenir par IPM pouvait se lire dans la même perspective : précédemment, au sein de la nébuleuse Nethys, le secteur « presse » était un électron libre, une danseuse acquise pour des raisons politiques par un conglomérat public. Celui-ci avait bien promis des rapprochements entre ses pôles télécommunications et presse, mais il ne les réalisera jamais, tant ces deux mondes sont étrangers l'un à l'autre. 

Le débarquement des tv et des radios de RTL dans la très journalistique entreprise Rossel ne se justifie pas trop par la même raison. RTL Belgium était déjà une entreprise intégrée, qui n'avait pas besoin d'un chaperon lui permettant de gérer sa vie. Rossel, par contre, rêvait de longue date de s'offrir une branche télévision. Pour choisir les meilleures séries et les télé-réalités les plus dignes des lecteurs du Soir et de Sud Info ? Pas vraiment. L'animation radio, le divertissement tv et la presse, ce n'est pas tout à fait la même boutique. Rossel en avait déjà fait l'amère expérience. Alors que, du côté de DPG Media, tv et radio commerciales, on connaissait cela plutôt pas mal.

Par ailleurs, comme on l'a écrit dès l'annonce de cette absorption, RTL Belgium représentait surtout pour ses acquéreurs un acteur important du secteur publicitaire, surtout via sa filiale IP. En faire tomber les recettes dans la poche de Rossel (et aussi, sinon surtout, de DPG Media), était du plus grand intérêt.

L'ANNÉE DE IPM 

 

Quoi qu'il en soit, la plus grande surprise de ces derniers mois aura été la rapide montée en puissance de IPM, longtemps considéré avec une certaine condescendance comme le Petit Poucet des entreprises médiatiques belges. Et dont les développements récents dans divers secteurs extramédiatiques (voyages, paris en ligne, assurances…) n'avaient pas rassuré sur les réelles intentions de se positionner comme un bastion du monde de la presse et du secteur de l'info.

Il semble toutefois que, pour IPM, ces investissements parfois sujets à questionnements étaient moins des fins en soi que considérés des leviers stratégiques (ainsi que le prouve notamment le léger désinvestissement opéré en 2020 par l'entreprise dans la société Sagevas). Ils devaient, peut-on aujourd'hui penser, lui permettre de trouver le moyen d'augmenter les ressources grâce auxquelles elle pourrait se développer dans le secteur des médias.

 
C'est grâce à cela que IPM a eu la possibilité de candidater auprès de Nethys pour la reprise de l'Avenir en 2019. Pour la première fois depuis des années, le revenu net du groupe IPM pour l'année 2018 avait été bénéficiaire (+ 1.636.206 US$), et il en sera de même en 2019 (+ 4.139.728 US$). Maja, holding faîtier du groupe (luxembourgeois) SA d'Informations et de Productions Multimedia, était alors lui aussi dans le vert. Rien ne s'opposait donc à faire grossir IPM dans la presse régionale et magazine. 
2020 sera, comme en s'en doute, moins profitable pour le groupe… mais pas catastrophique. Cette année se soldera chez IPM Group par un bénéfice net de 2.439.146 US$, soit ± 40% inférieur à 2019, mais un bénéfice tout de même, malgré la pandémie. Quant au holding Maja, il sera moins heureux. Il terminera l'année avec un déficit de 281.553 US$. Une des raisons pour lesquelles IPM n'a pas mis totalement la main sur LN24 il y a quelques jours ?

En effet, sous la coupe de IPM, LN24 conserve, au rang de petits actionnaires, ses partenaires d'origine, à l'exception d'un des fondateurs de la chaîne, qui avait mis ses maigres économies en jeu dans ce pari risqué [pour mieux lire le tableau à ce propos, il suffit de cliquer dessus]. 
Lors du rachat de l'Avenir, l'éditeur de presse bruxellois avait aussi accepté une entrée dans le jeu de la fameuse coopérative créée au sein du groupe namurois au plus fort de sa crise. Une part symbolique du capital lui avait été accordée. 
IPM aime les symboles, illustration de sa volonté de ne pas (trop) marquer sa toute-puissance. Pourra-t-il poursuivre sur cette lancée? Une de ses 'nouvelles' sources de revenus, sa participation dans la société Sagevas, n'était pas en bonne forme récemment. L'entreprise avait terminé l'exercice en perte en 2019 et 2020. On ne sait bien sûr pas encore ce qu'il en fut en 2021.
Par contre, Turf Belgium tient la forme. Le bénéfice annuel de cette société de paris est passé de 42.000 US$ en 2018 à 326.000 US$ en 2020. Et les paris sur les chevaux ont dû aller bon train lors des confinements de 2021…

IPM a donc peut-être encore de la marge pour croître dans le futur. Et rêver de devenir un jour (presque) aussi grosse que Rossel ?

Frédéric ANTOINE.

31 mars 2021

CÔTÉ DIFFUSION, LA PRESSE QUOTIDIENNE SORT ENFIN LA TÊTE HORS DE L'EAU

Bonne nouvelle pour les quotidiens francophones belges: quatre d'entre eux ont affiché des ventes en hausse en 2020. Grâce au numérique. Le Soir devient même le premier journal du sud du pays. Le covid a sûrement infecté positivement ces résultats. Mais, dans le paysage de la presse quotidienne, tout n'est pas rose pour autant.

Le CIM vient de divulguer les seuls chiffres que les éditeurs de presse tolèrent encore de rendre publics côté diffusion. Ces données "déclarées" par les entreprises de presse ne sont pas encore authentifiés par le CIM. Mais l'expérience montre que la différence entre les deux est en général minime.

Coté diffusion totale payante (DTP, qui regroupe les ventes "papier" et "numérique"), deux titres affichent clairement en 2020 une santé meilleure qu'en 2019: Le Soir, qui augmente ses ventes de 12.500, et La Libre de 5.000. L'Écho est aussi en légère hausse. Ces trois titres représentent le créneau "presse de qualité" du paysage du sud du pays. Les données actuelles donnent aussi La DH une très légère hausse, mais il faudrait plutôt parler de statuo quo. Il y a par contre deux titres qui continuent à baisser: Sud Presse (moins 4.500) et, surtout L'avenir (perte supérieur à 6.000). Au total, la diffusion payante des tous nos quotidiens se montre dès lors en hausse 7.500 ventes de par rapport à 2019.


 
Revanche vespérale

Autre nouvelle de poids: la hiérarchie entre les journaux est chamboulée. Longtemps, le quotidien ayant la diffusion payante la plus importante fut le groupe Sud Presse, suivi par L'avenir. Ces dernières années, cet ordre avait été inversé: L'avenir était passé devant son concurrent namurois. Cette fois, Le Soir surpasse tout le monde, et le sprint ne concerne pas la conquête de la première place, mais la deuxième, où L'avenir l'emporte là d'une courte tête sur Sud Presse. C'est une vraie révolution: le journal le plus vendu en Belgique francophone n'est désormais plus un titre populaire ou régional mais… un quality paper. Chose qu'on ne retrouve pas sur beaucoup de marchés dans le monde, où le titre le plus vendu est souvent un régional. Ou, comme en Flandre, un popular newspaper ayant aussi une forte assise régionale. Quelle fierté d'être Belge francophone, Fédération où c'est la qualité qui est maintenant en tête!

Là ne réside pas la seule originalité de ces chiffres 2020. Si l'on ne prend plus seulement en compte les ventes, mais l'ensemble de la diffusion (donc, aussi les exemplaires papier distribués gratuitement) on assiste à un autre petit chamboulement. Depuis des années, la Belgique francophone avait comme particularité (parmi d'autres) d'être un de ces pays où un titre de presse gratuite possédait une diffusion plus importante que n'importe quel titre payant. Eh bien, cela aussi appartient au passé. Désormais, là aussi, c'est Le Soir qui occupe la première place sur le podium. Metro n'est plus que numéro deux.



Bien sûr, ce classement concerne tous les types de diffusions papier et la seule diffusion numérique qui soit comptabilisable, c'est-à-dire celle qui est payante. Metro étant gratuit, il ne peut compléter son score "papier" par un résultat en ligne.

Rebond

Le caractère original de la presse en 2020, année "originale" aussi pour bien d'autres raisons, se perçoit mieux quand on l'inscrit dans la durée. Depuis dix ans, les diffusions payantes des titres ne cessaient de chuter, ce qui avait notamment poussé les éditeurs à devenir de plus en plus discrets à leur égard, et à chercher à mettre en avant les données d'audience, toujours croissantes, plutôt que celles de leur diffusion, toujours en baisse.


Pour plusieurs titres, le fond de la piscine a été atteint vers 2018-2019. Comme nous l'écrivions il y a un peu moins d'un an dans un des articles de ce blog, un léger frémissement semblait se manifester en 2019. Ainsi que le montre le graphique, l'inversement de tendance des courbes est clair en 2020 pour deux titres (Le Soir et La Libre), et La DH semble avoir stoppé sa descente. Par contre, après une période de stabilisation, les ventes de Sud Presse ont recommencé à chuter. L'Avenir, enfin, est depuis plus de dix ans sur une pente douce de perte de ventes, mais la celle-ci s'est infléchie vers le bas l'an dernier. La presse régionale et populaire reste donc en perte de vitesse. En partie parce qu'elle éprouve plus de difficultés à se monétiser en ligne.

La chasse est ouverte

Depuis le milieu des années 2010, les quotidiens belges ont ouvert la chasse à l'abonné numérique payant. Après des débuts balbutiants, liés à l'absence de techniques marketing efficaces pour capturer l'abonné, les résultats ont réellement été au rendez-vous en 2019, le tableau de chasse connaissant un bond impressionnant en 2020.

 
 
 Si Le Soir rafle la première place de tous les classements, son pourcentage d'abonnés numériques payants y est pour quelque chose. 56% des ventes du Soir se déroulent désormais de cette façon, soit une hausse de 20% par rapport à 2019. Le qutidien vespéral réalise ainsi un score hors-normes, par exemple par rapport à la presse flamande. Son concurrent quality paper La Libre est à peine moins loin, avec 42% de ses ventes en numérique (+12% depuis 2019). Chose étonnante pour un titre de presse populaire et sportive, qui se vend plutôt au numéro, les résultats de La DH sont, eux aussi, en croissance depuis 2019. Sud Presse, qui avait augmenté sa part numérique de vente en 2019, ne connaît qu'une très faible hausse en 2020. L'avenir, par contre, se trouve dans une configuration dramatique: alors que sa part numérique payante avait crû doucettement d'année en année, elle était déjà sur un plateau en 2018-2019. Et, en 2020, elle a régressé. Au moment où l'on ne cesse de claironner que le futur est au tout numérique, L'avenir paraît rester un vieux dinosaure de l'ère du papier, incapable de décoller vers l'avenir.
 
Virus positif?

Le premier confinement a assurément modifié les habitudes des usagers de la presse, et a amené certains d'entre eux à quitter le papier pour le numérique. 2020 ne semble toutefois pas être une année plus marquée que les précédentes par une réduction des recettes "papier". Les journaux vendent moins d'exemplaires papier depuis des années, et les pentes des courbes de tous les titres évoluent de manière constante. Y compris en 2020.



 
Sauf pour Le Soir, dont les ventes papier ont souvent connu des évolutions plus erratiques, et chutent cette fois de 28% entre 2019 et 2020. Soit près d'un tiers de la diffusion payante print du titre. En comparaison, Sud Presse et La DH ne perdent en print qu'entre 15 et 12%, et La Libre et L'Avenir aux alentours des 5%. Une partie des hausses de diffusion numérique payante est évidemment liée à la baisse de la vente papier. Mais les titres qui gagnent en diffusion payante totale en 2020 dépassent la simple compensation. C'est très clairement le cas pour Le Soir et La Libre, qui (re)trouvent de nombreux nouveaux acquéreurs. Sud Presse, et encore plus L'Avenir non seulement perdent des acheteurs papier rapport à 2019, mais aboutissent aussi au total à une perte de leurs clientèles. Dans le premier cas, assez classiquement, le quotidien populaire ne compense pas son déficit print par un gain en abonnés numériques. Dans le second cas, le régional namurois diminue aussi son nombre d'abonnés numériques. Il est donc perdant sur toute la ligne.

Forçage de chicons?

Que restera-t-il de ce relativement bon crû 2020 à la fin de cette année? On ne peut qu'être admiratif devant le gain d'abonnés numériques du Soir (+17621), de La Libre (+6543) ou de de La DH (+3865). Il faut toutefois préciser que tous ces abonnements ne sont pas de même nature. Comme le précisent cette année les data fournies par le CIM, la part la plus importante des abonnements numériques est de type "replica", ("paid digital replica"), mais il y aussi un autre type, le simple  abonnement numérique au site ("paid Web only access"). 
On peut aussi s'interroger sur la durée des abonnements enregistrés. Sont-ils annuels, ou comprennent-ils tous les abonnements de courte durée proposés à titre promotionnel, voire gratuitement? Dans ces cas, impossible de savoir quel sera leur pérennité, tant on sait l'utilisateur numérique versatile, et pas nécessairement enclin à passer à l'abonnement de longue durée ni à accepter le système de prélèvement automatique par lequel les entreprises de presse essaient de les cadenasser.
On est aussi étonné de ne trouver aucune comptabilisation identifiable des abonnements web au Soir "offerts" par Proximus à ses clients. Partant du fait que c'est l'opérateur de télécommunications qui les offre, et non l'entreprise de presse, ils ont dû lui être achetés. Or, la colonne "paid Web only access" du Soir ne comptabilise que 174 abonnements… A moins qu'ils ne soient en définitive offerts par Rossel, et donc ne figurent pas dans ces data qui, pour le digital, ne communiquent que les données "paid".

Ces chiffres peuvent en tout cas apporter de l'espoir aux deux entreprises de presse de Belgique francophone. La plupart de leurs médias ne boivent plus la tasse. Ou presque. Mais, pour autant, il ne faut pas se réjouir trop vite: la fin du papier n'est pas pour demain. Même si, pour la plupart des titres, les ventes en kiosque ont chuté en 2020 (le virus étant passé par là), le papier représente encore une belle part des ventes des journaux. L'Avenir vend encore plus de 63.000 exemplaires papier chaque jour, et Sud Presse 55.000. Le Soir est à près de 33.000, et La DH et La Libre à 25.000 exemplaires. L'extinction des rotatives n'est donc pas, normalement, à l'ordre du jour. Car ces acheteurs-là sont coriaces. En 2020, ils avaient toutes les raisons de basculer vers le numérique. S'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'ils sont vraiment bien attachés à leur "objet" papier. Et une aussi belle occasion de les pousser de force dans le digital ne reviendra (espérons-le) de si tôt…
On voit donc mal IPM ou Rossel mettre à mort des titres dont une partie substantielle des ventes porte toujours sur des objets physiques. Leurs lecteurs ont de fortes chances de décéder en même temps que les rotatives. Même si le numérique lui permet de sortir la tête de l'eau, la presse va donc devoir continuer encore un certain temps à être entre deux chaises…

Frédéric ANTOINE.

20 mars 2021

IPM PLACE SES JALONS A L'AVENIR

La nomination du nouveau rédacteur en chef du quotidien namurois peut laisser présager la manière dont son propriétaire imagine l'avenir du titre.

Le 15 mars dernier, les médias du groupe IPM ont annoncé la nomination d'un nouveau rédacteur en chef pour le quotidien L'Avenir, devenu officiellement propriété du groupe bruxellois au début de cette année. Le choix de la personne chargée de diriger une rédaction est forcément porteuse de sens. Ce dernier est en effet non seulement désigné pour animer la rédaction, mais aussi pour en orienter les choix éditoriaux, voire pour y mettre en œuvre ceux qui ont été définis par la direction du groupe.

En l'occurrence, le choix opéré par les instances d'IPM peut, peut-être, laisser entrevoir les intentions de la maison-mère à l'égard de sa filiale wallonne, ou à tout le moins pousse à se poser des questions à cet égard.

Du "sérail"

L'option retenue a été celle de doter L'Avenir d'un rédacteur en chef "du sérail". Pas du sérail du groupe L'Avenir, mais du groupe IPM. On n'a pas opté pour la désignation à la tête du journal d'une personne issue de sa propre rédaction, connaissant bien le produit avec ses qualités et ses faiblesses, et ayant vécu les difficiles années que le quotidien vient de connaître suite aux tiraillements entre les journalistes, leur ex-propriétaire et le directeur des rédactions qui, là aussi, avait été parachuté à Bouge.

Mais la personne n'a pas, non plus, été choisie hors du cénacle d'IPM. On aurait pu imaginer que, comme le fit Nethys, IPM se soit tourné vers l'extérieur pour trouver la personne providentielle chargée de booster le quotidien wallon et de l'envoyer sur orbite. Les personnalités brillantes, qui ont déjà piloté des rédactions ou connaissent bien les spécificités de la presse régionale, ne manquent ni en Belgique ni en France, par exemple. 

IPM a donc décidé de choisir en interne un de ses hommes. Nous aurions eu envie d'écrire "un de ses pions", mais la qualification péjorative du terme, que Larousse définit comme "Personne, élément qui ne joue qu'un rôle minime, qui est manipulé, dont on dispose arbitrairement", nous empêche évidemment de recourir à ce mot. Nous n'écrirons pas non plus "une de ses femmes" car ce groupe n'a pas coutume, dans ses activités de presse, d'attribuer à la gent féminine un grand nombre de responsabilités essentielles (1).

Un professionnel de terrain

IPM délègue donc à L'Avenir un de ses hommes. On ne peut y voir qu'une volonté de veiller à ce que L'Avenir s'inscrive bien dans les rails du groupe propriétaire, et ne cherche à jouer cavalier seul. Le passé a en effet montré que la rédaction du titre wallon ne manquait pas de velléités d'indépendance. Il s'agit ici qu'elle reste bien dans les rangs. Ce rôle est la moindre des fidélités que la direction d'une entreprise puisse attendre de la personne à qui elle offre une promotion au sein de son groupe.

Au sein d'IPM, deux choix s'offraient à l'actionnaire. Détacher à L'Avenir un gestionnaire ou un journaliste. C'est ici la seconde option qui a été retenue, et on peut s'en réjouir, car il s'agit bien de piloter une rédaction chargée de produire de l'information, et non d'abord de la gérer. 

Restait dès lors à déterminer d'où viendrait la perle rare. On aurait pu imaginer que l'heureux élu soit issu des rangs de La Libre. Non tant parce que les deux titres partagent le même passé d'appartenance au giron catholique, mais pour la vision qu'ils ont en commun de ce qu'est une information de qualité, originale et exigeante. Le slogan du titre namurois, que son propriétaire a maintenu dans les spots publicitaires diffusés pour l'instant (alors qu'il existe depuis 2015), n'affirme-t-il pas que "L'avenir est au contenu"? Evidemment, La Libre n'a (plus) aucune ambition d'être un quotidien à composante régionale. Cela ne plaidait donc pas en faveur d'une sélection de ce côté.

Le choix s'est donc fait du côté de La DH-Les Sports. Ce quotidien affiche neuf éditions régionales en ligne et sept éditions sur papier. Il s'agit donc d'un titre revendiquant un ancrage dans la presse régionale, ce qui n'est pas sans poser question en rapport avec le rachat de L'Avenir… mais aussi avec la nomination, à la tête de sa rédaction, d'un personne qui occupait le rôle d'adjoint du rédacteur en chef de La DH.

Orienter L'Avenir

Par cette sélection, IPM a-t-il choisi de mettre à la tête de L'Avenir une personne ayant fait une partie de sa carrière dans la presse régionale parce que c'était le moyen d'être le plus en phase avec l'identité de la rédaction du titre namurois? L'idée paraît évidente, même si le curriculum vitae de la personne concernée révèle qu'elle a principalement été active dans l'actualité judiciaire et le fait divers.

D'autres scenarii ne sont-ils envisageables? Le directoire d'IPM entend-il ainsi veiller à ce que L'Avenir pratique dorénavant une locale plus populaire (et donc proche de celles des techniques de La DH), ce qui pourrait permettre de rajeunir (et d'urbaniser) le lectorat d'un titre beaucoup trop confortablement enfoncé dans ses vieilles pantoufles? 

Dans un autre sens, IPM n'aurait-il pas un jour le projet de "dé-régionaliser" la DH, en confiant à L'Avenir seul le pôle local du groupe, mais en mixant dans ses contenus les caractéristiques populaires du titre bruxellois et la localité du journal namurois? Un bon rédacteur en chef serait bien utile dans cette perspective. Dans pareil scénario, on pourrait imaginer que la DH se voie recentrée sur l'info-géné et, surtout sur le sport, et non sur le local.


A l'inverse, le projet final se serait-il pas de bipolariser la couverture régionale du groupe, en distinguant d'une part une locale plus urbaine, plus associée aux faits divers et au judiciaire, qui serait aussi liée aux grands clubs de sports, et serait portée par la DH et, d'autre part, une locale plus semi-rurale, plus traditionnelle, qui resterait l'affaire de L'avenir? Mais faut-il recourir à une nomination interne provenant justement de La DH pour mettre en œuvre pareil projet?

A moins que, au lieu de tout cela, la logique et la rationalité économique, qui prévaut souvent chez IPM, n'amènent à terme à la disparition des deux titres, et à leur fusion dans un projet commun alimenté par les deux produits actuels. La possible disparition à ± moyen terme des éditions papier, qu'annonce de longue date le management d'IPM, pourrait y contribuer. Tout comme elle pourrait aussi, a contrario, aboutir à une disparition de La DH "papier", mais au maintien (au moins temporaire) de L'Avenir sur ce support, en raison du profil de son lectorat.

L'avenir de L'avenir n'est pas encore écrit. Mais, comme mentionné dès le début de ce texte, la délégation sur les hauteurs de la capitale wallonne d'un haut responsable de La DH ne peut empêcher de se poser des questions. Rien que des questions. Sans aucune autre intention.

Frédéric ANTOINE.

(1) sinon dans ses branches marketing et autres activités, où les femmes occupent d'importantes fonctions.

20 janvier 2021

PRESSE RÉGIONALE: IPM DÉCLARE LA GUERRE, ROSSEL RIPOSTE EN SORTANT LA GROSSE ARTILLERIE



ll n’aura pas fallu huit jours pour que les deux groupes de presse quotidienne encore en présence dans le sud du pays se déclarent plus ou moins la guerre avec, comme enjeu, la suprématie définitive sur l’ensemble du territoire wallon.

Dans une interview subtilement publiée par le journal L’Avenir ce 9 janvier, jour officiel du rachat du titre par une coopérative pilotée par le groupe IPM, l'administrateur-délégué du groupe bruxellois déclarait : « Notre ambition, c’est de faire de L’Avenir le leader en Wallonie, sur le marché papier et sur le web » (1). Une phrase qui, dans le titre de l’article, et assurément avec la bénédiction du racheteur, est devenue : « Notre objectif est de faire de L’Avenir le premier titre de Wallonie », ce qui est légèrement différent. Mais qui, dans chaque cas, désigne incontestablement l’ennemi à combattre: Sud-Presse.

Guerre de chiffres

Selon les données CIM actuellement disponibles, et qui se limitent à la mesure authentifiée en 2019, en cumul diffusion papier print payante + diffusion digitale payante, L’Avenir précédait déjà Sud Presse d’un peu plus de 1.900 ventes. En a-t-il été de même en 2020? Les groupes de presse le savent sans doute déjà, mais l’info n’est pas encore publiquement disponible. Partons donc sur l’idée qu’en diffusion payante, L’Avenir est déjà leader. Il n'y a pas là d'ambition à affirmer.

Oui mais voilà, en ce qui concerne le lectorat, l’AIR (Average Issue Readership) Print+Digital de Sud Presse en 2019 était de 611.738 personnes, alors que celui de L'Avenir n’était que de 495.579. En « total reach of total brand », le régional de Rossel était aussi largement au-dessus du nouveau fleuron du groupe IPM.

On sait qu’il ne s’agit-là que d’extrapolations réalisées sur base d’un sondage annuel et reposant sur des éléments déclaratifs, mais quand même: côté lecteurs, Sud-Presse l’emporte bien sur L’Avenir… Un partout donc? Pas tout à fait car, côté lectorat, les deux groupes ne jouent pas sur le même territoire. Sud-Presse comprend un titre bruxellois, La Capitale, alors que L’Avenir ne dispose pas d’édition bruxelloise. Enfin, pas vraiment. En ligne, le quotidien namurois affiche bien, dans son onglet Régions, un sous-onglet « Bruxelles », qui présente quelques informations. Mais, quand dresse l’inventaire des éditions que le quotidien affirme assurer, et qui correspond à sa présence réelle sur le terrain, on a beau chercher : parmi les dix recensées, Bruxelles n’existe pas. Mais il y a, par contre, une étrange édition Wallonie… qui ne figure pas sur la carte dressée par le journal pour illustrer ses zones de couverture.


source: https://www.lavenir.net/extra/services/qsn/presse

Carte blanche

Cette carte marque aussi les « manques » de couverture du territoire belge par le quotidien namurois. Outre le fait que la région bruxelloise n’y apparaît pas, le centre Hainaut y est coloré… en blanc, avec aux extrémités de cet espace sans couleur, des zones hachurées, certaines rattachées à la région de Tournai, l’autre à la Basse-Sambre.

En clair, ces marques signifient qu’il n’y a pas d’édition du journal en Borinage, de Mons à Charleroi, mais qu’une petite couverture (au-delà de Mons) est assurée par l’édition tournaisienne du titre, et que la région de Charleroi est, elle, « surveillée » par l’édition Basse-Sambre. Mais quel Montois se revendiquera jamais d'être du Tournaisis, et et quel Carolo de la Basse-Sambre?

Une situation presque identique se retrouve à l'autre bout de la carte. Là, étonnamment, pas de zone blanche, mais du hachuré sur la Belgique germanophone et une répartition affirmée de la couverture de la province de Liège entre l’édition Huy-Waremme et celle de Verviers, la partie ouest de la région liégeoise étant supposée être couverte par Huy, et l’est par Verviers. Mais, à nouveau, quel Liégeois se définira jamais comme hûtois ou waremmois, ou comme verviétois?

C'est en fait bien connu : il y a deux « trous » dans l’occupation du territoire wallon par L’Avenir : la région du centre et celle de Liège. Ce n’est pas que le journal n’a pas cherché à les conquérir. En 1987, il avait ainsi racheté l’exsangue journal catholique de Charleroi, Le Rappel. Mais, face au rouleau compresseur de La Nouvelle Gazette, l’édition n’a jamais décollé et on a rapidement arrêté les frais. Même scénario en janvier 2005 à Liège, sans rachat de titre cette fois, mais en cherchant d’imposer dans la Cité ardente… une édition locale du Jour de Verviers. Un an et demi plus tard, incapable de concurrencer l’impérial journal La Meuse, les patrons feront mettre clé sous le paillasson sans autre forme de procès (ou d'effort).

La bataille des Bassins

L’Avenir est donc bien absent des deux grands bassins industriels de Wallonie, où règnent en maître les régionaux du groupe Rossel, tous deux jadis rachetés à leurs propriétaires locaux, qui ne cachaient pas être (très) proches des milieux libéraux et réactionnaires de Liège et Charleroi…
L'Avenir n'a jusqu'à présent jamais réussi à être un quotidien d'agglomération. Il s'est toujours imposé dans les villes moyennes, plutôt bourgeoises, ainsi que dans les petites villes et les zones plus rurales. C'est-à-dire là où, jadis, la pratique religieuse était importante (alors qu'elle était morte dans les conurbations industrielles) et où le clergé exerçait un réel pouvoir (ce n'est pas pour rien que les curés étaient souvent les représentants de commerce du titre dans leur paroisse). Si cela n'est plus, ou presque, l'implantation, elle, na pas changé.

La « guerre » pour être le premier titre en Wallonie passera-t-elle par de nouvelles campagnes de conquête des deux sous-régions de la Wallonie industrielle historique? Si c’est le cas, cela demandera à IPM d’importants investissements et beaucoup d'efforts. Surtout que, du côté de Rossel, on semble déjà avoir prévu l’attaque. Pas plus tard que le samedi 16 janvier dernier, le groupe a en effet lancé, à Liège et Charleroi, des « éditions métropolitaines » qui ont comme but de renforcer la présence de Sud-Presse dans les deux agglomérations, en jouant davantage encore sur la proximité. Le rédacteur en chef de Sud Presse a été clair à ce propos, parlant d’une « une étape importante dans cette stratégie gagnante » et présentant ces nouvelles éditions comme « un média encore plus ancré dans la vie des Carolos, des Liégeoises et des Liégeois. Un média qui se pose clairement comme la référence indispensable et utile de la région » ainsi que « un média qui utilise les codes propres à une information métropolitaine dynamique, ambitieuse et moderne, tant sur le digital que sur le print » (2).

IPM n’a donc qu’à bien se tenir. Rossel a sorti ses Grosses Bertha et a tiré ses premières pièces. Assurément, la bataille risque d’être sanglante. Il faut juste espérer qu’elle ne fera pas trop de morts. A moins qu'elle se conclue vite par une "paix des Braves" où, sous forme d'un condominium, les deux groupes décident de se partager le territoire, pour régner seul, chacun sur ses forteresses. Vous avez dit "monopole" ou "duopole"? Non, juste une entente entre partenaires de bonne volonté, évidemment.


Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.lavenir.net/cnt/dmf20210108_01543744/video-francois-le-hodey-ipm-notre-objectif-est-de-faire-de-l-avenir-le-premier-titre-de-wallonie
(2) https://twitter.com/demetrioscag?lang=fr




17 décembre 2020

Le covid de Macron : les Belges aussi étaient sur la balle


10h33, ce jeudi 17 décembre. Relayant un communiqué de l'Elysée, l'AFP annonce qu'Emmanuel Macron a été testé positif au coronavirus. En quelques secondes, les alertes infos s'embrasent…

Il n'aura pas fallu dix minutes pour que la nouvelle se répande à toute vitesse via les alertes infos des applis pour smartphones. Impossible évidemment de faire le tour du monde des applis pour attribuer des prix planétaires à tous les gagnants de cette course de vitesse mais, sur base d'un suivi de médias belges et français ainsi que via l'appli Breaking news qui relaie les alertes des grands médias du monde, on saluera la rapidité de Sud-Info et de 7sur7.be, qui me mettront pas deux minutes à annoncer la nouvelle (et, pour le site de Sud-Presse, pour une fois, sans y accoler un "!"). Soit, sur base de notre petit échantillon (et en faisant confiance à l'horodatage de notre smartphone), pas mieux que Bloomberg, mais aussi bien que BFM Tv, qui se paiera le luxe de lancer deux alertes au cours de la même minute, en passant dans sont tite de "testé" à "diagnostiqué".

On saluera aussi la rapidité de La Libre et de la RTBF, qui coiffent d'une poignée de secondes Le Figaro lui-même, et des spécialistes de l'info continue comme France 24 ou France Info. Sur la contamination du président Macron, y a pas à dire, les Belges aussi sont sur la balle!

Hormis les deux journaux journaux de qualité déjà cités, force est de constater que les autres titres de qualité sont en général, et comme d'habitude, un peu moins rapides à réagir. Le Soir n'enclenchera son alerte que sept minutes après l'info, tandis que Le Monde attendra… onze minutes et Libération… près d'une vingtaine (en ayant l'humour d'inscrire "à chaud" en avant titre d'une info qui, à l'heure de la diffusion de l'alerte, ne l'était plus vraiment) (1). Libé prend ainsi presque autant son temps que le New York Times. On relèvera par contre la relative rapidité de communication du Quotidien du Peuple (People's Daily) de Beijing, et du Times of India, un des plus importants quotidiens dans le monde. Du côté des grandes agences, hormis l'AFP, évidemment hors catégorie, Reuters mettra six minutes à réagir, bien avant l'Associated Press (AP).

Diagnostiquer n'est pas jouer

Côté info, la nouvelle contenue dans l'alerte est en général plus que laconique. Tout en tenant compte du fait que notre échantillon est évidemment partiel, on peut y remarquer que certains médias, essentiellement anglo-saxons, veillent à donner la source de l'info ("la Présidence") alors que les alertes françaises et belges ne se soucient en général pas de ce "détail", à part France-Info. Les variations thématiques sur le contenu portent le plus souvent sur la question de savoir si le président a été "testé" positif ou "diagnostiqué" positif. Selon Le Larousse, le premier verbe signifie "soumettre quelqu'un, un produit, un appareil, etc., à un test". Tandis que le second veut dire "faire le diagnostic d'une maladie, l'identifier d'après les symptômes". En l'occurrence, c'est un test qui a déterminé la contamination du président, même si celle-ci était déjà envisageable sur base des symptômes que manifestaient le malade…

Les sources qui s'étendent dès l'alerte-info sur la mesure d'auto-confinement prise par le président (ou qui lui a été recommandée ou imposée?) sont peu nombreuses, et seul Le Monde apporte une précision temporelle, indiquant que le diagnostic a eu lieu ce jeudi matin. Quant aux raisons qui ont incité à faire le test, rares sont les médias qui les mentionnent dès l'alerte-info. Seules quelques alertes anglo-saxonnes précisent que le président montrait des symptômes de la maladie.

Le, La, ou rien du tout

Enfin, ce petit exercice comparatif confirme que l'unanimité n'est toujours pas de mise sur la manière de nommer la maladie. "Covid-19" est la façon la plus fréquente, écrit parfois tout en majuscules (2), généralement avec seulement un C majuscule, mais jamais tout en minuscules, alors que "covid" est en fait devenu un nom commun… C'est le genre du substantif dans notre belle langue française qui reste un champ de luttes non abouties. Le masculin, pas du tout recommandé par l'Académie (3), l'emporte sur "la Covid". Comme quoi les habitudes journalistiques n'ont cure des recommandations des spécialistes de la langue. En anglais, ces discussions sur le sexe des mots n'ont évidemment pas lieu d'être. Ceux qui veulent y échapper en français ont d'ailleurs, en tout cas dans cette alerte-info, souvent trouvé "la" parade. Ils ne parlent pas de covid mais du coronavirus. Sans mesurer, sans doute, que les deux termes ne sont pas synonymes, et que l'un indique la catégorie générale dans lequel l'autre s'inscrit (4)…

Une vingtaine de minutes après l'annonce de la nouvelle, dans le petit monde des alertes sur smartphones, il était déjà temps de passer à autre chose. A 10h52, BFM TV ne se préoccupait plus de la santé du président, mais de celle de son Premier ministre, "cas contact". Ainsi tourne la roue de l'info. A une alerte doit forcément succéder une autre, puis encore un autre… indéfiniment…

(1) Sur internet, l'article de Libération date son info de 10h45, soit 12 minutes après l'annonce, mais moins que la vingtaine de minutes précédant la mise en ligne de l'alerte…

(2) Cette nuance n'a pas été reprise dans le tableau ci-dessus. 

(3) "On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie (…) Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien" (http://www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19)

(4) Selon Le Robert, le coronavirus est un "genre de virus à ARN responsable d'infections respiratoires et digestives chez plusieurs espèces de mammifères dont l'être humain"

22 octobre 2020

Admise ou transférée ? Quand le récit prend la place du fait

Admission à l'hôpital : définition - docteurclic.comBranle-bas de combat médiatique ce jeudi 22 au matin : l'ancienne Première ministre, hospitalisée, est en soins intensifs. L'info tombe via un média, et la presse francophone dégaine à son propos la traditionnelle formule magique "admise en soins intensifs". Admise, vraiment?

Une bonne demi-heure. En gros, c'est ce qu'il aura fallu pour que la présence de la ministre des Affaires étrangères en soins intensifs fasse le tour des médias belges. La première trace de l'info (voir tableau chronologique ci-dessous) apparaît horodatée de 10h26 sur les sites de deux médias flamands, dont celui de la VRT qui est à la source de la nouvelle via un contact avec le porte-parole de la ministre, et au même moment sur celui de Sud-Info. 

Le site du groupe Sud-Presse, fidèle à son habitude, ponctue son titre, qui indique seulement la présence de la femme politique dans ce service médical, d'un point d'exclamation : "Atteinte du coronavirus, Sophie Wilmès est aux soins intensifs!". L'article précise que RTL avait annoncé sa présence à Delta dès le mercredi, et le sous-titre ajoute que, selon la VRT, l'état de l'ancienne Première ministre est stable. Dans leurs titres, les deux médias flamands utilisent la formule "op intensieve zorg", littéralement "en soins intensifs".

Deux minutes plus tard, la langue de Vondel joue davantage dans la nuance au Standaard, pour qui Mme Wilmès "ligt op intensieve zorg", que l'on traduira tout de même aussi par "est en soins intensifs", le verbe précisant ici l'état allongé dans lequel se trouve évidemment la patiente n'ayant pas de pertinence dans la langue de Victor Hugo.

Même prudence factuelle une minute plus tard dans La DH, qui la présente dans son titre comme "hospitalisée en soins intensifs". Appartenance au même groupe de presse oblige, La Libre sort l'info exactement à la même heure. Mais indique, elle, l'ancienne Première "admise" en soins intensifs. Belle formule que nous fournit-là la langue de Voltaire. Au point d'en faire une tournure entrée dans le français courant. Mais est-ce la même information que précédemment? Les premiers médias communiquant la nouvelle se contentaient de dire : Mme Wilmès "y est". Ici, on évoque son admission. "Admettre", écrit Larousse, c'est "Laisser à quelqu'un, à un animal le passage ou l'entrée quelque part". Et, "être admis", c'est (assez paradoxalement dans le cas présent) "Avoir satisfait à certaines épreuves d'un examen ; être reconnu apte". Plus proche sans doute de la réalité, la définition du "dictionnaire.sensagent.leparisien.fr" parle, lui, d' "accepter de recevoir quelqu'un". 

Formule consacrée

Pour les médias, la formule est comme consacrée. En avril dernier, lorsque Boris Johnson avait subi le même mauvais sort, Le Parisien, par exemple, avait titré "Boris Johnson admis aux soins intensifs" (07/04). Mais, a contrario, Le Figaro avait, lui, écrit "Boris Johnson transféré aux soins intensifs" (06/04). Nuance.

Le subtil usage du participe passé 'admise', employé ici dans un condensé de voie passive, permet (ou ne permet pas) d'indiquer quand a eu cette admission. Au moment où tombe l'alerte sur les smartphones ou que paraît le premier papier bref sur le site web, la malade vient-elle d'être admise, est-elle admise, ou a-t-elle été admise (et depuis quand)? Et où était-elle avant? Impossible de le savoir. "Admise" laisse supposer au lecteur que la ministre a dû être amenée d'urgence à l'hôpital ce jeudi matin. Or, elle y était dès la veille…

Pour les très nombreux médias qui utilisent la formule, le récit commence au moment où l'info paraît. Et, évidemment, se vit au temps présent. Comme si cette admission-là faisait débuter l'histoire, alors que la malade avait été hospitalisée la veille…

Où est donc vraiment l'info: dans le fait qu'elle vient d'être admise? Ou dans le fait que l'on apprend qu'elle se trouve dans le service? Admission et administration de soins sont-ils synonymes, et chronologiquement concomitants?

Qu'importe, pourra-t-on dire. Inutile de couper les cheveux en quatre. A chacun de comprendre la nouvelle comme il le veut. Ce qui compte, c'est que c'est grave.

Mais est-ce aussi simple? Sur le fond de la nouvelle, ce n'est pas vraiment la même chose. Dans le cas présent, le "transféré" utilisé pour Johnson par Le Figaro n'eût-il pas été plus séant, approprié, et correctement informatif? Mais peut-être moins tentant pour faire mouche…

Le sens de la formule est une belle chose. Mais est-ce le cœur du journalisme?

Frédéric ANTOINE


 

 


14 octobre 2020

Mort de Poximag: de poule aux oeufs d'or à « poule de luxe »


« Proximag, c'est fini », annonçait L'avenir le 8 octobre dernier. La fin annoncée du réseau wallon de toutes-boîtes est aussi la confirmation de la fin d'un monde. Qui laisse à Rossel main libre sur ce marché.
 
Un communiqué de son propriétaire, Nethys, relayé par l'Agence Belga, a rendu publique la décision de mettre fin à l'édition du magazine toutes-boîtes édité par L'Avenir Advertising, composante du groupe L'Avenir qui n'avait pas été reprise par IPM lors du rachat de l'essentiel des activités de l'entreprise namuroise, en juillet dernier.  
 
Le choix d'IPM de ne pas se charger du fardeau Proximag (ainsi que de la régie publicitaire interne du groupe) signait déjà l'arrêt de mort de la publication: qui allait encore pouvoir être intéressé par un magazine gratuit qui, au lieu de gagner de l'argent, ne faisait qu'en perdre? 
 
Les bilans annuels de la société sont édifiants à cet égard: depuis 2009, L'Avenir Advertising (ou les sociétés antérieures concernant la même activité [1]) n'a été bénéficiaire qu'à deux reprises, au temps où il éditait le toutes-boîtes Passe-Partout. Depuis 2016, sous le régime Proximag, les pertes de l'entreprise n'ont cessé de croître année après année (2].
L'Avenir Advertising ne se préoccupe pas seulement de l'édition du toutes-boîtes, mais les bilans annuels de la société regorgent de rapports qui montrent du doigt le magazine toutes-boîtes comme étant la cause des mauvais résultats de la société. Dans les bilans, les commentaires des administrateurs affirment à chaque fois que leur copie sera revue l'année suivante et que l'équilibre sera alors atteint. Les chiffres, hélas, n'ont jamais confirmé ces affirmations optimistes.
 
Obsolète

 Comme l'a déclaré Nethys, sa décision s'explique par "la situation financière de l’entreprise et le fait qu’il ne semble plus exister de modèle économique pour la presse périodique gratuite 'toutes-boîtes'". Celui-ci reposait sur un financement par la publicité régionale et locale, mais aussi, dans une grande mesure, par la publication des petites annonces. Un business qui a été un des premiers à migrer du papier vers l'internet. Sur ce média virtuel, les concepteurs de sites d'annonces en tous genres qui, dans la plupart des cas, n'ont rien à voir avec le monde des médias classiques, n'ont cessé de faire fortune. La disparition de Proximag n'est donc qu'un épisode d'une chronique d'une mort annoncée. Un décès face auquel les éditeurs de presse ne sont pas totalement irréprochables. Si, in tempore non suspecto, ils avaient pris le train de l'internet pour la commercialisation de leur business de petites annonces, le fameux 'modèle économique' évoqué par Nethys aurait sans doute adopté une autre configuration. Mais voilà. Déjà qu'ils avaient loupé le modèle de la presse en ligne payante en misant naïvement sur une presse en ligne en accès gratuit, i ne pouvaient pas non plus imaginer que leurs chers toutes-boîtes auraient un jour une fin…

Labeur

En effet, aux heures de gloire de la presse papier, les toutes-boîtes n'étaient pas seulement un moyen de récolter une importante manne publicitaire. Ils permettaient aussi de réaliser cette opération à coût très bas, puisque, dans ce type de publication, le contenu rédactionnel, souvent consacré à de l'infra-locale, est fort réduit, et produit à peu de frais. Et puis, sinon surtout, les toutes-boîtes permettaient l'utilisation des imprimeries de presse en mode 'labeur', ce qui représentait une formidable opportunité de rentabilisation d'un outil lourd ordinairement sous-exploité, puisque ne travaillant autrement que la nuit, pour l'impression des quotidiens.

Avec des coûts de production faibles et des recettes commerciales à n'en plus finir, les toutes-boîtes étaient hyper-rentables. Seule leur diffusion dans chaque boîte aux lettres du Royaume représentait un investissement réellement important. Ce qui explique que ces périodiques ont, souvent, contribué à rééquilibrer les comptes d'entreprises de presse où les coûts de production des 'vrais' médias (les journaux) dépassaient parfois les rentrées provenant des ventes et de la publicité (le fameux 'marché biface' de la presse).

Fin d'une histoire

Depuis le début des années 2000, cet âge d'or a disparu. Les formats des pages se sont réduits, leur nombre a diminué, la diversité des éditions locales a été rabotée. Proximag avait même fait le choix de réduire sa périodicité de diffusion dans ses zones les moins rentables. Les toutes-boîtes ont fini par coûter fort cher. Comme une « poule de luxe »…
 
Ainsi disparaît ce média qui était déjà l'héritier d'un très vieux modèle de presse: celui de l'annonceur local. Le micro-titre conçu, à l'époque où il n'y avait que de l'écrit, par les imprimeurs du village, et comprenant des petites nouvelles en tout genre (donc aussi des annonces commerciales ou privées). Même si, longtemps, ces publications ont conservé leur titre original, bon nombre ont finalement été cédées. D'abord à des éditeurs régionaux, puis à des groupes plus importants. L'apparition des chaînes de toutes-boîtes signifiait déjà l'industrialisation de ce processus éditorial, qu'il ne devait plus rentable d'exploiter à la simple échelle d'une localité d'une petite région. Aujourd'hui, le village global aura fini par en avoir raison.

Enfin presque. En Belgique francophone, le Vlan du groupe Rossel (et sa cinquante de variantes d'intitulés) résiste, et reste désormais seul dans le créneau. Jouant à la fois sur des versions en ligne et papier et sur un accès premium, il occupera désormais tout le terrain. IPM a fait ainsi un beau cadeau à son concurrent, à qui il avait aussi jadis cédé son propre toutes-boîtes : Belgique N°1.

Frédéric ANTOINE.

[1]: Jusqu'en 2010, la société se dénomme Passe-Partout, du nom du toutes-boîtes éponyme des Editions de L'Avenir. Elle s'appellera ensuite Corelio Connect Sud avant de devenir L'Avenir Advertising. 

[2] Le cas de 2013, où l'entreprise subit une très forte perte de plus de 22.000.000€, doit être considéré comme atypique, car il constitue le moment de la séparation de Corelio Connect en deux branches et du rachat de la branche sud par Nethys.




01 octobre 2020

Sa Majuscule le roi




On l'aura lu, ces derniers jours, le mot « roi » dans les médias belges ! Mais avec d'étonnantes variations entre Roi et roi. Comme si, parfois, la presse ne savait plus à quel souverain se vouer. Un jeu MAJ à min qui implique plus qu'un simple rapport aux conventions d'écriture.

Alors, écrit-on le Roi ou le roi ? Ou les deux ? Pour le vieux prof auteur de ces lignes, qui s'est échiné pendant des années à enseigner les conventions de l'écriture journalistique, la question relève un peu du toc. Et interpelle d'autant plus que, alors qu'on s'était appliqué à faire entrer quelques règles dans la plume d'étudiants en bachelier, il apparaissait souvent que, une fois arrivés en master, ceux-ci les rangeaient vite fait au fond d'un tiroir. Et ce sans que personne, parmi les éminents professionnels chargés de les encadrer, n'y voient quoi que ce soit à redire. Mais que soit…

Le survol rapide des écrits médiatiques publiés ces derniers jours à propos de l'usage du bas-de-casse ou du haut-de-casse pour désigner un souverain en constitue un bon exemple. 

Le (R)roi Philippe

De manière générale, lorsqu'il s'agit d'associer le substantif roi au nom d'un personnage connu, la plupart des journalistes appliquent la même règle : ils laissent roi débuter par une minuscule. On désigne ainsi généralement dans les médias le roi Philippe, comme on écrivait hier le roi Albert, sur base de la convention selon laquelle roi est alors un nom commun accompagné d'un nom propre.

On notera tout de même que cette convention, assez bien appliquée dans les médias, n'est pas de mise dans tous. Ainsi trouve-t-on par exemple la phrase « Un des exemples "extraordinaires", comme l'a décrit le Roi Philippe » (RTL Info, 02/09) ou, il y a quelques mois : « Le Roi Philippe s'adresse aux Belges » (RTBF, 16/03). Une insistance peut-être destinée à (re)dorer la couronne du monarque ?

Le (R)roi des Belges

La question se corse un peu si l'élément qui suit roi n'est pas son nom mais une autre manière de le désigner, par exemple en définissant de quoi ou de qui il est le souverain. Dans ces cas-là aussi, l'usage normal est de garder la minuscule. Mais, sans doute dans l'intention de bien faire, certains médias peuvent ne pas être avares de majuscules, comme dans ce « Canvas (VRT) revient sur l'enfance loin d'être rose du septième Roi des Belges » (La Meuse, 28/09). A moins que, plus simplement, ces médias ne sachent pas vraiment comment faire. Sans trop chercher, les deux versions de la graphie peuvent ainsi se retrouver  dans une même publication : « Si j'étais le roi des Belges, je prononcerais l'allocution suivante » (La Libre Belgique, 29/01) et « Une première pour un Roi des Belges en fonction. » (La Libre Belgique, 30/06). A chacun de choisir la formule qu'il préfère… Parfois, on pourra même mettre la main sur un beau doublé : « Leopold II était avant tout le Roi des Belges, tout comme le Roi Philippe. » (RTBF, 12/06). Si l'on convoque une fois la majuscule, pourquoi pas deux…

Le roi tout court

Cela devient plus compliqué, quand le roi n'est pas accompagné. Et dans l'écriture, la chose est plus rare que dans la vie réelle. C'est là que les choses commencent vraiment à se discuter. En effet, la règle générale, qui est celle que l'on essaie d'abord d'inculquer dans les Ecoles, est d'appliquer ce que recommandent la plupart des auteurs, à savoir que « les noms de fonctions, titres et charges civiles sont toujours en minuscules » (1), ou autrement dit, que « les titres de civilité et titres de fonction prennent la minuscule lorsqu'on parle de quelqu'un » (2). On s'efforce ainsi de faire auprès d'étudiants trop formatés la chasse aux Prince, Ministre, Pape, Cardinal, Recteur, Député et autres Empereur que la nature humaine, par essence trop modeste (ou un peu servile), a toujours tendance à porter au pinacle.

Roi n'échappe pas à la règle. Il n'a donc, en principe, pas droit à être élevé au rang de capitale. Et, dans la presse francophone belge, un groupe de quotidiens applique cela avec rigueur. En toutes circonstances et avec une belle constance, L'Avenir laissera le monarque débuter par du bas-de-casse. Le 06/09, il titrera par exemple : « Elia et d’autres «héros du Covid» reçus au palais par le roi ». Parlant de la crise politique, le 21/09, il explique : « Ceux-ci ont remis leur démission, qui a été refusée par le roi. » Et le 1er octobre, il mentionne que : « Ce matin, les ministres prêtent d'abord serment devant le roi: ils jurent fidélité au roi. »  Le souverain est un personnage public, voir un (simple) homme (ou un homme simple), comme les autres. Inutile donc l'élever sur les autels en l'affublant de majuscule.

Le Roi tout court 

Sur le petit sondage réalisé ces derniers jours, L'Avenir est le seul à agir de la sorte. A l'opposé, et avec la même constance, un autre titre a opté pour la radicalité majusculaire : dès qu'il s'agit d'un roi bien précis, et en l'occurrence celui des Belges (3), la personne désignée par le substantif roi y débute toiujours par une lettre capitale. Le Soir déroge ainsi à la règle générale. Est-ce se référant aux usages tolérés par les spécialistes dans des cas précis et explicités ici : « Lorsque, dans un texte particulier, le titre prend la place du nom du personnage qui le portait et sert à désigner, sans confusion possible, le personnage historique, on peut alors l'écrire avec une majuscule. » (4) On notera, comme le confirme cette autre recommandation, que cet usage est une possibilité, et non d'une obligation  : « Lorsque ce mot est employé seul, sans ambigüité sur la personne et selon le contexte, il peut prendre valeur de nom propre et la majuscule qui sied. »  (5)

La pratique du quotidien vespéral est si constante qu'elle ne nécessite pas d'exemplification. Elle est aussi de mise chez Sud-Presse (Sud-Info), mais souffre là de quelques omissions où, sans qu'on sache trop pourquoi, roi supplante Roi (par exemple, le 21/09 : « en marge de la réunion des préformateurs fédéraux avec le roi », ou le 01/10 : « Visiblement ému, celui que le roi avait nommé co-formateur aux côtés d'Alexander De Croo, a rappelé le travail accompli »). On retrouve le même usage de la majuscule à L'Echo, même si, parfois, les deux types de caractères sont exploités à fort peu de distance. Ainsi, par exemple, le journal a écrit le 21/09 : « a déclaré le préformateur Conner Rousseau après que le roi ait refusé sa démission et celle d'Egbert Lachaert »… alors l'article en question est lui-même titré de la manière suivante :  « Le Roi refuse la démission des préformateurs ». Nuance difficile à comprendre… 

Roi tout court et roi qui court

On retrouve cet usage majoritaire de la majuscule mâtiné de recours sporadiques à la minuscule dans d'autres publications de presse, sans toujours en saisir la substantifique raison.

Sans doute respectueuse de sa mission de Service Public et de son rapport à l'Etat, la RTBF utilise plutôt la majuscule, comme dans : « Les nouveaux ministres du nouveau gouvernement belge ont prêté serment ce matin chez le Roi » (01/10). Mais, quelques minutes plus tôt le même jour, le même site d'informations avait écrit : « Ludivine Dedonder, comme les autres ministres prêtera serment ce jeudi à 10h devant le roi. » Entre 'chez' le Roi et 'devant' le roi, seul le linguiste appréciera l'épaisseur de la différence.

La Libre Belgique, loin de renier pas son histoire monarchiste, choisit en règle générale de doter le monarque d'une couronne à lettre capitale ( « Le Roi refuse la démission des deux préformateurs: ils ont deux jours pour rétablir la confiance » [22/09]). Mais, parfois le même jour, les deux graphies sont utilisées simultanément. Le 29/09, le quotidien titrera « Quel rôle a joué le Roi dans la crise politique? », mais écrira aussi : « Le roi a tenu lundi, avec les formateurs, sa 36ème audience dans le cadre de la crise politique » et : « Mais le roi peut aussi tenir sa décision en suspens durant quelques jours ».

Même valse-hésitation chez le quotidien-frère de La Libre qu'est la DH. A certains moments, on y utilise la majuscule (« Formation fédérale: les négociateurs tiennent un accord sur le programme, les formateurs se rendent chez le Roi » [30/09]), à d'autres la minuscule ( « cela a permis au roi de nommer des co-formateurs »)… et à d'autres on applique les deux formules dans un seul texte ( « Le rapport fourni au Roi par les co-formateurs a fuité dans la journée de mardi, mais la note finale n’a pas encore été communiquée. Le rapport au roi offre toutefois un bel aperçu des mesures validées par le nouveau gouvernement, » [DH 30.09]).

Côté audiovisuel, RTL Info, comme la RTBF, semble privilégier un Roi majuscule. Mais de temps à autre, il est aussi ramené à la dure réalité des petites lettres. « Egbert Lachaert et Conner Rousseau, ont été désignés préformateurs par le roi. » (06/09) « Le roi est arrivé à l'issue de cet accord. » (16/09) « Lundi, le roi a contraint les actuels préformateurs » (22/09). Retranscrivant l'interview télévisée d'un expert, le 30/09, la chaine privée n'écrira aussi roi qu'en minuscules…

Une communion solennelle ?

De manière générale, une grande majorité de médias aiment affubler le substantif roi d'une majuscule. Y compris les télévisions locales, ou même 7sur7.be. Mais, à certaines occasions, la déférence ainsi de mise disparaît, et on assiste au retour des 'petites lettres'.

Sans doute l'inattention, l'absence de relecture, voire l'inexistence de règles d'usage strictes à l'intérieur de certaines rédactions expliquent-elles, au moins en partie, cette constante hésitation. Mais les moments où cette variation de graphie se manifeste pourrait aussi laisser supposer que les auteurs des textes semblent influencés par ce qu'ils estimeraient l'importance ou la solennité de l'événement dont le monarque est un des acteurs. 

Si le roi intervient peu, voir est simplement évoqué, on pourra avoir tendance à ne pas lui accorder beaucoup d'importance, et rien ne s'opposera à ce que le nom n'ait pas de capitales. Voire, en le laissant en bas-de-casse, on minimisera la place royale. 

Par contre, si le souverain est au cœur de la pièce et y joue un rôle essentiel, la propension à lui concéder un sceptre majuscule sera plus marqué. 

Ces observations ponctuelles devraient évidemment être confirmées par des études sur la distance, et non un focus sur un seul événement. Mais elles démontrent la fragilité des règles et la difficulté que peuvent rencontrer les journalistes à maîtriser leur écriture dans un monde où, certes, on rédige beaucoup. Mais pas nécessairement avec beaucoup de systématisme…

Frédéric ANTOINE.

(1) www.lalanguefrancaise.com

(2) Recommandation de l'Université Laval qui, comme bien d'autres acteurs francophones dans ce pays majoritairement anglophone qu'est le Canada, veille tant que faire se peut à mettre des points sur les i de l'usage de langue.

(3) Selon la formule officielle puisque, rappelons-le, le monarque de ce pays n'est pas roi de Belgique mais des Belges

(4) Selon le correcteur grammatical et orthographique Cordial.

(5) www.question-orthographe.fr

Ce que vous avez le plus lu