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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

30 octobre 2021

LN24 ou LB24?

Ainsi donc, LN24 a entamé des négociations avec IPM afin que cette entreprise en devienne, à terme, l'actionnaire de référence.
Face à Rossel, l'opportunité était trop belle. Mais être la chaîne infos d'un groupe de presse ne modifiera-t-il pas le profil et la légitimité de LN24?

 

 

Parce qu'on fait de la presse, est-on le mieux placé pour devenir aussi un acteur dans le secteur de l'audiovisuel? La question, posée cet été lors de l'annonce du rachat de RTL Belgium par Rossel et DPG, s'applique aussi aux informations actuelles concernant les négociations en cours entre LN24, dont l'état des finances réclame un sauvetage urgent, et le groupe IPM, qui a déjà racheté l'an dernier les Éditions de l'Avenir. Et, à l'analyse, la réponse que l'on a tendance à donner est que, finalement, il n'est pas sûr que les deux métiers soient intimement si proches…

DU JOURNALISME

Approfondissons donc un peu le questionnement : est-ce parce qu'on édite des journaux que l'on peut, aussi, éditer de l'info sous forme de chaîne all news? Là, l'interrogation vise directement IPM et non plus Rossel. L'info ne constitue en effet qu'une des composantes de la nébuleuse RTL Belgium, même si elle y joue un rôle essentiel en termes d'audiences. Alors que, si IPM devient bien le pilote de LN24, ce n'est pas une banale chaîne de télévision privée que le groupe de la rue des Francs mettra dans son escarcelle. Mais bien l'équivalent, en audiovisuel linéaire, de ce que l'entreprise produit déjà sous forme web et papier, c'est-à-dire du journalisme. Et rien que du journalisme.

IPM aurait donc fait le choix le plus rationnel. Plutôt que de s'emmêler les pinceaux dans la gestion du fatras d'offre de programmes que recouvre l'univers de la télévision, l'éditeur de La Libre et consorts a ciblé sa proie et est resté dans son secteur. Une stratégie prudente, que le groupe n'a pas toujours suivie (1), mais donc plutôt prometteuse. Certes, mais à condition que l'on considère que diffuser de l'information télévisée en continu n'est pas différent d'éditer des nouvelles en ligne et, surtout, de produire des contenus journalistiques qui sont, d'abord, de nature écrite. 

MULTIMÉDIATIQUE 

On imagine aisément le rêve de convergence qui entoure le rapprochement prévu: demain, les rédactions d'IPM seront forcément multimédias et nourriront autant les écrits édités que des supports plurimédiatiques en ligne et qu'une chaîne de télévision. DPG est déjà passé à la rédaction intégrée entre ses titres de presse, ses sites web et ses stations de télévision. Les responsables de Rossel ont déclaré que, jusqu'à présent, cette intégration ne serait pas à l'ordre du jour dans le cadre de leur rachat de RTL. IPM, lui, sautera inévitablement le pas.

La logique économique du groupe est, à chaque rachat, de réaliser davantage d'économies d'échelle. Après les rapprochements rédactionnels entre La Libre et la DH,  l'absorption de L'Avenir est déjà en train de s'inscrire dans la même tendance de rationalisation. Récupérer LN24 ne devrait pas être différent. Il ne faudra pas longtemps pour que l'exploitation multimédiatique devienne la règle numéro un dans tous les médias de IPM. Ce qui imposera de recruter des journalistes au profil kaléidoscopique, et donc acrobatique, dont ne dispose pas (encore) tout le personnel de l'entreprise. Ce qui entraînera un surtravail évident pour tous les journalistes qui, non contents de traiter leur info pour les sites web, les réseaux sociaux et les titres de presse, seront aussi amenés à le faire pour la télé, voir à les présenter eux-mêmes à l'écran, avec télégénie. Tout cela alors que certains médias sont plus chronophages que d'autres et que, même avec toutes les bonnes volontés du monde, les journées n'ont tout de même que 24h.

CHANGEMENT DE CAP

Si le fantasme de la multimédiation semble bien planer sur les projets de rapprochements entre IPM et LN24, pourquoi cet éditeur de presse n'a-t-il pas de longue date procédé de la même manière dans l'autre branche de l'audiovisuel où il a investi de longue date, c'est-à-dire celle de la radio? Si, à l'origine, la radio d'IPM affichait quelques rapprochements entre les rédactions du groupe et ce média sonore, force est de constater que, depuis longtemps, ce qu'est devenu DH Radio n'a plus rien d'une radio all news. Elle est essentiellement un "robinet à musique", de mieux en mieux formaté, simplement ponctué de discrets flashs de nouvelles. On ne peut éviter de rappeler ici que, lors de l'octroi des dernières autorisations de radios privées en FWB, le CSA avait recalé IPM et lui avait préféré un projet… de radio all news proposé par… LN24. Les démêlés judiciaires qui ont suivi ont fini par laisser DH Radio exister (ce qui a permis à LN 24 de ne pas devoir lancer une radio en plus de gérer son antenne tv 24h/24). Mais cela n'a pas fait de DH Radio un produit davantage all news. Alors, pourquoi remettre le couvert en télévision? (2)

 QUI PERD GAGNE?

Son pilotage par IPM sauvera-t-il le soldat LN24? Quoi qu'il arrive, il coûtera toujours plus cher de produire de l'info all news en télévision que de la coucher sur le papier et de la diffuser en ligne. LN24 risque de rester un fameux gouffre à millions. Bien sûr, la station vise, comme La Libre, les CSP+, théoriquement porteurs sur le plan publicitaire. Mais, dans un marché qui n'est pas extensible, ces recettes permettront-elles de mener la chaîne à l'équilibre sans de drastiques économies, et sans son absorption pure et simple par les médias d'IPM?

Un éventuel pilotage de l'attelage LN24 par IPM aura au moins un effet positif: il permettra aux fondateurs de la chaîne de s'accorder quelques temps de vacances, en ne devant plus être obligés de tenir l'antenne à peu près à eux tout seuls 7 jours sur 7. Mais, à part (et temporairement) de l'argent frais, qu'y gagnera la station? LN24 a une image d'indépendance, de "troisième voie/x" dans un univers francophone où ce que les ministres appellent "le pluralisme de l'audiovisuel" se limite en fait à un duopole. Le gros avantage de LN24 était de n'appartenir à aucun clan, à aucune chapelle. Et à aucun groupe. Demain, comme le suggère le titre de ce texte, elle pourra tout autant se dénommer LB24 que LN24. Perdant de sa jeunesse et de sa spontanéité, la chaîne d'infos ne sera plus qu'un pion, peut-être un simple sous-produit, au sein d'un groupe médias dont la taille aura crû à une vitesse quasi exponentielle. Stratégiquement, IPM se confère ainsi fièrement une allure de troisième groupe médias de la FWB, face à Rossel et à la RTBF. Mais que restera-t-il de la tentative originale de faire, contre vents et marées, une télévision all news indépendante dans la petite Belgique francophone? 

Frédéric ANTOINE.

(1) Cf. les investissements de IPM dans les paris sportifs en ligne et les agences de voyage de luxe, par exemple.

(2) On ajoutera que, avant de s'offrir RTL Belgium, Rossel avait racheté la plupart des réseaux de radios provinciales de FWB, qu'il vient d'arrimer à Sud Info. Rien de tel chez IPM.

28 octobre 2021

Koh-Lanta: la légende qui s'effrite


La diffusion de l'édition des vingt ans de Koh-Lanta, débutée fin août et baptisée « La Légende », est passée du vendredi au mardi. Ce qui n'a pas vraiment boosté l'audience en direct. Mais, même avec le replay, ce Koh-Lanta-là convainc moins les téléspectateurs. En Belgique comme en France.

« Record d’audience pour « Koh-Lanta » malgré le changement de jour de diffusion », titrait le Soir Mag le 25/08 (1). Koh-Lanta expliquait le magazine, « n’a pas seulement monopolisé les records d’audience du mardi soir, l’émission a aussi atteint certains de ses objectifs dès le lancement. » L'article, qui se basait surtout sur les chiffres français, analysait la situation très particulière d'une diffusion le mardi… en période de vacances scolaires. A la rentrée, on a un peu déchanté. Ce que n'a pas manqué d'analyser la presse, en tout cas celle de l'Hexagone. La situation en Belgique a été moins étudiée.

En France, le public de l'émission de télé-réalité a dégringolé dès le début septembre, et s'est ensuite stabilisé autour des 4 millions de téléspectateurs, alors qu'il en comptait 5,5 millions le 24 août. En Belgique, les volumes d'audience sont plus de 10 fois inférieurs à la France, mais là aussi l'audience a chuté dès le début septembre, confirmant qu'entre le mardi et le vendredi, il n'y a pas tout à fait photo. Mais, chez nous, l'audience est remontée ensuite graduellement, tant et si bien que les scores des derniers épisodes réduisent l'écart avec ceux de fin août, ce qui n'est pas le cas chez nos voisins. La désaffection du mardi ne touche en Belgique qu'une petite part du public, et celui-ci semble revenir au fil des semaines (un peu plus de 240.000 spectateurs depuis le 12 octobre).
 
REPLAY, PLEASE

Ce visionnement en direct ou presque (ce que le CIM appelle le J+1), ne représente toutefois qu'une partie du total du public de l'émission. Les comparaisons J+1 et J+7 sont éloquentes à ce propos.
Une proportion massive du public choisit de ne pas regarder l'émission lors de sa diffusion linéaire, mais en différé. Les deux courbes du graphique ci-dessus ne couvrent pas la même période, car le CIM met une quinzaine de jours à publier (2) les données J+7. Néanmoins, sur les semaines où la comparaison est possible, les tendances sont claires.
En moyenne, 44% de l'audience belge du programme le regarde entre J+2 et J+7 après sa diffusion linéaire. Comme le montre le graphique ci-dessus, ce pourcentage de consommation fortement différée était inférieur à 40% en août, mais a atteint les 50% début septembre. Ce qui permet à Koh-Lanta La Légende d'afficher, sur la période mesurable, une audience totale moyenne de plus de 425.000 personnes, sans commune mesure avec l'audience du moment de diffusion.
 
PAS SI LEGENDE QUE CELA
 
Pour autant, l'audience finale de ce Koh-Lanta est-elle aussi légendaire que son intitulé l'indique? Pas vraiment. « La légende » n'atteint pas les scores du premier Koh-Lanta de l'année, celui des « Armes secrètes » . Du moins sur la partie comparable des deux programmes jusqu'à l'heure actuelle (3).
En audience belge linéaire ou presque (J+1), l'édition du printemps dépasse clairement celle de l'automne. L'audience moyenne de « Les armes secrètes » est proche des 350.000. Celle de « La Légende » n'est pas à 250.000. Près de cent mille spectateurs linéaires ont disparu. Et, si l'on compare au niveau de l'audience J+7, la différence aussi est manifeste : sur l'ensemble des épisodes comparables, le J+7 réunit en moyenne 101.000 spectateurs de plus par semaine pour « Les armes secrètes » que pour   « La Légende ».
Toutefois, comme le montre le graphique, pour « La Légende », ce gap se réduit au fil du temps. Si cette tendance se confirme, l'avantage d'audience totale de l'édition de printemps pourrait bien disparaître, fruit d'une évolution contraire à celle d'automne. Au printemps, l'audience totale a chuté au cours des semaines, passant de plus de 560.000 à moins de 450.000. Alors que celle de l'édition d'automne présente jusqu'à présent une pente en légère croissance.

UN (BON) SIGNE ?
 
Le passage au mardi a fait perdre des plumes à Koh-Lanta, mais en Belgique pas en grand nombre. Et celle-ci tend à être plutôt bien comblée par l'audience non linéaire, qui représente les nouveaux modes de consommation de bon nombre de programmes de télévision. De quoi ne pas inquiéter TF1 donc ? Sauf sur un point: on sait combien, jusqu'à présent, la consommation délinéarisée permet de se libérer des contraintes des écrans publicitaires. Alors que, en linéaire, on est toujours obligé de les absorber. Une bonne nouvelle ? Pas tout à fait sûr…

Frédéric ANTOINE.






(1) https://soirmag.lesoir.be/391215/article/2021-08-25/record-daudience-pour-koh-lanta-malgre-le-changement-de-jour-de-diffusion

(2) … Avec des erreur de datation problématiques…

(2) Les choses changeront peut-être par la suite car Koh-Lanta les armes secrètes n'a eu que 13 épisodes, alors que l'édition des 20 ans devrait en compter 16.

21 octobre 2021

CAP 48, La (petite) opération qui monte. Le Télévie…

Les éditions 2021 de Cap 48 et du Télévie ont confirmé les tendances que nous pointions déjà l'an dernier (1): Le Télévie s'essouffle, et Cap 48 continue à grimpoter d'année en année. 

Il y a un an, notre analyse des résultats des opérations de solidarité des deux grands opérateurs audiovisuels belges francophones se concluait par une interrogation: après un an de covid, 2021 allait-il signer un retour aux scores antérieurs à la pandémie, ou les tendances repérées cette année-là étaient-elles durables? Les résultats de 2021 tendent plutôt à répondre dans le sens de la deuxième hypothèse. Alors que, du côté de RTL Belgique, on avait affirmé que ce que le Télévie avait produit en 2020 était de l'ordre de l'épiphénomène, cette année s'inscrit plutôt dans la suite de l'«accident industriel» vécu précédemment. 

Pour rappel, l'an dernier, confinement covid oblige, la clôture du Télévie n'avait pas eu lieu en avril, comme d'ordinaire. L'opération avait été poursuivie jusqu'en septembre, ce qui avait permis sinon de combler, du moins de donner moins d'impact à la perte des recettes d'une partie des événements caritatifs initialement prévus. Les rentrées du Télévie avaient alors chuté de plus de 2 millions € par rapport à l'année précédente. Tout le monde s'en doutant, la soirée de clôture s'était déroulée dans l'intimité, au sein même de RTL House, et dans une ambiance plus mortifère qu'enthousiaste.

Mais, jurait-on du côté de RTL, ce n'était là qu'un incident de parcours, interrompant la longue série des dépassements de scores historiques célébrés chaque année. On imaginait alors 2021 rentrer dans les clous, avec une soirée de clôture en avril. Fin octobre 2020, la direction de l'opération annonçait toutefois que la finale de l'opération 2021 aurait également lieu en septembre, afin de permettre aux comités de planifier au mieux leurs activités (c'est-à-dire sur 12 mois et non sur six) (2).

Las. Au soir du 18 septembre 2021, on peut pas dire que l'opération de la chaine ex-luxembourgeoise ait réussi à conjurer le sort. Avec 10.617.189€, l'édition de cette année est quasiment au même stade que celle de 2020. Le Télévie 2021 réalise un score de 70.000€ plus élevé à peine que l'année précédente, soit 0,7% de mieux que lors de «l'année de la covid». Certes, la période octobre 2020-septembre 2021 n'a pas été totalement un long fleuve tranquille, mais la situation vécue alors n'a pas été comparable à celle de mars-juin 2020.



A contrario, Cap 48, qui n'a jamais atteint des résultats comparables à ceux de son concurrent, a pour sa part réalisé une nouvelle fois une année meilleure que la précédente (ce qui était aussi le cas en 2020). Avec plus de 7,6 millions €, l'opération de la RTBF dépasse de plus de 860.000€ son score de l'an dernier. 

Tout le monde n'a pas gagné

 D'un côté, RTL TVI se retrouve en 2021 avec une somme récoltée quasiment équivalente à celle qu'elle avait engrangé six ans plus tôt, en 2016. De l'autre, la RTBF augmente sur la même période son résultat de plus de 2,7 millions €. 

Les raisons de cette différence d'évolution peuvent-elles être uniquement liées à la crise de la covid-19? Ne doivent-elles pas être cherchées ailleurs? L'usure ne s'est-elle pas emparée du Télévie et des comités qui le portent? Le Télévie repose sur des piliers de personnes engagées qui semblent inamovibles, mais il est évident que ce type de situation peut finir par rouiller la machine.

La situation interne à l'entreprise, en pleine interrogation sur un avenir à propos duquel rien ne perce depuis le rachat par DPG-Rossel, pousse-t-il le personnel à manifester le même enthousiasme que par le passé? Sur l'écran lors de la soirée de clôture, cette fois en public et à l'image des années avant-covid, cela n'apparaissait en tout cas pas. Il y avait même un peu plus de retenue du côté de Cap 48, un côté «private joke» entre l'animateur principal et le parrain de la soirée qui n'est pas transparu de la même manière chez RTL.

Ou alors, peut-être sont-ce les causes défendues et promues, et en particulier les grandes causes, qui tendent désormais moins à mobiliser, tandis que les questions de malheurs et de souffrances se rapprochent ces derniers temps plus de chacun. Ce que chacun met derrière «solidarité» est aussi peut-être aussi en train de changer, comme l'ont démontré les actions qui ont suivi les inondations de cet été.

Agir dans la proximité de son chez soi ? Ou soutenir la recherche, en lutte contre la mort qui rôde ?

 

Reste que, petit à petit, le gap entre le score de RTL et celui de la RTBF se réduit, alors que l'acteur privé semblait disposer devant lui d'un immense boulevard lié à la lutte contre les cancers, et que l'opérateur public veillait «seulement» à rendre plus vivable l'existence de ceux que le handicap avait touchés.

Petits comités

Reste aussi que, quoiqu'on fasse, les opérations de solidarité de ce type ne réaliseront jamais les scores d'audience des grands événements et des grandes causes mondiales, comme si ces émissions ne rassemblaient d'abord que celles et ceux qu'elles concernent, et non la diversité du large public. Les résultats du CIM sont éloquents à cet égard.

Et révélateurs: cette année, la soirée de direct et de récolte de «promesses de dons» qui clôture les deux opérations  n'a, comme d'ordinaire, pas duré autant de temps. Sur le service public, on mettait la clé sur le paillasson à 23h40. Sur RTL, on jouait les prolongations. Mais les deux programmes ont rassemblé… un même nombre de téléspectateurs: autour des 200.000 seulement. L'an dernier, RTL était bien plus bas que ce chiffre, et la RTBF plus haut…

Le nouveau mode de communication des résultats CIM, plus discret qu'auparavant, ne permet pas de convertir ces données en PDM. Dommage…

Frédéric ANTOINE


(1) https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2020/10/la-revanche-de-cap48.html
(2) https://televie.be/le-18-septembre-2021-la-date-de-la-soiree-de-cloture-du-televie/


08 juillet 2021

DPG-Rossel: la raison cachée du deal de la décennie ?

 N'y aurait-il pas un enjeu caché derrière le rapprochement de Rossel et DPG dans le dossier RTL Belgium? Si tel était le das, celui-ci pourrait s'appeler IP Belgium. Une poule aux œufs d'or dont personne ne parle, mais qui peut expliquer bien des choses.
 
IP Belgium est une filiale à 99,9% de RTL Belgium. On ne cite quasiment jamais son nom dans le dossier du rachat du RTL Belgium, comme si "l'important", économiquement parlant, se trouvait du côté des chaînes de télévision et de radio. Or, d'un point de vue financier, la régie IP est bien plus intéressante que sa société mère.
 
Ces dernières années, IP a généré entre huit et dix millions d'euros de bénéfice par an. La moyenne annuelle du solde positif de la régie entre 2004 et 2020 est de 8.397.211 €. Comme le montre le graphique ci-dessus, ses résultats étaient plus élevés avant 2017 qu'après cette date. Cette année-là, les responsables de RTL Belgium ont en effet décidé d'arrêter la branche "magazines" des activités de la régie et l'ont recentrée sur l'audiovisuel. Ce choix a réduit le boni mais a tout de même permis à IP de rapporter encore pas mal d'argent (voir ci-après). Par ailleurs, chose combien appréciable et imprévue, 2020, année de tous les dangers suite à la covid, ne s'est pas trop mal terminée. IP a l'an dernier engrangé un bénéfice de plus de 7,29 millions €. Pas mal!, comme s'en sont eux-mêmes félicités les patrons de l'entreprise, rendant hommage au rebond d'achat d'espaces pub survenu en novembre et décembre 2020.
 
Pas comme RTL
 
Pas mal aussi au regard des résultats de RTL Belgium en tant que telle. En moyenne annuelle entre 2014 et 2020, la société belgoluxembourgoallemande avait produit un bénéfice de 5.457.275 €, et ce surtout grâce aux résultats des années 2014-2017. Depuis lors, le boni annuel de l'entreprise est en chute libre, malgré un léger rebond en 2019, dû aux "allègements" de charge en personnel produits par le plan Evolve.
 
La comparaison entre les bonis produits par les deux acteurs du paysage médiatique est frappante (1). Et explique ce que le rachat de la société mère et de ses filiales peut susciter comme intérêt. 
 

Si l'on cumule les bénéfices des deux entreprises, la part de IP dans les bénéfices gérés manifeste son importance. Sur la période 2014-2020, elle représente nettement plus de 60%, et cette proportion croît au fil des années pour atteindre 80% en 2020.
 
Dominant sur le marché
 
La situation de IP est incomparable par rapport à celle de RMB, la régie liée à la RTBF. Par rapport au bras publicitaire de RTL Belgique, celui de l'opérateur public est un petit poucet, au moins en ce qui concerne les bénéfices générés.
 
 
 
Si l'on cumule les bénéfices des deux régies, la part du total occupée par IP se situe ces dernières années entre 80 et 90%. Entre 2016 et 2020, le boni annuel moyen dégagé par la régie de l'opérateur publique n'atteint pas le million €. Le bénéfice de IP est près de 8 fois plus important. En 2020, la différence entre les apports des deux régies est plus forte encore puisque, contrairement à la régie de RTL, largement bénéficiaire, celle de la RTBF a, elle, été déficitaire. Ce qu'elle n'est d'ordinaire jamais, évidemment.

Dans le même tiroir
 
Le périmètre des activités de la RMB, plus étroit que celui de IP explique en partie cette situation, et ce même si le champ de cette dernière a, lui, aussi été réduit à l'audiovisuel en 2017 (2). Le petit organigramme ci-dessous permet de mesurer l'ampleur de la variété des supports pour lesquels IP peut prospecter et proposer du placement publicitaire. RTL n'est pas, et de loin, le seul client de IP. En télévision, le pari d'être aussi la régie de TF1 et de TMC permet de faire tomber dans la caisse de RTL Belgiqque les recettes perdues par TVI et consorts et venant de la pub sur les chaînes françaises. Idem en radio: lorsque Nostalgie dépasse les radios de RTL en audience, no problemo pour RTL Belgique. La radio "oldies" étant aussi dans le portefeuille de IP, les recettes ne provenant pas de Bel et allant à Nostalgie restent dans le même tiroir…

Non content de ratisser large en francophonie, IP est aussi présent, en radio, du côté flamand. Même si son rayon d'action est plus réduit en Flandre, la régie peut donc être considérée comme bicommunautaire, ce qui a dû plaire à DPG, qui gère déjà la pub sur les réseaux privés de radio qu'il possède. Avec le rachat de RTL, le voici aussi indirectement à la manœuvre pour d'autres réseaux et radios flamands, dont Nostalgie et Family Radio. De quoi contrôler une bonne part le marché.
 
Poule wallonne ou coq flamand?
 
Posséder IP constitue donc bien un des enjeux du rachat de RTL Belgium. A la fois par l'important retour sur investissement que la régie fournit à ses propriétaires, mais aussi par l'apport qu'elle fournit à DPG dans le cadre de sa domination des médias audiovisuels en Flandre. 
L'avenir déterminera si le deal de la décennie ne vise pas à déplumer cette poule aux œufs d'or au profit d'un coq de poulailler flamand, plus imposant encore. Ou si l'intention est simplement de rendre la poule IP toujours plus productive, tout en la laissant pondre comme sans lui tordre le cou.

Frédéric ANTOINE.
 

(1) Nous nous permettons cette comparaison car, dans les comptes de RTL Belgium tels que déposés à la BNB, rien n'indique que ceux-ci sont consolidés, contrairement à ceux d'autres acteurs du paysage médiatique belge, comme Rossel par exemple.
(2) Mais on doit noter que la RMB a dans son portefeuille quelques sites liés à des organes de presse magazine, comme Paris-Match.be, par exemple. 


 


03 juillet 2021

DPG : FALLAIT-IL SAUVER LE SOLDAT RTL?

Mais qu'est venu faire l'ex-Persgroep dans la galère du sauvetage de RTL Belgium? Une interview des auteurs du "deal média de l'année" publiée L'Echo (1) lève un léger coin du voile. Mais laisse pantois à plusieurs points de vue, et notamment sur ce qui y dit du public de Belgique francophone. Etonnant.

 Le journal L'Echo (2) publie ce samedi 3/6 une intéressante interview croisée des "patrons" (3) de Rossel et de DPG qui y déclarent, dès le titre, qu'ils discutaient d'alliances "bien avant l'arrivée du dossier RTL". On supposera toutefois que ce "bien avant" ne remonte pas à de nombreuses années. Et en tout cas pas à octobre 2017 lorsque, lors d'un grand deal (encore un) entre groupes de presse flamands, Roularta avait cédé ses parts dans Medialaan au Persgroep, qui devenait le seul propriétaire de cette entreprise de médias audiovisuels, mais acquérait les 50% de Mediafin dont disposait le Persgroep. Rossel était en effet alors au balcon d'une transaction qui le faisait changer de partenaire au sein de la société éditrice de De Tijd et L'Echo, dont il était coactionnaire avec le Pergroep depuis 2005. Mediafin s'était alors créé sur base d'une joint-venture entre les éditeurs Uitgeversbedrijf Tijd (De Tijd) et Editeco (L’Echo) (4), constituant ainsi un des seuls ponts transcommunautaires dans le monde des médias belges. Rêver d'alliances alors qu'on laisse tomber son partenaire dans une joint-venture paraît plutôt étrange…

Une vieille amitié

Sans doute donc les idées de projets communs entre DPG et Rossel sont-elles tout de même plutôt récentes. Et ce même si les deux patrons disent se fréquenter de longue date. "On se connaît depuis plus de 40 ans, avant qu’il ne rencontre sa femme et entre dans le secteur des médias il y a 20 ans", déclare le patron de DPG dans l'interview, celui de Rossel précisant que cela s'était passé à Knokke "dans un bar ou au bord de la mer en faisant de la voile". La création de Mediafin, quelques années seulement après l'arrivée du patron de Rossel à la tête de l'entreprise, n'était donc peut-être pas due au hasard, mais bien à un jeu de relations. On notera que ce petit commentaire permet aussi à l'ex-CEO de DPG de rappeler qu'il n'y a que vingt ans que son alter-ego est dans le monde de la presse (5), alors que lui est tombé dedans quand il était petit (6). Et laisser comprendre que ce n'est que par sa femme, héritière Hurbain de l'empire Rossel, que l'actuel patron du groupe est entré dans le secteur de la gestion des médias…

S'ils se connaissent, on ne sait toutefois si, en vingt ans, les hommes se sont vraiment beaucoup fréquentés. Le coup de jarnac du départ de Mediafin peut laisser quelques doutes à ce propos. On sait que, dès le rachat par le RTL Group des parts d'Audiopresse dans RTL Belgium, le patron de Rossel n'avait pas caché être intéressé par un autre type de présence dans l'actionnariat de l'entreprise. L'interview confirme aussi que c'est bien lors du constat du stand alone auquel était réduit RTL Belgium que l'idée d'un rachat s'est matérialisée. Mais impossible de savoir ici comment et quand est surgie l'idée d'y associer l'ex-Persgroep. D'autant que, comme on l'a déjà écrit, les choix récents de DGP n'étaient pas vraiment de s'intéresser à la petite Belgique francophone, mais plutôt aux Pays-Bas où il règne en maître (7).

Pub

"On a remarqué que l'on pouvait apporter notre expertise à RTL Belgium, avoir une valeur ajoutée", déclare le président du comité exécutif de DPG. Une information digne d'intérêt, car elle confirme bien que l'entreprise flamande n'entend pas rester en retrait de l'opération et compte jouer un rôle déterminant, au moins dans l'avenir de RTL Belgique. Et ce même si, dans cette interview, la notion de "géant belge de l'audiovisuel privé" n'est prudemment pas employée par les interlocuteurs, alors que c'est ainsi que le rachat de RTL Belgium a été présenté lundi dernier. Et l'ex-CEO de DPG d'ajouter: "De plus, les annonceurs en appelaient au changement dans le sud du pays - un tout autre marché - fort d'un désir d'une offre digitale conséquente en matière de vidéo". Cette phrase un peu sibylline est suivie, quelques lignes plus bas, de précisions du patron de Rossel sur les synergies envisagées dans le secteur publicitaire. Rassurant, il explique ne pas vouloir "une grande régie qui intégrerait tout". Mais il déclare: "Nous avons intérêt à partager les outils et à développer des offres nationales cohérentes." Rossel et DPG disent-ils tout à fait la même chose? Les rapprochements envisagés ne concernent-ils que l'audiovisuel? Ou fait-on référence ici à l'ensemble des structures de DPG et de Rossel? Le commentaire de l'ex-PDG de DPG apporte une partie de réponse: "La convergence entre texte, audio et vidéo en ligne, est devenu un moteur aussi bien pour le consommateur que pour l'annonceur. Nous optons donc désormais pour un nouveau modèle cross-média au nord comme au sud." Reste à savoir si le cross-médias ne sera que publicitaire ou si, comme le dit le président du comité exécutif de DPG, l'expertise du groupe flamand s'étendra bien au-delà.

Terra incognita

Un des éléments étonnants de cette interview concerne la manière dont les deux hauts responsables de groupes appréhendent le rapport du public aux médias, et en particulier dans l'audiovisuel. Le président du comité exécutif de DPG fait ainsi des révélations étonnantes: "C'est assez paradoxal, dit-il, mais si je connais beaucoup de gens dans le sud du pays, je sais finalement peu ce qu'ils pensent, lisent, regardent…" Etrange aveu pour quelqu'un qui vient de se lancer et d'investir largement dans une aventure de grande taille, avec des enjeux immenses. L'ex-CEO de DPG reconnaît ne pas connaître le public francophone, et en est à se demander pourquoi, en Wallonie, un contenu "étranger" "performe" mieux quand il est doublé plutôt que sous-titré, alors que ce n'est pas le cas en Flandre. Un type de question que l'on débat depuis des années dans les cours et les études sur les médias en Belgique…

On pourrait de même quelque peu s'interroger sur la perception des médias qu'a le CEO de Rossel lorsque, à propos de la consommation de la télévision en Belgique francophone, il daclare: "Le public n’est pas naturellement attiré par la France." Pour le patron de Rossel, tout est question d'offre. Lorsque VTM est apparu en Flandre, explique-t-il, il n'y a plus eu dans cette région de débordement des chaînes hollandaises. "Si la proposition de programmes belges francophones est meilleure et répond plus aux attentes, le public suivra; en cela il n’est pas différent du flamand." Cette vision est-elle confirmée par l'histoire, et est-elle exacte? Ne perd-telle pas de vue que, en Flandre, c'est la VRT et non la télévision privée qui domine le marché de l'audiovisuel (en télé, 37% de PDM en 2020 pour la VRT [dont 31% pour Een] contre 29% pour les chaînes VTM. Et en radio 59% de PDM pour la VRT en 2020). N'omet-il pas de dire que les PDM des chaînes hollandaises ont certes existé par le passé, mais n'ont jamais été comparables à celles des chaînes françaises en Wallonie-Bruxelles (31,4% de PDM en 2020). Ne précise-t-il pas que, au niveau de langue, Néerlandais et Flamands ne se comprennent pas même lorsqu'ils s'expriment en ABN? Alors que, accent excepté, un Wallon et un Marseillais parle bien une langue identique. Ne faut-il pas se souvenir que, dès que la télévision est apparue en France, les Belges l'ont regardée? N'importe-t-il pas de mettre dans la balance l'audience radio de Radio Luxembourg puis de RTL Paris, qui ont toujours attiré les Belges? Ni prendre en compte l'histoire belge et les chiffres de vente de la presse magazine française en Belgique?Ne faut-il pas prendre en compte la taille des marchés? Avec ses 17,4 millions d'habitants en 2020, la population hollandaise est certes ± 2,5 x supérieure à celle de la Flandre. Mais la population de Belgique francophone est, elle, quinze fois plus petite à celle de la France, ce qui infère obligatoirement sur la taille du marché publicitaire (même 'nationalisé') et sur les montants disponibles pour gérer les coûts des grilles. Les "bons programmes" ne résolvent pas tout, d'autant qu'ils sont coûteux à produire. Si RTL Belgium recourt autant aux produits M6 et à ceux de RTL Paris, ce n'est pas par incompétence gestionnaire…

L'interview de L'Echo confère naturellement au rachat de RTL Belgium la même image rassurante, ambitieuse et prometteuse que les autres discours de responsables entendus ces derniers jours qu'ils viennent du groupe RTL ou des acheteurs de l'entreprise. Une fois l'opération réelllement réalisée (et des fusions opérées?), le vrai visage de cette ambitieuse opération de sauvetage apparaîtra peut-être sous un autre jour…

 Frédéric ANTOINE


(1) https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/on-discutait-d-alliances-bien-avant-l-arrivee-du-dossier-rtl/10317654.html

(2) Nous mettons le terme entre guillemets car, depuis février 2000, celui que l'on présente comme le "patron" de DPG en est en fait le président  du comité exécutif. A ce moment, il a en effet cédé le poste de CEO à un Néerlandais

(3) Dont on saluera le titre de l'éditorial du 29/6 (https://www.lecho.be/entreprises/media-marketing/rtl-belgium-l-union-fera-t-elle-la-force/10316638.html), qui partage avec le titre de notre article du 22/6 une commune référence à la devise nationale belge. 

(4) https://www.mediafin.be/fr/historique/ Les négociations entre le Persgroep et Roularta se termineront en mars 2018. C'est à ce moment que le cession réciproque deviendra officielle.

(5) En effet, il n'est devenu CEO de Rossel en juin 2001. Il était précédemment "PDG du groupe 9Telecom, filiale de Telecom Italia" (https://plus.lesoir.be/art/presse-premiere-interview-du-nouveau-patron-bernard-mar_t-20011023-Z0L2R4.html)

(6) La famille Van Thillo entre de l'actionnariat de la société familiale Hoste, éditrice du Laatste Nieuws, au début des années 1970 et en devient l'actionnaire majoritaire en  1978. La société est renommée Persgroep en 1990. L'ex-CEO du groupe en devient le patron en 1989, et il a alors 27 ans. (https://highlevelcom.be/fr/4035-christian-van-thillo-lelegant-magnat.html)

(7) Ce qui restait de francophone jusqu'ici dans DPG est 7sur7.be (dont il n'est curieusement pas fait mention dans l'interview) ainsi que des périodiques lifestyle/construction dont Roularta n'a pas voulu.

 


28 juin 2021

RTL BELGIUM: ROSSEL AU PAYS DE L'AUDIOVISUEL


Que faire encore quand on a déjà tout ce qui relève de son core business? Eh bien, investir ailleurs, quitte à entrer dans une jungle dont on ignorait à peu près tout. Rossel co-propriétaire de RTL Belgium, c'est un peu Rendez-vous en terre inconnue au pays des grands fauves.

Le RTL Group, DPG et Rossel ont confirmé ce lundi 28 juin au matin quel serait le futur RTL Belgium. Les supputations émises la semaine dernière sont donc confirmées. RTL Belgium is back to home, pour autant que son véritable "home" ait un jour été belge et non luxembourgeois. Demain, ses chaînes de télévision n'échapperont plus à la tutelle du CSA, et s'il vient encore à l'idée d'un·e ministre de distribuer de l'argent entre les médias de la francophonie belge, la société sera automatiquement comprise parmi les bénéficiaires.

Au niveau de la petite Belgique, ce rachat était en somme la seule solution restante pour sauver le soldat RTL. Seulse les deux plus grandes entreprises médias du pays avaient les épaules suffisamment larges pour décider de se mettre un tel fardeau sur le dos. Et ce même si, comme le rappelle L'Echo, la société est finalement plutôt en bonne santé. Et même si, comme personne ne le mentionne ou presque, ce sont surtout les bons chiffres de la régie IP qui assureront un intéressant retour sur investissement pour les copropriétaires.

Le banquet des ogres

Ce rachat est aussi l'aboutissement logique du processus de concentration des médias à l'œuvre dans tous les pays occidentaux, et auquel la Belgique n'échappe pas. Depuis une vingtaine d'années, le paysage médiatique belge se ratatine d'année en année, au nord comme au sud. Si le nombre de médias (ou de marques médias) ne diminue pas vraiment, le nombre d'opérateurs ne cesse, lui, de se réduire. Tant et si bien que les indices de concentration des médias belges sont devenus alarmants (comme ils le sont aussi ailleurs). Dans un paysage où, au Nord comme au Sud, la diversité s'est réduite à deux acteurs, que reste-t-il d'envisageable?

Des deux côtés du pays, le plus gros des acteurs de la scène des médias privés a racheté tout ce qui relevait de son core business, ancré dans les publications de presse et dont le berceau est l'édition de presse quotidienne. Ayant à peu près tout absorbé, tout en laissant de côté une partie du marché des périodiques, ces opérateurs ont, dans un premier temps, été voir ailleurs. C'est ainsi que DPG est devenu l'ogre de la presse hollandaise, mais a aussi un pied au Danemark. Rossel est parti à la conquête de la presse régionale française, secteur où ses avoirs dépassent en valeur ce qu'il possède en Belgique. Mais on ne peut pas dire que la campagne de France a été une grande victoire. A de nombreuses reprises, tout a été fait pour que l'entreprise belge rate le coche. Dame, en France, on préfère les acteurs belges plutôt que les investisseurs belges… 

L'audiovisuel par défaut

Le marché de l'écrit un peu arrivé à saturation, que restait-il, sinon l'audiovisuel? DPG y était de longue date, associé dès le début à la naissance de VTM (comme tous les éditeurs flamands) puis étant longtemps resté copropriétaire de Medialaan, avec Roularta. Jusqu'à ce qu'il décide de devenir leur seul actionnaire de cette société qui rassemble la plus grande partie de l'audiovisuel privé flamand (tv+réseaux de radio). Rossel s'est bien lancé dans la radio privée dès que celle-ci a paru devenir un marché intéressant pour les groupes de presse, dans les années 1980. Mais, comme d'autres éditeurs, la société avait alors vite compris que faire de la radio, ce n'était pas comme éditer un journal. C'est ainsi qu'il a accepté de céder ses fréquences à la société qui s'est mise sur pied pour créer Bel RTL et absorber radio Contact. En télévision, Rossel a participé comme les autres éditeurs au deal Audiopresse, naïvement imaginé par l'Etat francophone afin de 'compenser' la perte de revenus publicitaires pour la presse lors de l'autorisation dans le sud du pays d'un opérateur privé, en 1986-1987. Un beau cadeau puisque, ce fameux gâteau publicitaire, RTL Luxembourg le grignotait déjà depuis des années. Son 'arrivée' sous l'étiquette TVI n'a donc pas vraiment bousculé la presse, mais elle lui a permis de s'associer sans investir dans la télé privée. Sans investir enfin pas tout à fait. Au début, les groupes de presse ont vraiment été associés à l'éditorial chez RTL Belgium. Mais là aussi il est vite paru que faire de la bonne info de presse n'était pas identique à faire de la bonne info tv. Les éditeurs ont donc touché des dividendes sans rien faire. Et sans rien apprendre.

 "Un" nouveau géant

Et voilà qu'aujourd'hui, Rossel devient le (co)patron d'une entreprise qui édite de la télévision, de la radio, et des contenus audiovisuels en ligne… Alors que DPG a, lui, les mains dans le cambouis depuis des années. On ne peut sans doute pas comparer Rossel à Alice au pays de l'Audiovisuel, mais l'union entre les deux plus grands acteurs médiatiques privés belges n'a-t-il pas un peu du conte du Petit chaperon rouge? Le titre du Soir, journal de référence du groupe Rossel, annonçant  ce 28/06 la naissance d'"un nouveau géant des médias en Belgique", donne une clé de lecteur de l'ensemble: ce n'est pas tant le rachat de RTL Belgium qui importe que la constitution d'un groupe "national" de médias audiovisuels privés, rassemblant à la fois des médias du nord (ceux de DPG) et du sud (propriété de PDG+Rossel). L'immense spécialiste du marché publicitaire des médias Bernard Cools ne s'y trompe pas lorsqu'il note, dans Le Soir, que le nouveau "groupe" proposera une offre publicitaire conjointe couvrant tout le pays. Et le spécialiste de parler de "fusion" de la régie  IP avec celle de DPG, et parle de "du jamais vu" en Belgique.

Le rachat de RTL Belgium paraît donc comme la part visible d'un iceberg qui pourrait voir fusionner les médias audiovisuels privés du nord et du sud. Ce qui serait, là aussi, du jamais vu. Une sorte de retour au "monde d'avant" (la fédéralisation). Comme si, lorsqu'il s'agissait de lutter contre les GAFAM, les divergences linguistiques et culturelles retournaient au vestiaire. Une bonne chose? A condition que ce grand deal dont on parle aujourd'hui serve bien tout le monde. Et qu'il n'ait pas comme premier grand but de sauver l'audiovisuel privé flamand face aux plateformes, mais aussi face à Telenet, qui n'est jamais que la filiale belge du groupe US Liberty Global.

Alors, dans tout cela, quel poids aura Rossel, et quel rôle sera confié à l'ex-RTL Belgium? L'article du Soir, très bien informé, parle de synergies profitables dans de nombreux domaines. En vertu de ce qui vient d'être évoqué, il faudra probablement vite se demander: profitable oui, mais pour qui d'abord?

Frédéric ANTOINE.

 

23 juin 2021

RTL : BELGIUM STANDS ALONE

Demain, RTL Belgique ne sera finalement pas associé à  RTL Nederland. John de Mol a raflé la mise à DPG. L'avenir de TVI sera donc uniquement belge. Plus que jamais, il faudra que "Eendracht maakt macht" (L'union
fait la force).  (1)

Un aimable (et compétent!) lecteur de ce modeste blog, que je remercie, m'a transmis hier soir une information du Hollywood Reporter selon laquelle RTL Nederland tomberait dans l'escarcelle de John de Mol (cocréateur de la télé-réalité) et de son groupe Talpa, déjà bien implanté aux Pays-Bas autour de la marque Veronica (2). Bref, comme l'écrit le média américain, de Mol a comme but de créer un "Dutch Tv Giant" à l'image de la fusion M6-TF1. Adieu donc l'hypothèse évoquée ici ce 22/3 de voir DPG remporter la mise sur le sol batave et ainsi parvenir à constituer un petit empire audiovisuel belgo-hollandais à dominante flamande.

Qu'à cela ne tienne, le royaume audiovisuel privé dirigé par DPG, et dont Rossel sera en quelque sorte le vassal, ne sera donc "que" belge. Le Hollywood Reporter pourra peut-être bientôt titrer que l'ancien Persgroep a participé au rachat de RTL Belgium afin de constituer un "Belgian Tv Giant" noir-jaune-rouge, c'est-à-dire transcommunautaire. Sauf que, dans un petit pays même "réunifié", le poids de la "forteresse belge" vis-à-vis des géants du monde des plateformes en ligne restera toujours infime. Et encore plus difficile à protéger des attaques ennemies. Les rapprochements stratégiques entre les médias du groupe VTM et ceux de l'ex-RTL Belgique deviendront donc de plus en plus impératifs.

 Panique en cuisine

Tout cela sous le regard de TF1 et de M6 qui tireront une partie des ficelles de ce petit théâtre belgo-belge auquel ils ont vendu, pour un temps limité, les licences d'exploitation de certains de leurs programmes. La durée de ces contrats terminée, à moins de les renouveler à prix d'or, les opérateurs français n'ont pas intérêt à accepter de les prolonger. Idem pour les accords de diffusion sur RTL Belgium de très nombreux programmes du groupe M6. Bien sûr, tout cela n'est pas pour demain, et ne surviendra pas avant que soit validée et réalisée la fusion TF1-M6. Mais, dans deux à trois ans, que pourront faire les petites chaînes belges sans Top Chef (3), Un diner presque parfait, Les reines du shopping, Panique en cuisine, Le meilleur pâtissier, Recherche maison ou appartement, Maison ou appart à vendre, Chasseur d'apparts… pour ne citer que les plus récents ou récurrents. Faire un petit tour sur RTL Play est plus qu'instructif pour relever la liste de toutes les productions que TVI, Club et Plug 'empruntent' à M6, mais aussi au groupe TF1. On n'ose imaginer le même RTL Play le jour où l'opérateur belge n'en aura plus les droits. Quant aux scores d'audience des émissions, il en prendra lui aussi un coup. Hormis Top Chef, ce sont plutôt les versions belges de formats aussi diffusés sur M6 qui occupent le Top 10 des audiences annuelles de TVI. Mais, en 2019 par exemple, des productions françaises trustaient presque tout le Top 10 de Plug…

Vases communicants

Alors, derrière tout cela, peut-être faut-il chercher ailleurs pour comprendre. Par exemple du côté de la régie IP, filiale à 99,99% de RTL Belgium, mais qui est la véritable vache à lait. Et dont on ne parle jamais. Non seulement elle pourrait constituer le véritable enjeu des opérations actuelles. Mais, à terme, elle pourrait contenter tout le monde. Déjà à l'heure actuelle, elle réalise le paradoxal exploit d'être à la fois la régie des chaînes de RTL Belgique et de TF1 Belgique, qui est leur concurrent direct. Ce que TVI et consorts perdent en spots pubs au profit de TF1 revient donc, au moins en partie, dans la bourse du groupe via IP. Pourquoi, demain, la régie ne deviendrait-elle pas aussi celle de M6 Belgique, si "la petite chaîne qui monte" parisienne en venait à décider de s'implanter aussi en Belgique? Ce serait finalement une bonne affaire, même si cela ne résoudrait pas la question de "comment remplir les grilles".

Ah, le principe des vases communicants, il n'y a que cela de vrai. Du moins tant que les tuyaux entre les vases ne se bouchent pas… 

Frédéric ANTOINE.

(1) Titre de l'article posté hier 22/06/2021.

(2) Oui, celle de la radio pirate éponyme qui sera ensuite un des piliers des médias publics hollandais avant de s'en retirer pour devenir un opérateur privé.

(3) Déjà actuellement diffusé sur RTL-TVI avec 5 jours de retard par rapport à M6…


22 juin 2021

RTL BELGIUM: EENDRACHT MAAKT MACHT? (1)

(1) L'Union fait la force

RTL Belgium tombera plus que probablement entre les mains d'une alliance Rossel-DPG, qui manifeste le grand retour de l'intérêt de ce groupe flamand pour la petite Belgique francophone. Avec, à terme, la possible constitution d'un groupe audiovisuel privé belgo-néerlandais où la Wallonie risque de se retrouver portion congrue. Et en lice avec M6, qui pourrait en pomper une bonne partie de l'audience…

Depuis que, en décembre dernier, le RTL Group avait racheté les parts des médias belges dans RTL Belgium, Rossel s'était dite intéressée par y reprendre une participation. Lorsque la succursale du géant allemand Bertelsmann a ensuite décidé de mettre RTL Belgium en vente, on imaginait bien que le groupe de la rue Royale serait sur les rangs pour un rachat. Mais, vu la taille de la bête, on se demandait avec qui. Le Tijd de ce 22 juin, repris par toute la presse, confirme que l'entreprise de la famille Hurbain figure bien dans le dernier carré des repreneurs potentiels. Mais en association avec DPG Media. Ce qui change un peu le regard plutôt optimiste qu'on pouvait avoir sur l'idée d'un contrôle de l'opérateur audiovisuel privé par un groupe de presse francophone belge.

Forteresse belgo-hollandaise

La Belgique s'inscrit bien là dans la tendance européenne de repli nationaliste des groupes médias traditionnels, initiée en Allemagne par le le RTL Group, sûr qu'édifier des forteresses par Etat est le bon moyen de lutter contre l'invasion des plateformes internationales en ligne. La Belgique de demain comptera donc sans doute un opérateur audiovisuel privé national fort et, chose nouvelle, transcommunautaire. De plus, comme on dit que DPG a aussi des visées sur RTL Nederland, ce serait in fine une forteresse audiovisuelle belgo-néerlandaise qui pourrait voir le jour. 

Une forteresse dans laquelle DPG aura un poids déterminant. A l'heure actuelle, l'ancien Pergroep possède déjà l'ex-Medialaan, qui édite les principales chaînes tv flamandes privées (VTM et cie), ainsi que les deux forts réseaux de radios privées du nord du pays (t un réseau au Pays-Bas). Se nourrir des possessions hollandaises du RTL Group s'inscrit dans la logique de DPG de contrôle total du marché des médias Outre-Moerdijk, lui qui est déjà le premier éditeur de presse dans ce pays. 

Francophonie, le maillon faible

Mais pourquoi y rajouter un maillon francophone, alors que le Persgroep avait quasiment rompu tout lien avec la Francophonie ces dernières années pour se focaliser sur le marché néerlandophone? Par le passé, il cocontrôlait avec Rossel Mediafin, qui éditait à la fois le Tijd et L'Echo. Il s'en est retiré en mars 2018 au profit de Roularta. A la même époque, après avoir racheté tous les magazines mis en vente par Sanoma Belgique, il s'est défait de la quasi-totalité de ceux-ci, et donc de tous ses titres francophones, au profit du même Roularta. En langue française, via Media Home Deco, DPG me possède plus que deux trois titres comme Gaël Maison ou Je vais construire dont les versions francophones sont plus que largement inspirées des éditions néerlandophones. 

Toutefois, DPG a conservé une pièce maîtresse en francophonie: le site 7sur7.be, seul véritable pure player d'information quotidienne dans le sud du pays. Et ce alors que son alter ego flamand, hln.be, n'est autre que la version en ligne de Het Laatste Nieuws, premier titre de Flandre en diffusion payante. Même si les contenus de 7sur7 diffèrent de ceux de hln, on ne peut imaginer que c'est cette seule attache qui ait incité PDG à "venir en aide" à Rossel pour déposer une offre de reprise de RTL Belgium. 

Les rênes à la Flandre?

Dans l'attelage final que DPG entend bâtir, Rossel risque de se sentir un peu seul. Le groupe bruxellois sera assurément le garant de l'identité francophone des chaînes de RTL Belgium, dont il était déjà un sleeping partner tant en tv (dans le cadre d'Audiopresse) qu'en radio (via Radio H) (2). Rossel investira sans doute dans la composante "info" de la nouvelle structure, et peut-être sera-t-il tenté de bâtir des alliances entre ses médias écrits et en ligne et l'audiovisuel. Mais quel sera le poids de ce groupe de presse  sur tout le reste de la structure, face à DPG Media qui est, lui, déjà installé dans le secteur?

En termes d'économies d'échelles, la constitution d'un pôle audiovisuel privé belgo-hollandais est très tentante sur le plan des économies d'échelles. Notamment du côté des déclinaisons de productions ou du partage de droits. On reviendra donc peut-être à l'époque des années 1990 où RTL-TVI et VTM réalisaient des émissions ensemble, organisaient de concert la diffusion de Miss Belgique ou s'associaient pour le Télévie et Leefdeslijn (l'autre n'étant que la traduction de l'un). RTL a aussi Marié au premier regard et VTM Blind getrouwd. Des mariages sont donc possibles. Au-delà de cela, DPG pourra aussi proposer à RTL des versions francophones de ses shows flamands ou néerlandais. Mais la sauce hollandaise séduira-t-elle le public de RTL-TVI? Pas sûr. D'autant que celui-ci est plutôt accro aux programmes de RTL Belgium tels qu'il les a toujours connus.

Est pris qui croyait prendre?

Alors, on ne peut penser qu'à une chose: cette union belgo-belge pourrait bien surtout profiter à… M6. On se souvient qu'aucun candidat au rachat de l'opérateur français n'avait voulu y associer celui de RTL Belgium. Et pour cause! Pour le prix de M6 seul, TF1 pourra aussi s'offrir sous peu une bonne partie du public de RTL Belgium qu'il ne contrôlait pas encore via son décrochage belge. Jusqu'à présent, une sorte de gentleman agreement entre M6 et RTL Belgium, toutes deux membres du même groupe, permettait d'éviter que M6 ne soit diffusée en Belgique. Car cela aurait mis RTL-TVI et ses petites sœurs dans de beaux draps, puisque bon nombre de programmes porteurs de M6 sont proposés sur les chaînes de RTL Belgium. Demain, libérée de tout lien familial, rien n'empêchera plus M6 de diffuser en Belgique via le câble et Pickx-Proximus, avec des décrochages publicitaires comme le fait TF1. En proposant aux Belges tous les programmes qu'ils adoraient sur RTL-TVI et consorts, et que M6 ne leur vendra évidemment plus.

Inutile de deviner où ira alors l'audience. Et d'imaginer le risque de disette de spectateurs (et de recettes) pour les chaînes de l'ex-RTL Belgium. Avec, de plus, une partie du gâteau publicitaire, déjà rabougri, grinoté par les souris de M6. Dans ces circonstances, que restera-t-il à RTL-TVI? L'info, bien sûr, mais qui coûte cher à produire sur un petit marché sauf si on en mutualise les coûts avec les médias actuels de Rossel. Et, à part cela, tout ce qui est déjà produit par VTM et ses chaînes complémentaires…

Enfin, on peut se demander comment tous ces montages pourront prendre en compte l'inévitable virage numérique que RTL Belgium avait déjà eu tant de mal à amorcer. Rossel et DPG seront-ils d'une aide à ce propos? Au nom de cette logique des forteresses, pousseront-ils, par exemple, à faire entrer l'ex-RTL dans Auvio? Ou choisiront-ils la concurrence acharnée, au risque de laisser des morts et des blessés sur le champ de bataille?

Le rachat belgo-belge de RTL Belgium était sans doute la dernière solution, toutes les autres portes s'étant refermées. Mais ne risque-t-il pas de faire entrer un nouveau loup dans la petite bergerie du marché francophone belge? En cas d'avis de tempête, le vaisseau de l'avenue Georgin risque de bien devoir s'accrocher. En se rappelant peut-être que Jacques Georgin, militant FDF, avait été tué à Laeken le 12 septembre 1970 par des militants du VMO, le Vlaamse Militanten Orde…

Frédéric ANTOINE.

(2) N'oublions pas que Bel RTL fut créée sur les cendres de FM Le Soir et des radios que le groupe Rossel avait lancées dans les années 1980. On ne peut donc dire que l'histoire ne repasse jamais les plats…

 

28 avril 2021

LA COVID N'A PAS IMMUNISÉ LA PRESSE PÉRIODIQUE DE SES PERTES ENDÉMIQUES

En 2020, les magazines se sont encore moins vendus que les années précédentes. Et les acheteurs n'ont pas basculé vers le digital à cause du manque quasi-total de projet de monétisation numérique de la plupart des titres. Comme si, plutôt que de lancer les canots de sauvetage, il valait mieux se laisser couler avec le navire…

Oui, certains titres de la presse magazine francophone belge ont pu voir leur audience croître en période de covid. Mais plus de lecteurs ne signifie pas plus de ventes. Alors que, désœuvrement et ennui aidant, le confinement était le moment idéal pour partir à la pêche aux nouveaux acheteurs ou à ceux qui étaient partis, les ventes des magazines n'ont pas bénéficié de l'effet pandémie. Cela fait des années que la diffusion print payante des périodiques est en baisse. Et, pour la plupart, 2020 n'a pas failli à la règle. Les brebis égarées ne sont pas revenues débourser quelques euros pour se mettre à (re)lire leur magazine préféré. 

Du côté des quotidiens, en 2020, plusieurs titres ont réussi à redresser la barre, essentiellement grâce à la monétisation numérique de leurs contenus (1). Dans le camp des magazines, ce type de stratégie est toujours aux abonnés absents. Certes, on peut consulter des contenus gratuits sur leurs sites et, quand ils en ont, sur leurs applis. Mais côté payant, rien à l'horizon. Ou presque. La descente infernale est-elle donc inexorable?

 

Tous perdants

Tenant compte du fait que les chiffres actuellement disponibles sont des déclarations d'éditeurs, mais que celles-ci sont toujours fort proches des données certifiées par le CIM, force est de constater que, pour les hebdomadaires, la diffusion totale payante (print payant + digital payant) de tous les titres était en baisse en 2020 (2). Toute diffusion payante confondue, l'ordre de préséance des titres est resté à peu près inchangé par rapport aux années précédentes. Comme par le passé, trois leaders dominent le marché, mais il n'y en a plus qu'un seul à vendre à plus de cent mille exemplaires : Ciné Télé Revue. Télépro est descendu en dessous de cette barre symbolique. Quatre titres se retrouvent ensuite, souvent dans un mouchoir de poche, entre cinquante et quarante mille exemplaires. Hormis Paris-Match, qui frise encore les trente mille, les autres titres sont tous en dessous de vingt mille ventes.

Ceux qui s'en tirent

Si tous les titres sont affectés,  le naufrage de la diffusion payante 2020 ne revêt pas partout la même importance. Nombreux sont ceux dont les pertes s'avèrent, cette année, relativement minimes.

Ainsi, avec leur -2% seulement, Femmes d'aujourd'hui, Télépro et Paris Match s'en sortent plutôt bien. Pour Paris Match, la perte est beaucoup moins sensible qu'en 2019 (le titre avait alors perdu 9% de diffusion payante par rapport à 2018). Cette même année-là, l'hebdomadaire féminin de Roularta n'avait perdu que 1% de diffusion payante, et le magazine télé verviétois 2,5%.

Les pertes atteignent environ 8% pour Ciné Télé Revue et Spirou, qui avaient déjà perdu le même pourcentage de ventes l'année précédente. Le Vif, à -9%, fait moins bien qu'en 2019, où il n'avait perdu que 5%. Aux environs de 10%, on trouve Télé Star, Télé Pocket et Le Soir Magazine. En 2019, les deux premiers titres avaient vu leurs ventes baisser de 7% et 6%, tandis que le magazine de Rossel n'avait quasiment pas perdu de clients. La descente de 2020 constitue donc là un véritable signal d'alarme. Que dire enfin de Moustique (-12%) et Flair (-14%) ? En 2019, le news magazine midmarket accusait déjà une perte de 8%, tandis que l'hebdo "jeunes femmes" était à -20%. Le titre racheté par IPM s'enfonce donc davantage, alors que celui de Roularta se porte un peu moins mal.

 Rendez-vous en terre inconnue

Ces comparaisons confirment que 2020 n'a pas apporté de nouveaux acheteurs "papier" aux magazines destinés aux Belges francophones, que du contraire. La tendance baissière, relevée sur la durée dans un précédent article de ce blog en 2020, n'a pas été endiguée. Car nous parlons bien ici du support physique. Côté digital, on doit une nouvelle fois se pincer pour être sûr de ne pas rêver devant les scores de ventes numériques affichés par les éditeurs. En monétisation numérique, les magazines sont à peu près nulle part.

Continuant sur une ligne tracée depuis sa reprise par Nethys-Editions de L'Avenir, Moustique est le seul magazine à avoir une réelle stratégie de monétisation en ligne, mais celle-ci ne lui permet pas d'atteindre 8% de ventes du produit en digital. Le Vif affiche un petit 3%, le Soir Mag 2%… et c'est à peu près tout. Mis à part ces hebdos qu'on peut plus ou moins qualifier, dans des créneaux différents, de news magazines, le vide s'étire jusqu'à l'horizon. On a l'impression que, pour plusieurs titres, seuls des lecteurs vraiment écologistes, voulant ne plus consommer de papier, ont fait la démarche de quémander un abonnement digital. Mais que rien n'a été réalisé pour attirer le lecteur vers le numérique, ou y faire venir de nouveaux clients. Ciné Télé Revue vient d'entreprendre des actions dans ce domaine, notamment avec un abonnement à prix promotionnel et la création d'une appli associée. Mais le magazine de Rossel est bien seul. Comme écrit plus haut, cela ne veut pas dire que les autres titres sont inexistants en ligne, mais leurs contenus y sont gratuits, et rien n'est fait pour promotionner une version numérique, à laquelle certaines rédactions semblent n'accorder que très peu d'intérêt. Même chose sur les réseaux sociaux, où certains magazines sont très actifs, mais qui ne jouent pas le rôle de rabatteurs vers un digital payant. Quant aux applis, quelques titres y proposent de s'y abonner au repliqua du papier. Mais Flair n'a qu'une appli pour sa version en néerlandais, et le terme "appli" semble inconnu chez Télé Pocket, Télé Star et Paris Match Belgique.

Et les autres?

Du côté des bimensuels et mensuels, dont les diffusions sont plus faibles, l'année 2020 n'a pas non plus été profitable pour tout le monde. Mais les données sont difficiles à apprécier car plusieurs titres ont une part de leurs ventes réalisées "à tiers", c'est-à-dire sous forme de commercialisation non liée à une acquisition directe par un lecteur. Cette donnée grossit évidemment le volume de diffusion payante de ces magazines et brouille un peu les résultats.

Deux titres perdent énormément : ceux qui sont en tête du classement. L'ordre de préséance se modifie par ailleurs entre eux. Le mensuel le plus vendu en 2020 était le féminin Gael, qui perd néanmoins 18% de diffusion payante par rapport à 2019. Top Santé, qui dominait le marché précédemment, devient le 2e magazine le plus vendu, en perdant un tiers de sa clientèle en un an. Ce magazine déclare 5000 ventes numériques en 2020, ce qui est énorme. L'année précédente, il comptabilisait à peu près le même nombre d'abonnés digitaux (4999).

Le bimensuel Moniteur de l'automobile continue à occuper une étonnante troisième place, mais avec une perte de 25%. L'Eventail affiche des chiffres stables à tous points de vue d'un année sur l'autre. Les deux gagantes de l'année se trouvent en fin de classement. Les mensuels de Ventures, dont la diffusion est faible, accroissent leurs ventes en 2020. Elle Belgique augmente sa diffusion payante de 4% et Marie-Claire Belgique de 10% De bons scores sur des très petits volumes.

Dans cette presse là aussi, la monétisation digitale semble ne pas exister, hormis chez Top Santé et, de manière beaucoup plus modeste, au Moniteur de l'automobile. De manière générale, dans ce créneau également, covid et confinement n'ont pas incité davantage de clients à se ruer sur les magazines, ni à les consommer sous forme payante en ligne. Et rien de spécial n' été fait pour les pousser à acheter un exemplaire, papier ou numérique.

Le bateau de la presse périodique continue donc de couler doucement, tout en conservant l'idée qu'il faut faire confiance à une commercialisation "papier". Et sans que des ventes numériques viennent colmater les brèches existantes. Comme nous avons eu récemment l'occasion de le dire dans un article du magazine Pub, hormis dans de rares cas, on attend donc toujours qu'une large part de la presse magazine s'empare de l'audace qui lui permettrait de se réinventer.

Frédéric ANTOINE.

(1). Voir sur ce blog l'article consacré à la presse quotidienne en 2020.
(2). Soulignons qu'il s'agit bien ici de la diffusion totale payante, et non de la diffusion totale. Certaines titres ont en effet une diffusion gratuite impressionnante, qui viendrait gonfler les chiffres de diffusion totale, mais qui ne rapportent directement rien.
 



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