Cinq minutes. Le show annonçant la fin du régime Kaboré sur la RTB (cela ne s'invente pas) n'aura duré qu'un douzième d'heure. Mais il n'aura pu que marquer ceux qui l'auront vu, tant il a bien été mis en scène.
Par son cadre, tout d'abord. Il n'y a pas eu ici de saisie d'antenne brusque, ou de coup de force non contrôlé. La prise de parole des militaires s'est déroulée… dans le contexte d'une émission d'informations. Leur apparition à l'antenne a en effet été précédée… du générique prévu par le journal télévisé local pour ses éditions spéciales.
Un générique qui évoque directement le début des Jt de la station, d'où proviennent les principes de cet indicatif (univers, terre, listage des rubriques…, le tout tournant en permanence).
Dans ce contexte, le message adressé au spectateur est clair : il va assister à une édition spéciale de son Jt, comme il en aura sans doute vu (1) lors du 11 novembre 2001, du récent drame d'Inata (Sahel) où 53 gendarmes furent massacrés par des terroristes, ou au moment des dramatiques inondations qui touchèrent le pays en 2020.
UN FOND D'INFO
Mais voilà. À la fin du générique, pas d'apparition de journaliste présentatrice (ou présentateur) du Jt. Un groupe de personnages occupe l'écran, et n'a pas l'air d'appartenir à la rédaction de la chaîne de télévision. Pourtant, nous sommes bien au Jt. La preuve : ces individus occupent bien le studio du journal télévisé propre. Entre la scénographie classique du journal télévisé du Burkina et ce que l'on voit alors, rien n'a été modifié.
Oui, mais ce n'est pas tout. Comme dans toute station de télévision qui se respecte, une partie du studio du Jt de la RTB est virtuel. Et un grand écran occupe le fond du décor, derrière la présentatrice. À l'instar du paysage parisien que l'on voit tous les sur France 2 ou TF1 (ou sur La Une), au Burkina, c'est une artère animée de Ouagadougou, menant vraisemblablement au Monument des Héros, qui occupe le fond de l'écran. Lors de l'intervention des militaires, l'arrière-plan de l'image n'est pas celles des rues de Ouaga, mais la reproduction du dernier plan du générique, c'est-à-dire la mention "édition spéciale", sur fond du drapeau national. De quoi rappeler en permanence qu'on est bien dans l'actu.
La présence d'un tel élément de décor lors de l'apparition de putschistes à l'antenne n'est pas le fruit du hasard. En dehors du Jt (2), le fond de ce studio est un écran noir. L'image animée pour accompagner l'intervention des militaires a volontairement été choisie, et techniquement insérée dans le système du studio pour apparaître à l'antenne. Elle laisse croire que ce qui se passe là est bien de l'information, et que celle-ci revêt une importance nationale.
COMME UN TABLEAU
La disposition à l'image des représentants des corps d'armée n'est pas, elle non plus, fortuite. Mais le fruit d'un agencement esthétique qui inscrit de manière très particulière les militaires debout derrière ceux qui sont assis à la table. Les plus petits ont été placés sur les côtés, et les plus grands au centre (ou sur des praticables). De plus, le militaire planté au centre du groupe porte un casque surmonté d'une pointe, ce qui le fait dominer tous les autres, et le rend particulièrement impressionnant. Un peintre classique n'aurait pas conçu plus bel agencement.
L'éclairage du studio, lui aussi, n'est pas celui fourni par les néons qui doivent éclairer cette pièce quand on n'y tourne pas. Au contraire, ce travail de lumières est très pensé. En plan d'ensemble, l'image baigne plutôt dans la pénombre, alors que le bas de l'écran (les 3 bureaux) reflète la couleur rosée émanant du sol (lors des Jt, c'est du bleu). À l'arrière-plan, l'essentiel du groupe debout apparaît dans l'ombre, comme une masse compacte. Seul se distingue le milieu de l'image, particulièrement éclairé, tant à l'arrière qu'au premier plan. Au centre du tableau, un militaire assis bénéficie d'une belle lumière. C'est celui qui prendra la parole. Mais l'éclairage sort aussi de l'ombre le personnage au casque pointu de l'arrière-plan. L'image joue ainsi avec une belle subtilité entre le clair et l'obscur. Une composition qui ne s'est pas mise en place toute seule.
AXE Y-Y
Certes, l'intervenant se trouvait-il sans doute aussi à l'époque dans le studio du Jt, et bénéficiait-il d'un fond d'image non neutre. Mais l'action paraissait alors moins posée qu'en 2022. Le personnage, seul à l'image, semblait revenir d'opérations. Il paraissait plutôt terrorisé par la caméra, ce qui n'est pas le cas cette fois-ci. Il n'y a pas eu alors de travail de mise en image du personnage. Il a 'simplement' utilisé le média comme mode de transmission d'une communication. En 2020, par contre, il y a une vraie volonté de présenter un produit répondant aux conventions de l'audiovisuel, non seulement aux Burkinabés mais aussi au monde entier.
(1) Les sujets évoqués ici sont supposés avoir fait l'objet d'éditions spéciales du Jt burkinabé. Nos archives ne nous ont pas permis d'en certifier l'existence.
(2) Ou d'autres programmes tournés dans le même studio.