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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

24 mai 2020

Auvio : hier spreekt men ook nederlands

Même en ces temps de déconfinement, sortir de chez soi peut rester virtuel. Et peut permettre de se rapprocher de l'autre, même à distance. Pour preuve, la subtile initiation à la découverte de la langue néerlandaise à laquelle est actuellement (23-24 mai) soumis tout qui souhaite regarder une vidéo sur la plateforme Auvio.
Le premier message publicitaire auquel sera soumis l'usager avant d'accéder au programme qu'il aura choisi lui sera en effet proposé… dans la langue de Vondel. Et sans sous-titres.

De quoi devoir retrousser ses manches pour bien comprendre ce que BNP-Paribas-Fortis, et les entrepreneurs  en déconfinement que la banque soutient, entendent lui faire passer comme message.
Pas sûr non plus que la promotion qui passe ainsi de manière inlassable pour une micro-brasserie anversoise attirera du coup dans ses murs ou vers ses produits une myriade de francophones de Bruxelles et de Wallonie…

Mais sans doute est-ce l'intention linguistique qui compte. D'autant que la seconde pub qui précède le programme que l'on a choisi de regarder sur Auvio est, elle, en langue française, et sans aucun rapport avec le contenu de la précédente. Enfin presque. Le 23 mai, un des annonceurs tournant en boucle dans ce deuxième lever de rideau était lui aussi le producteur d'une bière, quasiment artisanale puisque sa particularité est que son houblon est déversé en quatre fois. Qui plus est, c'est une bière fabriquée, elle aussi, en Flandre. Et, il y a près de 150 ans, brassée de manière artisanale par un petit producteur de Kortemar, près de Dixmude. Aujourd'hui, elle est tombée dans l'escarcelle d'un grand groupe brassicole flamand lui-même détenu par un géant mondial de bière hollandais.
Mais renie-t-on jamais ses racines?

Non content de pouvoir déguster un message publicitaire conçu et rédigé dans la langue du nord du pays, l'utilisateur d'Auvio peut aussi dépasser cette première étape, et s'immerger totalement dans l'expression culturelle flamande, ou à tout le moins dans une partie d'entre elle. La plateforme offre en effet désormais un accès pendant une semaine aux 4 journaux télévisés produits par son alter ego néerlandophone.

Un progrès incontestable pour le Belge francophone, qui ne saurait de lui-même comment se rendre sur la plateforme VRT NU et s'y inscrire, ou qui n'aurait pas envie de fournir ses coordonnées privées à un service public flamand.

L'audience de ces JT flamands via Auvio est assez limité. Selon une comptabilisation réalisée le 24 à mi-journée, la fréquentation moyenne journalière sur la dernière semaine est d'environ 33 vues, mais le 40 vues sont fréquemment dépassées. Dimanche dernier 17 mai, elle a même été plus du double. A notre modeste échelle, nous ne disposons toutefois pas des moyens de savoir d'où viennent ces usagers, ni quels sont leurs profils.

Auvio affirme proposer aux abonnés de sa plateforme "toutes les éditions du JT de la VRT, diffusées tous les jours sur Eén et Canvas". Ce n'est pas tout à fait exact selon les jours, mais il faut reconnaître que l'offre de rendez-vous d'information est beaucoup plus riche sur le service audiovisuel public que côté francophone… L'archivage sur Auvio est aussi assez limité dans le temps, alors que VRT NU donne, lui, accès aux journaux télévisés jusqu'à un mois après leur diffusion.

Un plus incontestable eût été que ces émissions néerlandophones soient par exemple doublées, ou mieux sous-titrées, ce qui aurait fortement accru leur intérêt et leur utilité pédagogique pour les francophones. Cette rediffusion se serait alors inscrite au cœur dans la mission d'éducation permanente de la RTBF. Pour l'instant en tout cas, on n'en est pas encore là.

Pourtant, regarder à la suite le JT de 19h de la VRT et le 19h30 de la RTBF peut vraiment ne pas manquer d'intérêt. Ainsi, samedi 23 mai, la chaîne publique flamande ouvrait ses infos par un problème très préoccupant : dans une partie du Brabant flamand, la consommation d'eau vient déjà d'être réglementée et, à Overijse, sa distribution a même été arrêtée. Il n'y a plus d'eau aux robinets. La chose n'est pas neuve, mais se manifestait précédemment au cœur de l'été. Jamais en mai. Le JT de la VRT, qui a duré 44 minutes, a consacré 6 minutes 20 secondes à traiter ce sujet sous divers angles.
Sur la RTBF, le 19h30 a ouvert sur le prochain retour des touristes en Espagne, sujet ensuite étendu au déroulement des prochaines vacances d'été. Le traitement de l'info a pris 5 minutes 10. L'ensemble du JT a duré 38 minutes.


Frédéric ANTOINE

23 mai 2020

Paroles d’experts : (2) Des avis sur tout dans « Le parti pris » (Matin Première)



Les experts sont-ils toujours convoqués par les médias en raison du caractère pointu de leurs compétences dans un domaine ? Si cela s’avère être le cas dans Questions en prime (cf. article du 22/05), en est-il de même dans la séquence « Le parti pris » de Matin Première ?

« Le parti pris » est une rubrique qui existe depuis plusieurs années au sein de la matinale radio de La Première, où elle occupe actuellement un créneau quasi quotidien d’une quinzaine de minutes, débutant un peu après 8h30.

L’émission apparaît lors de la refonte de la matinale de La Première, en septembre 2017. À l’occasion de cette remise à plat, l’inaltérable séquence historique d’interview « politique » de l’émission change de journaliste. Celui qui la pilotait jusque-là devient titulaire de la plage de midi de la chaîne, avec un programme d’échange d’idées intitulé Débats Première. Au sein de la matinale, « Le parti pris » n’est programmé que le dernier jour de la semaine, après les informations de 7h, situation que traduit le slogan : « Le vendredi, c’est ‘Le Parti pris’. »
Depuis la rentrée 2019, la refonte de la programmation de La Première a supprimé l’émission de débats de mi-journée. « Le parti pris », pour sa part, est passé du début de la deuxième heure de la matinale au début de sa dernière demi-heure. Mais, surtout, son rythme est devenu presque quotidien (la séquence n’est pas proposée le vendredi).

Le principe de l’émission est de faire débattre deux invités autour de deux thèmes liés à l’actualité. Si l’on s’en réfère au titre da séquence, celle-ci promet de donner aux intervenants l’occasion de communiquer leur ‘parti pris’, c’est-à-dire leur prise de position définitive sur un sujet. Selon le dictionnaire de l’Académie française, en effet, « la locution nominale parti pris désigne une opinion préconçue ou une décision prise d’avance » (1). Il s’agirait donc moins ici de commenter que d’argumenter, de justifier sur quoi repose le ‘parti pris’, une des questions à éclaircir étant de déterminer si l’opinion ainsi exprimée l’est ou non à titre personnel.

Un rendez-vous d’habitués

À ses débuts, « Le parti pris » recourt à un nombre très restreint d’intervenants. Dans l’impossibilité matérielle de dresser ici l’inventaire complet de ceux-ci, on relèvera que François Gemenne, professeur à l’ULG et à Sciences-Po Paris, se révèle immédiatement un pilier du programme. Idem pour Alain Gerlache, journaliste et chroniqueur de la RTBF. Autour d’eux, l’un ou l’autre représentant du monde académique, dont une politologue de l’ULB, font aussi partie des invités récurrents. Ils seront rejoints par quelques journalistes, certains extérieurs au personnel de l’entreprise publique de radio-télévision.


Le passage de la séquence à un rythme quasi quotidien va entraîner un léger élargissement de ce panel relativement conventionnel. Le relevé des intervenants des vingt éditions de la séquence qui se sont déroulées du 24 février au 20 mai 2020 (2) totalise une vingtaine de noms différents. Ce qui ne signifie pas que tous ces participants ont eu la parole à parts égales, c’est-à-dire à deux reprises. Certains noms reviennent de manière très récurrente : un invité est intervenu à cinq reprises, deux à quatre, deux à trois. Le plus grand nombre n’est passé à l’antenne que de manière sporadique : six personnes deux fois, et neuf à une seule occasion.

Un parti pris journalistique ?

Dans cette distribution figurent aux premières places des ‘piliers’ historiques du programme, mais aussi des participants arrivés plus récemment. La part des femmes est plutôt réduite (4 débattrices sur 20), déficit d’autant plus marqué que la plupart d’entre elles n’y sont pas fréquemment conviées.
Le statut de chacun de ces locuteurs n’est pas aisé à cerner. En effet, ceux-ci comptent parfois plusieurs domaines d’activité. Leur présentation telle qu’elle est exprimée à l’antenne peut bien sûr aider à les classer, mais celle-ci n’est pas toujours identique (3).
De plus, il n’est pas certain que la présence de tous les intervenants se justifie uniquement par leur domaine d’activité actuel, mais aussi par la nature de leur parcours antérieur ou de leur carrière.

Tout en reconnaissant que les classifications sont nécessairement réductrices, il a été tenté de réunir ces personnes en de grandes catégories. Il en ressort que, pour la période analysée, la majorité des débatteurs appartient aux mondes du journalisme, des médias et de la communication. Certains sont clairement journalistes, d’autres travaillent dans la communication ou sont porte-parole d’organisations.
Quelques participants peuvent être considérés comme relevant de l’univers des philosophies et des spiritualités. Les débatteurs restants sont issus d’associations liées aux mondes de l’éducation et de la culture, ou encore aux mouvances politiques ou universitaires.

En fonction du nombre d’interventions de chacune des personnes, il apparaît que la moitié des prises de parole sont le fait de journalistes et de professionnels des médias et de la communication, et un peu moins du quart de spécialistes des questions philosophiques et spirituelles. Le monde universitaire vient en troisième position.

Des champs très larges

Ces intervenants sont-ils des experts ? Leur parole est-elle convoquée en raison de la compétence particulière qu’ils possèdent sur l’un ou l’autre sujet ?
Certes, les invités du « Parti pris » le sont parfois en fonction de leur expertise par rapport à un des sujets traités (une militante féministe lors de la journée des droits des femmes, un critique de cinéma pour le septième art en crise, un associatif engagé dans un quartier d’immigration lorsque la Turquie décide d’ouvrir ses frontières aux migrants…). Mais ces cas sont plutôt rares,
Le plus souvent, le secteur de compétence de la personne n’a qu’un très lointain rapport, voire aucun lien, avec les thèmes mis en discussion. À titre de simples exemples, et sans vouloir mettre ici quiconque en cause, au cours de la période observée, un ‘expert en affaires publiques’ (pour autant que l’auditeur comprenne de quoi il s’agit) se prononcera sur la crise migratoire à la frontière turque. Le porte-parole d’une organisation soutenant des minorités sexuelles jugera le procès Fillon. Une communicatrice convertie dans la promotion de l’égalité hommes-femmes prendra parti sur le carnaval d’Alost. Un vicaire épiscopal apportera sa lecture sur la gratuité des transports en commun. Une militante laïque commentera le procès Assange, ou une ancienne responsable de presse, fondatrice d’un cercle féminin, évaluera l’avenir de Brussels Airlines après la crise du covid.
Tout le monde peut avoir un avis à exprimer sur chacun de ces sujets. Mais est-ce ici en raison d’un positionnement ou d’une expertise particuliers ? Une simple lecture ne semble pas confirmer que ce soit sur base d’une qualification particulière que la parole de ces personnalités ait toujours été sollicitée.

Spécialistes de tout

Une confirmation de cette impression ne peut que venir de la prééminence exercée dans le panel d’intervenants par la catégorie des « journalistes et de professionnels des médias et de la communication ». Bien sûr, celle-ci est vaste, et l’expertise d’un journaliste n’est pas celle d’un autre, ni n’est de même nature que celle d’un conseiller en relations publiques, ou de quelqu’un qui est passé du monde du journalisme à celui de la communication (pour parfois revenir ensuite à ses premières amours…). Mais l’importance accordée aux personnes issues de ces secteurs n’est-elle pas d’abord liée au fait que celles et ceux qui y sont actifs  sont très souvent (ou se considèrent comme) des ‘généralistes’, voire, selon l’expression un peu péjorative de Denis Ruellan, des « professionnels du flou ». Soit, dans ce contexte-ci, des personnes ayant un regard si vaste et englobant sur l’actualité qu’il leur est à peu près loisible de parler de — et de réagir sur — tout. Une sorte d’expertise quasiment universelle, en quelque sorte.

Car, dans cette séquence, c’est bien de cela qu’il s’agit. Les thématiques abordées variant au fil de l’actualité du jour, il y est attendu que l’invité ait, sur ces sujets, la capacité non seulement d’exprimer un commentaire, mais aussi celle de porter un regard. Et, normalement, d’exprimer son ‘parti pris’.

Au fond, des convictions

Une lecture à peine plus approfondie du parcours et du positionnement de chacun des intervenants du « Parti pris » suggère que le choix de ces personnes au sein du panel repose aussi sur d’autres critères. Leur diversité veille également à tenir compte de la diversité des tendances, opinions, courants philosophiques, politiques ou religieux de la société belge dans lesquels ces acteurs sont plus ou moins directement impliqués.
Fidèle à ses obligations de service public, la RTBF ne peut éviter de recourir à de savants équilibrages. Même si ceux-ci ne paraissent pas toujours relever de la précision de l’apothicaire.
Certaines et certains débattrices et débatteurs y font d’ailleurs parfois allusion dans leur prise de parole. La légitimité de leur présence peut être officiellement présentée en fonction de leur inscription dans un champ de compétence. Mais c’est aussi, sinon surtout, au départ de leurs convictions, de leur positionnement et de leurs engagements philosophiques, politiques ou idéologiques, que leur parole véhiculera un sens, un message. Un parti pris.
Toutefois, cette raison finale, il appartiendra à l’auditeur lui-même de la deviner. Sauf dans les rares cas où l’habit fait le moine, il aura à lire entre les lignes. Et comprendre lui-même ce qui se cache derrière le nom d’une société, d’une association, d’un mouvement… dont on se contentera de donner l’intitulé dans la présentation de la séquence.

Sur l’agora

À l’instar de bon nombre d’autres contenus de radio, « Le parti pris » est une émission de discussion, de partage d’idées. Mais pas un lieu où la connaissance et les compétences thématiques de certains sont convoquées pour, que, à partir d’elles, l’auditeur puisse être aidé à se forger sa propre opinion. Certes, il pourra se nourrir des propos tenus, mais en considérant qu’il s’agit d’abord là de paroles privées, exprimées à titre personnel.
Personne ne contestera  que tous celles et ceux qui prennent part à cette séquence disposent aussi, sinon d’abord, d’un statut, d’une étiquette particulière. Qu’ils bénéficient d’une certaine reconnaissance sociale. Mais celle-ci leur octroie-t-elle un droit d’expression particulier sur des sujets qui peuvent inspirer des pensées à tout un chacun ?

À moins que l'erreur soit de considérer ces intervenants comme des experts. Ne devrait-on pas plutôt les qualifier des chroniqueurs? Pour ceux dont la présence à l'antenne est fréquente, l'appellation est sans doute (aussi, voire plus) pertinente. Mais pour tous les autres ?

Frédéric ANTOINE.

(1)    http://www.academie-francaise.fr/jai-pris-le-parti-pris
(2)    La séquence n’a pas eu lieu pendant la période du 6-9 ensemble.
(3)    Notamment entre ce qui est exprimé oralement par le journaliste-animateur et ce qui s’affiche sur la version audiovisuelle diffusée en ligne.

22 mai 2020

Paroles d'experts dans les médias: (1) Science et rassurance dans "Questions en prime" (La Une RTBF)

Dans leur traitement de l'actualité, les journalistes doivent-ils faire appel à la parole de personnes supposées compétentes? Ou, au contraire, l'occupation d'une partie de l'espace médiatique par un discours d'expertise ne contribue-t-elle pas à la mise en cause de la crédibilité des journalises, voire au rejet de leur légitimité? Et ce a fortiori dans un monde où bon nombre d'expressions de représentants de l'establishment sont, dès le départ, sujettes à suspicion?
La place que les experts occupent dans les discours médiatiques est un sujet de débat sans fin.

Sans envisager résoudre le fond de la question, portons un petit regard sur deux 'cas'parmi d'autres. Le premier, développé dans ce texte, concerne la place que les experts occupent dans l'émission de crise Questions en prime, proposée après le JT de 19h30 de La Une (RTBF).
Le second, qui fera l'objet d'un texte séparé, traitera des experts dans la séquence Le parti pris, diffusée après 8h30 dans la matinale radio de La Première (RTBF).

Comparaison n'étant évidemment pas raison, il a semblé plus utile de développer ces quelques réflexions en deux articles plutôt que des inscrire dans un seul texte. Questions en prime a en effet vu le jour en urgence face aux questionnements de la population devant la pandémie et les mesures radicales prises pour l'endiguer.  Le parti pris est une rubrique qui existe depuis plusieurs années, et qui peut être considérée comme un lieu de débat remplaçant celui qui était précédemment proposé par la même chaîne de radio, mais à l'heure de midi.

Réponses d'experts

Questions en prime ne donne pas la parole qu'à des experts. Une large place y est laissée au questionnement et à la parole des téléspectateurs, ainsi que de divers acteurs de la société civile. Mais la structuration de l'émission repose bien sur la parole experte. Chaque jour, les sujets mis sur la table sont soumis aux personnalités présentes sur le plateau pour que celles-ci y apportent réponse, même si ces thématiques ne figurent pas au centre de leurs domaines de compétences.

Les experts sont ici convoqués en raison de leur légitimité. Outre l'une ou l'autre personne intervenant par visioconférence, les émissions sont quasiment à chaque fois bâties autour de deux spécialistes d'une problématique (essentiellement scientifique ou médicale) liée au covid-19. Quelques éditions, surtout en début de crise, ont accueilli un plus grand nombre d'intervenants. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs duré beaucoup plus longtemps que la moyenne du programme, qui est d'un peu plus de 30 minutes (voir l'article du blog daté du 5 mai).

Sourire et compétence

Certains experts occupent l'antenne davantage que d'autres. Entre ces 12 et le 20 mai, le professeur de santé publique de l'ULB Yves Coppieters y a ainsi pris part à cinq reprises. A cette période, il est la seule personnalité à occuper le plateau de manière récurrente. Une situation qui s'explique sans doute en fonction de son domaine de compétence, fortement sollicité en période de sortie de confinement. Mais le caractère affable, le sourire permanent et l'attitude rassurante du personnage ont aussi contribué à le rendre indispensable. Dans pareille émission, la médiagénie d'un intervenant aide à faire passer son message. Et tous autres intervenants ne disposent pas de la même aisance.
Même si, en prévision d'éventuelles autres crises, il était peut-être utile d'inclure quelques cours d'expression communicationnelle dans la formation des chercheurs et des médecins, on ne peut pas considérer que cette seule raison explique pourquoi, pendant cette période, les autres invités n'ont été présents dans l'émission qu'en 'one shot'. D'autant que, pour la plupart, ils avaient déjà pris part à des émissions antérieures.
L'accès aux archives récentes de l'opérateur public étant fortement limité dans le temps, aucun relevé systématique de l'identité de toutes les sommités convoquées depuis la mi-mars n'a pu aujourd'hui être établi. Mais la diversité des experts, et leur présence fréquente sur le plateau peuvent être confirmées sur base de coups de sonde dans les documents audiovisuels accessibles, ainsi que par l'expérience de vision personnelle. Un recensement, sûrement incomplet, permet de dresser la liste d'au moins une vingtaine de noms de personnes, essentiellement issues du monde des sciences, toutes les universités étant peu ou prou représentées, ainsi que de celui de la pratique médicale, généralement en hôpital (souvent universitaire). Un souci d'équilibre entre lieux de recherche et d'enseignement semble avoir concouru aux choix réalisés par la production.

Le panel des intervenants semble, au début de la crise, avoir été assez large, et parfois institutionnel. Les experts sont accompagnés de représentants officiels d'institutions ou de structures hospitalières, comme s'il ne s'agissait pas tant d'apporter une expertise que d'affirmer une présence. Au fur et à mesure que la crise évolue et que surgissent des questionnements sur "l'après", la parole experte devient à peu près seule à structurer le programme.

Expliquer et rassurer

Dans Questions en prime, les experts sont convoqués pour expliquer, mais aussi pour rassurer. Leur rôle est de répondre aux discours de craintes ou de doutes, ainsi que de contrer les rumeurs, en y opposant une parole scientifique, qui est aussi d'abord la leur, à titre individuel.
Dans la mesure du possible, ils étaient donc celle-ci par des données et des chiffres. Au fil du temps, ils la conforteront aussi ponctuellement en évoquant des résultats de recherches déjà menées au plan international. À certains moments, l'un ou l'autre expert ajoutera aussi parfois des avis ou des commentaires plus personnels, que le statut de leur communication aura tendance à mettre sur le même pied que les propos scientifiques. Certaines paroles reposeront aussi parfois sur leurs intuitions ou leurs impressions. A la vision du programme, on s'interroge dès lors parfois sur ce qui permet d'asseoir l'avis, parfois péremptoire, émis par l'expert. Mais on ne peut perdre de vue le risque (peut-être non calculé) qui prend ici celui qui accepte de s'exprimer 'sans filet', le programme étant diffusé en direct et sans possibilité éventuelle de rattrapage, ou de repositionnement a posteriori, de son propos.

Dans cette émission, le rôle conféré à l'expertise était assurément de (r)établir la confiance, et de soutenir avec discernement plutôt que de remettre en cause les discours et mesures de santé publique prises par la CNS. Le caractère pédagogique du programme s'inscrit d'abord dans une certaine vision de la mission de service d'éducation permanente conférée à la RTBF en tant que service public. Et moins dans celle d'informer le public, même si les deux objectifs sont fréquemment imbriqués.
L'usage classique de l'expertise qui y a été développé s'inscrit dans cette visée.
S'agissait-il toutefois là de la seule option envisageable? Lorsque viendra le temps de l'évaluation, la question sera sans doute soulevée.

Frédéric ANTOINE

Le point (2) de Paroles d'experts dans les médias fera l'objet d'un autre article très prochainement sur ce blog


21 mai 2020

Autoriser l'accès aux résidences secondaires : quand l'alerte précède l'info


« L'interdiction de séjour dans les résidences secondaires est levée avec effet immédiat. » Mercredi 20 mai à 15h29, cette info tombe sur tous les smartphones abonnés aux alertes du journal L'Echo.

En cette veille de long week-end de l'Ascension, alors que l'après-midi est à peine entamée, on imagine la joie des suiveurs du journal économique et financier, qui ne doivent pas être des clients du quotidien pour voir la nouvelle sur leur téléphone. Une partie d'entre eux étant assurément propriétaire d'une résidence de vacances en Ardenne ou à la côte, l'info tombe à pic. En quelques minutes on peut faire ses bagages, emporter éventuellement quelques vivres de réserve, rassembler la famille et hop on est partis. Depuis le temps qu'on l'attendait, cette nouvelle-là!

Ces heureux vacanciers auront-ils été arrêtés sur leur passage par les brigades mobiles de la police chargée de faire respecter le confinement? A voir le nombre de véhicules circulant, pour divers motifs, ce mercredi 20 mai sur les routes belges, elles auraient eu beaucoup à faire pour contrôler tout le monde. Mais, en cas de vérification dans l'après-midi, elles auraient sans doute rappelé aux chauffeurs et aux passagers de ces villégiateurs que, à leur connaissance, la fameuse autorisation dont ils se revendiquaient n'était pas encore de mise…


Sur le fond, ces quelques heures de battement ne modifient pas fondamentalement les choses. Mais elles confirment que la course à l'info, surtout quand la consigne à appliquer est "mobile first", pousse parfois les médias à anticiper la nouvelle, c'est-à-dire à se limiter à une seule source (voire parfois à zéro source) avant de décider de communiquer une information. Le 20/05 c'était le cas de L'Echo, ce qui est plutôt peu banal. Un autre jour, cela aurait été un autre média.

Mais, sur ce coup-là, la plupart des autres pourvoyeurs d'information ont manifesté davantage de prudence.
C'est une dépêche Belga, diffusée aux environs de 15h, qui informe d'un accord du CNS à propos de la levée d'interdiction. La nouvelle peut étonner car aucune réunion physique du Conseil n'a été annoncée à la veille du week-end de l'Ascension. Il apparaît alors que celle-ci s'est réalisée à distance en visioconférence,  dans la matinée. La teneur des alertes lancées par les applications de plusieurs médias se limite alors à l'annonce d'un accord, mais ne parle pas de sa mise en œuvre. En dénouant le fil des événements, il apparaîtra que la nouvelle de l'accord a été communiquée sur le temps de midi par le ministre-président du gouvernement flamand devant le Parlement flamand, et que c'est à celle occasion que celui-ci aurait annoncé que la décision entrait en application immédiatement.

C'est en tout cas ce qui ressort d'un article publié dès 13h25 par Het Laatste Nieuws, qui sur son site titre: "Lang verwarring, maar nu officieel: Belgen mogen met onmiddellijke ingang weer naar tweede verblijf". Les sources qui y sont citées par HLN.be sont Belga et VTM Nieuws. Le chapeau de l'article est encore plus clair: "Belgen met een tweede huis aan bijvoorbeeld de kust of in de Ardennen mogen daar vanaf nu weer heen. Dat is na veel verwarring woensdag nu ook officieel. Het Belgisch Staatsblad heeft het nieuwe Ministerieel Besluit gepubliceerd."On y précise que le journal officiel de l'Etat a publié la nouvelle. Dans le début du texte, l'auteur précise ensuite que "Die opheffing gold volgens Jambon “met onmiddellijke ingang”".

7sur7.be étant en cheville avec HLN.be, on s'étonnera qu'il ait mis près de deux heures à relayer l'information, tout en lui conférant un caractère moins affirmatif à propos de la mise en œuvre immédiate de la mesure. La première info tombe sur le site francophone à 14h20. L'alerte pour mobiles est plus tardive, et n'informe que sur la conclusion d'un accord. La version définitive du texte sera réajustée à 15h49, en se référant aux sources HLN et Belga. La même prudence figure dans son contenu. Sous l'intertire "C'est pour quand?", l'auteur écrit notamment: "Selon Jan Jambon, la mesure prend effet sur le champ. Or, hier, la Première ministre Sophie Wilmès avait annoncé qu’en cas d’aval du GEES (le groupe d’experts qui conseillent le gouvernement durant la crise sanitaire), l’interdiction serait levée, mais elle n’avait pas voulu apposer de date à ce nouvel assouplissement des mesures de restriction." Et le paragraphe se conclut par la phrase: "Mais jusqu’ici, le centre de crise n’a pas encore officialisé ni daté l’accord évoqué par Jan Jambon."

Les médias francophones qui publient des alertes pour smartphone dans la suite de l'après-midi conservent cette prudence. On parle de "bientôt", ou on se demande "à quelle date". Seule La Libre semble confirmer à demi-mot dans son alerte l'immédiateté de la mesure, en expliquant en fin d'après-midi que l'interdiction était devenue disproportionnée.

Toujours en se référant aux alertes, ce n'est qu'un peu avant 21h que la plupart des médias francophones confirmeront la nouvelle et lui conféreront un côté officiel, c'est-à-dire après la publication du Moniteur.

Indépendamment de la question de l'urgence de diffuser une information, l'ordre dans lequel les médias francophones ont rédigé leur alerte-smartphone ne manque aussi pas d'intérêt. Par rapport à la question du recoupement de la vérification des sources, on s'étonnera peut-être que ce soit La Libre qui ait brûlé la politesse à tout le monde. Mais, comme ceux de L'Echo, ses lecteurs ne sont-ils pas particulièrement concernés par cette mesure? Ce cas mis à part, les supports qui s'empresseront de communiquer sur le sujet seront des médias populaires et/ou régionaux. L'audiovisuel ne réagira que plus tardivement, et la RTBF avant RTL. Une question de stratégie rédactionnelle ou d'organisation de veille numérique?
Quant au Soir, selon l'inventaire à notre disposition des alertes envoyées le mercredi 20, il ne postera un message que lorsque la nouvelle est réellement officielle…

Frédéric ANTOINE.

19 mai 2020

JT de soirée : l'étau se resserre entre RTL et la RTBF

La différence d'audience entre le journal télévisé de 19h de RTL-TVI et le 19h30 de la RTBF se réduit depuis l'année dernière. Une analyse des data CIM (Live+vosdal) se basant sur la moyenne/jour/semaine pour les deux JT  révèle que, à cette heure de grande écoute, l'auditoire de la télévision publique se rapproche de plus en plus en plus de celui de la chaîne privée. La tendance s'est clairement affirmée tout au long de 2019. Elle s'est légèrement inversée début 2020, mais est à nouveau manifeste depuis la crise du covid.

Début de l'année dernière,  le différentiel d'audience moyen entre les deux émissions d'informations était de plus de 160.000 spectateurs. Fin 2019, cette différence moyenne était tombée aux environs de 40.000 personnes. Cette situation ne s'est pas maintenue au cours des deux premiers mois de 2020 mais se retrouve dès le mois de mars, alors que les audiences totales sont en forte croissance. En avril, le différentiel a retrouvé son bas niveau de novembre 2019. Début mai (calcul sur les 18 premiers jours), il est en légère augmentation.

Les pentes des courbes d'audience mensuelle diffèrent fortement au cours des deux années. 2019 est une année 'normale' , présentant pour les deux stations une tendance en berceau, l'auditoire étant moins nombreux et moins assidu en été. Fin de l'année dernière, l'audience moyenne des deux JT était toutefois en hausse par rapport au début 2019. Si 2020 avait été une année banale, les pentes des courbes y auraient été identiques à celles de l'an dernier.
Or il n'en est rien. Les courbes croissent avec la crise, et commenceront à décroître avec son atténuation. En moyenne mensuelle, les résultats obtenus pendant cette période ne sont pas sensiblement plus élevés que ceux de fin 2019. Mais les moyennes lissent toujours des données…

Un regard au mois de janvier 2020 devait essayer de comprendre pourquoi, à cette période, il y avait eu un rebond du différentiel RTBF/RTL-TVI au profit de cette dernière. Les résultats d'audience ne confirment pas, sur l'ensemble du mois, la présence d'une tendance générale à la baisse d'audience de l'émission de la télévision publique, ou en envol de celle de la chaîne privée. L'audience 2020 est d'ailleurs alors plus faible que celle de l'an dernier. En fin de période, par contre, les écarts d'audience entre les deux JT sont  beaucoup plus manifestes.

Le mois de mai confirme pour sa part que la compétition (en ce qui concerne l'audience) entre les deux émissions est aujourd'hui de plus en plus vive. L'écart de public entre les programmes est de plus en plus ténu, et RTL-TVI est parfois menacée, voire dépassée, par la chaîne publique. Là aussi, le coronavirus est peut-être en train de rebattre les cartes.
Frédéric ANTOINE.

18 mai 2020

Covid et enseignement à distance : les (bonnes) surprises d’une petite révolution

« L’enseignement à distance, c’est super. Je peux suivre mes cours dans mon lit, en pyjama. Ou les regarder quand j’en ai envie. » Cette bribe de conversation, échangée il y a plusieurs mois entre étudiants attablés dans un café, n’évoquait alors qu’un vécu assez rare. Celui de (plutôt rares) cours dont les enseignants préféraient, pour diverses raisons, enregistrer leurs cours plutôt que les donner ‘en live’, ou qui souhaitaient ne pas limiter leur enseignement à une prestation ‘en direct’ en auditoire.

Le covid a banalisé cette pratique depuis que, le 13 mars, les autorités des universités décidaient de faire basculer les cours du ‘présentiel’ vers des formules d’enseignement à distance. En invitant plus que fortement leurs titulaires à les assurer en temps réel, en les donnant au moment à ceux-ci étaient prévus dans l’horaire des étudiants, afin que leurs rythmes de vie ne soient pas perturbés. Une chaude recommandation qui, selon quelques échos provenant d’étudiants, n’aurait pas toujours été suivie à 100%…

Il est par contre acquis que, sous diverses modalités, la pratique de l’enseignement à distance s’est, d’un coup, généralisée, en transformant subitement en profondeur la configuration pédagogique connue dans les universités et les institutions d’enseignement supérieur depuis leur création, pour certaines il y a plusieurs centaines d’années. Et ce pour le meilleur, mais peut-être pas que.

Seules de longues enquêtes approfondies qu’on ne manquera pas de mener dans les prochains mois à titre scientifique ou pédagogique permettront de dresser le bilan de cette petite révolution. La période de cours de l’année académique 2019-2020 étant arrivée à son terme, les quelques lignes ci-dessous n’auront comme seule ambition que de consigner l’une ou l’autre remarque issue d’une expérience personnelle, que rien ne permet bien sûr de généraliser, tant peuvent diverger d’un cas à l’autre les matières enseignées, les pratiques enseignantes (surtout pour les plus âgés•e•s…) et les cohortes étudiantes elles-mêmes.

ENFIN !

Il aura fallu que survienne le confinement pour que les universités libèrent leurs étudiant•e•s d’un fardeau dont le joug semblait ne jamais devoir disparaître : celui de l’assistance aux cours en un endroit déterminé et à un moment précis. Une pratique obsolète pour des générations chez qui l’essentiel de la consommation de contenus est délinéarisée, et relève largement d’une appropriation en mode self-service. Le covid a contribué à supprimer la contrainte de matérialité de l’enseignement universitaire. Reste toutefois que la recommandation de conserver les cours à leurs jours et heures habituels entretenait le maintien d’une obligation pour celles et ceux qui voulaient y assister (tout comme pour les enseignant•e•s qui devaient le prodiguer) : celle d’être au rendez-vous à l’heure dite.

Mais c’était sans compter sur les services proposés par la (ou les) plateforme(s) pour gérer ces enseignements à distance. Comme d’autres, Teams comprend en effet la possibilité d’enregistrer les ‘réunions’ qui y sont tenues et de les archiver ad vitam (chose que, pris dans la précipitation de devoir bifurquer vers l’enseignement à distance, certains membres du corps enseignant n’ont peut-être découvert qu’assez tardivement…).

L’enseignant qui pilote la réunion peut lui-même actionner l’enregistrement. Mais ce choix peut aussi être commandé par les autres utilisateurs de la réunion. Cette fonctionnalité supprime donc de facto l’obligation de suivre l’enseignement en temps réel. Dotant d’obsolescence la linéarité d’usage d’une séance de cours, elle rend les modalités d’apprentissage conformes aux modes contemporains d’appropriation de contenus par les étudiant•e•s.

Cette opportunité a, semble-t-il, été assez fréquemment saisie, notamment par des personnes qui, même confinées, n’étaient pas disponibles au moment d’un cours. Elle a aussi permis à celles et ceux qui voulaient réviser leurs notes de suivre plusieurs fois les mêmes enseignements. Ce qui est sans doute davantage envisageable lorsque l’on est contraint à ne pas bouger de chez soi qu’en période normale, où ces longues périodes de visionnement devraient être gérées au-delà des cours, dans des agendas souvent déjà chargés.

L’assistance

La diffusion à distance d’un cours a-t-elle eu un effet sur le volume du public que celui-ci recueillait lorsqu’il était donné en auditoire ? L’expérience personnelle semble ne pas le confirmer : de manière générale, l’assistance est restée la même. Lorsque la part de l’auditoire par rapport aux inscrits était élevée, celle-ci a continué à l’être après le passage en ligne. Et vice-versa pour les cours moins suivis.
Sur les petites cohortes, comme celles de séminaires, l’effet a été quasiment inexistant.
Le handicap que peut avoir la présence physique par rapport à la disponibilité sans déplacement ne paraît s’être fortement manifesté. Le fait que le basculement soit survenu en milieu de quadrimestre, et non au début de celui-ci, peut en partie expliquer ce phénomène.
Un élément permettant d’éclairer la question serait de savoir si la possibilité de visionner un cours en dehors du moment où il a été professé en a accru l’audience totale. Faute de données, la question reste, à ce stade, ouverte.

En dialogue ?

La pertinence de maintenir en période post-covid des enseignements en présentiel ne doit-elle pas être posée ? Quelle plus-value apporte l’enseignement d’un cours devant un grand auditoire par rapport à la dispense à distance du même contenu ? En ligne, les PowerPoint peuvent être mieux vus, la voix de l’enseignant•e peut être plus claire, et, normalement, la parole du professeur n’a aucune chance d’être couverte par le brouhaha de conversations entre étudiant•e•s. Pour un cours ex cathedra, l’avantage est donc ténu, sinon qu’il exige de la part du professeur•e un type d’exercice de communication pas en tous points comparable à ce qui se passe dans un cours en salle.

Mais l’enseignement n’est-il qu’un discours à sens unique ? Dans ses principes, même un cours donné sous forme de monologue peut comprendre une partie dialoguée, soit suite à des invites à poser des questions exprimées par l’enseignant•e, soit suite à une demande de prise de parole manifestée par un•e étudiant•e via le lever d’une main. Des modes plus marqués d’interaction en salle sont par ailleurs davantage suscités lors d’autres pratiques pédagogiques comme les cours inversés, les séances de séminaires ou les travaux pratiques.

Pour autant qu’il soit suivi en direct, l’enseignement à distance n’exclut pas ces moments d’échanges et de prises de parole (cf. ci-après). Si le cours est visionné à la carte, en dehors du temps de son déroulement, cette éventualité disparaît par contre complètement. L’étudiant•e ‘suit’ alors l’enseignement. Il/elle peut seulement y assister, comme à un spectacle. Si interaction il y a, celle-ci ne pourra être, elle aussi, que différée.

Prises de parole

Les plateformes sur lesquelles les cours ont été donnés offrent, en temps réel, d’évidentes possibilités d’interaction. À condition que la machine de chaque participant•e soit équipée de micro et de caméra, tout le monde est, potentiellement, capable d’intervenir lors de la ‘conférence’, et non seulement le ou la professeur•e.

Afin de garantir des conditions correctes de suivi, la plateforme offre aux animateurs de réunion la possibilité de couper tous les micros de l’assistance. Cette mesure peut être considérée comme une volonté d’y censurer l’expression. Il y a donc peu de chance qu’elle soit mise en œuvre. L’absence de brouhaha évoquée ci-dessus peut donc s’avérer relative.

Cette possibilité de prise de parole n’est pas anonyme. Le nom de chaque intervenant s’affiche sur l’écran. Mais, lorsque l’on supprime son image, l’expression tout de même s’opère dans un anonymat relatif. Et, en tout cas, loin du type de rapport de force qui organise la communication de groupe au sein d’un auditoire physique. Chacun•e étant seul•e chez soi, les prises de parole deviennent autonomes, et se libèrent. En l’absence d’image et du regard des autres, on ‘ose’ s’exprimer, alors que l’on aurait hésité à le faire ‘en public’. Cette pénombre communicationnelle fait par exemple jaillir des questions orales, surgissant au cours de l’exposé magistral. Elle dynamise le cours, et peut parvenir à générer des échanges qui n’auraient pu voir le jour devant un grand groupe, où s’exprimer peut provoquer la réprobation des tiers. Mais la pénombre peut aussi inviter à d’autres types de prises de parole, en libérant tant les contenus qu’elles véhiculent que leur mode d’expression. Jusqu’à la situation où l’espace d’un cours se transforme en agora, avec les risques de débordement que peut entraîner une totale liberté d’expression…

Comme sur les réseaux sociaux

Cette libération de la parole peut non seulement se réaliser sur les plateformes par voie orale, mais aussi écrite. Les outils d’enseignement à distance comprennent en effet un volet ‘chat’ (‘conversation’ dans les versions françaises), sous forme de texte. Lors de ‘conférences’ en grand groupe, ce passage par l’écriture permet de modérer les interventions. Il laisse le pilotage à l’animateur de la réunion qui a le loisir de tenir compte ou de répondre lorsque bon lui semble aux propos ou questions tenus dans le ‘chat’.

L’usage de ce mode d’expression est identique à celui à l’œuvre sur les réseaux sociaux. Une intervention d’une personne peut être suivie de réactions appréciatives de tiers sous forme d’émoticons, qui confèrent à toute prise d’expression un aspect référendaire. Ces règles du jeu peuvent avoir de quoi surprendre dans une configuration de communication comme celle d’un cours, où ni la parole de l’enseignant•e, ni celle d’éventuels autres intervenant•e•s, n’ont coutume à être ouvertement évaluées et appréciées.

Lorsque certain•e•s participant•e•s à un cours en viennent à dialoguer entre eux/elles à coup de messages via le ‘conversation’, le brouhaha parfois rencontré dans certains amphis physiques, peut aussi être remplacé par celui du ‘chat’…

La révolution amenée dans l’enseignement par la généralisation de l’enseignement en ligne n’a pas nécessairement été douce. Elle a, en tout cas, été profondément interpellante. Et, là comme ailleurs, rien ne sera sans doute demain plus jamais pareil. Et en tout cas pour celles et ceux qui, dans la ‘vieille’ génération des enseignant•e•s, croyaient jusqu’ici maîtriser les codes de ce type de communication…

Frédéric ANTOINE

16 mai 2020

Plus nombreux lors du covid devant les "Douze coups de midi". Mais…


Plus nombreux devant leur écran de télé pendant les journées de confinement covid, les Belges l'ont aussi été sur le temps de midi devant le jeu de TF1 qui réalise des audiences historiques pendant cette période. Jusquà ce que…
L'audience de ce jeu quotidien, diffusé même le dimanche, est quelque peu erratique. En Belgique, elle était en moyenne d'environ 208.000 spectateurs par émission en 2019. Mais, en période de vacances scolaires, ils peuvent être beaucoup plus nombreux. L'an dernier, les émissions ayant attiré les plus grandes audiences furent diffusées les 29 et 26 décembre ( 278.000 et 272.000 personnes). Le volume de l'auditoire varie aussi selon les jours de la semaine. Si l'on peut comprendre que, en 2019, les jours ayant attiré le maximum de téléspecteurs belges étaient, le plus souvent, été ceux du week-end, la variation des niveaux d'audience des autres jours de la semaine est moins évidente à expliuer. En Belgique, des audiences plus de 240.000 personnes ont régulièrement été enregistrées l'an dernier hors des samedi-dimanche.
En 2020, avant la crise covid, l'audience moyenne était en très légère croissance (1) : +10.000 spectateurs par rapport à l'an dernier environ. Le confinement va modifier cette situation. Sur la période 18 mars - 14 mai, l'audience moyenne du programme frise les 250.000 personnes, soit environ 30.000 spectateurs/jour de plus qu'au début de l'année, et 40.000 de plus en comparaison de la moyenne 2019. Le programme dépasse même à deux reprises les 300.000 spectateurs belges (mardi de Pâques et jeudi 26/03), et se situe au-dessus des 290.000 à cinq reprises pendant la période de fin mars-début avril. Le programme a clairement conquis un nouveau public, différent de ceui qui compose l'auditoire habituel de la télévision sur le temps de midi.

Mais, comme le révèle le graphique, la courbe d'audience retombera ensuite aux environs des 250.000 personnes la dernière semaine d'avril, et s'effondrera en début mai. Le programme perd alors jusqu'à 100.00 spectateurs. Cette désaffection soudaine n'est pas étrangère au changement de programmation survenu le 29/4. A partir de cette date, faute de nouveaux enregistrements, l'émission se met en mode rediffusion. L'auditoire résiduaire est sans doute plutôt composé de membres du public additionnel que le programme avait conquis lors de la crise, une partie de ses habitués n'ayant pas souhaité revoir une seconde fois le parcours du "maître du jeu" Paul, déjà diffusé l'an dernier exctement à pareille époque.

Les victoires d'audience dues au covid peuvent s'avérer fragiles. Et peu résistantes lorsque la matière fraîche vient à manquer…

F.A.

(1) Pour autant que cette différence soit statistiquement significative dans l'échantillon de base de la mesure audimétrique.

Le « doute systématique du journaliste » face au grand incendie : Suite et fin…

(suite du récit du post précédent)

Variante 1.

Vers minuit, les flammes commencèrent à attaquer l’autoroute sud, mais elle peinèrent à traverser la large saignée que le ruban de bitume avait opéré au milieu de la forêt. L’incendie se propageait de voiture en voiture, et seules les explosions de réservoirs permettaient au feu de progresser. Quasiment tous les occupants des véhicules avaient pris la fuite lorsqu’ils avaient vu l’impossible devenir réalité. Seuls quelques-uns n’avaient pu sortir à temps. À l’extérieur, des familles entières s’étaient retrouvées cernées par l’incendie, d’autres n’avaient pas résisté et avait succombé aux fumées et au manque d’air.
À 3h du matin, un orage survint. La pluie fut torrentielle. En quelques minutes, les attaques de feu qui avaient traversé l’autoroute  s’éteignirent. À l’autre bout de la forêt, dans les tours de logements sociaux récemment rénovés qui constituaient la dernière banlieue de la ville, les habitants qui n’avaient pas fui n’avaient pas dormi. La plupart étaient restés sut leur balcon, les yeux rivés vers le sud, comme fascinés. L’orage les sortit de leur hébétement. Ils comprirent en quelques minutes que la catastrophe n’arriverait pas jusqu’à eux.
Les stations de télévision qui avaient placé des caméras sur les toits des immeubles avaient capté, de loin, l’arrêt de la tragédie. En ville aussi, ceux qui n’étaient pas partis ressentirent un immense soulagement. On se mit à sortir dans la rue. « Je savais que cela n’arriverait pas, qu’on n’aurait pas à partir ! », entendait-on souvent. « C’était impossible, ils avaient imaginé cela pour nous faire peur, pour nous forcer à fuir », disaient de leur côté des membres des comités citoyens. 
Au matin, la vie avait repris quasiment normalement. La pluie séchée, les terrasses étaient pleines, les gens faisaient leurs courses dans les magasins. À peine percevait-on au fond de l’air une très  légère odeur un peu âcre.
Au sud de la ville, le gouvernement dépêcha rapidement des forces de sécurité pour évacuer au plus vite les corps carbonisés des familles prises au piège sur ou près de l’autoroute. L’affaire fut rondement menée. La remise en circulation de la large voie rapide prit, elle, beaucoup plus de temps que prévu. Les médias, qui avaient continué à passer au crible de la critique systématique toutes les communications officielles, ne manquèrent pas de le relever. Ils s’interrogeaient sur la non-tenue d’une promesse qui entraînait des encombrements de circulation importants, tout l’accès sud de la capitale devant se reporter sur d’autres axes, ainsi que tout le trafic de transit. Plusieurs journaux mirent en avant l’incurie des pouvoirs publics et dénoncèrent le manque de moyens mis en œuvre par les autorités pour que la ‘normalité’ revienne au plus vite. On se demanda quel intérêt le gouvernement avait à faire traîner les choses.
D’autres médias s’intéressèrent plutôt à la manière dont les victimes décédées auprès et sur l’autoroute avaient été traitées, le gouvernement s’étant dès la fin de l’incendie engagé à prendre tous les frais à sa charge. L’enquête menée par un collectif de journalistes mit au jour que les  juteux contrats des mises en bière et de la fourniture des cercueils, notamment, avaient été passés en urgence, sans appel d’offre international. Et qu’ils avaient été attribués à une société dirigée par le frère de la cousine de la sœur du nouveau compagnon de la ministre de l’Enseignement. L’affaire fit énormément de bruit. Le Premier ministre eût beau déclarer que, cette liaison étant très très récente (on parlait de trois à quatre jours avant l’incendie), personne au gouvernement n’en avait connaissance. Il affirmait qu’il était impossible de faire le rapprochement. Rares furent ceux qui le crurent. La collusion de l’État avec un acteur privé, voire l’intérêt que le gouvernement avait dû avoir à ce que les choses se passent ainsi, était sur toutes les lèvres. Quelques mois plus tard, l’équipe ministérielle le paya cash lorsque se tinrent des élections.

Variante 2.

Pendant le reste de la nuit, la force du vent décupla. Le feu joua à saute-mouton avec les voitures immobilisées sur l’autoroute, et passa sans embûches cette frontière naturelle, l’explosion des réservoirs lui permettant de rebondir rapidement.

Avant l’aube, toute la forêt précédant les premières banlieues avait été mangée. L’incendie se mit à attaquer les immeubles tours de logements sociaux des quartiers sud. Les matériaux bon marché qui avaient servi à leur rénovation n’étaient pas résistants au feu. Des bâtiments s’enflammèrent comme des torches. Très longtemps, les habitants qui étaient restés sur place avaient cru que le brasier ne les atteindrait pas. Même devant sa progression fulgurante, certains restèrent comme hébétés. Les cages d’escaliers des immeubles furent prises d’assaut au dernier moment. Ou s’y bouscula. Les plus vieux furent écartés par les plus jeunes. Des enfants furent perdus. Arrivés à l’extérieur, les occupants devaient encore trouver vers où fuir les flammes qui ne cessaient de progresser. Tout le monde se précipitait dans la même direction. Là aussi, il y eut des morts et des blessés. D’autant que, au fil des minutes, la foule des fuyards était rejointe par les habitants d’autres quartiers, d’autres rues, que les flammes commençaient aussi à attaquer. Les comités citoyens avaient branché leurs tuyaux d’arrosage un peu partout, et faisaient de leur mieux pour ralentir l’avance du feu. Mais la petite section des tuyaux et la faible pression de l’eau sur le réseau rendaient ces efforts surhumains quasiment inutiles…

Pendant tout le début de la matinée, le feu remonta la ville vers le nord. Au milieu de la capitale, le fleuve coupait la cité en deux. Son lit était ici particulièrement large. Seuls quelques ponts le traversaient. Les experts consultés par le gouvernement avaient misé sur cette frontière physique pour arrêter le sinistre. L’information avait été communiquée aux médias, mais ceux-ci étant dans l’incapacité d’en vérifier l’exactitude, elle avait été à peine mentionnée. Une partie de la population étant persuadée que jamais l’incendie n’arriverait en ville, à quoi bon bâtir des scénarios liés à l’hypothèse inverse ?

À midi, le feu était au bord du fleuve. Comme prévu, il ne tenta de la traverser que via les ponts. Sur l’autre rive, les autorités avaient rassemblé toutes les forces de secours disponibles, ainsi que l’ensemble des renforts des casernes de pompiers. Le combat fut rude, mais finit par être remporté. La progression de l’incendie se limita à une rive. L’autre fut sauvée.

Réfugiée dans un bunker ignifugé bâti jadis en cas de conflit nucléaire, la cellule ultime de crise du gouvernement essayait de suivre les événements à distance, via des caméras de surveillance encore en fonction. Celles-ci montraient aussi les foules de gens perdus, rattrapées par l’incendie, les personnes surprises dans les encoignures où elles se pensaient à l’abri, les enfants piétinés lorsque tout le monde se ruait dans la même direction…

Plusieurs entreprises de presse, dont le siège se trouvait sur la mauvaise rive du fleuve, avaient évacué leur personnel en urgence, et leurs bâtiments avaient été attaqués par le feu. Seules les grandes sociétés multimédias, qui avaient bâti de nouvelles infrastructures sur l’autre rive, purent continuer à couvrir une actualité que, de toute manière, plus personne ne pouvait suivre dans les quartiers sinistrés privés d’électricité, de téléphone et de wifi.

Le lendemain de la fin de l’incendie, le gouvernement engagea d’immenses moyens afin d’évacuer les corps des victimes brûlées, écrasées ou asphyxiées dans leur fuite. L’armée fut chargée de l’opération. Des contrats furent passés en urgence avec des entreprises de terrassement pour évacuer les parties d’immeubles effondrés, ainsi que tout ce qui avait brûlé. Des sociétés de démolition détruisirent ce qui menaçait de s’effondrer. Sauf dans les banlieues sud, que le gouvernement décida de ne pas raser mais de laisser plus ou moins en état, sous forme d’un « Parc-mémorial du souvenir ». Les journalistes ressortirent alors les vieux projets qu’ils avaient redécouverts avant l’incendie. Cela suscita un trouble dans les esprits. En effet, au même moment, le gouvernement proposait aussi de remodeler l’allure des quartiers plus centraux du sud la capitale, eux aussi touchés par le sinistre. Un nouveau plan d’aménagement fut commandé à un bureau d’experts. L’un ou l’autre média osa la formule : « Décidément, il n’y a jamais de fumée sans feu… »

Un groupe de journalistes-investigateurs éplucha aussi tous les contrats passés suite à l’incendie. Des irrégularités furent constatées à plusieurs endroits. Notamment suite à l’attribution de certains marchés à une société dirigée par le frère de la cousine de la sœur du nouveau compagnon de la ministre de l’Enseignement. L’affaire fit énormément de bruit. Le Premier ministre eut beau déclarer que, cette liaison étant très très récente (on parlait de trois à quatre jours avant l’incendie), personne au gouvernement n’en avait connaissance. Il affirmait qu’il était impossible de faire le rapprochement. Rares furent ceux qui le crurent. La collusion de l’État avec un acteur privé, voire l’intérêt que le gouvernement avait dû avoir à ce que les choses se passent ainsi, était sur toutes les lèvres. Quelques mois plus tard, l’équipe ministérielle le paya cash lorsque se tinrent des élections.


15 mai 2020

Le « doute systématique » du journaliste face à la menace du grand incendie


Poussé par des vents violents, impossibles à maîtriser, l’incendie de forêt s’était rapproché de hameaux situés à une cinquantaine de kilomètres au sud des premières cités de la banlieue.
« Vus la vitesse et le sens du vent, les experts estiment qu’il sera sur la capitale dans mois de 48h » a commencé par affirmer la ministre de la Sécurité dans un communiqué. Quelques heures plus tard, le Premier ministre convoquait un comité interministériel qui prenait des mesures d’urgence. À la sortie, le chef du gouvernement tenait une conférence de presse.
« Pour l’heure, il n’y a qu’un conseil à donner. Dans un rayon de 30 km autour du centre-ville, tout le monde doit arrêter ses activités et fuir son domicile, en direction du nord ou de l’est du pays. Un plan d’exode par quartier, heure par heure, a été établi. Il faut strictement s’y respecter. C’est la seule chose à faire si vous voulez échapper à la mort. »

C’est en petit nombre que les journalistes avaient assisté à la conférence de presse. Les communications du gouvernement, ils en connaissaient la musique ainsi que la propension aux ‘effets d’annonce’. Leur fréquence les rendait toutes moins intéressantes les unes que les autres. Et que cette dernière clôture une réunion spéciale n’y changeait pas grand chose.

Dans l’audiovisuel, cet événement n’avait pas interrompu les programmes habituels. Séries, jeux, divertissements et musique occupaient les antennes. Au cours des flashs infos horaires, les radios se contentaient d’annoncer, de manière laconique, que le gouvernement avait tenu une conférence de presse pour inviter la population à quitter la capitale, et justifiait la mesure par la présence d’un incendie en province. Sur le fil info des quotidiens en ligne, la conférence de presse avait été traitée parmi les autres nouvelles, entre le transfert d’une vedette d’un club de foot brésilien et un accident d’autocar en Arizona, où deux habitants de Phoenix avaient trouvé la mort, une quarantaine ayant été blessés.

Le contenu de la conférence de presse était bien arrivé sur le desk de tous les médias, mais elle n’y avait pas échappé au filtre du « doute systématique » que tous les journalistes de la contrée avaient coutume d’appliquer aux communications gouvernementales. Un réflexe qu’on leur avait appris lors de leurs études, où leurs (vieux) professeurs avaient tout fait pour qu’une fameuse formule descartienne, détournée en « Dubito, ergo sum », devienne chez eux une attitude innée dès qu’ils auraient à appréhender et évaluer une source informationnelle.
« Quand une instance officielle communique, demandez-vous toujours à qui profite le crime », avait coutume de leur répéter un de ces mentors lors de ses enseignements.

La recommandation, vraisemblablement, avait fait mouche. Les générations de journalistes issues des universités et établissements d’enseignement supérieur semblaient toutes marquées au fer rouge par la maxime qu’on leur avait inculquée. Les gouvernements du pays ne faisant que passer tout en se ressemblant tous un peu, chaque fait, geste ou déclaration des ministres, hauts fonctionnaires, conseillers… bénéficiait dans les rédactions du même accueil, immanquablement dubitatif. Pour éclairer leurs doutes, les journalistes convoquaient à chaque fois les recommandations qu’on leur avait inculquées, à commencer par celle qui proposait de passer toute nouvelle à la moulinette de la critique historique. Et notamment de le soumettre à la « critique d’interprétation » qui recommande de dépasser la simple lecture factuelle  et évidente d’une nouvelle pour aller en rechercher le sens caché, en faire l’exégèse. « Ils ont dit cela. Mais que voulaient-ils réellement dire? Que se cache-t-il derrière la palissade leur communication? »

Les messages des politiques à propos de l’évacuation en 24h des cinq millions d’habitants de la région-capitale n’avaient pas échappé à la règle. Les médias n’avaient pu éviter de transmettre le contenu de la conférence de presse, mais l’avaient pris en considération au même titre que n’importe quelle autre information. En s’interrogeant sur le bien fondé de pareille évacuation. Ou en se questionnant sur les raisons réelles qui poussaient le gouvernement à faire vider la ville, en commençant par les quartiers moins favorisés de la banlieue. Le but final de la mesure était-il de réellement d’éviter qu’un grand nombre de citoyens périssent dans ou à cause des flammes?

Dans certains médias, des journalistes qui se voulaient plus aguerris ou plus foncièrement critiques disaient n’être pas prêts à relayer les injonctions des autorités. Ils avaient rapidement dressé un inventaire des moyens de lutte contre les incendies, et celui-ci démontrait qu’ils étaient peu nombreux. Un petit nombre de casernes. Des brigades de pompiers relativement peu entraînées. Et, surtout, un matériel vieillissant, pas remplacé depuis des années pour raisons d’austérité budgétaire et d’abandon des questions de défense civile par les autorités centrales. Sur base de ces premières infos issues d’enquêtes journalistiques, des chaînes de télévision s’étaient mises à réaliser des reportages dans les centres de secours. Ils révélaient leur aspect délabré et la non-préparation des équipes. Il suffisait de regarder l’une de ces séquences pour conclure que, face à la progression du feu dans des quartiers à l’abandon, les rares lances et autopompes ne feraient rapidement pas le poids. 

Ces émissions, complétées par les articles en ligne publiés sur les sites des quotidiens de la capitale, avaient été fort suivies, et avaient marqué la population. Nombreux étaient ceux qui en concluaient que, si le feu progressait et arrivait à proximité des quartiers d’habitations alors que les résidents avaient fui au loin, ils risquaient de tout perdre. Des discussions avaient ensuite pris le relais sur les réseaux sociaux. « Qui sont ceux qui sont les plus aptes à combattre en grand nombre pareille catastrophe? C’est nous, les habitants. Quand on lutte pour la défense de son bien, ne voit-on pas ses forces décupler ? Nous devons rester ici ! »

Toute la soirée et le début de la nuit, les forces de police avaient sillonné les artères de la ville et de ses banlieues pour enjoindre tout le monde de partir se réfugier ailleurs, en emportant le strict minimum. Mais, en petit nombre, les représentants de l’ordre n’avaient pas eu la force, ni les moyens, de sonner à chaque porte pour pousser chacun à passer à l’acte.

Le lendemain matin, il faisait plein soleil, l’air était pur et un léger vent rafraîchissait l’atmosphère. La circulation sur les boulevards extérieurs et les entrées d’autoroutes était plus dense que d’habitude, mais on ne recensait pas de réel blocage du trafic pour sortir de la ville.  Comme à l’accoutumée, les terrasses étaient bondées, et de nombreux chalands faisaient des courses dans les magasins. Les écoles et les bâtiments publics étaient fermés, mais cela ne semblait pas préoccuper grand monde. Les médias relataient cette étrange situation, donnant la parole à tous les citoyens : ceux qui avaient choisi de partir, la peur au ventre. Mais aussi ceux qui avaient préféré rester. Ces derniers reprenaient souvent les arguments entendus sur les réseaux sociaux, et affirmaient qu’ils allaient créer des milices civiles de protection locale qui, le cas échéant, protégeraient les maisons et les immeubles.

Dans les magasins de jardinage, le prix du mètre de tuyau d’arrosage se mit rapidement à grimper, et les extincteurs devinrent introuvables, tout comme les bêches et les pelles. Développant leur questionnement sur les véritables raisons de la décision gouvernementale, certains journalistes avaient remis la main sur des projets officiels, datant d’une dizaine d’années, qui avaient envisagé de transformer en parcs certains quartiers trop peuplés, de réaliser un lac à la place du centre d’une des banlieues de la capitale, et de transformer une cité d’anciennes maisons ouvrières en un quartier de villas avec piscine. Le dossier avait disparu lors d’un changement de majorité, et la dernière crise financière paraissait l’avoir enterré. Mais qui pouvait être sûr qu’il ne continuait pas à sommeiller dans un coin de la tête de l’un ou l’autre dirigeant ? Les articles reprenant ces projets suscitèrent un vif émoi chez tous ceux qui en avaient oublié l’existence, ou n’en avaient jamais entendu parler. C’était de plus en plus sûr : il y avait une face cachée à cette décision politique là.

En fin de journée, voyant qu’une part importante de la population ne se décidait pas à abandonner son domicile, le gouvernement demanda au ministre de la Défense de faire circuler quelques convois militaires dans les artères de la ville. Leur arrivée, prévenue par des alertes citoyennes sur internet, amena sur les boulevards une foule de plusieurs milliers de personnes qui se mirent à desceller des pavés et à les jeter sur les camions en criant qu’ils défendraient leur bien et ne partiraient jamais. Les forces armées n’insistèrent pas. L’événement étant factuel et marquant, il fut retransmis dans les JT du soir. On y apprenait aussi que, selon les autorités, l’incendie de forêt avait progressé de plusieurs kilomètres. Mais les témoignages recueillis localement étaient plutôt rassurants. Des pompiers affirmaient que le feu pourrait être circonscrit. Des fermiers témoignaient qu’ils avaient l’affaire à l’œil. Personne n’était inquiet. Dans la ville, le temps était doux et sec. La soirée fut paisible.

La nuit, le vent se leva d’un coup, avec de fortes bourrasques. À 7h du matin, le gouvernement essaya de lancer un message d’urgence via les médias : des premiers indices de l’incendie avaient été repérés au bord de la grande forêt qui entourait la banlieue sud. Il fallait impérativement partir. Prises d’un doute, comme il se devait, les rédactions essayèrent de recouper l’information. Mais il était impossible d’accéder à la zone, et tout survol était interdit. On tenta d’utiliser des drones. Les images recueillies ne furent pas convaincantes. Les médias dirent donc que, selon le gouvernement, le feu était en progression, et qu’il enjoignait les citadins à partir.
Mais que l’information sur la progression de l’incendie ne pouvait être vérifiée.

À midi, le vent fit planer une légère odeur de bois brûlé au-dessus des premières cités. Dans l’après-midi, des photos postées sur les réseaux sociaux et reprises par les sites des médias montraient un peu de fumée s’élever dans le lointain du ciel. Vers 18h, des journalistes dépêchés dans la zone confirmaient avoir vu de petites flammèches ramper dans quelques coins de la forêt. Vers 20h, des relents de feu commença à pénétrer dans la ville. Les citoyens qui avaient proposé de constituer des milices lancèrent via le web des appels aux volontaires. Quelques dizaines de personnes se retrouvèrent à divers points de rassemblement, amenant avec eux du matériel hétéroclite, puis se mirent à chercher des points d’eau. De nombreuses portes étaient closes.

Du côté des boulevards, la circulation prit subitement une ampleur inégalée. Engorgées, les bretelles d’autoroute ne parvenaient plus à absorber le flux des voitures. Aux quatre coins de la capitale, sur des dizaines de kilomètres, des véhicules bondés étaient à l’arrêt. Rien n’avançait. Le blocage semblait total. Au sud de la capitale, dans la noirceur de la nuit, près de l’autoroute, les automobilistes naufragés pouvaient apercevoir comme une lueur orangée, un peu scintillante, qui semblait chaque minute se rapprocher davantage. Sur la brèche, les médias se mirent à couvrir la situation en direct. En studio, les éditeurs se demandaient quels conseils donner à ces milliers de citadins perdus dans leur fuite.


Quelle sera la fin de ce récit purement imaginaire ? Un autre post en imagine deux…

F.A.

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