La presse a annoncé ce 30 juin que la Fédération Wallonie Bruxelles et RTL Belgium avaient conclu un accord au terme duquel, en échange de son "retour" dans le giron belge, la société bénéficierait d'une aide importante de l'Etat. Une info à nuancer. Mais dont on ne peut s'empêcher de se demander à qui elle profite.
En fin de journée, le mardi 30/06, le service de presse de RTL Belgium a envoyé, à quelques minutes d'intervalle, deux communiqués de presse au contenu assez proche, annonçant que l'entreprise et le gouvernement de la FWB "avaient convenu d’un protocole d’accord visant à permettre à RTL Belgium de faire face à l’impact que le COVID-19 a eu sur ses activités". Le premier communiqué laissait sous-entendre que cet accord était déjà mis en œuvre. Le second comprenait un paragraphe supplémentaire précisant que "ce protocole est encore sujet à une approbation de l'Europe sur les aides d'Etat". Nuance…
Le communiqué de presse du cabinet du ministre Linard, beaucoup plus détaillé, était aussi beaucoup moins péremptoire que celui de l'entreprise. On peut notamment y lire que "des négociations vont donc être entamées en vue de conclure une convention entre la FWB et RTL Belgium". Il n'est donc nullement question ici d'un protocole d'accord, mais seulement de la mise en œuvre de négociations. Nuance…
Toutefois, au-delà d'une exégèse des formules utilisées, le fond de l'affaire est bien le même: "en cas de rattachement de RTL Belgium à la FWB" et à condition de s'engager sur une série de points dont "le respect la législation de la FWB, dont le prochain cadre fixé par la transposition de la directive SMA", l'Etat belge, par l'entremise de la FWB, s'engagera à fournir "une aide destinée à préserver la pérennité de RTL Belgium".
LE RETOUR DE L'ENFANT PRODIGUE
La FWB s'efforce depuis la crise du covid à soutenir tant que possible les médias de Belgique francophone, les journalistes, et le monde de la culture. Etait-il normal qu'elle réponde aux appels lancés par RTL Belgium?
On ne peut à ce propos perdre de vue que, pour des motifs purement économiques, RTL Belgium avait choisi de claquer la porte de ses liens avec les autorités belges en 2005 pour se replier sur l'autorisation dont elle bénéficie sur ses historiques et hospitalières terres luxembourgeoises. Un petit duché dont les autorités de contrôle des médias sont assurément plus laxistes que leur alter ego belge. On ne peut, de plus oublier que, à l'époque, en vertu de la législation européenne, personne n'avait pu trouver à redire au fait que l'entreprise ne soit alors plus soumise à des obligations et à un contrôle sur le territoire auquel ses chaînes s'adressaient, et où elle avait l'essentiel de ses activités.
Une nouvelle version de la directive européenne, qui avait à l'origine rendu cela possible, devrait prochainement être adoptée au Parlement de la FWB et, selon certains observateurs, rendre à peu près obligatoire que RTL Belgium réintègre le giron des autorités belges.
Mais cela impliquait-il que, en contre-partie du retour de l'enfant prodigue, la FWB lui déploie le tapis rouge et s'empresse de faire un geste à son égard?
MADE IN GERMANY
Prenons un peu de hauteur. Faut-il rappeler que 66% du capital de RTL Belgium sont entre les mains du RTL Group, société luxembourgeoise elle-même détenue à 76,28% par le géant allemand des médias Bertelsmann, possédé par la famille allemande Mohn (1)?
On répondra sans doute à cela que 34% du capital de RTL Belgium sont, tout de même, entre des mains belges, puisque par l'entremise d'Audiopresse, cette part de l'entreprise est détenue par des groupes de presse belges. Mais il faut aussi garder en mémoire que, de ces 34%, près du tiers est détenu par le groupe médias flamand Mediahuis, qui n'a aucune implantation ni rapport institutionnel direct avec la Belgique francophone…
Peut-on aussi mettre de côté le fait que, en obéissant à la logique de rentabilité maximale imposée par son actionnaire principal, et sous prétexte de mise sur pied d'un plan de développement digital, l'entreprise a mené fin 2017 une sévère opération de 'nettoyage' de son personnel ('plan Evolve') qui lui a… permis de doubler ses bénéfices en 2018 (2), et donc de satisfaire l'attente en dividendes de ses actionnaires?
Peut-on aussi omettre de rappeler que l'opération d'économies menée en 2018 a, en pratique, entraîné une réduction claire des productions 'belges' sur les chaînes du groupe ainsi que de leur ancrage en FWB? L'offre de programmes en prime time, exposée dans un précédent article de ce blog, démontre que, hormis les JT, bon nombre des émissions de ces chaînes, figurant en haut des podiums d'audience, n'ont pas de rapport avec la FWB. A de nombreux égards, RTL Belgium est déjà à l'heure actuelle sur la voie d'une filialisation de M6 France. L'appui que la FWB pourrait s'engager à apporter à la société allemande a-t-il comme but d'arrêter cette hémorragie, ou simplement de sauver ce qui peut l'être? On pense ici aux petits magazines qui suivent les jt du soir, aux télé-réalité comme L'amour est dans le pré ou Mariés au premier regard et, bien sûr, aux jt et au talk-show politique du dimanche midi.
QUEL PLURALISME?
RTL Belgium a su, à et égard, jouer sur la corde sensible du monde politique: la question du pluralisme. Le communiqué de presse de l'entreprise est éloquent à cet égard. Une de ses trois phrases insiste sur ce point, évoquant sa volonté de "préserver le pluralisme de l’information audiovisuelle en Communauté française, un pluralisme dont RTL a toujours été et reste le premier garant". En écho, le communiqué du cabinet de la ministre des médias mentionne que "RTL Belgium contribue de manière spécifique à ce pluralisme".
Alors que la logique du service public est d'assurer en son sein une représentation pluraliste de la société (d'où la notion de "pluralisme interne"), les autorités politiques et l'entreprise privée prennent, elles, la défense du "pluralisme externe". Une notion au nom de laquelle un opérateur audiovisuel privé fut autorisé en Belgique francophone en 1987 par le gouvernement du PRL Philippe Monfils (les plus anciens se souviennent sans doute de la fameuse campagne de pub menée à l'époque par RTL avec comme slogan "L'autre vérité", moyen de vulgariser la notion de 'pluralisme externe').
"Pluralisme" doit-il être lu dans les communications faites le 30/06 dans le sens de "pluralisme politique"? On peut en tout cas supposer que les autorités de l'Etat ne sont pas insensibles au fait de disposer sur RTL d'autres tribunes (ou de davantage de tribunes) que s'il n'existait plus que la seule RTBF. Aider RTL aurait alors comme but essentiel de préserver "le pluralisme"(?) de l'info. Vu le volume et la composition du personnel de l'entreprise, l'exigence exprimée par la FWB, demandant que RTL assure une "garantie du maintien de l’emploi" semble aller dans ce sens: sauver ce qu'il y reste d'un pôle journalistique déjà mis au régime précédemment.
A titre de comparaison, le personnel de RTL Belgium comptait 'seulement' 297,6 équivalents TP en 2018, contre 350,4 l'année précédente (3). La RTBF, elle, rémunérait 2.009 ETP en 2019 contre 2.038 en 2018 (4).
ET LN24?
Bien sûr, RTL TVI réalise pour l'instant les meilleures audiences en soirée, et ses jt sont en règle générale plus regardés que ceux de La Une. I est donc politiquement difficile de ne pas être sensible à cette donnée du problème. Toutefois, jusqu'à présent, la règle générale était que l'Etat n'accordait aucune aide aux entreprises audiovisuelles privées. Le cordon autour de ce secteur est donc en train de tomber. Il peut peut-être, à certains points de vue, paraître pertinent d'accorder de l'argent à une société dépendant d'un géant mondial des médias, qui possède de par le monde 126.000 employés et qui a réalisé un chiffre d'affaires global de 18 milliards d'euros l'an dernier, et un milliard d'euros de bénéfice (5).
Mais alors, il semblerait aussi légitime de se demander si d'autres opérateurs n'auraient pas droit, peut-être avant RTL, à être soutenus par l'Etat. A commencer par LN24, qui petit à petit réussit à trouver sa place sur le marché de la télévision, mais manque de moyens pour s'y développer et assurer pleinement sa mission d'information.
Si l'argument politique est celui du pluralisme, et ce d'abord dans le monde de l'info, cette chaîne all news, qui est devenue un lieu d'expression et de débat de plus en plus indiscutable et couru, mériterait sans doute plus d'être encouragée et soutenue qu'une filiale d'une entreprise allemande dont le principal souci reste la rentabilité, où le réflexe de base est ontologiquement de nature commerciale, et dont la programmation est d'abord guidée par le souci de distraire ses téléspectateurs.
Frédéric ANTOINE.
(1) Capital du RTL Group:
Bertelsmann Capital Holding:76.28%
Silchester International Investors LLP: 5.01%
Treasury shares: 0.76%
Public: 17.95%
(2) Les comptes annuels 2019 n'ayant pas encore été déposés à la BNB (ou n'y étant pas accessibles), l'actualisation de ces données est à cette heure impossible.
(3) Comptes annuels 2018 et 2017.
(4) Rapport annuel RTBF 2019.
(5) https://www.bertelsmann.com/news-and-media/news/bertelsmann-increases-revenues-achieves-best-ever-operating-result-in-2019.jsp
En fin de journée, le mardi 30/06, le service de presse de RTL Belgium a envoyé, à quelques minutes d'intervalle, deux communiqués de presse au contenu assez proche, annonçant que l'entreprise et le gouvernement de la FWB "avaient convenu d’un protocole d’accord visant à permettre à RTL Belgium de faire face à l’impact que le COVID-19 a eu sur ses activités". Le premier communiqué laissait sous-entendre que cet accord était déjà mis en œuvre. Le second comprenait un paragraphe supplémentaire précisant que "ce protocole est encore sujet à une approbation de l'Europe sur les aides d'Etat". Nuance…
Le communiqué de presse du cabinet du ministre Linard, beaucoup plus détaillé, était aussi beaucoup moins péremptoire que celui de l'entreprise. On peut notamment y lire que "des négociations vont donc être entamées en vue de conclure une convention entre la FWB et RTL Belgium". Il n'est donc nullement question ici d'un protocole d'accord, mais seulement de la mise en œuvre de négociations. Nuance…
Toutefois, au-delà d'une exégèse des formules utilisées, le fond de l'affaire est bien le même: "en cas de rattachement de RTL Belgium à la FWB" et à condition de s'engager sur une série de points dont "le respect la législation de la FWB, dont le prochain cadre fixé par la transposition de la directive SMA", l'Etat belge, par l'entremise de la FWB, s'engagera à fournir "une aide destinée à préserver la pérennité de RTL Belgium".
LE RETOUR DE L'ENFANT PRODIGUE
La FWB s'efforce depuis la crise du covid à soutenir tant que possible les médias de Belgique francophone, les journalistes, et le monde de la culture. Etait-il normal qu'elle réponde aux appels lancés par RTL Belgium?
On ne peut à ce propos perdre de vue que, pour des motifs purement économiques, RTL Belgium avait choisi de claquer la porte de ses liens avec les autorités belges en 2005 pour se replier sur l'autorisation dont elle bénéficie sur ses historiques et hospitalières terres luxembourgeoises. Un petit duché dont les autorités de contrôle des médias sont assurément plus laxistes que leur alter ego belge. On ne peut, de plus oublier que, à l'époque, en vertu de la législation européenne, personne n'avait pu trouver à redire au fait que l'entreprise ne soit alors plus soumise à des obligations et à un contrôle sur le territoire auquel ses chaînes s'adressaient, et où elle avait l'essentiel de ses activités.
Une nouvelle version de la directive européenne, qui avait à l'origine rendu cela possible, devrait prochainement être adoptée au Parlement de la FWB et, selon certains observateurs, rendre à peu près obligatoire que RTL Belgium réintègre le giron des autorités belges.
Mais cela impliquait-il que, en contre-partie du retour de l'enfant prodigue, la FWB lui déploie le tapis rouge et s'empresse de faire un geste à son égard?
MADE IN GERMANY
Prenons un peu de hauteur. Faut-il rappeler que 66% du capital de RTL Belgium sont entre les mains du RTL Group, société luxembourgeoise elle-même détenue à 76,28% par le géant allemand des médias Bertelsmann, possédé par la famille allemande Mohn (1)?
On répondra sans doute à cela que 34% du capital de RTL Belgium sont, tout de même, entre des mains belges, puisque par l'entremise d'Audiopresse, cette part de l'entreprise est détenue par des groupes de presse belges. Mais il faut aussi garder en mémoire que, de ces 34%, près du tiers est détenu par le groupe médias flamand Mediahuis, qui n'a aucune implantation ni rapport institutionnel direct avec la Belgique francophone…
Peut-on aussi mettre de côté le fait que, en obéissant à la logique de rentabilité maximale imposée par son actionnaire principal, et sous prétexte de mise sur pied d'un plan de développement digital, l'entreprise a mené fin 2017 une sévère opération de 'nettoyage' de son personnel ('plan Evolve') qui lui a… permis de doubler ses bénéfices en 2018 (2), et donc de satisfaire l'attente en dividendes de ses actionnaires?
Peut-on aussi omettre de rappeler que l'opération d'économies menée en 2018 a, en pratique, entraîné une réduction claire des productions 'belges' sur les chaînes du groupe ainsi que de leur ancrage en FWB? L'offre de programmes en prime time, exposée dans un précédent article de ce blog, démontre que, hormis les JT, bon nombre des émissions de ces chaînes, figurant en haut des podiums d'audience, n'ont pas de rapport avec la FWB. A de nombreux égards, RTL Belgium est déjà à l'heure actuelle sur la voie d'une filialisation de M6 France. L'appui que la FWB pourrait s'engager à apporter à la société allemande a-t-il comme but d'arrêter cette hémorragie, ou simplement de sauver ce qui peut l'être? On pense ici aux petits magazines qui suivent les jt du soir, aux télé-réalité comme L'amour est dans le pré ou Mariés au premier regard et, bien sûr, aux jt et au talk-show politique du dimanche midi.
QUEL PLURALISME?
RTL Belgium a su, à et égard, jouer sur la corde sensible du monde politique: la question du pluralisme. Le communiqué de presse de l'entreprise est éloquent à cet égard. Une de ses trois phrases insiste sur ce point, évoquant sa volonté de "préserver le pluralisme de l’information audiovisuelle en Communauté française, un pluralisme dont RTL a toujours été et reste le premier garant". En écho, le communiqué du cabinet de la ministre des médias mentionne que "RTL Belgium contribue de manière spécifique à ce pluralisme".
Alors que la logique du service public est d'assurer en son sein une représentation pluraliste de la société (d'où la notion de "pluralisme interne"), les autorités politiques et l'entreprise privée prennent, elles, la défense du "pluralisme externe". Une notion au nom de laquelle un opérateur audiovisuel privé fut autorisé en Belgique francophone en 1987 par le gouvernement du PRL Philippe Monfils (les plus anciens se souviennent sans doute de la fameuse campagne de pub menée à l'époque par RTL avec comme slogan "L'autre vérité", moyen de vulgariser la notion de 'pluralisme externe').
"Pluralisme" doit-il être lu dans les communications faites le 30/06 dans le sens de "pluralisme politique"? On peut en tout cas supposer que les autorités de l'Etat ne sont pas insensibles au fait de disposer sur RTL d'autres tribunes (ou de davantage de tribunes) que s'il n'existait plus que la seule RTBF. Aider RTL aurait alors comme but essentiel de préserver "le pluralisme"(?) de l'info. Vu le volume et la composition du personnel de l'entreprise, l'exigence exprimée par la FWB, demandant que RTL assure une "garantie du maintien de l’emploi" semble aller dans ce sens: sauver ce qu'il y reste d'un pôle journalistique déjà mis au régime précédemment.
A titre de comparaison, le personnel de RTL Belgium comptait 'seulement' 297,6 équivalents TP en 2018, contre 350,4 l'année précédente (3). La RTBF, elle, rémunérait 2.009 ETP en 2019 contre 2.038 en 2018 (4).
ET LN24?
Bien sûr, RTL TVI réalise pour l'instant les meilleures audiences en soirée, et ses jt sont en règle générale plus regardés que ceux de La Une. I est donc politiquement difficile de ne pas être sensible à cette donnée du problème. Toutefois, jusqu'à présent, la règle générale était que l'Etat n'accordait aucune aide aux entreprises audiovisuelles privées. Le cordon autour de ce secteur est donc en train de tomber. Il peut peut-être, à certains points de vue, paraître pertinent d'accorder de l'argent à une société dépendant d'un géant mondial des médias, qui possède de par le monde 126.000 employés et qui a réalisé un chiffre d'affaires global de 18 milliards d'euros l'an dernier, et un milliard d'euros de bénéfice (5).
Mais alors, il semblerait aussi légitime de se demander si d'autres opérateurs n'auraient pas droit, peut-être avant RTL, à être soutenus par l'Etat. A commencer par LN24, qui petit à petit réussit à trouver sa place sur le marché de la télévision, mais manque de moyens pour s'y développer et assurer pleinement sa mission d'information.
Si l'argument politique est celui du pluralisme, et ce d'abord dans le monde de l'info, cette chaîne all news, qui est devenue un lieu d'expression et de débat de plus en plus indiscutable et couru, mériterait sans doute plus d'être encouragée et soutenue qu'une filiale d'une entreprise allemande dont le principal souci reste la rentabilité, où le réflexe de base est ontologiquement de nature commerciale, et dont la programmation est d'abord guidée par le souci de distraire ses téléspectateurs.
Frédéric ANTOINE.
(1) Capital du RTL Group:
Bertelsmann Capital Holding:76.28%
Silchester International Investors LLP: 5.01%
Treasury shares: 0.76%
Public: 17.95%
(2) Les comptes annuels 2019 n'ayant pas encore été déposés à la BNB (ou n'y étant pas accessibles), l'actualisation de ces données est à cette heure impossible.
(3) Comptes annuels 2018 et 2017.
(4) Rapport annuel RTBF 2019.
(5) https://www.bertelsmann.com/news-and-media/news/bertelsmann-increases-revenues-achieves-best-ever-operating-result-in-2019.jsp