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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

14 février 2024

Dealer, un métier comme les autres ? Oui, selon RTL


Peut-on tout laisser dire aux personnes qu'on interviewe, sans nécessairement recadrer leurs réponses ? Cas d'école avec un témoignage à propos de Orlan, au 19H de RTL, ce 13 février.

Orlan Mélon, originaire de Huy, a disparu depuis plusieurs jours. Il aurait été enlevé dans la région d'Houffalize. 8 minutes ± après le début de son JT, le présentateur du 19H termine son lancement du sujet - que l'on peut retrouver sur le site RTL Info (1) - par ces mots : «  Sa famille est inquiète et craint aujourd'hui, aussi, un règlement de compte lié au milieu de la drogue. »

HEIN, MONSIEUR…

Le sujet en lui-même débute 8'22 après le début du journal. Il relate la disparition de Orlan, et donne à ce propos assez longuement la parole à son oncle, que l'on entend (sans voir son visage) dès le début du reportage, et que l'on retrouvera plusieurs fois par la suite. 

Au-delà de relater les frais, le membre de la famille essaie aussi d'expliquer la situation de son neveu. 1'05" après le début de la séquence, le journaliste commente en off : « Orlan est bien connu dans le milieu de la drogue. Sa famille redoute un règlement de compte. » La parole est ensuite laissée à l'oncle à partir de 1'19". Celui-ci déclare d'abord : « Dans ces milieux il y a des risques, et je pense qu’il était au courant des risques qu’il prenait. Maintenant voilà, chacun fait sa vie comme il la veut, mais… » Puis il enchaîne : « Dans chaque métier il y a des risques, hein monsieur. En tant que maçon, il y a des risques. En tant que toiturier, il y a des risques. Dans tout il y a des risques. » Sur images de la page facebook consacrée à la disparition du neveu, le journaliste poursuit directement en disant que, selon ses informations, Orlan a déjà effectué un séjour en prison (…).

A 10'05 après le début du JT, retour en studio. « Dans l'actualité de ce mardi, il y a aussi cette nouvelle agression… » commence immédiatement l'anchorman du JT. "Sans transition", comme l'on dit si souvent.

COMME UN AUTRE ?

Dans ce JT, on a donc clairement laissé une personne interviewée dans le cadre d'une séquence d'info prononcer cette phrase renversante, concernant un dealer ou un trafiquant de drogue :  « Dans chaque métier il y a des risques, hein monsieur. » Que l'oncle de la personne disparue considère que, être dealer ou trafiquant, c'est en fait un "métier" comme maçon ou toiturier, il y a déjà de quoi tomber de son fauteuil. Mais que ni le journaliste ni les responsables de l'édition du JT ne reprennent ces propos pour le recadrer et souligner leur caractère plus que discutable et même inacceptable, ce n'est plus rien comprendre. Ou à se pendre…

Oui, d'accord. C'est la parole de quelqu'un qu'on interviewe, ce n'est ni le reporter ni le présentateur qui ne prononcent ces paroles. Mais, dans le cadre d'un programme d'informations, peut-on laisser une personne s'exprimer sur un pareil sujet en légitimant que l'on soit dealer ou en trafiquant par le fait que, finalement, ce n'est qu'un métier comme un autre, avec des risques comme dans tous les métiers. Et que tout le monde a le droit de gagner sa croûte comme il l'entend, n'est-ce pas.

Non, les maçons et les toituriers ne sont, jusqu'à preuve du contraire, pas poursuivis en justice, trainés devant les tribunaux et mis en prison. Alors que les dealers et les trafiquants, eux, le sont.

VOULOIR LE FAIRE

Non, vendre de la drogue n'est pas reconnu comme une profession. Ce n'est pas un métier.

Laisser passer pareilles déclarations sans sourciller, n'est-ce pas (au moins un peu) s'en faire complice ? Un recadrage n'aurait pas été difficile à faire. Mais encore fallait-il vouloir le faire, ou en avoir réellement la possibilité.

Dans les sujets précédents du même JT, on s'émouvait des fusillades à répétition ayant lieu pour l'instant à Bruxelles dans les milieux du trafic de drogue. Mais comment s'en étonner si en vendre est simplement un métier, avec des risques comme dans les autres métiers ?

Peut-être aurait-il simplement fallu ne pas garder cette assassine phrase-là au montage ? Mais là aussi, encore fallait-il vouloir le faire, ou en avoir réellement la possibilité et les moyens. 

MAUVAIS POUR LA SANTÉ

On se gausse dans tous les épisodes du Grand Cactus du commentaire que François De Brigode avait osé exprimer à la fin d'un JT de juillet 2015 : « Je vous rappelle quand même que la drogue, c’est mauvais pour la santé ». Quoi qu'on puisse en dise, De Brigode avait, lui, pensé et osé faire un commentaire au terme d'un reportage sur le festival de Dour où un jeune festivalier déclarait notamment : « La drogue, c'est bien. » 

« Je trouvais que le reportage qui avait été diffusé ce soir-là avait été très mal ficelé, explique-t-il dans un article du site de la RTBF (2). Il faisait en fait l’apologie de la drogue. En plus, j’ai connu des gens qui ont sniffé ce qu’il ne fallait pas sniffer donc je savais que ce sujet n’était ni drôle pour eux ni pour ceux qui leur sont proches. Ma sortie de journal avait donc une explication. Mais à force de l’entendre sous forme de gag, j’ai malgré tout peut-être fait "œuvre utile". »

Et n'est-ce pas un des rôles du journalisme, que de faire œuvre utile ?…

Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.rtl.be/actu/belgique/faits-divers/dans-ces-milieux-il-y-des-risques-selon-les-proches-dorlan-melon-sa-disparition/2024-02-13/article/637702

(2) https://www.rtbf.be/article/francois-de-brigode-nous-raconte-comment-est-ne-levenement-tres-controverse-bye-bye-belgium-11276808

26 décembre 2023

La progra de fin d'année : le ronron des rites obligés


Les fêtes de fin d'année appuient leur succès sur une ritualité transmise de génération en génération. La programmation qu'offre alors la télé n'y est pas étrangère. Avec ses 14% de PDM et ses 174.000 spectateurs le soir de Noël sur…La Trois, La bonne planque confirme que, d'année en année, la tv ne cesse de sacraliser ces rituels, avec la récurrence d'une offre de programmes similaires, voire identiques. 

Onzième score d'audience du 25/12/2023, La bonne planque dépasse (de peu), en primetime, l'audience de Virginie (RTLTVI), de Joséphine (TF1) ou du concert de Noël de La une. Certes, le soir de Noël, les audiences ne sont pas mirobolantes, mais quand même. Pourquoi chercher à faire du neuf alors qu'on attire toujours les spectateurs à coup de vieilles productions, qu'elles relèvent du théâtre (Beulemans et consorts) ou du cinéma (De Funès et compagnie). Eh oui, c'est cela les fêtes de fin d'année : une attente de rites télévisuels, c'est-à-dire l'espoir d'un éternel retour du même. Ou plus exactement des mêmes programmes que l'on ne cesse de voir à la télé entre Noël et Nouvel An depuis qu'elle est devenue l'amie des foyers.

À NE PAS PLANQUER !

Propriété de la RTBF (plus exactement aujourd'hui de la Sonuma), l'historique captation de La bonne planque au théâtre du Vaudeville de Bruxelles en 1964 (il y a aura… 60 ans dans quelques mois) est devenue mythique grâce à la prestation de Bourvil et au fait que c'était quasiment la première fois que la télévision plantait ses caméras électroniques dans un théâtre pour y enregistrer un spectacle dans sa continuité (1). On dit que, achetée par l'ORTF en 1965 pour occuper son antenne alors que son personnel était en grève, la pièce fit un malheur (ce qu'aucune mesure d'audience ne peut venir confirmer…), et qu'elle inspira Pierre Sabbagh pour la création de l'émission Au théâtre ce soir qui, dès 1966, choisit de diffuser à la tv les pièces jouées au Théâtre Marigny [cf. A. Deridder, 2022 (2)]. 

La RTBF n'a cessé depuis de rediffuser cette captation, essentiellement en période de fin d'année. Le manque de données disponibles ne permet pas de tracer le rythme exact de ces rediffusions, mais il y en a notamment eu sur La Une le 31/12/1996, le 31/12/1999, fin de l'année 2005, et ce sans oublier, le 23/12/2003, la diffusion en direct de Liège de pièce, mais cette fois revisitée par Pirette. Ces derniers temps, La Bonne planque s'était, semble-t-il, un peu planquée, mais a donc fait son grand retour (3).

UN SERVICE AU PUBLIC

Cette pièce de boulevard n'est évidemment pas le seul signe de la ritualité (ou des rites laïcs) qui entoure(nt) depuis plus de cinquante ans les moments festifs de fin d'année. Dans un remarquable article publié juste avant Noël sur le site de la RTBF par Ambroise Carton (4), et pour lequel cet ancien étudiant m'a fait l'honneur d'une petite interview, ce journaliste pointe de manière très intéressante de nombreux indicateurs de cette circularité de l'offre télévisuelle en temps de Noël. Que la RTBF publie une analyse de programmation télévisée digne d'une étude scientifique, ou presque, cela faisait longtemps que ça n'était plus arrivé. Jadis, l'opérateur public avait bien un "service d'études" qui réalisait de véritables recherches, publiées notamment dans l'historique revue Les cahiers RTB, Etudes de la radio-télévision. C'était un véritable service au public. Mais cette revue a disparu en 1988, et le service éponyme un peu après.  À partir de là, seules les études stratégiques ont eu la cote Bd Reyers, c'est-à-dire celles liées à l'audience et aux scores à vendre aux annonceurs. Du moins à l'extérieur de l'institution, aucune recherche sur la programmation ne semble avoir vu le jour récemment. Aussi faut-il saluer l'étude de la programmation de Noël réalisée par Ambroise Carton, qui y a consacré un temps considérable, passant des journées entières à consulter Télémoustique à la KBR pour retrouver l'annonce des programmes des jours de fête. En les croisant avec d'autres données (citées à la fin de son article), il réalise un beau travail de recherche.

MAGIE DE PACOTILLE

Lors du congrès de la Ligue des Familles 1987, organisé autour du thème "familles et médias" (5), j'avais eu l'occasion d'expliquer que, ce qui ressemblait alors le plus à une programmation familiale en télévision, c'étaient celles des 24 et 25 décembre. Il n'est pas certain que, près de 35 ans plus tard, l'impression générale émanant de l'offre de programmes des chaînes généralistes serait foncièrement différente. Famille, bonne humeur, oubli des soucis et plongée dans une "magie de Noël" (de pacotille) sont toujours au programme de la Nativité.

Pour la saint Sylvestre et le 1er janvier, on ne dira peut-être pas tout à fait la même chose. Quoique la moralisation forcée de la société (et donc des médias) est aussi passée par là.  Les plus anciens s'en souviendront : dans la télé d'hier, l'offre de programmes du 31 décembre était moins "family viewing" et plutôt réservée aux adultes. Cette programmation plus légère (pourrait-on dire) se terminait rituellement par la retransmission à 24h02 d'un show filmé dans un des célèbres cabarets parisiens. Et pas seulement pour les strass et les paillettes, mais aussi parce que, à cette époque-là, c'était quasiment la seule occasion annuelle de voir un (ou plusieurs)  bout(s) de sein(s) sur le petit écran…

MONTREZ CE SEIN

Désormais, les spectacles de cabarets ont été remisés dans le tiroir aux souvenirs. Hier, le 31, le ton était plutôt au rire, quitte à ce qu'il soit un peu graveleux. La télé du réveillon était alors plutôt une affaire d'hommes et de champagne. Aujourd'hui, on ne boit plus à la télé, et le rire bon enfant est de rigueur tout au long des fêtes, comme l'attestent les invasions des bêtisiers de fin d’année, qui n'échappent à aucune chaîne et commencent parfois dès la Noël. En Belgique, le rire est aussi synonyme de show de l'immanquable Pirette. Hier, la période était aussi propice à la diffusion des films de comédies musicales américaines, que l'on voyait peu à l'écran. Cette tradition s'est étiolée, tout comme celle de proposer en primetime, un autre soir que le 31, des captations de spectacles de cirque (qu'on se souvienne de La piste aux Etoiles de Gilles Margaritis). Aujourd'hui, s'il reste en journée une case pour un show de cirque à la télé, c'est le plus souvent uniquement lié au festival du cirque de Monte-Carlo. Point final.

PYROTECHNIE vs NAPHTALINE

Chez nous, les shows des 24 et 31 décembre sentent souvent bon la naphtaline. Et pour cause : ils ont été mis en boîte bien avant leur diffusion. La veille de l'an, les couloirs des chaînes sont quasi vides. Pas question de mobiliser du personnel à un moment pareil. Cela n'a pas toujours été le cas. À diverses reprises, des chaînes ont diffusé en direct le feu d'artifice tiré à minuit à Paris ou à Bruxelles (notamment lors du passage à l'an 2000). On sait que la pyrotechnie passe mal à la Tv. Mais aujourd'hui, plus de belle bleue ou de belle rouge suite aux coups de minuit. Même plus une speakerine pour faire, en temps réel vrai de vrai, le décompte des dernières secondes avant l'an neuf. Vivement des animateurs I.A. Eux, ils seront là en temps réel !

Et pourtant, ce n'est pas partout pareil. En Allemagne, la ZDF couvre en direct toute la soirée de la saint Sylvestre le show qui se déroule Porte de Brandebourg à Berlin, tandis que l'ARD propose une soirée de variétés où sont insérés  le décompte et le feu d'artifice de Berlin. Longtemps, la BBC a déployé un matériel impressionnant pour en live toute  la soirée du 31 à Londres. Désormais le concert qui précède le réveillon et se donne traditionnellement à la Roundhouse de Camden est enregistré (cette année : Rick Astley, le 12 décembre). Mais il se terminera juste avant que Big Ben ne se réveille et qu'on soit parti pour trente minutes de show d'artifices devant une foule de plusieurs millions de personnes. Mais bon, ça c'est pas pour la Belgique (6)…

 
Frédéric Antoine

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(1) "La Bonne planque" a été enregistrée au théâtre du Vaudeville de Bruxelles en 1964. Diffusée pour la première fois à la télévision française en 1965, elle inaugurera un nouveau type de programme populaire, "Au théâtre ce soir". (https://auvio.rtbf.be/emission/la-bonne-planque-26725)

(2)"La différence entre l’orientation stratégique de la télévision belge et celle de la chaîne française est notable : les productions télévisuelles du programme Au théâtre, ce soir seront enregistrées quasi exclusivement à partir du même et unique théâtre, le Théâtre Marigny, situé sur les Champs-Élysées, spécialement équipé pour les enregistrements. La télévision française feint ouvertement le théâtre. Les pièces présentées sont exclusivement montées pour la télévision qui prend en charge tant la distribution que la mise en scène. L’enregistrement se fait en présence d’un public qui assiste à un spectacle qui, somme toute, ne sera plus visible par la suite que sur le petit écran. La chaîne française s’engage donc activement dans des productions de théâtre populaire visant une très large audience. Les considérations de la production télévisuelle priment sur celles d’une production théâtrale. La stratégie de la télévision belge se distinguera, quant à elle, par la diversité des théâtres avec lesquels elle va collaborer. L’explication de cette collaboration plurielle réside, d’abord, dans les rapports qui s’établirent entre la télévision et le théâtre grâce à un autre média et, ensuite, dans des considérations économiques." (A. DERIDDER, « Les captations télévisuelles de représentations théâtrales : limites d’une esthétique et stratégies de production à la télévision publique belge francophone (1953-1990) », Textyles, revue des lettres belges de langue française, 63/2022 (https://doi.org/10.4000/textyles.6152)

(3) Un vague souvenir me laisse croire que la pièce a aussi été rediffusée pendant un confinement covid, mais que n'a-t-on programmé alors…

(4) https://www.rtbf.be/article/il-y-a-quoi-a-la-tele-pour-noel-redecouvrez-les-programmes-de-votre-enfance-dans-cet-article-interactif-personnalise-11302730

(5) Les médias ont-ils l'esprit de famille ?, Bruxelles, Ligue des familles, 1988.

(6)"Devine qui vient dîner mardi prochain ? La télévision est douée de pouvoirs surnaturels. Tout en découpant la dinde, voilà que scintillent déjà les programmes du prochain Réveillon, celui de Nouvel An. Un avant-goût pour nous réconcilier avec le petit écran,... ou consommer la rupture. Peut-on imaginer le passage à la nouvelle année sans les bas résille du Crazy Horse, des bêtisiers et un karaoké ? Non, bien sûr. Et surtout, n'oubliez pas votre Concert de Nouvel An ! Les chaînes repassent donc les plats, sans surprise. Sinon de-ci de-là, quelques épices pour relever la tradition du marathon télé-champagne et des embrassades sous les cathodes." (Dominique LEGRAND, "L'air de Nouvel An, d'une fête à l'autre", Le Soir, 24/12/1996) 


20 novembre 2023

Explosion de Starship : quand l'info elle aussi perd contrôle


14h08 heure belge, samedi 18 novembre : la mégafusée d'Elon Musk explose une nouvelle fois. Il faudra plus d'une heure pour que l'info soit relayée en Belgique, où les médias célèbrent toujours à ce moment-là un lancement réussi. Une étrange collision entre deux temporalités…
 
Que se passe-t-il quand deux moments d'un même événement surviennent à peu de temps l'un de l'autre ? Comment les médias les annoncent-ils ? Le cas de l'explosion de Starship en donne une belle illustration. Et démontre que, quand il y a collision dans la chaîne temporelle, la transmission des nouvelles ne se passe pas de la même manière que d'ordinaire.

Les heures sont précises, confirmées par plusieurs sources américaines (1) (et par le fait que l'événement pouvait être suivi en live) : c'est un tout petit peu après 7h00 du matin heure locale, soit 14h00 heure d'Europe occidentale, que l'immense vaisseau Starship s'élève dans les airs et réussit son take-off. La nouvelle est à peu près immédiatement relayée par des alertes info et des articles sur les médias américains en ligne. En Belgique, cela prend un peu plus de temps. Si le fil Info du Soir annonce la bonne nouvelle 14 minutes seulement après l'événement, la même info n'apparaît, par exemple, que 40 minutes après les faits sur le site de L'Avenir et 42 minutes sur ceux de RTL Info et de L'Echo (selon les horodatages donnés par les sites eux-mêmes). Alors qu'il suffisait de regarder le take-off en live pour avoir l'info, ça paraît un peu long. Mais ce n'est pas une originalité belge. En comparaison, le quotidien montréalais en ligne La Presse publiera un article annonçant le décollage plus de 50 minutes après le take-off, tout comme le journal français Le Figaro.

Visiblement, pour certains médias, être au taquet sur cette nouvelle ne constitue pas une priorité. Car l'info est factuellement disponible plus tôt. Mais voilà : les médias ne se nourrissent pas à la source de l'événement, mais aux dépêches des agences. Il suffit que celles-ci traînent un peu pour que la nouvelle n'en soit plus une lorsqu'elle est mise en ligne par un site d'info belge ou français.

UNE BELLE COLLISION

L'affaire est plus encore  lors de l'explosion de la fusée, événement qui, selon les sources US (2) survient entre 8 et 10 minutes après le lancement, lorsque la tour de contrôle perd… le contrôle avec le vaisseau, et décide de le faire exploser.

Au moment où cet incident se produit, il est ±14h08 en Belgique.  À cette heure-là, à part Le Soir, aucun média n'a déjà annoncé le décollage de Starship. La fin du vol survient donc alors que l'info sur la réussite du take-off n'a, de manière générale, pas encore été transmise au public. Dans la chaîne des faits, on va alors assister à une belle collision.

Celle-ci sera d'autant plus marquée qu'il faudra cette fois aux médias encore plus de temps cette fois-ci pour produire en ligne des alertes info ou des mini-articles que lors du décollage réussi. Alors que, le vol étant retransmis en direct, il était possible, dès 14h10, de constater que l'engin avait bel et bien explosé.

UNE LENTE EXPLOSION

Aux USA, l'annonce "écrite" (en ligne) de l'explosion ne sera pas instantanée. Il faudra par exemple 16 minutes au Washington Post pour publier un texte de breaking news sur l'événement, 34 minutes au Wall Street Journal et 41 minutes pour voir un texte rédigé sur le sujet sur le site de CNN. Mais ce n'est rien par rapport au délai généralement enregistré en Belgique. 
Le fil Info de la RTBF affichera la nouvelle à 15h00, soit 52 minutes après l'explosion, et sera le premier sur la balle. Une deuxième alerte du même média surviendra 9 minutes plus tard. La Libre Belgique actualisera son article sur la tentative de Starship en intégrant l'info de l'explosion 66 minutes après la catastrophe, et Le Soir 74 minutes après l'événement. Il faudra 76 minutes à RTL Info pour modifier son info sur le décollage du vaisseau spatial. Il est alors 15h24. Mais, étrangement, l'horodatage officiel publié sur le site de la chaîne privée conserve toujours pour ce changement d'info l'heure de 14h42, c'est-à-dire le moment où elle avait annoncé… le décollage réussi de la fusée. Il sera 15h28 lorsque Le Soir publiera une nouvelle alerte, où il précisera que les deux étages ont explosé. 7sur7.be n'annoncera l'incident qu'à 15h31.
 
CARAMBOLAGE
 
Selon les sources que donnent alors certains médias belges, il semble que les médias ayant réagi le moins lentement ont basé leur breaking news sur une info passée sur Belga. Les titres qui ont réagi plus tardivement paraissent s'être plutôt basés sur des dépêches AFP, qui auraient été plus tardives (certains quotidiens français sont dans la même situation). 
 
Preuve du carambolage survenu entre les deux nouvelles se déroulant dans la même chaîne temporelle, non seulement les médias seront en retard d'un événement (c'est-à-dire qu'ils annonceront le take-off alors que l'explosion aura déjà eu lieu), mais il y aura même en Belgique un site d'info qui annoncera la réussite du décollage… alors que d'autres médias en sont déjà à informer sur l'accident. Dans cet enchaînement de news, 7sur7.be n'a pas été particulièrement réactif.
 
Ces étranges retards par rapport à la réalité temporelle de déroulement d'un fait démontrent que les breaking news ont beau laisser croire qu'ils font débarquer l'info en live sur les smartphones, en fait il n'en est rien. Révéler l'explosion de la fusée plus d'une heure après le fait comme si celui-ci venait de se produire relève de la fiction narrative. Et démontre la faible capacité de réactivité de tous les médias "écrits" vis-à-vis du déroulement d'une chaîne d'événements (ce qui ne peut toucher les chaines all-news, par exemple, qui, elles, vivent les faits en direct).
 
Moralité de ce petit (?) fait divers : Adepte des breaking news et des fils info, de leur rapport à la  temporalité réelle, tu te méfieras.
 
Mais tout cela est-il si important ?…
 
Frédéric ANTOINE.


(1) A titre d'exemple: "The uncrewed rocket took off just after 7 a.m. CT" (8 a.m. ET) (CNN)
« The massive Starship and Super Heavy booster took off today at about 8 a.m. EDT (1300 GMT; 7 a.m. local Texas time) from SpaceX's Starbase test and manufacturing facility in Boca Chica. » (Space.com)

(2) A titre d'exemple:  "The rocket took off as intended, making it roughly 8 minutes into flight before SpaceX confirmed it had to intentionally explode the Starship spacecraft as it flew over the ocean."
(…) "But telemetry from the vehicle was lost about eight minutes after liftoff" (space.com)
"Around 10 minutes into the uncrewed test flight, SpaceX lost contact with Starship, and so far hasn’t publicly shared any potential theories as to what might have gone wrong."(CNN)

29 octobre 2023

Non, la RTBF n'a pas 70 ans !

La RTBF est pour l'instant en mode anniversaire, au point qu'on en aurait même parfois un peu une indigestion. Et le service public d'affirmer : « La RTBF a 70 ans. » Mais rien n'est plus faux. Institution et média support de diffusion, ce n'est pas la même chose…

Samedi 28 octobre, 11h. Flash info sur La Première. Parmi les nouvelles présentées par le journaliste, le fait que la RTBF fête en ce moment ses 70 ans, et que diverses animations sont organisées ce week-end dans ce cadre. On sursaute un peu au volant de sa voiture, mais on se dit que ça doit être un jeune journaliste, qu'il a voulu faire "corporate" et qu'il a un peu confondu des vessies et des lanternes, mais que ce n'est pas bien grave…
 
Et puis, pour en avoir le cœur net, on va un peu consulter internet, et là on tombe de sa chaise. Le site de la RTBF lui-même colporte la fausse nouvelle des 70 ans de la RTBF à de multiples reprises. On y lit par exemple que « la RTBF célèbre ses 70 ans avec une Fast TV consacrée aux archives de la RTBF » (1). Un autre article publié sur le site RTBF le 22 septembre commence par ces mots :; « La RTBF fête ses 70 ans cette année. » (2) Le 24/09, rebelote. Le titre d'un article sur le site de la RTBF invite à venir « fêter les 70 ans de la RTBF avec Samy et Lou » (3).

DES 70 ANS PARTOUT
 
Bien lancée, et légitimée par la RTBF elle-même, la fakenews est forcément reprise par les autres médias. Quelques exemples ? Le 18 octobre, Télésambre titre : « Charleroi : la RTBF fête ses 70 ans avec le "Village RTBF Expériences" ». Un peu avant, le vénérable sérieux magazine Telepro dérape lui aussi dans le panneau  :  « La RTBF fête ses 70 ans avec son public. » Mais la perle sur la gâteau revient incontestablement à la ministre de tutelle de la RTBF, c'est-à-dire la personne qui doit être le mieux informée sur le service public de radio-télévision en FWB. Sur Instagram, @benelinard publie le message : « La @rtbf fête ses 70 ans ! ».
34 ANS DE MOINS
 
Mais enfin, que voulez-vous à ces articles ? Tout le monde le sait que la RTBF fête ses 70 ans ! Vraiment ? Un abonnement gratuit à millemediasdemillesabords sera offert à la première personne qui communiquera le document légal et officiel fixant la date de naissance de la RTBF au 31 octobre 1953. Cherchez bien, ce document n'existe pas. La RTBF a été créée le 12 décembre 1977 « par décret du Conseil culturel de la Communauté française, la RTB devient la RTBF, avec le " f " de français pour Radio-Télévision belge de la Communauté française », écrit la RTBF elle-même sur son site (4).

Oui mais non, vous jouez sur les mots ! Nous, on veut dire la naissance de la RTB, avec ou sans F !
Ah bon ? Alors, là, la date officielle à retenir est celle du 18 mai 1960. 
Pour de vrai, La RTBF aura bientôt 46 ans, et la RTB 63 ans (mais la RTB, ça n'existe plus). Mais pas 70 ans ! 
 
LE CONTENANT OU LE CONTENU

Ce qu'on fête actuellement avec cymbales et tambours est le moment où a débuté la diffusion de programmes de télévision en Belgique, c'est-à-dire le lancement d'un support médiatique via lequel l'opérateur public diffuse ses programmes. La première soirée d'émissions de télévision diffusée en français par l'opérateur public qui s'appelait alors l'INR, tandis qu'on parlait de "télévision expérimentale belge", a eu lieu le 31 octobre 1953. A un moment où, selon la RTBF elle-même, la station s'appelait simplement "Télé-Bruxelles".

Cela devrait être clair pour tout le monde, mais en définitive tout le monde s'y perd. Le personnel de la RTBF quand il doit parler de l'événement ou l'annoncer, mais aussi ceux qui racontent sur le web l'histoire de l'institution, et qui parlent notamment d'un "Télé-Bruxelles" né en… 1952, dont la première émission au bien lieu le 31/10/1953. Mais qui n'a rien à voir avec la télévision régionale qui a été créée sous le nom de Télé-Bruxelles en 1985 et qui s'appelle aujourd'hui BX1…
 
 Bref, tout le monde (ou presque) se trompe, parce qu'on s'est mis (volontairement ou involontairement) à considérer la partie (la télévision) pour le tout (la RTBF). C'est ce que l'on appelle une
synecdoque référentielle. Comme si "télévision" était un synonyme de "RTBF", alors que c'est loin d'être le cas. C'en est une partie, certes, mais pas l'ensemble. Et cela semble ne pas correspondre à l'image que l'opérateur veut donner de son entreprise. Considérer que "RTBF = télévision point final" n'est par ailleurs pas très gentil pour tous ceux qui travaillent dans les autres médias du service public : les chaînes de radio (notamment La Première, dont le premier ancêtre public a vu le jour en 1930), et tous ceux qui s'efforcent de rendre les médias digitaux de la RTBF attrayants sans avoir rien à voir avec la télévision.
 

BROUILLAGE SUR L'ÉCRAN

 
On peut aussi se demander à qui profite pareille réduction de l'entreprise publique à une seule de ses composantes. Et ce particulièrement à un moment où l'opérateur public s'efforce d'adapter ses télévisions aux évolutions de la consommation des médias, en invitant de plus en plus ses usagers à se tourner vers une offre non linéaire de contenus dans des bibliothèques en ligne plutôt que de consommer des programmes en linéaire, ce qui correspond au projet éditorial de la télévision.

Il y aurait quelque part du brouillage d'image que ce ne serait pas très étonnant. Et que toutes les composantes de la RTBF ne sortent pas gagnantes de cette confusion, aussi.

Allez, il n'est pas trop tard. Le vrai jour de l'anniversaire du début de la télévision en Belgique, avec un petit émetteur planté au sommet du Palais de Justice de Bruxelles, c'est mardi 31/10. On a encore le temps de corriger le tir et de ne pas tout confondre. 
Sous peine de risquer de passer un mauvais quart d'heure avec les sorcières et les revenants d'Halloween…

Frédéric ANTOINE

PS: suite à certaines réactions recueillies après la publication de ce texte, je tiens à préciser que celui-ci ne remet pas en cause toute la communication de la RTBF sur les 70 ans de ses télévisions en Belgique, mais la confusion (involontaire ou volontaire) entretenue dans certains messages de l'institution (y compris dans les bulletins d'info des radios de la RTBF) entre "la RTBF a 70 ans" et le véritable anniversaire, qui est celui du début de la télévision.

(1) https://www.rtbf.be/article/fast-tv-regardez-vos-plus-beaux-moments-tele-a-volonte-11278612
(2) www.rtbf.be > article > vivacite-au-cœur-des-villes (…)
(3) www.rtbf.be > article > venez-feter-les-70-ans-de-la-RTBF (…)
(4) https://www.rtbf.be/entreprise/a-propos/histoire

24 octobre 2023

Metro : la mort au bout du tunnel

 

Rossel a annoncé que Metro s'arrêterait de paraître ce vendredi. Alors que, il y a quelques années encore, ce journal était le titre de presse le plus distribué en Belgique francophone. Avec la disparition du seul quotidien papier gratuit de Belgique disponible au nord comme au sud du pays, une nouvelle page de l'histoire de la presse se tourne. Au nom de la rentabilité des entreprises  et de leur désintérêt pour les expériences qui ne cadrent pas avec leur business plan. 

Il en avait fait du bruit, Metro, quand il avait vu le jour en Belgique. Les grands penseurs du journalisme se demandaient à l'époque si on pouvait vraiment considérer comme un média d'information un journal que son lecteur ne devait pas payer et qui ne se finançait que par la publicité. Ce qui semblait alors définir "la presse", c'était obligatoirement le fameux modèle économique à double versant ou, pour être plus trivial, la célèbre phrase d'Emile de Girardin : « Le journal est un bien qui se vend deux fois. » Et voilà que, avec Metro, il ne se vendait plus qu'une seule fois, et s'offrait gratis à son autre clientèle. Un journal qui, en somme, se rémunérait comme les toutes-boîtes, dont tout le monde s'accordait aussi alors pour dire que ce n'était pas de la presse, celle qu'on salue chapeau bas, qui souffre pour accomplir ses missions et à laquelle on rend hommage à tous les étages de la société pour son travail de garant de la démocratie…

FENÊTRE OUVERTE

Metro, ce n'était sans doute pas vraiment ça. De mémoire, il ne semble pas que ce journal-là ait eu un seul scoop, mené des enquêtes exclusives  en profondeur ou ait réussi, par ses révélations, à faire tomber des ministres. Métro était plutôt un suiveur de l'info, mais que lui demandait-on d'autre ? Et puis, son contenu, c'était quand même de l'info, et pas des ragots. Un tour du monde de l'actu un peu fastfood, à ingurgiter en quelques minutes seulement, certes, mais un tour du monde de l'info tout de même.

Combien de navetteurs et de jeunes, particulièrement, n'ont-ils pas bénéficié d'une petite fenêtre ouverte sur le monde en feuilletant ses petites pages ? Metro a initié à la lecture de l'info des dizaines de milliers de personnes qui, autrement, n'auraient jamais par elles-mêmes franchi la porte d'un marchand de journaux et payé pour accéder à un titre de presse. Le titre a vulgarisé l'info, et la brièveté de ses articles l'a rendue accessible à tous. On ne rappellera sans doute jamais assez la fonction de salut public que ce petit journal aura rempli pendant plus d'une vingtaine d'années.

PARTAGE vs ŒILLÈRES

En ce sens, Metro aura contribué à rajeunir le lectorat de la presse, et à le préparer à consommer d'autres médias. Jusqu'à ce qu'un autre média gratuit vienne (en partie) prendre sa place dans les transports en commun, avec le gros avantage d'être immensément plus diversifié que Metro et permettre de ne plus pouvoir lire que ce qu'on aime. Sans jamais avoir le regard brouillé par d'autres thèmes, d'autres univers que proposent, dans leur mise en page papier, tous les titres de presse.Metro vivait de la diversité de l'info. Les algorithmes d'internet ont replié ses lecteurs sur eux-mêmes, leur offrant les meilleures œillères permettant de ne pas devoir se confronter à l'éclectisme et l'imprévisibilité de ce qui fait le monde.

Metro était aussi le journal du partage. Un autre rôle que ne remplit aucun titre de presse belge. Chez nous, la presse ne circule pas de mains en mains (pour ceux qui la lisent encore sur un support papier). Chacun achète "son" journal, et le garde pour lui, ou pour sa famille. Metro, parce qu'il était gratuit, n'avait pas la valeur marchande du bien privé tel que l'a défini Samuelson dans son fameux article de 1954 (1). Bien sûr, l'appropriation d'un exemplaire privait un autre consommateur de lire le même exemplaire au même moment (notion de "rivalité") mais, bien souvent, le lecteur abandonnait son exemplaire après l'avoir lu. Ce phénomène était très visible dans les trains où de nombreux exemplaires de Metro traînaient sur les banquettes… et étaient alors repris par d'autres usagers du train. Metro était un bien qui s'utilisait plusieurs fois. Presque un "bien public".

Metro était encore un journal qui, malgré sa légèreté et son éphémérité, entretenait un lien fort avec ses lecteurs. L'idée géniale de la rubrique Kiss & ride, et son succès tout au long de la vie du quotidien, en est le plus patent exemple.

LEVE BELGIQUE, UNE KEER

Enfin, Metro était un peu une image de  "la Belgique". Il était le seul titre de presse belge publié dans les deux principales langues nationales (même Le Moniteur belge n'a pas le même nom côté flamand…). Un même titre, certes, mais pas un même contenu pour autant, comme nous nous sommes toujours évertué à l'expliquer à nos étudiants. Même maquette, mêmes pubs (souvent), même logo (sur une couleur différente)… mais pour tout le reste, chacun était maître chez soi. Pendant des années nous avons comparé avec nos étudiants des "unes" de la version francophone et néerlandophone. Leurs différences révèlent en profondeur ce qu'est la Belgique : un pays qui a une seule forme, un seul nom, des mouvements économiques et financiers communs… mais pas la même culture, les mêmes intérêts, la même façon de vivre et de comprendre le monde. Lire les deux versions de Metro parle plus que des heures de cours. Les "unes" de lundi dernier le confirment encore :

Côté francophone, la photo de "une" célèbre les beautés de l'automne. Du côté flamand, c'est le Hallowoef
Le titre de manchette est d'un côté sur le conflit palestinien. 
Et de l'autre sur le successeur de Van Quickenborne, qui divise l'Open Vld.

Parfois, la différence entre les deux versions se trouve dans le détail. Ainsi, par exemple, ces deux "unes" datant de 2020. N'a-t-on pas l'impression que, là, Metro est bien un journal belge, tant les similitudes entre les deux "unes" sont marquantes, à commencer par la photo principale, celle de Kate Middelton visitant un chenil ?

Sauf que, à y regarder à plus près, si les deux versions de Metro titrent bien sur le même événement, les deux rédactions n'ont pas choisi la même photo. La princesse rit franchement dans l'édition flamande, et sourit dans l'édition francophone. En plus de cela, le titre et la légende (ou le chapeau) sont insérés dans la photo en bas à gauche côté francophone, alors qu'ils sont dans un pavé côté flamand.Et ne parlons pas des autres titres qui sont tous différents, à commencer par celui de la manchette. Le seul autre élément similaire est le cadre rouge, qui est une publicité pour Spar, qui n'occupe pas le même emplacemen dans la page dans les deux versions…

HISTOIRE BELGE

Metro Belgique a aussi été une histoire belge parce que le titre a dû beaucoup se bagarrer devant les tribunaux où il était attaqué pour plagiat par la société suédoise qui avait créé le concept. Et, paradoxalement, il a réussi à faire reconnaître sa spécificité (d'où, par exemple, le fait que le site web ne s'appelle pas metro.be mais metrotime.be).

Enfin, Metro Belgique a encore été une belge histoire parce que, de sa création à très récemment, la société qui l'éditait, Mass Transit Media, était la propriété commune d'un groupe de presse flamand et d'un groupe de presse francophone. A sa création, Concentra en possédait 51% et Rossel 49%. Les choses se sont un peu compliquées quand le groupe régional flamand a été absorbé par Corelio, et qu'ensemble ils sont devenus Mediahuis. Ne cherchant plus à s'étendre en terres francophones, Mediahuis a vendu en 2020 ses parts (50%) dans Mass Transit Media à Rossel. Fin de la belle histoire transcommunautaire. Rossel prend seul les commandes, quelque mois à peine avant de racheter le mastodonte RTL Belgium avec un autre groupe flamand, DPG. Rossel n'est pas très accoutumé à oeuvrer en Flandre. Le sort final de Metro en a peut-être dépendu…
 
DEUX GROSSES CHUTES

Metro n'allait-il pas bien ? En ce qui concerne l'audience, des titres que l'on a pu lire dans les nécrologies publiées par certains journaux ces jours-ci affirment le contraire. Soyons de bon compte : Metro n'allait pas si bien que ça.

Les belles années de Metro, c'était avant 2010. L'époque où l'édition francophone flirtait avec les 120.000 exemplaires distribués, c'est-à-dire davantage que n'importe quel titre payant de la presse quotidienne de Wallonie-Bruxelles. L'édition flamande faisait mieux encore, mais ne menaçait pas, à l'époque, les impressionnantes diffusions du Laatste Nieuws ou du Nieuwsblad. Cette période de grâce durera jusqu'en 2012. Metro n'est alors pas nécessairement une affaire qui tourne, car le volume de pubs publiées dans ses pages n'est pas extraordinaire, mais l'audience est au rendez-vous devant les distributeurs verts disséminés dans les lieux publics.
 Le premier coup porté à la diffusion du titre se situe en 2013. C'est-à-dire au moment où le web 2.0 s'est généralisé. Tout le monde dispose désormais d'un smartphone et, lors de ses déplacements ainsi que dans les transports en commun, on est désormais sur son téléphone. Et moins sur Metro. Il est frappant de constater que, jusqu'en 2018, la diffusion gratuite de Metro reste alors stable. Ce qui ne veut pas dire que, dans les gares et ailleurs, les exemplaires disparaissent chaque jour comme des petits pains, ainsi que c'était le cas précédemment. Mais la clientèle qui est restée fidèle est toujours au rendez-vous.
 
Le second coup côté diffusion est clairement lié au covid. A partir de mars 2020, inutile d'imprimer et de distribuer des exemplaires dans des endroits où il n'y a plus personne. Pour la presse gratuite "pull", le covid est une catastrophe. Alors que pour la presse gratuite "push", elle est une aubaine…
 
Ce qui est étonnant (ou pas) est que, en post-covid, en 2022, le public ne semble pas s'intéresser davantage à Metro qu'en période covid. Ou, plus clairement, en 2022 l'éditeur du titre ne retrouve pas davantage de personnes intéressées par le journal, qui a fait des efforts d'adaptation, que lors du covid. Pour la presse gratuite pull aussi, le covid aurait-il profondément changé nos habitudes ? 
 
Un autre élément n'est pas à ne pas perdre de vue : 2020, année malheureuse pour la presse, est aussi celle où Rossel reprend seul la gestion de Metro. Et voilà que, depuis lors, la diffusion se sent mal, que la direction réduit le nombre de jours où le journal est disponible, puis annonce son enterrement. Simple coïncidence ?
 
Il ne faut aussi pas oublier qu'il restait tout de même en 2022 60.000 exemplaires pris chaque jour par des candidats lecteurs dans les distributeurs francophones, et autant du côté flamand. Combien de quotidiens payants peuvent-ils revendiquer pareille diffusion papier à l'heure actuelle en Belgique, notamment côté francophone ?
 
QUELLE MISSION POUR LA PRESSE ?
 
L'argument n°1 évoqué pour justifier l'arrêt du titre ce vendredi est la difficulté à y attirer des annonceurs. Est-ce si différent du reste de la presse, que les éditeurs ne trucident pas pour autant ? Au contraire de la presse gratuite push, type Vlan, la presse gratuite pull n'a pas été créée jadis pour être la vache à lait des entreprises de presse. La fonction sociale de Metro aurait pu justifier que son propriétaire fasse un effort pour le maintenir en vie, en se reposant sur les bons résultats que le groupe enregistre dans d'autres branches. Un grand groupe de presse ne fonctionne-t-il pas selon le principe des vases communicants : certes, un secteur peut être déficitaire. Mais si on l'estime pertinent par rapport au rôle social qui a justifié sa création et son maintien, on peut le faire vivre grâce aux apports d'autres divisions de l'entreprise.
 
En l'occurrence, on a dû considérer que Metro n'était plus utile, voire n'avait plus de sens à l'heure actuelle. Prendre comme une fatalité le fait que tous les jeunes (et moins jeunes) passent désormais leur temps le nez sur leur smartphone et qu'il est donc inutile de vouloir leur proposer un produit de presse qui les ferait sortir de leur(s) monde(s) est un choix. Mais est-ce le bon ?

Frédéric ANTOINE.

 

(1) Samuelson, Paul A., 1954, “The Pure Theory of Public Expenditure”, The Review of Economics and Statistics, 36(4): 387–389. doi:10.2307/1925895

22 octobre 2023

Le terrorisme, inavouable rejeton des relations publiques

« La devise des relations publiques ? C'est bien faire et bien le faire savoir » avait coutume de dire Vincent Levaux (1), qui avait créé l'enseignement dans ce domaine à ce qui s'appelait alors encore l'UCL. Mais aurait-il imaginé que, vue du côté de celui qui commet l'acte,  cette devise pouvait aussi, avec horreur, s'appliquer au terrorisme. Et voir même en justifier l'existence.

Qu'est-ce qu'un acte terroriste, sinon une action, particulièrement spécifique, qui atteint son objectif. Et qui fait parler d'elle. Si cela se limitait au fait de commettre un acte horrible, objectivement, sa raison d'être resterait fort limitée. Ce n'est que parce que l'événement est “hérauïsé” qu'il se transforme en un événement planétaire en créant ce « sentiment d'insécurité » dont parle, par exemple, la définition du terrorisme selon Larousse (2).

TOUTES LES CASES COCHÉES 

Appliquons cette réflexion à l'attentat bruxellois de lundi dernier. Assassiner deux supporters de l'équipe de foot de Suède a, semble-t-il, répondu au besoin que s'était donné l'agresseur de “punir” des ressortissants de ce pays pour avoir toléré qu'on y brûle le Coran. Ce qui constitue un acte inacceptable et répréhensible, dont l'auteur doit incontestablement répondre devant la justice. Toutefois, en lui-même, au moment où il est commis, cet acte est un crime, mais pas (encore) du terrorisme. 

Cette qualification ne surviendra que parce que, au-delà de "bien faire" (de son point de vue d'agresseur), l'homme s'est aussi appliqué à "bien le faire savoir". L'ampleur de l'écho accordé à l'événement criminel l'a automatiquement transformé en acte terroriste. Et à ce propos, comme nous l'écrivions dans un texte en clin d'œil daté d'hier (3), A. L. avait coché toutes les cases. Nous ne reprendrons pas ici les indices énumérés dans notre petit article d'hier, mais il est indéniable que, en semant des petits cailloux blancs tout le long de son chemin, A. L. s'être appliqué à rendre son acte et lui-même tellement visibles qu'il devient impossible de le rater.

LA FÉE MÉDIAS 

Et par quels mécanismes un acte criminel perpétré par un individu isolé se transforme-t-il automatiquement et immédiatement en un acte terroriste et son agresseur en personne terroriste ? Grâce à la fée Médias. C'est elle qui, d'un coup d'une horrible baguette magique, “anoblit" (si l'on peut dire) un double assassinat et en le transforme en une agression terroriste.

C'est elle aussi qui se focalisera sur la personnalité de l'assassin et l'adoubera du qualificatif de terroriste, usant et réutilisant tous les petits cailloux blancs semé par l'auteur des crimes, sans se demander pour quelle raison ce personnage laissait derrière lui autant d'indices. (Les mêmes questions pourraient aussi être posées à propos du comportement des autorités judiciaires et politiques.)

La raison, pourtant, est simple : c'est pour qu'on en parle. Qu'on parle de lui. Et qu'on en reparle. Qu'on l'identifie rapidement. Qu'on sache qui il est, et où il vit (et où il croyait pouvoir rentrer se coucher). Tout cela à longueur d'éditions spéciales, de jt et de jp, et même d'émissions spéciales.

COMM. GRATUITE

Sans avoir eu besoin de suivre des cours de relations publiques, A. L. a mis en pratique leur devise. À peine son acte perpétré, la machine à "bien le faire savoir" a été lancée. Et ne s'arrête pas depuis, accordant une résonance mondiale non seulement à l'acte ignoble du tueur, mais à ses motivations, à son identité islamique et islamiste.

Et bien sûr, en arrière fond, au Jihad islamique. Grâce à la technique de l'allégeance, celui-ci n'a pas besoin d'une agence de relations publiques pour faire sa publicité dans le monde entier. Les médias ne cessent de le faire gratuitement à sa place « Bien faire » ? Ou « faire mal » ? Qu'importe. L'important est de tout faire pour le faire savoir. Et déstabiliser la planète.

Les fondateurs des relations publiques n'y avaient peut-être pas pensé…


(1) Né à Liège le 13 avril 1925 et décédé à Liège le 19 mai 2007, fils de Léopold Levaux (1892-1956) et de Flore Gyhra, époux de Marianne Denoël (née en 1931), avec laquelle il a eu 4 enfants. Vincent Levaux porte le prénom du Père Lebbe, qui l’a baptisé. Travail obligatoire à la S.A. d’Angleur-Athus, division de Grivegnée (laminoir), juin-3/10/1943.
Résistant civil et volontaire de guerre engagé au mois de décembre 1944, appelé à la 2ème brigade de l’infanterie Yser en date du 19 janvier 1945, renvoyé dans ses foyers le 29 octobre 1946. Vincent Levaux est entré au Séminaire à Liège en 1947. Son inscription figure dans l’Elenchus alumnorum seminarii leodiensis ab anno 19372. On ignore à quelle date il a quitté le Séminaire de Liège. Étudiant en droit à l’Université de Liège. Président directeur général de Métal Profil S.A. Secrétaire général de Cockerill Sambre. Attaché au Secrétariat général de la Société Belge de l’Azote (SBA), 1959. Maître de conférences (en 1959), et ensuite professeur à l’Université catholique de Louvain (jusqu’en 1990), chargé de cours portant sur les relations publiques.

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