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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

02 janvier 2023

Adieu RTL (Grandes Ondes), on t'aimait bien, tu sais!


Ce premier janvier à 0h00, l'émetteur Ondes Longues de RTL Paris s'est éteint à jamais. Les grandes antennes de Beidweiller, au Grand-Duché, sont orphelines pour toujours. Mais des milliers d'auditeurs des quatre coins d'Europe et du fin fond du désert français éprouvent aussi du mal à sécher leurs larmes.

Depuis 1933, dans un rayon de plusieurs centaines de km autour du Grand-Duché de Luxembourg, il suffisait de se brancher sur la fréquente de 234 kHz pour tomber sur ce qui fut Radio Luxembourg, puis RTL (Paris). Le centre de diffusion de la station privée n'aura donc pas pu célébrer ses 90 ans. RTL était la seule radio généraliste française historique à encore diffuser sur ce qu'on appelait "les ondes longues" (OL) ou "les grandes ondes" (GO). 

Une bande de fréquences où le son, certes, n'était pas top, et très nombreux les grésillements radioélectriques dus notamment à des moteurs ou au passage de trains et de lignes électriques. Mais les OL portaient loin. Si loin que, dans le cas de RTL, on pouvait en écouter les programmes sur l'autoradio de son véhicule jusque haut dans le nord de l'Europe, et pas seulement en France. Quelle chance pour les routiers francophones qui retrouvaient ainsi une présence familière tout au long de leurs trajets. Max Meynier n'a pas pour rien créé Les routiers sont sympas sur une radio OL.

Déçus aussi sont sans doute les auditeurs fidèles de RTL au fin fond des campagnes françaises. Là où la direction actuelle de M6 n'a pas estimé utile d'installer des réémetteurs FM. Et je vous l'assure, ils sont nombreux ces petits coins du désert hexagonal où on ne peut capter que les radios du service public et la station locale de RCF. On comprend alors pourquoi France Culture compte potentiellement autant d'auditeurs…

(https://achdr.over-blog.com/2020/11/16-novembre-1937-radio-luxembourg-emet-toute-la-journee-sans-interruption.html)

AMIS FIDÈLES

Et puis, il y a tous les Belges. Ou en tout cas tous ces Belges francophones qui, de génération en génération depuis 1933, étaient des "amis fidèles" de la station luxembourgeoise, comme le chantait alors son générique: "Allo, allo, Amis fidèles, ici la Villa Louvigny…

Des centaines de milliers d'amateurs de musique légère, de jeux, de variétés, de récits captivants et d'humour… entrelacés de publicités dites au micro par des speakerines. Des auditeurs qui préféraient bien cela au sérieux de la radio publique monopolistique de service public belge, l'INR. Une station plutôt rébarbative, bavarde, officielle, dont la musique provenait bien d'un des meilleurs studios d'Europe (le studio 5 de la place Flagey à Bruxelles), mais était bien plus sérieuse que sur les ondes luxembourgoises. Et, surtout, une radio vachement politisée puisque, croyant ainsi respecter la notion de "service public", le législateur avait décidé que la grille de programmes y serait répartie entre les associations d'auditeurs ayant réuni le plus grand nombre d'adhérents. On rêvait de voir l'antenne partagée entre l'association des pêcheurs à la ligne, celle des joueurs de couyon (1), des amateurs de gueuze lambic ou celle des grands-mère gâteau. Il n'en fut rien. Comme par hasard, ce furent les partis politiques qui créèrent des associations, collectèrent des membres et se répartirent l'essentiel du temps d'antenne, pour le pire plus que pour le meilleur. Heureusement qu'il y avait Radio Luxembourg!


 NÉ EN  ÉCOUTANT RADIO LUXEMBOURG

À cette première génération d'écouteurs d'avant-guerre succéda celle de leurs enfants, qui découvrirent le ton de la station luxembourgeoise après la libération, au moment où ses studios quittèrent le parc de la Villa Louvigny et s'installèrent à Paris, rue Bayard. Avec pour tout lien entre le lieu de production, au cœur de la France, et celui de la diffusion, dans un pays étranger : un petit et frêle câble. C'était l'époque où l'État français avait décrété que seul un opérateur public monopolistique pourrait exister en France. Mais, que si des acteurs privés obtenaient l'autorisation d'émettre vers la France depuis l'étranger, il ne pourrait s'y opposer (2). Même si leurs studios se trouvaient sur le territoire national. C'était le temps des "radios périphériques", dont nous n'avons pas la place de trop parler ici. Radio Luxembourg était l'une d'entre elles. Et le public belge était ravi car, grâce à la station, il vivait radiophoniquement à l'heure de la Ville Lumière. Alors que le monopole belge de l'INR, bien que réformé, ne parvenait pas à être moins rasoir. Sinon du côté de ses émetteurs régionaux, créés après guerre sur les cendres de radios privées locales autorisées jusqu'en 1940. Et plus jamais ensuite…

Bref, c'est dans ce contexte que je suis né, dans une petite maison où trônait un petit poste de radio en bakélite que ma mère avait acheté avec ses premiers salaires d'assistante en pharmacie. Le son parfois un peu nasillard provenant de l'émetteur luxembourgeois a dû être un des premiers que j'ai entendus. Mes parents, nés à la fin des années 1920, avaient en commun d'être de fervents auditeurs de Radio Luxembourg. Ils appréciaient autant les émissions de variétés que l'information ou les fictions radiophoniques. Très tôt j'ai moi-même reconnu les génériques de plusieurs émissions, ou les voix de leurs présentateurs. Mon père lui-même y faisait souvent allusion, chantonnant les airs ou reprenant ce que, à l'époque, on n'appelait pas encore de jingles. Quelques-uns de ces programmes me viennent spontanément à l'esprit au moment où j'écris ces lignes (et je n'ai pas fait de recherche pour les lister ici): Sur le banc, avec Raymond Souplex et Jeanne Sourza,  Ça va bouillir, avec Zappy Max, L'homme des vœux Bartisol, le jeu de mi-journée où des candidats devaient chanter la suite d'un air à la mode dont le début leur était proposé,… etc. Sans parler des éditoriaux de Geneviève Tabouis, dont la voix était reconnaissable entre toutes, ou des reportages radio de quelques grands journalistes de l'époque.

 
UN PREMIER  CHAGRIN 
 
Oui, ma petite enfance a été bercée par tout cela. Aussi, notamment, que par Le passe-temps des dames et des demoiselles, l'émission "pour les femmes" dont le titre seul m'enchantait et voulait tout dire: quand on était une femme, on avait plus que le temps d'écouter la radio pour passer le temps. Avant d'entrer à l'école, c'était aussi mon cas…
Lorsque mes parents ont fait construire une maison et que ma mère y a installé son officine, rien n'a changé dans un premier temps pour le poste de radio familial, sinon son emplacement: sur une étagère dans le living, comme on disait alors. Il faudra attendre les années soixante pour que ce bon vieux récepteur soit remisé dans la cuisine, mon père ayant acheté un modèle Telefunken avec des grosses touches blanches sur lesquelles il fallait appuyer. Chose rare, il captait la bande FM, alors encore bien vide…
Avant l'arrivée du nouveau récepteur, radio Luxembourg était allumé presque toute la journée dans le foyer, tant et si bien que, en jouant dans cette pièce, tous les enfants étaient inconsciemment à son écoute. Y compris le jeudi matin à 11h, lorsque la station diffusait La messe des malades, depuis l'abbaye de Clervaux, au Luxembourg (forcément).

Radio Luxembourg était tellement dans ma vie que j'ai été réellement passionné lorsque, en 1963 (je pense), la station avait imaginé célébrer ses trente ans en installant ses studios dans un train. Celui-ci devait relier les trois lieux symboliques de son existence: le Luxembourg, des villes de Belgique, puis entrer en France et finir, je crois, à Paris. Cette initiative me fascinait: diffuser des émissions de radio depuis un train en marche! Je pense que ce convoi devait s'appeler Le train de l'amitié, ou quelque chose comme ça. Le jour J, je me suis mis à écouter cette étrange émission avec assiduité. Tout avait bien commencé… jusqu'à ce que le train soit immobilisé à une des frontières qu'il devait traverser. Les douaniers avaient interdit son passage. L'Europe n'existait pas encore vraiment, et tout était bloqué. Raté.  À l'antenne, les animateurs étaient désolés. Moi aussi. Cette après-midi-là, j'en ai pleuré dans les bras de ma tante, qui se demandait ce qui m'arrivait. Un chagrin causé par l'échec d'une initiative radiophonique qui m'avait captivé.

Que de souvenirs grâce aux OL! Un peu plus tard, lorsque se vulgariseront les transistors, la mode sera d'emporter son petit récepteur sur la plage. Dans la toute petite station balnéaire de Zeebrugge, sur la mer du Nord, tout le monde écoutait son transistor devant sa cabine de plage. Ma mère, qui avait reçu ce cadeau de mon père, ne se départissait pas de son petit poste en plastique rouge, au haut-parleur recouvert d'un grillage et qu'on pouvait tenir par sa lanière blanche. Chercher les stations s'y opérait en faisant tourner une aiguille autour d'un cadran circulaire. Sur Radio Luxembourg, qui devenait doucement RTL, ma mère ne ratait pas ses rendez-vous favoris.

 

PARIS, COMME SI ON Y ÉTAIT

 

Plus tard, le transistor deviendra par excellence un deces cadeaux de communion que l'on demandait aux membres de la famille invité au banquet. Le premier que j'ai reçu était un rectangulaire un peu matelassé gris. Avec les OL et les OM (ondes moyennes). Que de nuits il a passé sous mon oreiller.   On écoutait alors la radio autant, sinon plus, au fond de son lit qu'au cours de la journée. C'était lorsque l'on était malade que c'était le plus gai. Même avec de la fièvre, on pouvait alors écouter sa radio tout au long de la journée.

Ce transistor m'a permis de ne pas toujours être fidèle à l'RTL familial, et de m'en émanciper. Pour aussi de découvrir  Europe n°1, avec passion. France Inter, avec attention. Et… Alger chaîne 3, avec curiosité. Vivent les OL! (3)

Sur RTL, il me revient en mémoire des flashs d'écoutes, comme les émissions du Président Rosko, celles de Jean Yanne (qu'on écoutait en se cachant). Il y avait aussi les talk-shows de Philippe Bouvard dont, à l'époque, le RTL Non Stop me paraissait trop blablateur, filandreux et parisiens, et bien sûr Max Meynier. Georges Lang me semblait trop spécialisé et américain. Et puis il y avait les émissions matinales de vacances, avec leurs jeux qui n'ont pas changé pendant des décennies, la météo des plages et bien d'autres choses. RTL OL m'a aussi fait participer depuis mon lit aux soirées de Mai 68, à la démission de De Gaulle, ou à la mort de Pompidou et aux événements qui ont suivi.

 

LA TRAHISON DES CLERCS

 

Là je n'étais plus un enfant, et presque plus un ado. J'ai alors doucement abandonné l'écoute de RTL Paris jeunesse oblige de même que l'arrivée sur la FM de stations plus "jeune" et de AFN, la radio du Shape que l'on pouvait capter largement autour de Casteau (4)

J'ai un peu délaissé RTL OL jusqu'à ce que j'aie une voiture avec autoradio, ce qui a  tardé quelques années. Alors que les émetteurs FM des radios belges ne couvrent pas tout le territoire (5), les OL me permettaient, elles, d'écouter RTL tout au long de mes trajets, voire aux Pays-Bas ou en Allemagne. Disposer des OL sur l'autoradio de ma voiture est même devenu pour moi par la suite une condition sine qua non d'achat du véhicule.  

RTL est longtemps resté une des stations que j'écoutais le plus lors de mes déplacements. Jusqu'à ce que je la trouve ringarde, non imaginative, répétitive, usée par les mauvais sketches à répétition de Laura Guerra… Bref, destinée à de vieux un peu cons. Je lui ai alors préféré, et de loin, Europe 1. Mais je l'ai encore programmé sur mon autoradio pour pouvoir y revenir en fin de matinée, ou le soir lorsque On refait le monde redessinait à longueur de polémiques le perpétuel  futur de la France.

Tout cela grâce aux OL…

Merci donc aux décideurs, patrons, propriétaires et actionnaires de la station qui ont mis RTL OL à mort pour des raisons d'économies d'électricité (argument aussi avancé par d'autres opérateurs). Des décideurs qui ne se rendaient pas compte qu'il existait encore des écouteurs en ondes longues. des fantômes n'apparaissaient pas dans leurs sondages, ou si peu. Mais qui étaient bien là. Comme dans le clip du Thriller de Michael Jackson.

Aujourd'hui, le Belge n'a plus le choix. Devant le vide sidéral des OL, il ne peut que se rabattre en FM sur Bel RTL, l'ersatz local de RTL France à qui la station emprunte quelques programmes (6). S'il veit écouter RTL France, la seule issue est de le faire en IP. Mais cela, sur une autoradio, ce n'est pas vraiment au programme.

Qui a dit que les radios n'avaient pas de frontières, que leur propagation était universelle, qu'elles pouvaient bouleverser l'état du monde?  À l'heure du DAB+, ce n'est plus qu'une vaste foutaise. Alors que le monde est en extension, la radio, elle ne cesse de se racrapoter sur un de plus en plus réduit  et de se replier sur ses petits États-nations. Quelle tristesse!


Frédéric ANTOINE.

Lire: 

- Frédéric Antoine : La mobilité, au cœur de l’ontologie radiophonique ? dans la revue du GRER Radiomorphoses

- www.facebook.com/greradio : Sur le site internet du GRER, un début de version  brève du texte écrit ici, rédigée le 14/10/2022 quand est tombée la décision de M6 d'arrêter la diffusion OM de RTL Paris.

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(1) Jeu de cartes typiquement belge.
(2) Sauf en tentant de les contrôler en rachetant leur capital, ce à quoi servira la SOFIRAD.
(3) Je n'oublierai jamais ce dimanche matin de je ne sais plus quelle année où RTL et Europe 1 avaient décidé de réaliser ensemble leur première émission en stéréo, l'une diffusant le canal gauche, l'autre le droit, y compris lors des passages musicaux. Jean Yanne était un des initiateurs de l'opération. 
(4) AFN, American Forces Network, était la radio des militaires américains casernés en Belgique à côté du QG de l'OTAN, installé près de Mons. Cette radio, diffusant en FM, possédait un son inimitable, dus aux compresseurs utilisés par ses anciens émetteurs AM reconvertis à la modulation de fréquence. En l'écoutant, on se croyait aux USA.
(5) En Flandre notamment, écouter les radios belges francophones est quasiment impossible (ce qui n'est pas le cas des radios flamandes en territoire wallon…). 
(6) Un ersatz peu étonnant puisque le fondateur de Bel RTL était, à l'origine, le correspondant en Belgique de RTL Paris… Par un étonnant reversement de situation, lorsque une réforme trop audacieuse de RTL Paris mettra à mal ses résultats d'audience, c'est  à lui que les responsables français feront appel pour remettre de l'ordre dans leur baraque…

 

 

 

 


30 décembre 2022

La yourte (Tipik), ou comment téléréalitéiser l'éducation permanente


Plaider à la télé pour une manière de vivre plus éco-écolo : quoi de plus rasoir et ennuyeux. Mais quand ce sont des people issus d'une émission humoristique qui deviennent les Robinson Crusoé d'une vie alternative, ça change un peu tout. Avec La yourte, le service public tente à nouveau de mixer pédagogie et entertainment. Et, cette fois, ça matche plutôt bien.

Sur Tipik, la chaîne des "jeunes" de la RTBF.be, leur vieille émission fait chaque fois un carton. Ce sont les maîtres de la dérision, n'hésitant pas à s'en prendre à des personnalités politiques, et de surcroît socialistes (1). Dans leur studio, ils sont les rois. Mais peut-on ailleurs exploiter la sympathie que l'audience éprouve à leur égard ? 

Depuis que, en 1984, Yves Montand racontait Vive la Crise aux Français sur Antenne 2 (2), recourir à des people dans les émissions de télé pour faire passer des sujets sérieux est devenu banal. Tout comme, de Rendez-vous en terre inconnue à La ferme des célébrités, les utiliser dans des contextes atypiques pour booster l'audience d'un programme auquel le spectateur adhérera au travers des vedettes qui y prennent part. Fort Boyard n'est-il pas le meilleur exemple, lui qui débuta par faire concourir des anonymes avant de se rendre compte que confronter des people aux mystères du fort était bien plus rentable.

DES ÉPREUVES (PRESQUE) PRÉTEXTES

La yourte mêle un petit peu de tout cela. Trois animateurs du Grand Cactus y sont à peu près isolés du monde, forcés de vivre ensemble pendant une semaine dans une maison de toile de quelques mètres carrés, sans trop d'intimité, à l'instar des apprentis chanteurs de Star Academy. Tout comme dans les plupart des émissions de télé-réalité, des épreuves leur sont imposées. Avec récompense ou punition à la clé. Celles-ci ne vont pas jusqu'à l'élimination, mais menacent de toucher tout le groupe, la yourte pouvant être privée d'eau, de lumière, de gaz ou d'électricité. On n'est pas loin de Koh-Lanta, et on sent que la production devait aussi avoir Naked and Afraid dans sa ligne de tir.

Sauf que, ici, tout n'est pas "gratuit". On ne sort pas pour le plaisir les animateurs de leur petit confort bourgeois (qu'ils ne cachent d'ailleurs pas) mais pour une bonne cause. Ou plutôt "des" bonnes causes. En effet, comme dans tout programme télévisuel qui se respecte où l'on fait concourir des gens connus, il n'est pas question que ceux-ci repartent avec un pactole (dans certains cas, on pressent qu'ils ne sont déjà pas venus pour rien). Les gains iront donc à des associations. On ne devrait pas le dire, tant c'est cousu de fil blanc. Mais c'est ici le cas…

Les trois animateurs concourent donc pour donner de l'argent à une association. Mais, clairement, ce côté "épreuves" relève plus des conventions du genre que des intentions profondes du programme. Ce n'est qu'un prétexte. Derrière cela se cache la vraie raison d'être de l'émission : apprendre aux spectateurs comment "vivre autrement", de manières plus éco et écolo responsable. Des propos que tous les médias ressassent à longueur de pages, d'articles et d'émissions de services. Un discours qui paraît tellement entendu que les oreilles de bon nombre de gens ne les perçoivent même plus.

LE PASSAGE PAR L'INCARNATION

Ici, ces messages passent par les compétiteurs, les situations où on les inscrit, et les efforts qu'on leur demande. Ces informations sont non seulement personnalisées (comme pourrait le faire tout animateur lambda), mes elles sont incarnées, vécues dans la chair de gens de télé plutôt pas très accro à l'écolo et qui, en définitive nous ressemblent tous un peu. Si, au cours du spectacle, le spectateur en vient à se demander "Mais De Warzée, comment va-t-il se débrouiller dans ce cas-là ?", c'est déjà un peu bingo…

Astuce, certaines épreuves amènent les compétiteurs à rencontrer des personnes actives dans le domaine en Wallonie. Dans un reportage classique, on les aurait simplement interrogées, avec des Q/R banals et un montage type Investigations, des plans des coupes à peine hors sujet ( des gros plans sur les yeux ou les mains, par exemple). Ici, le dialogue dépasse les codes de la télé d'information ou d'éducation permanente. This is life! On sent bien que, parfois, les choses sont un peu téléphonées, mais on accepte de se plier au jeu puisque, derrière, ce sont les animateurs du Cactus dont on suit les aventures.

LE RESPECT DES CODES FORMELS 

Eh oui, comme dans toute télé-réalité qui se respecte, on est en effet dans une "aventure", mot-valise devenu indissociable d'une émission où des gens sont mis ensemble dans un lieu ± clos pour vivre en commun et, d'ordinaire, se plier à une compétition concrétisée par des épreuves.

Enfin, à l'instar de toutes les autres télé-réalités, la Yourte est émaillée de propos des compétiteurs recueillis dans un "confessionnal" où les acteurs reconstituent le métarécit des événements passés à partir de la lecture subjective qu'ils en ont eue.

Mettons tout cela dans un blender et faisons tourner… Résultat : le mix entre micro- et méso-récits de l'émission, incarnés dans des personnages "sympathiques", permet au spectateur d'entrer dans l'histoire et d'y rester tout au long du programme. La rythmique des séquences évite les lenteurs et les digressions. Quand celles-ci devraient apporter des éléments de l'ordre de l'informationnel, on se contente de glisser le message en sous-titre. Ainsi, la narration peut continuer sans s'arrêter…

Au final, les trois animateurs ne passent pas vraiment toute une semaine dans la yourte. Et s'ils ont dû voter pour se passer de papier de toilette, cette proposition ne leur a été faite que la veille de leur départ… ce qui leur a permis de n'expérimenter cet art de vivre que quelques heures. La yourte est donc pleine de petits trucs dont on ne sait s'ils sont vrais ou scénarisés (comme dans toutes les télé-réalités), et de raccourcis de montage qui rendent parfois crédibles des moments qui ne l'ont pas été. Mais c'est une convention du genre, comme la durée affichée des épreuves, qui disparaît toujours subtilement de temps à autre afin de permettre une contraction ou une extension du temps montré par rapport au temps réel (3).

ENTERTAINMENT AND/OR EDUCATION?

La yourte est une nouvelle forme d'eductainment. Une manière divertissante de fournir à une audience un contenu à caractère éducatif, et donc par définition rébarbatif. La RTBF a déjà plusieurs fois tenté l'aventure, mais celle-ci est sans doute celle où la forme et le fond affichent le plus clairement leurs intentions dès le début du programme. Un double challenge qui, finalement, se termine de manière plutôt réussie. Le choix des intervenants n'y est pas étranger. Après les deux premiers épisodes, qui constituent un seul récit, diffusés le 29/12 (4), on verra comment le deuxième transforme la formule ou la poursuit. Le risque étant que la répétition use trop rapidement le concept, lui retirant tout effet de surprise, et  le rende potentiellement incapable de se renouveler à l'infini. Pas tant sur la forme que sur le fond.

Frédéric ANTOINE.


(1) Même si, dans le dernier cas de l'ex-président du Parlement wallon, ils ne risquaient pas grand-chose de faire rire d'un homme politique en chute libre…
(1) https://www.youtube.com/watch?v=FbNdCQHWb-E
(3) https://doi.org/10.14428/rec.v3i3.45803 
(4) https://auvio.rtbf.be/media/la-yourte-la-yourte-episode-1-2979658

 

24 décembre 2022

Viva For Life : Sarah, Marco, Ophélie, des boucs-émissaires ?



Viva for Life ? Une affaire biblique qui marche du tonnerre. Et qui devient "la référence" du service public en matière d'opération de "charity business". Mais pourquoi ?

"Dans la Bible, on peut lire que le prêtre d'Israël posait ses deux mains sur la tête d'un bouc. De cette manière, on pensait que tous les pêchés commis par les juifs étaient transmis à l'animal. Celui-ci était ensuite chassé dans le désert pour servir d'émissaire et y perdre tous les pêchés" (1). 

Depuis dix ans, à la veille de Noël, la RTBF ne procède pas autrement, à l'exception près que son administrateur  général ne pose pas ses deux mains sur les têtes des trois "animateurs" qui accompliront le marathon radiophonique Viva for Life. Et qu'ils ne sont pas envoyés au désert, mais enfermés dans un "cube", au fond de la Belgique (en tout cas cette année-ci).

À cela près, le rôle assigné aux trois "volontaires désignés" est bien le même que celui des temps bibliques : prisonniers de leur cube (et jusqu'à récemment privés pendant une semaine de toute nourriture solide), ils sont là pour endosser tous les péchés de non-assistance commis par les Belges face à la misère des enfants. 

Ils font pénitence au nom de tous, souffrent de l'isolement et de la fatigue (sans parler de l'obligation de descendre au studio par une rampe de pompier ou de manger des choses qu'ils n'aiment pas…), tout cela pour expier nos fautes collectives. Afin de pouvoir retrouver l'air libre, c'est-à-dire être défaits de cette malédiction, on ne leur a proposé qu'une solution : convaincre ces pécheurs de Belges francophones de "se racheter" en faisant des dons  afin d'aider les enfants malheureux. 

Colllecteurs, Sarah, Marco et Ophélie deviennent aussi fréquemment confesseurs. Ils parlent en effet souvent sur l'antenne avec les auditeurs qui les appellent pour donner de l'argent ou pour commander l'écoute d'un disque contre le paiement de 40€. Ils leur demandent alors s'ils ont eu eux-mêmes une enfance difficile, et quand c'est le cas manifestent grandement leur compassion, ces auditeurs appelant pour que, à l'avenir, ce qu'ils ont enduré ne se reproduise plus. Séquences "émotion" garanties…

D'autres auditeurs, qui n'ont pas eu une enfance malheureuse, racontent combien ils se rendent maintenant compte que la situation de misère que vivent une partie des enfants est intolérable, raison pour laquelle ils essaient ainsi, en quelque sorte, de contribuer à la réduire. Comme leur disent parfois les trois enfermés, "cela libère la conscience". Surtout lorsqu'il s'agit d'enfants, et que l'on se trouve à la veille de Noël, dont la petite enfance est le point focal, même si de moins en moins de gens se souviennent qu'on commémore alors la naissance de Jésus-Christ…

Autant de raisons (parmi d'autres) qui expliquent pourquoi Viva for Life a recueilli cette année 8.034.120€, soit plus que l'an passé et, bien sûr, que toutes les années précédentes. Avec un montant pareil, cette opération essentiellement radiophonique a cette fois dépassé le résultat de Cap 48, l'action de solidarité historique de la RTBF, qui n'a, elle, rassemblé "que" 7.733.227€. En 2021, Viva for Life avait recueilli 7.512.346 et Cap 48 7.625.014. Soit à peu près la même somme dans les deux opérations (mais Cap 48 était avant Viva…). 

Une inversion de tendance plus que significative de l'évolution de l'air du temps, de la proximité différente de l'audience avec la cause, et de l'effet qu'un "matraquage" radiophonique d'une semaine, portée par la station du service public la plus écoutée, peut toujours opérer en 2022…

Joyeux Noël!

 Frédéric ANTOINE,


(1)https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/bouc-emissaire/

28 novembre 2022

Une finale de Starac à 22h : en Belgique, ça n'attire pas les foules

Diffusée sur TF1 à près de 22h samedi pour cause de Mondial,  la finale de la Starac a bien résisté sur le public français mais… s'est effondrée sur le public belge. L'occasion de dresser un petit bilan des audiences de ce programme "iconique", comme ils disent au château.

TF1 a annoncé que, sur son antenne française, la finale de la Starac, diffusée après 22h, avait rassemblé en moyenne 3,8 millions de téléspectateurs, réalisant des parts d'audience "de malade" (±60%) auprès des jeunes 25-34 ans et 15-24 ans (ce qui ne permet pas de dire combien ils étaient vraiment…).  À J+7, hors finale et demie finale, le Prime avait réuni en moyenne 4,2 millions de spectateurs. Des données qui entraînent toute comparaison impossible avec la finale, puisque les données sont là mesurées à J+1 et non J+7. 

On peut toutefois supposer que, au total, le public total de la finale fera plus que 4,2 millions en tenant compte de tous ceux qui auront préféré voir le show et son épilogue en replay.

MARÉE BASSE

En Belgique, serait-on des couche-tôt ? En J+1, on ne mesure pas la même tendance qu'en France. À J+1, l'audience de la finale (mesurée de 22h à 24h alors que le nom de la gagnante a été révélé à 00h40 environ) est la plus faible de tous les Prime. Elle est même inférieure à celle du prime du 29/10.  Évidemment, les autres primes débutaient à 21h. Mais cette faible audience s'inscrit dans la ligne de celle de la semaine précédente. 

Sans doute une mesure J+7 corrigera-t-elle la tendance du J+1. Sur l'ensemble des Prime, l'audience J+7 apporte entre ±150.000 et 200.000 de plus à l'audience J+1. Elle adoucit les audiences J+1 les plus faibles, mais présente des tendances à la hausse et à la baisse identiques à celle de la courbe J+1. 
Sauf pour la demi-finale, où l'audience J+7 n'était que très faiblement inférieure à celle du J+1. à voir ce que cela donnera en J+7…
 
ESSOUFFLEMENT
 
Dans l'ensemble, les audiences finales J+1 de la Starac en Belgique, que ce soit en quotidienne ou en prime, affichent les mêmes tendances : elles sont plus faibles que celles des semaines précédentes.
En quotidienne de fin d'après-midi, les auditoires ont varié de ± 150.000 à 230.000 personnes. Les audiences ont en général été plus fortes en novembre qu'octobre, c'est-à-dire liées à la montée en puissance de la télé-réalité (et sans doute grâce aux partages sur les réseaux sociaux). 
 

LE SUSPENS DES 'ÉVALS'



En ce qui concerne les jours de la semaine, les audiences les plus fortes se situent le mercredi (couleur rouge sur le graphique), jour où les candidats étaient "trop choqués" lorsque étaient montrées et débriefées leurs évaluations, ayant lieu le mardi, et où les noms des potentiels éliminés étaient dévoilés par le 'directeur' du château. Le mardi (en vert) figure aussi souvent dans la première partie du tableau, mais pas avec les mêmes fréquence et intensité que le mercredi. Or, à la fin du Prime du mardi, la quotidienne comprenait déjà un court direct où le directeur donnait déjà son avis sur les prestations. 
Le fins de semaine ont été moins prisées par les téléspectateurs (jeudis [bleu] et vendredis [gris]). 
Même lors de sa plus grande audience J+1, la Quotidienne n'a pas réussi à se hisser dans le top 20 des meilleures audiences J+7 établi par le CIM. On peut en conclure que l'appui complémentaire de l'audience J+7 ne contribue pas à augmenter le nombre de spectateurs de telle manière qu'il dépasse largement les 250.000  personnes.
 
TF1 a déjà annoncé une édition de la Starac l'an prochain. Elle sera beaucoup plus longue. Et ne se terminera pas par une finale en deuxième rideau de soirée. Il sera intéressant de voir si, dans ces conditions, les audiences belges changeront de profil…
 
Frédéric ANTOINE.

 


 

22 novembre 2022

Staracadémiciens, Amoureux des prés… : vraies personnes ou pions d'un show tv ?


Les chaînes tv abreuvent à longueur de journée leurs spectateurs de télé-réalités en tout genre, où  la vie des autres prétend être montrée telle qu'elle est. Et le public, émerveillé, de se passionner,
s'identifier ou s'apitoyer sur ces "vrais" gens vivant de "vraies" épreuves. N'oublie-t-on pas une chose : qu'ils soient apprentis chanteurs, candidats à l'amour, Kohlantiens ou Marseillais, tous ne sont-il pas que des pions ? Des personnages aux comportements quasiment téléguidés au service d'un seul et même maître : le spectacle télévisuel ?

L'amour est dans le pré vient tristement de se terminer sur RTL TVI. Tous les célibataires qui rêvaient de trouver l'âme sœur on touché la fin du parcours bredouilles, sauf un. Samedi prochain, il en sera un peu de même de Star Academy sur TF1. Comme on le dit si bien à Koh-Lanta, "à la fin, il n'en restera qu'un". Et les autres repartiront comme ils sont venus, porteurs de gloires qui, dans bien des cas, resteront à jamais éphémères. Ils diront bien sûr qu'ils ne sont désormais plus les mêmes, que la Starac les a transformés, qu'ils entament une nouvelle vie. Bon nombre en reviendront pourtant au même anonymat que Julien, Alain ou André, les agriculteurs qui cherchaient l'amour. 

La télé-réalité a cela de cruel que, comme me disait fin des années 1980 le producteur Jacques Antoine, "on croit souvent que, dans un jeu télé, les candidats jouent un rôle essentiel. C'est totalement faux. En fait, ils ne comptent pas".

Mais, malgré tout, qu'est-ce qu'on se sera passionné pour les péripéties de ce que l'on appelle désormais une 'aventure', faute de pouvoir désigner par un terme plus opportun ce qui n'est pas vraiment un jeu. Quoique. Ni un docu-réalité. Quoique. Ni un feuilleton. Quoique.  Ni une fiction. Quoique…

DE SI VRAIS CANDIDATS

Cela fait une bonne vingtaine d'années que les analystes décortiquent les productions de télé-réalité pour démontrer que, comme pour les raviolis Buitoni de la vieille pub télé, l'important est ce qui est dans la boîte et non les mentions qui se trouvent sur l'étiquette. Ce qui, en l'occurrence, veut dire que les télé-réalités n'ont de 'réel' que leur nom. Mais, malgré tout, quel téléspectateur n'a pas, au moins à un moment, eu envie de croire que ce qu'il regardait était bien une portion de réel. Une addition de tranches de vie si agréables à consommer qu'on ne peut imaginer que le gâteau qu'elles constituent ne soit pas composé que d'ingrédients réels.

Cela fait plus de vingt ans qu'on essaie d'expliquer que l'habit ne fait pas le moine. Ou que la télé-réalité est au réel ce que, dans autre vieille pub, le Canada Dry était à l'alcool : un leurre qui avait bien le goût et les couleurs de l'alcool, mais n'en était pas. Qu'importe. Ne sont-ils pas si touchants, tous ces candidats et candidates qui révèlent jusqu'à l'intime leur vie devant des caméras dont ils acceptent l'intrusion dans leur existence ?

Mais… Révèlent-ils vraiment leur vie, ou n'est-ce pas seulement ce qu'ils prétendent faire ? Ou ce qu'on leur a dit de dire qu'ils faisaient ? Et tolèrent-ils juste l'intrusion des objectifs dans leur vécu ? ou ne l'ont-ils pas suscitée, voire longtemps rêvée ?

DERRIÈRE L'ÉCORCE

La première couche de consommation de ce type de programmes a tendance à opposer un déni farouche à toutes les questions posées ci-dessus. Mais non, ils sont vrais de vrais, bruts de décoffrage, les gens que l'on voit dans ces émissions. Comment peut-on prêter de telles intentions à ces programmes, sinon par malveillance ? Tel le serpent de la Bible, la télévision ne manque pas de subterfuges pour cacher ses réelles intentions. Et y réussit plutôt bien. Alors, dépassons un peu les premières impressions.

Les candidats de la Starac ou de L'amour est dans le pré sont-ils "vrais" ? Certes, ils existent bel et bien dans la vie réelle. Et participent au programme parce qu'ils répondent à certains critères recherchés par les concepteurs. Mais leur apparence télévisée est-elle égale à eux-mêmes, est-elle un clone d'eux-mêmes, ou autre chose ? Pour qu'ils entrent dans le 'jeu', les candidats doivent en permanence être fidèles aux caractéristiques qui leur ont ouvert les portes de l'émission. Car c'est pour cela qu'ils ont été castés. Le casting vise à constituer un panel diversifié de situations et de 'caractères', c'est-à-dire de personnages. Léa est ainsi une jeune fille (oserait-on déjà dire une jeune femme ?) qui a une belle voix. Mais elle est surtout un être un peu fantasque, souvent drôle et un poil paresseux. Impossible de la rater une fois qu'on a vu la multitude de bouclettes qui constituent sa coiffure, ou que l'on a remarqué la forme de ses lèvres, comparable à celle de certaines influenceuses de Dubaï. Rien à voir avec Enola-la-sage, que l'on verrait bien sortie d'une école de bonnes sœurs, et qui fait déjà par moments des airs de petite mammy. La situation familiale de Bernard est unique, lui qui, à soixante ans, doit s'occuper de son fils de 16 ans tout en étant marchand de bêtes et fermier. Aucun rapport avec celle de Julien qui, en élevant ses propres moutons, se croit déjà un sûr de lui et de ses choix alors qu'il est toujours un grand ado qui aime par-dessus tout faire la fête avec ses copains.

ÉCRIT D'AVANCE. OU PRESQUE

Le casting, c'est essentiel. Grâce à lui, au fil des épisodes du programme, chaque personnage sera porteur d'un récit différent. Dans la Starac comme chez les Marseillais. Mais l'histoire dont il sera le héros lui appartient-elle ? L'histoire générale du programme, ce qu'on appelle son "méga-récit", n'a rien à voir avec celle de chaque candidat. Le scénario d'une télé-réalité est toujours d'abord écrit par ses producteurs. 

Ceux-ci inscrivent leur produit dans la ligne habituelle des émissions du genre : variété de compétiteurs ; épreuves ; éliminations successives [par les pairs, un jury ou le public] ; isolement [voire enfermement] total ou partiel des participants ; paraphrasage du déroulement des étapes de l'émission par les candidats eux-mêmes ["le confessionnal], etc. Certaines télé-réalité ajoutent à toutes ces composantes l'élément historiquement discriminant qui a fait, fin des années 1990, de ces émissions un genre télévisuel à part : un suivi des compétiteurs dans tous leurs faits et gestes 24h/24 (ou presque). Cet élément, qui requiert des moyens importants et une production en temps réel ["en direct"] a été abandonné par toutes les émissions ne se déroulant pas dans un cadre fermé précis, proche d'un studio de télévision, où le travail de postproduction a pris une part de plus en plus importante (comme dans L'amour est dans le pré). La Starac, par contre, a signé le retour aux sources de cette possible expérience permanente d'observation de la vie des compétiteurs (ici via un abonnement payant à MyTF1). 

Les constantes constitutives du genre sont déclinées de manière différente selon les émissions, ce qui permet à la télé-réalité de se répandre tel un virus dans l'ensemble de la sphère télévisuelle. La variation de combinaisons, mêlée à des thématiques elles aussi diversifiées, donne l'occasion à chaque production d'être à la fois unique, et ainsi de renouveler le genre, tout en étant en même temps fortement similaire aux autres produits de télé-réalité. Et donc à rassurer le spectateur sur ce qu'il regarde, et le garantir du plaisir qu'il aura à consommer le programme.

PRISONNIERS DU FORMAT

Ce cadre et la narration qui en découle sont prédéfinis par le format fixé par la production. Celui-ci comprend aussi les étapes qui chapitreront les différents moments du récit et en organiseront l'évolution, jusqu'à la résolution finale. Pour le candidat qui entre dans le canevas, impossible de se défaire de ces jalons imposés qui forment la trame de l'histoire.

En 2022, la Starac se déroule sur six semaines, chacune constituant une des étapes du récit "il était une fois des jeunes inexpérimentés qui deviennent des chanteurs professionnels grâce à un drill intensif mené par des experts dans un cadre communautaire fermé". La version 2022 de L'amour est dans le pré compte 8 épisodes de l' histoire "il était une fois des agriculteurs célibataires cherchant l'âme sœur et demandant à la tv son aide pour trouver des prétendant(e)s parmi lesquel(le)s ils feront leur choix".

Dans les deux cas, les étapes du récit, correspondant en gros chaque fois à un épisode (ou à une semaine), sont clairement marquées, du "il était une fois", où l'on découvre les personnages, à "voici le(s) gagnant(e)s qui ont réussi toutes les épreuves", dont ressort le meilleur chanteur ou le(s) "couple(s) agriculteur/prétendant étant toujours ensemble".

ENCHAÎNÉS

Dans ce format prédéterminé, la liberté laissée à chaque compétiteur est limitée, puisqu'il doit à la fois se conformer au scénario préétabli et être lui-même, pour se distinguer des autres. Là réside une des subtilités de la recette de la télé-réalité. Certes, chaque protagoniste évolue de manière différente, et est porteur de son histoire. Lorsque Alain décide, en définitive, de ne pas poursuivre l'histoire avec la dulcinée qui semblait l'avoir séduite, c'est son choix. Si Julien se comporte comme un jemenfoutiste, c'est son choix. Et s'il en découle que cela le fait éliminer par le vote du public, c'est la conséquence de son choix. Les personnages pilotent donc une partie de l'histoire. Mais pas tout. Car le récit reconstitué par la réalisation télévisuelle est aussi, sinon surtout, une production narrative scénarisée. Et pas une succession de moments de réel semblables à ceux que captent des caméras de surveillance dans les rues, les magasins (et parfois des foyers). Il faut suivre le live de la Starac sur MyTF1 (payant) pour assister aux événements au moment de leur déroulement. Mais, même alors, un réalisateur choisit les images qu'il met à l'antenne du live, ainsi que les caméras qu'il utilise et leurs angles de prise de vue. Et il occulte une (grosse) partie de la réalité. Quand il s'agit de produire une émission d'une heure ou un peu plus, tout est évidemment remonté, édité, orienté. C'est alors que les personnages sont vraiment façonnés, afin que le public leur attribue une identité et que se bâtisse un récit qui illustre leur profil.

DÉFORMATIONS

Pas étonnant, dès lors, que des participants à certaines émissions de télé-réalité préenregistrées constatent à la diffusion que celles-ci ne reflètent pas leur personnalité, ou en tout cas l'image qu'ils entendent donner d'eux-mêmes dans leur "vraie" vie. Le personnage télévisuel n'est pas nécessairement identique à l'être de sang et d'eau qui se démène dans son quotidien. Il est bel et bien devenu un objet que façonne la production au gré des aléas de son récit. La "vraie" Léa est-elle aussi drôle et décalée que celle que l'on voit à l'écran, et la "vraie" Anisha aussi à la fois effacée et calculatrice sur la monstration de son état d'esprit ? Le "vrai" Bernard est-il aussi rond et bienveillant tous les jours que celui que l'on a vu sur l'écran ? Qui est vraiment cette Françoise à qui il pensait s'attacher ?  À en croire les articles parus dans la presse populaire ces dernières semaines, elle (et peut-être lui) ne seraient pas à l'écran comme dans la vie. Et que cherche "vraiment" cette Cathy, qui à l'écran semble plus chercher l'amour de ses chevaux que d'un homme ?

SYNDROME DE FAUST

Tout qui s'inscrit à une émission de ce type est touché par le syndrome de Faust : entrer dans un processus qui permet (ou promet) d'obtenir la gloire ou la réussite. Et, en contrepartie, vendre son âme au diable télé-réalité. Sans possibilité de retour. Car même si l'on renonce en cours de route, il sera trop tard. La machine télévisuelle aura bâti le personnage et initié son histoire. Dans ce cadre, tout renoncement ne concourra qu'à renforcer le profil médiatiquement créé et à fournir un rebondissement de plus au récit. On peut même arriver à ne plus se dépêtrer de son avatar télévisuel. Au point de ne trouver qu'une seule solution pour s'en sortir : le reproduire dans d'autres télé-réalités, ou le faire vivre en permanence sur les réseaux sociaux. 

Au risque qu'un jour ce double ne vienne cannibaliser la "vraie" personne ? 

Cela ne pendra sans doute pas au nez des agriculteurs qui ne feront de ce passage télévisuel qu'une page de leur vie qu'ils chercheront à refermer. Mais à voir les confessions a posteriori que plusieurs d'entre eux (ou de leurs prétendantes) versent cette année dans la presse, on peut craindre que le virus les ait atteints. 

Les jeunes apprenti(e)s de la Starac peuvent eux, être bien plus facilement tentés d'être phagocytés par leur double télévisuel. Avec les risques évoqués ci-dessus.  À moins que, issus d'une génération pour qui la télé-réalité fait partie de la vie, ils n'aient eux-mêmes pris part à la constitution de ce personnage archétypé qu'ils ont affiché à l'écran. Et que derrière lui se cache leur "vraie" personne. Mais là aussi, il n'est pas sûr que toutes ces jeunes âmes aient eu l'occasion de faire pareille démarche, voire même de l'imaginer. Alors que leurs rêves de célébrité et de réussite paraissent si proches de se réaliser.

Frédéric ANTOINE.


 

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