Mais ils sont nombreux, ceux qui sont toujours friands des rites de la programmation de fêtes.
Les chaînes font rarement des records d'audience les jours de fête de fin d'année. Cette fois-ci, les programmes qui ont rassemblé plus de 300.000 téléspectateurs n'étaient pas légion… et pas plus originaux que d'habitude. Comme tous les jours de l'année, ce sont les JT qui se sont offert la meilleure part de la bûche, et celle de RTL a, ainsi qu'à l'ordinaire, été plus appréciée que celle du service public. Et ce y compris lors du service du midi, le 31 décembre.
Mais il y a eu aussi quelques émissions de l'ex-émetteur luxembourgeois qui ont donné
l'eau à la bouche aux téléspectateurs: les bêtisiers de Noël et du Nouvel
An, bien sûr, et d'autres programmes du 31 décembre. Ce jour de la Saint-Sylvestre, l'audience n'a pas boudé son plaisir sur RTL TVI : outre les JT de
midi et du soir, elle y fut aussi en nombre pour l'édition du 71
(on aime les quizz les veilles de fêtes), et pour le programme de
pré-prime time Drôles de Belges.
INFIDÈLES AU POSTE
Bon, des audiences de 300.000 personnes, c'est tout de même pas la gloire. Mais cette année on a un peu dû s'en contenter, car le spectateur n'a pas tellement été très fidèle au(x) poste(s). Ce n'était pas le cas par le passé. Si l'on considère les audiences > 500.000 spectateurs (et non 300.000) lors des soirées de réveillon et des jours de fête entre 2018 et aujourd'hui, on ne comptabilise que 3 programmes diffusés en 2021, contre 5 en 2018, aucun en 2019 et 7 en 2020. Cette année-là fut exceptionnelle puisque frappée par le covid. Les restrictions qui y étaient imposées s'apparentaient à un réel confinement. Et donc à une surconsommation de la mère nourricière "télévision".
En 2021 (barres rouges dans le graphique), seuls trois JT de RTL se placent dans ce classement des programmes ayant réuni plus d'un demi-million d'amateurs. L'an dernier (barres bleues dans le graphique), les bêtisiers de la chaîne privée avaient aussi bien nourri les repas des soirs de fête, ainsi qu'un JT de la RTBF. En 2018 (barres jaunes dans le graphique) aussi, les bêtisiers étaient de la fête, les JT étant moins nombreux à drainer les foules. Lors de la fin d'année 2019 (barres vertes dans le graphique s'il y en avait eu), aucun programme n'a atteint les 500.000 spectateurs lors des réveillons ou des jours de fête (1). Ce délaissement de la télé préparait-il inconsciemment à des moments de disette de réjouissances, alors que l'on commençait à appendre qu'un virus inconnu causait quelques morts en Chine?
QUE DE BÊTISES !
Que ce soit les veilles ou les jours de fête, de 2018 à 2021, les JT ouvrent toujours le bal des plus fortes audiences (pour les personnes intéressées, voir les graphiques I. ci-dessous). Ils sont suivis par les bêtisiers, qui fleurissent sur toutes les chaînes, sauf la veille de Noël (2). À la Noël, les bêtisiers sont toujours de la fête, sauf le 25/12/2018, où un film de De Funès se classait parmi les plus fortes audiences. La veille de l'An, les bêtisiers envahissent aussi les écrans. Le jour de l'An, ils sont encore au rendez-vous, mais des films humoristiques (Les Bronzés) figurent aussi parmi les programmes les plus regardés (2 films en rafale, le 01/01/2020).
Quelles sont les raisons du succès de ces programmes de "bêtises", de "manque d'intelligence, de jugement" (3), basés sur la contre-banalité, l'extra-ordinarité, que celles-ci se déroulent dans la vie quotidienne des humains ou des bêtes, ou dans le cadre de la production de contenus audiovisuels? Dans chaque cas, ces "sottises, idioties, imbécillités, stupidités"(4) portent à sourire, même si c'est (et c'est souvent le cas) du malheur ou de la mauvaise fortune d'autrui. La proximité avec l'univers du spectateur, le côté touchant, la part humoristique (on s'amure lors des réveillons et des soirs de fête) expliquent sans doute le succès de ces programmes. Le fait qu'ils soient composés de courtes séquences, semblables à celles que l'on trouve en ligne [d'où elles sont souvent pompées] joue aussi certainement un rôle dans leur attrait, car ils s'inscrivent dans les mécaniques de brièveté et de renouvellement permanent qui caractérisent les usages audiovisuels contemporains.
LA RECETTE DU BINÔME
La programmation de prime time, elle, est plus diversifiée que ce que laissent supposer les audiences de masse (pour les personnes intéressées, voir les graphiques II. ci-dessous). La veille de Noël, les chaînes proposent souvent des films familiaux, et pas nécessairement des rediffusions de classiques du cinéma humoristique français. Ces productions recueillent toutefois souvent une audience faible, avoisinant les 150.000 spectateurs (5).
Le même type de programmation se retrouve le soir de Noël, accompagné de quelques tentatives de diversification de l'offre, avec des "specials" issues de programmes ordinaires, comme un jeu de type télé-réalité, ou une émission culturelle. Ou des cas de non-prise en compte de la spécificité du jour, avec maintien de la programmation ordinaire, par exemple un épisode d'une série policière. Ces programmes-là aussi recueillent de faibles audiences (± 200.000 téléspectateurs, soit un peu plus que la veille).
La programmation se voudra un peu plus diversifiée le soir de la Saint-Sylvestre, où les bêtisiers côtoient des films familiaux, mais aussi des programmes de divertissement et des variétés, voire du théâtre (nous nous limitons ici au prime time et ne prenons pas en compte les deuxièmes rideaux de soirée). À nouveau, ces écarts par rapport à la sacro-sainte offre "bêtisiers ou films" n'attirent pas des hordes de spectateurs.
Le soir du jour de l'An est un peu comparable à celui de Noël. Là aussi, le duo "bêtisiers ou films" est complété par des programmes plus variés, allant des documentaires (nature ou animaliers) à des "specials" de jeux et de divertissements, voire à la simple poursuite de l'offre habituelle de la chaîne ce jour-là de la semaine.
UNE INFO PRESQUE NORMALE
Si les JT restent les programmes les plus regardés les soirs de veilles et les jours de fête, leurs succès sont au total plus relatifs cette année que par le passé (pour les personnes intéressées, voir les graphiques III. ci-dessous). Les émissions d'info drainaient un grand nombre de spectateurs ces soirs de fin d'année en 2020, à des moments forts de la pandémie. Cette année, celle-ci n'a pas disparu, mais l'intérêt de l'audience s'est émoussé. Les courbes des JT de RTL TVI et de la RTBF adoptent les mêmes tendances de 2018 à nos jours. Pour RTL, les audiences restent plus importantes qu'avant le covid. Pour la RTBF, la situation varie. La veille de Noël, comme RTL, son auditoire est en hausse sensible. Mais il retrouve son niveau d'avant covid les autres soirs. Le 31/12, le résultat de RTL TVI est à l'image de son access prime time et de son prime time. Le jeu précédant le JT booste l'audience de celui-ci, qui booste celle du programme qui suit, etc.
UN MINUIT PAS TRÈS CHRÉTIEN
Il est fini, sur les chaînes premium, le temps des cathédrales à l'heure de minuit. Désormais, si mes opérateurs en diffusent, les messes de minuit sont déléguées sur des chaînes secondaires, où ces programmes ne collent pas toujours avec le profil de l'audience cible de la chaîne. Et comme même le pape ne fête plus Noël à minuit, pourquoi encore se fendre de ce genre d'émission à une heure aussi tardive ? En tout cas, en audience, ce ne sont pas les messes de minuit qui jouent les grandes orgues (5). Les seuls programmes autour de minuit le 24/12 figurant dans le Top 20 du CIM sont soit des films de De Funès diffusés sur RTL TVI, soit des épisodes des aventures du ventriloque humoriste Jeff Panacloc proposés en 2020 et 2021 par TF1, à partir de 24h10…
Le 31 décembre, pas de messe au menu non plus. On communie avec autre chose lorsque s'annoncent les douze coups. Pendant trois ans, TF1 a réalisé en Belgique de très beaux scores d'écoute avec le programme de variétés précédant le passage à l'an neuf, proposé par son animateur vedette de télé-crochets. Cette année, l'émission a disparu au profit d'une soirée tout bêtisier (un premier de 220 minutes, suivi d'un second de 140 minutes). Le premier était donc toujours en cours lors du passage à 2022. Le "véritable" programme d'avant minuit, débutant vers 23h40, on le trouve sur RTL TVI depuis des années. Il est en général suivi par environ 100.000 spectateurs (un peu plus en 2020). Le programme de même type proposé par La Une ne figure pas dans le Top 20 du CIM. Cela signifie que, en 2021, il a rassemblé moins de 91.000 personnes (score réalisé sur RTL après minuit avec un film). Pas étonnant sans doute, puisque la RTBF ne faisait que rediffuser un divertissement basé sur ses animateurs qu'elle avait déjà diffusé… le 28 décembre 2020.
Côté musique, Le coup de baguette de La Une, c'est le très traditionnel concert du Nouvel An de Vienne, proposé en Eurovision à partir de midi chaque 1er janvier depuis… 1959. L'événement recueille toujours son petit succès. Ces dernières années, il a réuni entre 230.000 et 200.000 fidèles amateurs de valses, avec des résultats aussi élevés le 01/01/2019 que le 01/01/2021, en pleine pandémie. Le concert a encore attiré une audience appréciable cette année. La ritualité de ce spectacle participe sûrement à fidéliser son audience, de même que sa retransmission en direct, qui fait communier le spectateur à un moment unique (ou du moins le croit-il).
La transmission du concert impacte évidemment l'heure de diffusion du journal télévisé de La Une, qui est amené à prendre l'antenne vers 13h50, soit après la fin du JT de RTL TVI. Le jour de l'An, les deux journaux télévisés ne sont donc pas en concurrence sur le même créneau. Conséquence: celui de la chaîne privée est toujours Premier Violon quand la tv publique est au Musikverein. Ce numéro en solo permet parfois à RTL de compter beaucoup plus de spectateurs que Le 13H de La Une (notamment lors de la pandémie, le 01/01/2021). Cette année, l'écart était moins marqué. Du côté de la RTBF, le volume d'audience de ce JT décalé est remarquablement stable d'année en année. Il est bien sûr composé en grande partie des amateurs de J. Strauss. Mais, en nombre, sans rapport direct avec l'audience totale du concert eurovisé.
SEASON'S GREETINGS
De l'humour, de la légèreté, un brin d'émotion et beaucoup de bons sentiments. La recette de la programmation tv du temps de Noël paraît immuable à travers les décennies. Résultats d'audience aidant, les programmateurs n'ont cessé de renforcer dans leurs grilles la place réservée aux genres de programmes qui plaisent. Pour raisons budgétaires ou choix stratégiques de contre-programmation, certaines chaînes préfèrent jouer d'autres airs, ou de faire comme si de rien n'était. Cela plait aux fidèles de la station, ou à ceux qui sont fatigués de voir les mêmes films éternellement au programme, et de devoir ingérer à longueur de soirées de fêtes les mêmes petites catastrophes ou bourdes de chiens, de chats, d'ados débiles, de maris stupides et de présentateurs de JT trop sûrs d'eux, re-re-rediffusées pour la nième fois +1.
Comme l'esprit de Noël, toujours pareil au même d'année en année, la tv alors n'innove pas, mais reproduit. Sûre d'avoir toujours "son public" avec elle. Le public de tous ceux qui sont seuls, ainsi que de ceux qui ont choisi de passer ce moment "tranquillement à deux", et pour qui la cérémonialité de la programmation de fin d'année participe de la réussite de leur(s) soirée(s).
Les rituels programmatiques de ces veilles et jours de fête permettent aussi de toucher la fameuse "cible familiale", dont personne ne sait vraiment ce qu'elle recouvre, mais dont on est au moins certain d'une chose : c'est qu'elle réunit autour de la petite lucarne adulte(s) et enfant(s).
La programmation de fin d'année, c'est la carte postale photoshopée que les chaînes adressent à leur audience. La promesse d'un univers télévisuel lisse, heureux, léger. Que les JT s'excusent presque de venir troubler de quelques mauvaises nouvelles, qu'ils s'empressent d'emballer d'images de fêtes, de feux d'artifices, de neige, de pâtisseries et de reportages paradisiaques à l'autre bout de la terre.
L'irréel même dans le réel. Et dire que ça marche…
Frédéric ANTOINE
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(1) Le JT de RTL TVI du jour de l'An 2020 avait frôlé les 500.000 spectateurs.
(2) De 2018 à nos jours, seul RTL TVI en propose un ce soir-là, en 2018.
(3) Selon les dictionnaires Larousse et Le Robert.
(4) https://dictionnaire.lerobert.com/definition/betise
(5) Il faut aussi pointer, en 2020, l'excellente audience hors normes du programme de magie proposé en pré-prime time sur RTL TVI.
(6) Les messes de minuit ne figurent pas dans les Top 20 des audiences transmis par le CIM. Nous ne savons donc pas quel est leur volume d'audience, ni si celui-ci se maintient au fil des ans et des horaires de diffusion. Ou fond au même rythme que les fidèles des paroisses…
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GRAPHIQUES
I. LES PLUS FORTES AUDIENCES DES VEILLES ET JOURS DE FÊTE
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