Le Conseil National de Sécurité (CNS) a tenu ce mercredi 3 juin sa dernière conférence de presse de période de déconfinement. La première de ces communications s'était déroulée il y a près de trois mois, le jeudi 12 mars. Depuis lors, des rites se sont installés. Mais ce cérémonial a aussi subi quelques adaptations.
Une conférence de presse est, en général, une danse en trois temps. Le premier temps de la valse est celui de la prise de parole par l'organisateur. Le deuxième est celui de l'interpellation de l'instance invitante par les journalistes, normalement chargés d'assister à cet événement pour ensuite le rapporter à leurs lecteurs, spectateurs, auditeurs… Le troisième est d'ordinaire informel. On se retrouve, parfois autour d'un verre, pour prolonger les échanges qui ont eu lieu pendant la rencontre.
Les conférences de presse du CNS ne sont pas tout à fait une valse. Leur troisième temps est plutôt incertain, et elles s'adressent autant, sinon davantage à la population qu'aux journalistes eux-mêmes. Pour les journalistes, le rituel qui structure une conférence de presse et les conventions qui y sont associées relèvent des pratiques professionnelles habituelles. Ce cérémonial, et notamment sa durée, est sans doute moins habituel pour le grand public qui apprécie souvent une communication ramassée, allant à l'essentiel. Quand, pour plaire à tout le monde, il faut au cours de pareille séance donner la parole à tous les présidents de gouvernements régionaux et communautaires, par exemple, on ne peut pas dire que cela permet au message d'être concis et percutant. Mais, comme nous avons déjà développé précdemment quelques réflexions à ce propos, nous ne reviendrons donc pas ici sur ces sujets (1).
Chacun à sa place
Si l'on exclut la catastrophique première conférence de presse sur le déconfinement du 24 avril, l'impression est que, de manière générale, le rituel de la conférence de presse a ici plutôt été respecté à la lettre, que ce soit dans son déroulement ou dans son dispositif.
La scénographie du 'plateau' et la disposition des intervenants autour
de la table au cours des différentes conférences de presse le confirment, rassurant tout le monde, y compris sans doute aussi le spectateur. Personne ne change en effet de
place (2).
A chaque fois, les présidents d'Exécutifs s'installent avant la Première ministre, celle-ci arrive sans que personne ne la salue, elle prend place à la tribune, se sert parfois un verre d'eau, puis commence son exposé. La structure de celui-ci est toujours à peu près identique. Il se présente sous la forme d'un exposé, d'une conférence et non d'une communication destinée à de suite présenter l'essentiel d'une information. Pour reprendre une vieille formule enseignée aux étudiants en journalisme, la structure de l'exposé utilisée ici est celle d'une présentation en pyramide inversée (on dira aussi 'en entonnoir'), c'est-à-dire que l'intervention débute par des rappels historiques, des mises en contexte, des commentaires globaux. Ce n'est qu'ensuite que l'orateur en vient à ce qui constitue le cœur de son message: présenter les décisions prises par le CNS le jour même, et dont la conférence a comme rôle d'informer les journalistes, afin qu'ils les répercutent à leur public. Devant le contenu ainsi exposé, aux journalistes de trier le bon grain de l'ivraie et de livrer à la population "les nouvelles", ce qui fait l'actualité du message.
Un léger glissement
Le nombre de personnes présentes à la tribune étant pair, la Première ministre n'occupe jamais le centre du plateau, ce qui pose à l'image un petit problème d'équilibre. Il est renforcé par la nature du fond sur lequel s'inscrit l'oratrice, celui-ci étant constitué par le mot "Belgique" dans les trois langues nationales. Comment se placer devant ces intitulés sans les occulter? Faute de solution, il semble que le positionnement de l'oratrice ait légèrement été modifié au fil du temps. L'observation des images prises par les services chargés de la captation montre ainsi que les cadrages prévus ont, à un certain moment, occulté la fin de "België" et à d'autres, celle de "Belgique". La version néerlandaise paraît plus malmenée de mars à mi-avril, et c'est ensuite au tour de la version française.
Plus particulier encore, l'oratrice ne se trouve pas au centre l'image, comme cela se conçoit dans un cadrage télévisuel classique. Le cas de la conférence de presse du 12 mars, qui n'a pas été couverte par les services de l'Etat mais par les chaînes de télévision elles-mêmes, montre que celles-ci avaient choisi de placer l'intervenante au centre de l'image, quitte à conserver à sa gauche et à sa droite les épaules des autres personnes présentes à la tribune. Lorsque la captation de la conférence de presse n'est plus laissée aux chaînes de télévision, l'insertion d'une traduction en langue gestuelle vient envahir la partie droite de l'image, et oblige le décalage de son élément central, créant ainsi un double centre d'attention pour le spectateur.
De petites adaptations
Une comparaison de ces cadrages 'buste' de l'oratrice au fil des conférences de presse permet d'évaluer la gestion de cet encombrement de l'espace par le réalisateur de la captation. Lors de la première conférence de presse officielle (17/03), la part du cadre prise par les interprètes représente près du quart de l'image. Cette superficie sera ensuite légèrement réduite jusqu'à la mi-avril, et reprendra davantage d'importance fin de ce mois-là, avant de se voir ensuite réduite en largeur. Pour une raison simple: le passage de deux à un interprète présents dans l'image. En mai, la traduction gestuelle occupe enfin un espace plus réduit. Elle se déroule aussi depuis fin avril sur un fond neutre (noir) et n'est plus prise, comme à la sauvette, près d'une porte de la salle de conférence de presse, avec des journalistes en arrière plan.
La conférence de presse du 3/6 marque aussi un changement vestimentaire important dans le chef de la Première ministre, qui porte cette fois-là une veste de couleur blanche, sur un chemisier foncé. Jusqu'alors, sa veste était quasi noire, et était à trois reprises portée sur un chemisier lui aussi foncé. Des détails qui marquent tant le spectateur de l'image animée que celui qui contemple une photo prise lors de l'événement. Ce passage au blanc revêt un poids significatif, comme le montre la copie d'écran de la tribune figurant au début de ce texte. Le 3 juin, comme lors de toutes les autres conférences de presse, les hommes portent en effet des costumes foncés. Mais, cette fois, l'oratrice ne se mêle pas à leur masse. On l'en distingue parfaitement.
Serrages de boulons
Sur divers points, le gouvernement fédéral semble commencer à améliorer sa communication. Mais la volonté de contrôler la transmission du message n'y est pas neuve. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer le côté hiératique, figé, des captations réalisées pour toutes les chaînes de télévision par les services de l'Etat et la liberté d'action dont bénéficiaient auparavant les opérateurs. La conférence de presse du jeudi 12 mars est très indicatrice à ce propos. Comme évoqué plus haut, ce jour-là, les chaînes pouvaient agir elles-mêmes. Les images prises ce jour-là n'ont donc rien de commun avec celles des captations suivantes. Sur la RTBF, on a même alors droit à des plans de coupe sur les journalistes ou sur l'enfilade des personnalités présentes à la tribune. Plans qui n'auront plus aucune existence dès que la prise d'image deviendra officielle. Tant et si bien que, lorsque les journalistes posent leurs questions lors du "deuxième temps" de cette étrange valse, non seulement on ne les voit désormais plus (question de droit à l'image?) mais, parfois, on ne les entend pas, ou à peine…
Ce resserrage de boulons a empêché que, comme au mois de mars, les écrans soient occupés pendant de longues dizaines de minutes par une image vide, ou par le passage de photographes dans le champ des caméras des chaînes de télé. Il n'aura toutefois pas empêché la surinformation de l'image rencontrée dans la conférence du 24/4. Mais la Première ministre avait promis qu'elle ne se présenterait plus. Ce qui fut fait. Lors d'une conférence de presse, on peut utiliser un Powerpoint. Mais pas dans une émission de télévision en direct…
Frédéric ANTOINE
(1) Voir à ce propos le premier post de ce blog, réalisé en réaction à la conférence de presse du CNS du 24/04/2020.
(2)Sauf bien sûr dans le cas de la conférences de presse du 20/03,
hors CNS, destinée à la présentation du plan de protection sociale et
économique, et où la Première ministre était entourée de membres des son
gouvernement).