La nouvelle est tombée ce 9 juillet en soirée: le groupe IPM devient finalement acquéreur des Editions de l'Avenir (EDA) et de ses deux hebdos. Si cette nouvelle était somme toute logique, on ne peut oublier que cette acquisition sonne comme le retour de flamme d'une vieille histoire, celle des rapports entre IPM et le groupe L'Avenir.
IPM n'a cessé de le déclarer, notamment dès sa première offre de reprise EDA à Nethys lors du scandale Publifin : ce groupe de presse l'intéressait. Et l'avait déjà intéressé par le passé. La chose est incontestable. Mais cela met un peu de côté ce qui est antérieur à ce passé récent au cours duquel le groupe bruxellois a marqué de l'intérêt pour le quotidien catholique historiue du Namurois. Tant et si bien qu'on ne peut s'empêcher de penser que cette acquisition d'un "gros poisson" par une entreprise médiatiquement moins forte pourrait avoir des airs de petite revanche. On n'osera pas dire : de vengeance.
QUAND L'AVENIR RÉGNAIT
Il y a près de 30 ans, le paysage de la presse en francophonie ne revêtait pas la même configuration qu'aujourd'hui. A l'époque, le groupe IPM n'appartenait pas à une seule famille. Et les co-actionnaires du groupe variaient plutôt avec le temps. Jusqu'à ce que se fige, il y a environ 25 ans, une situation qui paraîtrait aujourd'hui paradoxale: le contrôle d'IPM par Vers L'avenir!
Bon nombre d'acteurs et d'observateurs ont sans doute perdu de vue ce moment historique. Mais il est essentiel, et correspond, en gros, à la période où le groupe namurois sortit de sa torpeur provinciale pour envisager de nouveaux horizons de développement, qui le mèneront par la suite à se dénommer Medi@bel. Les péripéties de cette époque ont été narrées avec précision par feu l'irremplçable Xavier Mabille dans un CH du CRISP (1). Notre ambition ne sera pas de paraphraser ici cette excellente étude, mais d'en inscrire les éléments marquants en regard de la situation actuelle.
En 1995, la SA IPM est détenue non par un, mais par trois actonnaires. Via la CDM, la famille le Hodey ne détient alors pas un tiers du capital du groupe. Le contrôle de l'éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure-les Sports s'opère via les participations croisées de deux acteurs: la société Quatuor Invest, habilement basée au Luxembourg, et la Financière de l'Avenir, elle aussi inscrite sur les hospitalières terres grand-ducales. A elles deux, ces sociétés possèdent 67,6% d'IPM. Derrière Quatuor Invest se cachent deux actionnaires: l'un, majoritaire, qui n'est autre que… la Financière de l'Avenir. L'autre est le groupe de presse Dupuis (implanté à Uccle, ce dernier est à ne pas confondre avec son homonyme de Marcinelle), qui édite alors notamment le magazine de luxe L'Evénement, et la revue sur la pub et les médias Media Marketing (ainsi que toutes les publications y attenantes).
A y bien regarder, le pilotage du contrôle du groupe IPM est donc alors réalisé par La Financière de l'Avenir, qui dépend elle-même de deux actionnaires: la SA Vers L'avenir, majoritaire, et le groupe de presse français La Voix du Nord, qui n'a pas alors encore été racheté par Rossel (ce ne sera le cas qu'en 1997). A l'époque, la SA Vers L'Avenir est elle-même contrôlée de manière écrasante par l'évêché de Namur et le prélat en place, Mgr Léonard.
En remontant l'ensemble de la filière, il apparaît donc clairement que c'est alors le groupe Vers L'Avenir qui dirige le groupe IPM, tout comme il choisira de se développer en s'engageant dans d'autres activités de presse (et notamment dans l'éphémère quotidien de gauche Le Matin).
UN CAMISOLAGE MAL TOLÉRÉ
Cet contrôle, pour ne pas dire ce camisolage de force, d'un groupe de presse bruxellois, éditant un des titres les plus prestigieux de la presse belge, et d'histoire catholique de surcroît, par une entreprise médiatique provinciale dépendant d'un évêque perdurera jusqu'au début des années 2000.
Il résistera au rachat de La Voix du Nord par Rossel, qui fera ainsi temporairement du groupe bruxellois un co-détenteur d'IPM. Il survivra à la sortie de l'évêché de Namur d'une grande partie du capital de ce qui s'appelle désormais Medi@bel, et qui sera majoritairement détenu à partir de 2009 par des intérêts catholiques flamands, en partie liés au monde de la presse (VUM), le solde étant entre les mains de deux évêchés, dont celui de Luxembourg.
L'ensemble de ces modifications de capital aura contribué à maintenir vivace un des éléments de la piliarisation de la société belge, la propriété du quotidien régional namurois et celle du groupe bruxellois éditant l'illustre Libre Belgique restant contrôlées par des intérêts liés à l'Eglise.
Ce qui est significatif, et intéressant, est que, rapidement, cette configuration n'a pas été appréciée par la CDM, détenue par la famille le Hodey. Celle-ci a intenté à plusieurs reprises des actions judiciaires contre Medi@bel. L'une d'entre elles soutenait qu'il y avait eu des clauses secrètes liant La Voix du Nord et les Editions de L'Avenir, et réclamait qu'elles soient rendues publiques. En juin 1999, la justice donnera raison sur ce point à la CDM.
Mais, comme le notait la revue Médiatiques, publiée alors l'ORM de l'UCL (2), la plus déterminante des action de la CDM aboutit le 3 juillet 2000. Ce jour-là, le tribunal arbitral jugeait recevable et bien fondée la plainte de la CDM contre Medi@bel, et ordonnait à cette dernière de permettre à la CDM de racheter les parts d'IPM que Medi@bel détenait. Et ce à condition que la direction de la CDM agisse avant trois mois. Ce qu'elle s'empressera de faire, contre versement à Medi@bel d'une somme alors évaluée à 240 millions de FB. Suite à ce jugement, La Libre Belgique et La DernièreHeure reviendront donc dans le giron de la famille le Hodey.
Ayant conquis son indépendance face à L'avenir en 2000, IPM, tombée intégralement entre les mains de la famille le Hodey, mettra finalement vingt ans à opérer le retour de balancier qui lui permet désormais d'avoir une totale mainmise sur le groupe namurois…
Frédéric ANTOINE.
(1) 1999/31-32 (n° 1656-1657)
(2) n° 22-23, 2001.