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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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17 octobre 2023

Attentat terroriste : du breaking news à la radio filmée



La Une, RTL TVi, LN24… Dans les télés, tout le monde était sur la brèche lundi soir, juste après l'attentat terroriste de Bruxelles. Mais lendemain matin…

Mardi matin. 8h. On apprend que le suspect de l'attentat a été repéré par les forces de l'ordre, puis "arrêté". Mais qu'en voit-on sur les chaînes télé ? Rien. Alors que la veille les télés étaient au taquet sur l'événement, rivalisant de directs et ayant des envoyés spéciaux tant sur les lieux de l'attentat que là où se réunissaient les autorités et tenaient l'antenne en breaking news, le lendemain matin, quand se déroule l'événement essentiel clôturant la séquence, c'est-à-dire la mise en état de nuire du terroriste dans (ou tout près) d'un café schaerbeekois, on ne voit sur les chaînes… que des images de studio.

Que ce soit la RTBF, RTL TVi ou LN24, ce mardi matin, les chaînes se contentaient de proposer leurs matinales traditionnelles, c'est-à-dire… les matinales de leurs radios. Et pas un produit purement conçu pour la télévision. Un fameux paradoxe ! Mais une super économie de moyens pour les télés par rapport à l' "artillerie audiovisuelle" qu'elles avaient déployée la nuit précédente !

VIVA SCHAERBEEK ?

De 6 à 8h du matin, La Une propose cet étrange OVNI télévisuel qu'est Le 6-8, conçu comme de la radio filmée améliorée mais… qui ne passe sur aucune radio. Si l'on y excepte les flashs d'information qui rappellent les événements de la veille, l'essentiel de ce programme de divertissement matinal ne changera pas son fusil d'épaule par rapport à son format habituel, se fixant comme but de déstresser l'atmosphère, quoi qu'il arrive…

À 8h, La Une et VivaCité diffusent un long Jp (ou un simili-Jt?) récapitulatif des événements qui comprend  aussi une interview en direct d'un responsable politique. Le seul in situ présent dans ce Jt est celui d'une journaliste devant une école Notre-Dame-de-Grâce, à propos de la question essentielle de l'ouverture (ou pas) des écoles francophones de Bruxelles (le sujet qui semble passionner toutes les rédactions mardi matin). Mais sur ce qui se passe alors à Schaerbeek, zéro image, zéro journaliste in situ. Rien du tout.

UN BILLET EN VOIX OFF

Cela changera-t-il ensuite avec une édition spéciale du Jt  sur La Une ? Que nenni.  À partir de 8h24, sur VivaCité et La Une, la chaîne "bouscule ses programmes" pour proposer une édition spéciale de… C'est vous qui le dites, certes consacrée à l'attentat, mais où le but est de donner la parole à des auditeurs, dont un bon nombre se prononce de manière catégorique sur les événements en cours sans disposer des infos permettant un discernement pertinent, tandis que d'autres livrent leur angoisse à l'antenne. En studio, on essaiera  de modérer ou de nuancer les affirmations. À côté de l'animateur de l'émission, il y aura pour cela deux débatteurs, souvent invités dans le programme, qui arriveront à 8h31 (alors que les appels d'auditeurs auront commencé à 8h24) : un journaliste de la RTBF et le "référent infos jeunesse RTBF". Un choix fait parce qu'on est sur VivaCité ? Ou parce qu'on est sur La Une ?

C'est ce dernier référent Jeunesse qui, intervenant dans le flux des conversations avec les auditeurs, annoncera un peu avant 9h la confirmation de la "neutralisation" du terroriste. Fournissant une image à certaines interventions téléphoniques d'auditeurs, l'écran sera parfois occupé par des images prises le lundi soir lors de l'attentat et de ses suites. Il faudra attendre le journal de 9h pour entendre un billet en voix off dit par un journaliste dont la présentatrice du Jt précisera qu'il est à Schaerbeek (ce qui ne s'entend pas dans le billet). Ce billet sera lu sur des images prises à l'endroit où a sans doute eu la "neutralisation" du terroriste, mais rien ne l'atteste. Ces mêmes images seront à nouveau réutilisées à 9h37, sans aucun moyen d'identification, pendant qu'une auditrice intervenait à l'antenne. Dans le journal de 10h, on aura droit, une nouvelle fois, à un billet en voix off (dont on ne dit plus que l'auteur est à Schaerbeek), où le journaliste racontera les conditions de l'arrestation du terroriste, alors que défileront sur l'écran des images du lieu supposé de la capture (images dont certaines sont clairement porteuses d'info, comme celles fixant les fenêtres d'une ambulance dans laquelle du personnel médical pratique visiblement des massages cardiaques. Mais cela n'est pas exploité dans le billet).

On ne peut en tout cas pas dire que La Une déploie ce mardi matin les mêmes effectifs et les mêmes moyens que la veille au soir, et ce alors que le terroriste est sur le point d'être "neutralisé", puis l'est réellement.

DANS UN COCON 

Pour en savoir plus, paradoxalement, il faut se rendre sur… La Trois. La chaîne culturelle de la RTBF aurait-elle tout à coup hérité du studio Info de La Une ? Ah non, pas tout à fait, mais cette chaîne diffuse le matin la matinale… radio de La Première.

À partir de 6h du matin, on peut donc voir en télévision un produit radio, 100% info, et ce mardi matin presque 100% consacré à l'événement de la nuit et à son possible dénouement. Qu'on se rassure, si besoin en est : il s'agit bien d'un produit radio. À de rares exceptions près, les journalistes n'ont cure de la présence des caméras. Ils assurent une émission radio, et tant mieux (ou tant pis) si on peut la voir à la télé. La matinale comprend plusieurs invités présents en studio, dont des responsables politiques. L'annonce de la "neutralisation" de la personne suspectée intervient un peu avant 8h, l'info étant communiquée au journaliste présentateur via son oreillette. Au cours de l'émission, les interventions sonores provenant de l'extérieur parleront de l'impact de l'événement sur les moyens de transport, de l'état d'esprit des voyageurs dans les transports en commun et de la question de l'ouverture des écoles. Le programme comprend aussi des interventions d'acteurs ou de spécialistes, par téléphone ou internet. Mais, sur le terrain même où se déroule l'affaire, à ce qu'on peut relever à l'écoute, il n'y a semble-t-il rien de précis.

COMME A LA RADIO

La concurrence est dans la même configuration. Lundi soir, l'édition spéciale du RTL Info avait débuté un peu plus tard que celle de La Une, mais ensuite les moyens déployés par la chaîne appartenant à Rossel et DPG étaient à peu près comparables à ceux de la RTBF. 

Le mardi matin, la chaîne allait-elle faire rebelote ou déléguer des envoyés spéciaux et des moyens de faire des directs aux quatre coins de la capitale ? Pas du tout. Tous les matins, RTL TVi diffuse… la matinale (radio) de Bel RTL. Donc pourquoi ne pas le faire un mardi de crise ? Même si le spectateur assiste alors à une émission de radio dans laquelle il ne fait l'objet de strictement aucune attention. Où il ne se sent même pas invité.  L'étriqué studio de Bel RTL étant, qui plus est, partout rempli d'énormes écrans d'ordinateurs, rien n'est fait dans pareil décor pour captiver le téléspectateur ou s'adresser à lui. Que du contraire : l'image que l'on perçoit a tout d'un repoussoir. L'essentiel de ce qui passe à l'antenne se déroule entre les interlocuteurs présents en studio, y compris les séquences humoristiques. Mais il faut noter que Bel RTL dispose, elle, d'une envoyée spéciale radio qui se trouve devant le domicile du suspect. Elle interviendra en tout cas (sans être à l'image et sans in situ) au début du journal de 8h00, décrivant assez clairement ce qui se déroule autour d'elle, mais sans livrer d'information sur ce qui se passe avec le suspect. Deux autres envoyés spéciaux de la radio sur le terrain seront sollicités dans l'émission : l'un dans une école et l'autre dans les rues de Schaerbeek, avec des interviews à chaque fois liées à la question de l'ouverture (ou pas) des établissements scolaires et des commerces. À noter que, à 7h50, lors de l'interview politique, l'interviewer affirmera que le terroriste n'est toujours pas arrêté. Cet élément sera répété en début du journal de 8h00. L'annonce de l'arrestation ne sera faite, prudemment, que à 08h03. 

La diffusion télé ne semble pas être une grande préoccupation des responsables de la matinale de Bel RTL. Pour preuve supplémentaire, le contenu du bandeau d'infos qui défile au bas de l'image. Tout au long de l'émission, on pourra notamment y lire : "Le Premier ministre donnera une conférence de presse à 5h"… Alors qu'on est deux ou trois heures plus tard. "Les tribunes 1, 3, 4 du stade roi Baudouin peuvent être évacuées." ou : "La situation au stade roi Baudouin reste calme." Alors que tout cela est du passé depuis belle lurette et remonte à la veille au soir…

RADIO KILLS THE VIDEO STARS ?

LN24 diffuse elle aussi une matinale, qu'elle ne produit pas, puisqu'elle est celle… de LNRadio. Cette situation peut paraître paradoxale puisque cette émission matinale est un programme d'infos fort, qui correspond au projet de LN24 mais pas à celui de LN Radio, dont le format est du "music and news". Le profil de LNRadio ne correspond pas à celui de la présence d'une émission longue à contenu informatif élevé. Mais voilà, la formule permet de produire une matinale tv au coût d'une émission de radio…

 

Dans ce cadre, on rencontre le même cas de figure que pour les acteurs précédents : le lundi soir, LN24 était sur la balle, avec des contenus studio, des images en direct et des envoyés spéciaux à l'extérieur. Le mardi matin, en se retrouvant dans le format de LNRadio, les choses changent largement de perspective. Nous n'avons pas pu mener une observation longue de cette matinale, le contenu n'étant pas disponible intégralement en ligne. Mais, en regardant des extraits du programme en direct, le contenu diffusé semblait se réduire fortement aux échanges entre protagonistes présents dans le studio de la chaîne. Sur son site, LN24 montre que la chaîne avait un envoyé sur place (un reporter a notamment réalisé des interviews de personnes musulmanes habitant le quartier). Mais, en ce qui concerne l'in situ d'un de ses journalistes, il est daté de 10h35. Il semble donc qu'il n'a pas été inclus dans la matinale, mais dans les programmes d'info qui ont occupé l'antenne tv lorsque LN24 et LNRadio se sont découplés. Et que l'éventuelle audience a décrû…

MAIS POURQUOI ?

 On sait que le prime time de la radio est traditionnellement le matin. Mais faut-il pour autant en offrir alors les programmes aux consommateurs de télévision ? Ceux-ci n'attendent-ils pas un programme correspondant aux conventions auxquelles ils sont habitués en cas d'actualité urgente, surtout lorsque celle-ci se déroule à proximité d'eux ?
 
La réponse est évidemment, au moins en partie, économique. Il est plus facile de recourir au format de programme existant que de créer, en matinée, et sur le pouce, un "nouveau" programme de télévision. Mais cela n'infère-t-il pas sur la manière de couvrir l'actualité ?
 
Les modèles "breaking news tv" et  celui de "édition spéciale radio" se distinguent, en tout cas dans de cas-ci, par le présence ou la (quasi)absence de directs depuis les lieux où se produit l'actualité, ainsi que celle des billets journalistiques et des interviews in situ, que la télévision cultive à l'excès dans ses Jt. 
 
Ceux-ci ne sont-ils pas devenus des exigences canoniques dans le cadre de la couverture de ce type d'actualité en télévision ? 
 
Dans un cas comme celui de l'événement évoqué ici, ce "repli" sur une radiovision plutôt que le choix d'une production spécifique pour la télévision déforce l'image de l'opérateur et sa capacité à rebondir sur une actualité qu'il ne peut rater. Et que ses chaînes n'avaient pas raté la veille, utilisant alors tous les moyens à leur disposition pour offrir de "vraies" émissions de breaking news à leurs audiences.

À moins que toutes les télés n'aient "obéi" à une demande des forces de l'ordre de ne pas couvrir en direct l'intervention dans le café schaerbeekois ? Mais alors, peut-être auraient-elles dû le dire. Ou, à la place, diffuser des vidéos de chats…

Frédéric ANTOINE.

 

23 janvier 2023

Pourquoi les médias audiovisuels linéaires sont-ils de plus en plus vidés de leurs contenus ?


"Tout pour plateformes, les les miettes pour l'antenne". Comme l'ont encore démontré récemment l'
interview de la reine Mathilde sur TVi ou le sort de Jardins et Loisirs sur La Une, les opérateurs audiovisuels semblent avoir renoncé à chouchouter leurs médias traditionnels. Sont-ils en train de préparer le suicide de la télévision linéaire ?

Le grand Netwolf et ses amis amis Amaz, Dis et Cie leur font-ils tellement peur qu'ils en perdent leur raison d'être ? Les opérateurs de médias audiovisuels ont les yeux de Chimène pour tout ce qui est en ligne et relève de la constitution de bibliothèques de contenus dans lesquelles les internautes viennent, quand ça leur chante, consommer ce qui leur chante . Et ils semblent de plus en plus dégoutés par tout ce qui était jusqu'à présent leur core business : la diffusion en temps réel sur des canaux de télévision et de radio  de programmes organisés au sein d'une grille conçue en fonction des habitus socio-démographiques de leur audience.

Ces derniers jours sont apparus de nouveaux cas de ce qu'on pourrait juger comme un dédain vis-à-vis de la diffusion en linéaire au profit d'une mise en boîte sur des services en ligne. Au risque de vider encore un peu plus la diffusion linéaire de son attractivité.

GLISSEMENT DES PLAISIRS

Depuis qu'ils ont perçu que, pour une partie de l'audience, la libre consommation de contenus audiovisuels était devenue bien plus tentante que leur vision (ou leur écoute) sur rendez-vous  à une heure déterminée, les opérateurs audiovisuels traditionnels ont fait le choix de s'immiscer tant que possible dans ce nouveau modèle. Gouverner étant synonyme de prévoir, il leur fallait eux aussi entrer dans une danse à laquelle ils n'étaient pas préparés.

Ils ont donc emboîté le pas à tous les nouveaux acteurs du secteur, en commençant par proposer, sur leurs propres plateformes, les contenus qui avaient été diffusés sur leur antenne. Normal : cela leur donnait une seconde vie. Mais c'était évident faire pauvrement amende honorable aux nouvelles pratiques d'une (petite) partie de l'auditoire. Les opérateurs se sont alors mis à gérer leurs produits de stock de la même manière que les propriétaires de plateformes mondiales qui, eux, ne diffusent pas en linéaire. De petites, puis des grandes séries prévues pour être proposées sur les chaînes tv se sont retrouvées en ligne bien avant d'être proposées à l'antenne. Ensuite, des blockbusters théoriquement destinés à booster l'audience des chaînes ont suivi le même sort.

Certaines chaînes, comme Arte, ont administré le même traitement à des documentaires, voire à certains de leurs magazines, mis en ligne avant l'heure H de leur diffusion sur « l'antenne ». 

Sur les radios généralistes, un procédé identique s'est développé suite à l'explosion de la mode des podcasts. Depuis longtemps, des stations comme Europe 1 préproposent  ainsi en ligne, dès l'aube, des émissions destinées jusque là à être d'abord diffusées par voie hertzienne au cours de la journée.

Mais bon, tout cela ne concernait toujours qu'un même contenu, désormais un peu défraîchi lorsqu'on lui trouvait une place dans une grille de diffusion.

RELÉGATION EN LIGNE

La nouvelle étape de ce processus qu'on pourrait juger un peu suicidaire pour les médias linéaires est en train d'arriver. Elle s'inspire des techniques à l'œuvre depuis quelques années dans les entreprises de presse, où on ne se soucie plus d'accorder une primauté de l'info à l'édition papier (voire même à l'édition de l'info tout court), mais à la livraison de la nouvelle en "mobile first", puis sur les applis et enfin le site web.

Considérant sans doute que les chaînes tv ou radio, avec les grilles et leurs rendez-vous, sont en train de devenir obsolètes, les éditeurs de contenus audiovisuels produisent maintenant d'abord, voire uniquement, pour la mise en ligne.

Début 2023, on a de la sorte appris que la diffusion linéaire du programme de jardinage de la RTBF Jardins et Loisirs (1) passait à la trappe. L'« émission » (si on peut encore parler d'une quelconque émission) n'est plus accessible que sur Auvio. Supposant que bon nombre des spectateurs de ce programme doivent être nés avant les millennials (1980-1990), on imagine l'aisance avec laquelle ils vont switcher de leur grand écran 4K à leur tablette ou leur smartphone pour regarder en couple (ou en famille…) les conseils de Luc Noël.

L'opération relève d'une subtile stratégie : on ne supprime pas le programme, qui répond au cahier des charges de l'opérateur public. Mais on le met dans un placard doré qui lui permet de ne plus occuper l'antenne. Chronique d'une mort annoncée ? Ou une déclinaison du Mystère de la chambre jaune

Depuis septembre dernier, le même sort frappe la tranche matinale de Ouftivi, la chaîne tv pour enfants qui occupe le même créneau linéaire que La Trois. Suite à la volonté de l'opération de diffuser sur La Trois l'émission radio de début de journée Matin Première, les programmes pour enfants ont été privés de diffusion linéaire, les très jeunes spectateurs étant renvoyés sur Auvio. Un bon moyen  pour les dissuader (si besoin était) de regarder une chaîne de télévision 'classique'…

LE MEILLEUR SUR LA PLATEFORME?

Chez RTL Belgium, on a réussi un beau coup en obtenant une interview de la reine Mathilde à l'occasion de ses cinquante ans. Alors qu'une reine, d'ordinaire, cela ne se confie pas aux médias. Une aubaine que cette exclusivité pour un opérateur qui a relégué aux oubliettes l'emblématique programme Place Royale et ceux qui le réalisaient et le produisaient (1). Une sorte de petit camouflet, aussi, pour l'opérateur public, que tous les Belges financent, mais qui n'a pas eu droit à cette royale faveur.

En vertu de tout cela, on imagine que l'interview en question a été choyée, pouponnée, mise en avant autant que faire se peut… Elle a eu de la promo, certes. Mais l'interview,  menée avec sensibilité par la journaliste Alix Battard, n'a pas duré très longtemps lors de sa diffusion sur RTL TVI le 20 janvier. On était même étonné qu'elle soit déjà finie au moment où la reine a reçu de la journaliste des bâtons de marche en cadeau. Mais c'était bien la fin. Car, pour tout voir et tout entendre des confidences royales, on a été renvoyé sur… RTL Play. La reine n'a pas confié tous ses secrets aux amoureux de la monarchie lors de la diffusion linéaire. Ce qui comptait pour l'opérateur audiovisuel était de pousser le spectateur à voir ou revoir l'émission en extended play sur la plateforme de la chaîne. De quoi sûrement tenter les admirateurs de la famille royale, qui n'appartiennent pas tous à la génération Z…

LA FIN DES FRISSONS

En radio, la diffusion linéaire (en FM)  paraît de plus en plus destinée à reproposer des contenus d'abord créés pour être proposés comme des podcasts. Le phénomène touche de plus en plus de programmes de stock, conçus et  ± promotionnés comme tels, et pour lesquels l'inscription dans la grille horaire d'une chaîne donne l'impression de ne plus être que complémentaire. Sur La Première (RTBF), par exemple, certains de ces podcasts mis à l'antenne sont  ainsi diffusés à des heures connues pour ne rassembler qu'un très faible nombre de téléspectateurs. Ils sont même diffusés parfois plusieurs fois, comme si l'on recourait à eux pour simplement "remplir" l'antenne…

À force de banalisation, pareilles pratiques contribuent à vider la diffusion linéaire de l'attrait de programmes renommés, qui justifiaient que l'auditeur prenne rendez-vous avec la chaîne pour les écouter ou les voir. Petit à petit va s'estomper le réflexe de "Ah, il est l'heure de…", déjà effrité en télévision par toutes les opportunités de vision légèrement ou très différée que proposent les opérateurs télécoms comme VOO ou Proximus. 

Radio et télévision sont ainsi en train de perdre ce qui constituait leur âme: le direct. Avec le frisson et le sentiment d'appartenir à une communauté d'audience que ce mode instantané de transmission a permis depuis le début de la diffusion hertzienne.

 Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.rtbf.be/article/jardins-loisirs-quitte-la-une-et-vous-donne-rendez-vous-en-ligne-11123427
(2) Qui ont tout de même été appelés à la rescousse pour dresser le portrait de la souveraine avant son interview…

 


22 novembre 2022

Staracadémiciens, Amoureux des prés… : vraies personnes ou pions d'un show tv ?


Les chaînes tv abreuvent à longueur de journée leurs spectateurs de télé-réalités en tout genre, où  la vie des autres prétend être montrée telle qu'elle est. Et le public, émerveillé, de se passionner,
s'identifier ou s'apitoyer sur ces "vrais" gens vivant de "vraies" épreuves. N'oublie-t-on pas une chose : qu'ils soient apprentis chanteurs, candidats à l'amour, Kohlantiens ou Marseillais, tous ne sont-il pas que des pions ? Des personnages aux comportements quasiment téléguidés au service d'un seul et même maître : le spectacle télévisuel ?

L'amour est dans le pré vient tristement de se terminer sur RTL TVI. Tous les célibataires qui rêvaient de trouver l'âme sœur on touché la fin du parcours bredouilles, sauf un. Samedi prochain, il en sera un peu de même de Star Academy sur TF1. Comme on le dit si bien à Koh-Lanta, "à la fin, il n'en restera qu'un". Et les autres repartiront comme ils sont venus, porteurs de gloires qui, dans bien des cas, resteront à jamais éphémères. Ils diront bien sûr qu'ils ne sont désormais plus les mêmes, que la Starac les a transformés, qu'ils entament une nouvelle vie. Bon nombre en reviendront pourtant au même anonymat que Julien, Alain ou André, les agriculteurs qui cherchaient l'amour. 

La télé-réalité a cela de cruel que, comme me disait fin des années 1980 le producteur Jacques Antoine, "on croit souvent que, dans un jeu télé, les candidats jouent un rôle essentiel. C'est totalement faux. En fait, ils ne comptent pas".

Mais, malgré tout, qu'est-ce qu'on se sera passionné pour les péripéties de ce que l'on appelle désormais une 'aventure', faute de pouvoir désigner par un terme plus opportun ce qui n'est pas vraiment un jeu. Quoique. Ni un docu-réalité. Quoique. Ni un feuilleton. Quoique.  Ni une fiction. Quoique…

DE SI VRAIS CANDIDATS

Cela fait une bonne vingtaine d'années que les analystes décortiquent les productions de télé-réalité pour démontrer que, comme pour les raviolis Buitoni de la vieille pub télé, l'important est ce qui est dans la boîte et non les mentions qui se trouvent sur l'étiquette. Ce qui, en l'occurrence, veut dire que les télé-réalités n'ont de 'réel' que leur nom. Mais, malgré tout, quel téléspectateur n'a pas, au moins à un moment, eu envie de croire que ce qu'il regardait était bien une portion de réel. Une addition de tranches de vie si agréables à consommer qu'on ne peut imaginer que le gâteau qu'elles constituent ne soit pas composé que d'ingrédients réels.

Cela fait plus de vingt ans qu'on essaie d'expliquer que l'habit ne fait pas le moine. Ou que la télé-réalité est au réel ce que, dans autre vieille pub, le Canada Dry était à l'alcool : un leurre qui avait bien le goût et les couleurs de l'alcool, mais n'en était pas. Qu'importe. Ne sont-ils pas si touchants, tous ces candidats et candidates qui révèlent jusqu'à l'intime leur vie devant des caméras dont ils acceptent l'intrusion dans leur existence ?

Mais… Révèlent-ils vraiment leur vie, ou n'est-ce pas seulement ce qu'ils prétendent faire ? Ou ce qu'on leur a dit de dire qu'ils faisaient ? Et tolèrent-ils juste l'intrusion des objectifs dans leur vécu ? ou ne l'ont-ils pas suscitée, voire longtemps rêvée ?

DERRIÈRE L'ÉCORCE

La première couche de consommation de ce type de programmes a tendance à opposer un déni farouche à toutes les questions posées ci-dessus. Mais non, ils sont vrais de vrais, bruts de décoffrage, les gens que l'on voit dans ces émissions. Comment peut-on prêter de telles intentions à ces programmes, sinon par malveillance ? Tel le serpent de la Bible, la télévision ne manque pas de subterfuges pour cacher ses réelles intentions. Et y réussit plutôt bien. Alors, dépassons un peu les premières impressions.

Les candidats de la Starac ou de L'amour est dans le pré sont-ils "vrais" ? Certes, ils existent bel et bien dans la vie réelle. Et participent au programme parce qu'ils répondent à certains critères recherchés par les concepteurs. Mais leur apparence télévisée est-elle égale à eux-mêmes, est-elle un clone d'eux-mêmes, ou autre chose ? Pour qu'ils entrent dans le 'jeu', les candidats doivent en permanence être fidèles aux caractéristiques qui leur ont ouvert les portes de l'émission. Car c'est pour cela qu'ils ont été castés. Le casting vise à constituer un panel diversifié de situations et de 'caractères', c'est-à-dire de personnages. Léa est ainsi une jeune fille (oserait-on déjà dire une jeune femme ?) qui a une belle voix. Mais elle est surtout un être un peu fantasque, souvent drôle et un poil paresseux. Impossible de la rater une fois qu'on a vu la multitude de bouclettes qui constituent sa coiffure, ou que l'on a remarqué la forme de ses lèvres, comparable à celle de certaines influenceuses de Dubaï. Rien à voir avec Enola-la-sage, que l'on verrait bien sortie d'une école de bonnes sœurs, et qui fait déjà par moments des airs de petite mammy. La situation familiale de Bernard est unique, lui qui, à soixante ans, doit s'occuper de son fils de 16 ans tout en étant marchand de bêtes et fermier. Aucun rapport avec celle de Julien qui, en élevant ses propres moutons, se croit déjà un sûr de lui et de ses choix alors qu'il est toujours un grand ado qui aime par-dessus tout faire la fête avec ses copains.

ÉCRIT D'AVANCE. OU PRESQUE

Le casting, c'est essentiel. Grâce à lui, au fil des épisodes du programme, chaque personnage sera porteur d'un récit différent. Dans la Starac comme chez les Marseillais. Mais l'histoire dont il sera le héros lui appartient-elle ? L'histoire générale du programme, ce qu'on appelle son "méga-récit", n'a rien à voir avec celle de chaque candidat. Le scénario d'une télé-réalité est toujours d'abord écrit par ses producteurs. 

Ceux-ci inscrivent leur produit dans la ligne habituelle des émissions du genre : variété de compétiteurs ; épreuves ; éliminations successives [par les pairs, un jury ou le public] ; isolement [voire enfermement] total ou partiel des participants ; paraphrasage du déroulement des étapes de l'émission par les candidats eux-mêmes ["le confessionnal], etc. Certaines télé-réalité ajoutent à toutes ces composantes l'élément historiquement discriminant qui a fait, fin des années 1990, de ces émissions un genre télévisuel à part : un suivi des compétiteurs dans tous leurs faits et gestes 24h/24 (ou presque). Cet élément, qui requiert des moyens importants et une production en temps réel ["en direct"] a été abandonné par toutes les émissions ne se déroulant pas dans un cadre fermé précis, proche d'un studio de télévision, où le travail de postproduction a pris une part de plus en plus importante (comme dans L'amour est dans le pré). La Starac, par contre, a signé le retour aux sources de cette possible expérience permanente d'observation de la vie des compétiteurs (ici via un abonnement payant à MyTF1). 

Les constantes constitutives du genre sont déclinées de manière différente selon les émissions, ce qui permet à la télé-réalité de se répandre tel un virus dans l'ensemble de la sphère télévisuelle. La variation de combinaisons, mêlée à des thématiques elles aussi diversifiées, donne l'occasion à chaque production d'être à la fois unique, et ainsi de renouveler le genre, tout en étant en même temps fortement similaire aux autres produits de télé-réalité. Et donc à rassurer le spectateur sur ce qu'il regarde, et le garantir du plaisir qu'il aura à consommer le programme.

PRISONNIERS DU FORMAT

Ce cadre et la narration qui en découle sont prédéfinis par le format fixé par la production. Celui-ci comprend aussi les étapes qui chapitreront les différents moments du récit et en organiseront l'évolution, jusqu'à la résolution finale. Pour le candidat qui entre dans le canevas, impossible de se défaire de ces jalons imposés qui forment la trame de l'histoire.

En 2022, la Starac se déroule sur six semaines, chacune constituant une des étapes du récit "il était une fois des jeunes inexpérimentés qui deviennent des chanteurs professionnels grâce à un drill intensif mené par des experts dans un cadre communautaire fermé". La version 2022 de L'amour est dans le pré compte 8 épisodes de l' histoire "il était une fois des agriculteurs célibataires cherchant l'âme sœur et demandant à la tv son aide pour trouver des prétendant(e)s parmi lesquel(le)s ils feront leur choix".

Dans les deux cas, les étapes du récit, correspondant en gros chaque fois à un épisode (ou à une semaine), sont clairement marquées, du "il était une fois", où l'on découvre les personnages, à "voici le(s) gagnant(e)s qui ont réussi toutes les épreuves", dont ressort le meilleur chanteur ou le(s) "couple(s) agriculteur/prétendant étant toujours ensemble".

ENCHAÎNÉS

Dans ce format prédéterminé, la liberté laissée à chaque compétiteur est limitée, puisqu'il doit à la fois se conformer au scénario préétabli et être lui-même, pour se distinguer des autres. Là réside une des subtilités de la recette de la télé-réalité. Certes, chaque protagoniste évolue de manière différente, et est porteur de son histoire. Lorsque Alain décide, en définitive, de ne pas poursuivre l'histoire avec la dulcinée qui semblait l'avoir séduite, c'est son choix. Si Julien se comporte comme un jemenfoutiste, c'est son choix. Et s'il en découle que cela le fait éliminer par le vote du public, c'est la conséquence de son choix. Les personnages pilotent donc une partie de l'histoire. Mais pas tout. Car le récit reconstitué par la réalisation télévisuelle est aussi, sinon surtout, une production narrative scénarisée. Et pas une succession de moments de réel semblables à ceux que captent des caméras de surveillance dans les rues, les magasins (et parfois des foyers). Il faut suivre le live de la Starac sur MyTF1 (payant) pour assister aux événements au moment de leur déroulement. Mais, même alors, un réalisateur choisit les images qu'il met à l'antenne du live, ainsi que les caméras qu'il utilise et leurs angles de prise de vue. Et il occulte une (grosse) partie de la réalité. Quand il s'agit de produire une émission d'une heure ou un peu plus, tout est évidemment remonté, édité, orienté. C'est alors que les personnages sont vraiment façonnés, afin que le public leur attribue une identité et que se bâtisse un récit qui illustre leur profil.

DÉFORMATIONS

Pas étonnant, dès lors, que des participants à certaines émissions de télé-réalité préenregistrées constatent à la diffusion que celles-ci ne reflètent pas leur personnalité, ou en tout cas l'image qu'ils entendent donner d'eux-mêmes dans leur "vraie" vie. Le personnage télévisuel n'est pas nécessairement identique à l'être de sang et d'eau qui se démène dans son quotidien. Il est bel et bien devenu un objet que façonne la production au gré des aléas de son récit. La "vraie" Léa est-elle aussi drôle et décalée que celle que l'on voit à l'écran, et la "vraie" Anisha aussi à la fois effacée et calculatrice sur la monstration de son état d'esprit ? Le "vrai" Bernard est-il aussi rond et bienveillant tous les jours que celui que l'on a vu sur l'écran ? Qui est vraiment cette Françoise à qui il pensait s'attacher ?  À en croire les articles parus dans la presse populaire ces dernières semaines, elle (et peut-être lui) ne seraient pas à l'écran comme dans la vie. Et que cherche "vraiment" cette Cathy, qui à l'écran semble plus chercher l'amour de ses chevaux que d'un homme ?

SYNDROME DE FAUST

Tout qui s'inscrit à une émission de ce type est touché par le syndrome de Faust : entrer dans un processus qui permet (ou promet) d'obtenir la gloire ou la réussite. Et, en contrepartie, vendre son âme au diable télé-réalité. Sans possibilité de retour. Car même si l'on renonce en cours de route, il sera trop tard. La machine télévisuelle aura bâti le personnage et initié son histoire. Dans ce cadre, tout renoncement ne concourra qu'à renforcer le profil médiatiquement créé et à fournir un rebondissement de plus au récit. On peut même arriver à ne plus se dépêtrer de son avatar télévisuel. Au point de ne trouver qu'une seule solution pour s'en sortir : le reproduire dans d'autres télé-réalités, ou le faire vivre en permanence sur les réseaux sociaux. 

Au risque qu'un jour ce double ne vienne cannibaliser la "vraie" personne ? 

Cela ne pendra sans doute pas au nez des agriculteurs qui ne feront de ce passage télévisuel qu'une page de leur vie qu'ils chercheront à refermer. Mais à voir les confessions a posteriori que plusieurs d'entre eux (ou de leurs prétendantes) versent cette année dans la presse, on peut craindre que le virus les ait atteints. 

Les jeunes apprenti(e)s de la Starac peuvent eux, être bien plus facilement tentés d'être phagocytés par leur double télévisuel. Avec les risques évoqués ci-dessus.  À moins que, issus d'une génération pour qui la télé-réalité fait partie de la vie, ils n'aient eux-mêmes pris part à la constitution de ce personnage archétypé qu'ils ont affiché à l'écran. Et que derrière lui se cache leur "vraie" personne. Mais là aussi, il n'est pas sûr que toutes ces jeunes âmes aient eu l'occasion de faire pareille démarche, voire même de l'imaginer. Alors que leurs rêves de célébrité et de réussite paraissent si proches de se réaliser.

Frédéric ANTOINE.


 

08 novembre 2022

L'amour n'est plus dans le pré


La quatorzième saison de L'amour est dans le pré, sur RTL TVI, sera-t-elle la dernière ? Tout montre que, sur le marché belge, la formule arrive à bout de souffle, tant côté des fermiers que de leurs prétendants.  Et, en partie, de l'audience.

L'audience 2022 de L'amour est dans le pré (AEDP) n'est pas terrible. Le volume de l'auditoire J+1 (les gens qui regardent en direct, ou en léger différé) est à peu près identique depuis le début de la diffusion. Il n'a décollé que tout récemment, lors du premier épisode de sélection finale de la prétendante. Si on ajoute ceux qui regardent jusqu'à J+7, les chiffres sont meilleurs, et moins plats.

Ces audiences 2022 sont aussi clairement  inférieures à celles des années précédentes. Que ce soit l'édition 2021, qui avait été différente des versions précédentes parce que plus courte, sans présence de Sandrine Dans, et recourant beaucoup aux voix, notamment.
Ou que ce soit celle de 2019, dernière année “normale” avec une formule traditionnelle, ± identique à celle de cette année 2022. Et ce même en J+7.

De quoi cet affaiblissement de l'audience est-il un indice ? Tentative d'analyse.

UN RÊVE DE TV  MÉDIATRICE

Elle était belle, l'ambition originelle de L'amour est dans le pré (AEDLP). Servir d'agence matrimoniale médiatique à des agriculteurs solitaires éloignés de tout cœur à prendre, n'était-ce pas là un superbe rôle pour la télévision ? Bien sûr, le programme s'immisçait dans la vie des candidats et de leurs prétendant(e)s, montrant de semaine en semaine leurs relations et sentiments, comme il se doit dans une émission de télé-réalité. Bien sûr, chaque épisode était précédé, suivi et entrecoupé de bon nombre d'écrans de pub bien remplis et chers vendus, comme cela se doit dans l'univers de la télévision privée. Mais ce programme-là revendiquait d'apporter autre chose qu'un simple spectacle et un étalage de monstration de sentiments. Il disait vouloir servir à quelque chose. Avoir une utilité. Et, qui plus est, sociale, humaine. C'est-à-dire, par exemple, sans aucun rapport avec “l'utilité" du filmage 22h/24h des candidats de la Star Academy.

Avec l'AEDLP, la télévision rentrait parfaitement dans une des configurations définies dès les années 90 (soit avant l'arrivée de la télé-réalité) par la sociologue Dominique Mehl, qui parlait déjà à l'époque de la "télé médiatrice" (1).

TROP PETIT POUR L'HEXAGONE ?

La télé-réalité aime se parer de justifications sociétales, et ici c'était plutôt réussi. Perdus au fin fond d'immenses terres campagnardes isolées de tout, vivant presque comme il y a un siècle, de pauvres célibataires endurcis par la vie des champs pouvaient ainsi rêver de trouver l'âme sœur. Et, parfois, ça marchait. 

À l'échelon de la France, pareil concept avait tout son sens, tant les zones agricoles sont dans des déserts démunis de tout.  À commencer par des occasions de rencontrer d'éventuel(les) compagnes et compagnons ailleurs qu'à un diner sanglier après une chasse, à une après-midi loto à la salle des fêtes ou lors du bal du village, toujours aussi musette en 2022 qu'en 1922.

Ayant fait un tabac en France, le concept passe la frontière, et devient tout aussi populaire en Wallonie. Les premières audiences de la version belge de l'AEDP cassent la baraque et le public urbain, médusé, découvre qu'il y a véritablement une crise de la solitude au sein d'un monde agricole déboussolé, où l'on ne cesse de travailler dur, tout en reconnaissant que, sans les aides de l'Europe, la survie aurait déjà été impossible. L'AEDP devient la face visible de l'iceberg d'un monde que l'essentiel de la population ignore d'autant plus que, aujourd'hui, le monde agricole ne représente plus qu'une dizaine de pour-cent de la population belge.

UN FORMAT EN ÉVOLUTION

Petit à petit, l'émission élargira le spectre de sa "clientèle” de cœurs perdus. Pardi, finalement, les vieux garçons perdus dans des fermes délabrées, il n'y en a pas légion. On découvre alors que le monde agricole est multifacette, et que les clichés qu'on peut avoir à son égard doivent être plus que nuancés. Au fil des années, les profils des célibataires s'élargiront à l'ensemble de l'univers lié à l'agriculture, voire même (fort) au-delà. La définition du “célibataire” évoluera elle aussi, ceux qui seront castés et retenus s'éloignant de plus en plus du profil de l'endurci. Deux ou trois dizaines de mois de solitude suffiront parfois pour répondre au critère et être pris dans l'émission. Dans un monde où tout va vite et où règne l'immédiateté, les mois ne durent-ils pas autant que des années. Alors, dans ces cas-là, faire "appel à l'équipe" (c'est-à-dire à la prod de RTL TVI) ne paraît pas illogique.

Mais, avec ces adaptations, la formule s'érode peu à peu. La quatorzième édition, qui se terminera avant la fin novembre, constitue une illustration parfaite des désagrégations successives d'un concept en définitive peut-être devenu trop difficile à exploiter correctement sur un petit territoire de 4 millions d'habitants, où il n'y a plus que 22.000 personnes qui travaillent régulièrement à la ferme, ce nombre étant encore plus réduit dans les exploitations de type familial (± 13.600 hommes et 6.200 femmes) (2).

DÉSAGRÉGATIONS

Cette difficulté de recrutement se retrouve du côté des célibataires (± endurcis, donc), qui ont envoyé leur candidature à RTL TVI et ont été retenus par la production (en tout cas est-ce comme cela qu'ils sont présentés). 

Parmi ceux-ci, deux candidates, mère et fille. Et ne sont pas directement liées au monde agricole puisqu'elles animent et dirigent… un manège. Certes, il s'agit toujours d'animaux, mais n'est-on pas là très borderline ?
Autre candidat à la frontière du genre : un jeune patron d'entreprise d'élevage de poussins, plus proche du monde entrepreneurial que de celui de l'exploitation agricole.
On se demandera aussi pourquoi la production a sélectionné dans son échantillon un jeune agriculteur de 22 ans, plutôt séduisant, qui passe toutes ses fins de semaine à s'amuser dans les fêtes que des membres de la FJA (Fédération des Jeunes Agriculteurs) semblent organiser aux quatre coins de Wallonie. À cet âge et dans ce contexte, la médiation de l'appareil télévisuel était-elle vraiment nécessaire pour sauver ce jeune homme d'un célibat qui ne devait avoir duré que quelques mois?…
 
Même si les autres candidats sont, eux, les bottes bien ancrées dans les terres agricoles, cette diversité de casting écarte le téléspectateur du cœur de cible. Bien d'autres préoccupations que celles de la ferme se mettent en effet à occuper (voire brouiller) l'écran.

COMME NEIGE AU SOLEIL
 
Tout cela ne serait pas trop grave si cet éparpillement du casting avait été sans conséquence. Or, au fil du programme, le nombre de candidat(e)s a fondu comme neige au soleil, une partie de ces “agriculteurs atypiques” rendant les armes dès le début de « l'aventure », ou presque. 
 
Cherchant à encourager la diversité, le casting comprenait un agriculteur issu à la deuxième génération d'une famille immigrée. Il se désistera avant même l'étape de la réception des courriers envoyés par les prétendants. 
 
Au manège, la candidate la moins âgée déclarera forfait avant l'arrivée des prétendants qu'elle avait sélectionnés.

Quant au jeune agriculteur de 22 ans, au moment de faire un  choix définitif entre ses prétendantes, il déclarera n'avoir rien ressenti ni pour l'une ni pour l'autre, et les renverra donc toutes les deux chez elle sans autre forme de procès. Il sera tout de même forcé d'avouer que, en fait, il en pinçait pour une autre, qui n'était pas venue aux speed dat, mais… qu'il connaissait déjà auparavant.
 
LA GRANDE (PETITE) FAMILLE AGRICOLE 

La deuxième perversion qui gangrène l'AEDLP est ainsi liée à l'étroitesse du monde agricole. Si le jeune éleveur de moutons ans de 22  rêvait d'une jeune femme qu'il connaissait déjà, plusieurs de ses prétendantes l'avaient aussi rencontré auparavant lors des soirées de la FJA. 
 
Le fait n'est pas propre à cette édition-ci de l'AEDLP, mais plusieurs candidats se connaissaient visiblement avant l'émission, et certains avaient incité d'autres à candidater. Il en est de même du côté des prétendant(e)s. Plusieurs sont issu(e)s du monde agricole et se connaissent. 
Des liens familiaux existent entre certaines prétendantes. La femme qui sera retenue par un des agriculteurs avait déjà fait l'émission l'année dernière, et était restée en couple plusieurs mois avec celui qui l'avait choisie à l'époque. 
Au moment du départ de la personne qu'il n'avait pas retenue, un agriculteur n'hésitera pas à lui dire "Et bien le bonjour chez toi"… 
Autant de liens et de sous-entendus qui annihilent l'impression de naturel, de légèreté et de surprise auquel le spectateur croit s'attendre. Finalement, les jeux ne sont-ils pas un peu pipés ?
 
AU SPECTACLE

Enfin, l'émission semble attirer moins de prétendant(e)s que par le passé. Les candidat(e)s séduisent-ils moins? En tout cas, les prétendant(e)s paraissent moins nombreux à envoyer le fameux courrier avenue Georgin. D'où des sélections parfois difficiles (plus de personnes = plus de choix diversifiés), et dans certains cas un nombre très limité de prétendant(e)s retenus. 
Cette année, des personnes ont même été conviées à Bruxelles à un “visionnage collectif”, au Food Market de la gare maritime de Bruxelles, le 18 avril, afin de les inciter à poser leur candidature. Une démarche différente de celle de l'envoi spontané d'une lettre d'amour à la production…

Regardant l'AEDLP, le spectateur peut par moment se dire : "Tout ça pour ça !". En fait, oui. Parce que, finalement, cette émission est aussi, sinon d'abord, un spectacle. Tant pis si les personnages se connaissent déjà ou si les longues séquences des séjours à la ferme n'aboutissent à rien, l'essentiel est dans le récit, les sentiments qu'il inspire et les sensations qu'il procure au téléspectateur. Et dans les personnages. Si ceux-ci sont typiques, tant mieux. L'émission terminée, on s'interrogera toujours sur certains des choix faits par les célibataires. Clairement, ils n'ont pas tous été faits dans l'espoir de se lancer avec lui (ou elle) dans une nouvelle vie. Mais dans le but de donner du show, de l'exotique, de l'original. 
Permettre à des personnes du monde agricole de se sentir moins seul(e)s, est-ce vraiment encore au programme ?

Frédéric Antoine
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(1) Dominique MEHL, La fenêtre et le miroir, Paris, Payot, 1992.
(2) https://etat-agriculture.wallonie.be/contents/indicatorsheets/EAW-A_I_a_2.html#

29 octobre 2022

Les JT après les années covid : pas la débâcle, mais pas la joie non plus


Depuis la fin des fortes épidémies de covid, on avait dit les gens dégoutés de l'info, et désertant en masse les rendez-vous d'actu. Par rapport à 2019, les JT rassemblent effectivement un peu moins de monde. Mais c'est loin d'être la cata.

Les oracles (et les enquêtes sociologiques [1]) l'avaient laissé croire : entre covido-sceptiques et partisans des théories du complot, convaincus que les médias étaient manipulés, et un grand public devenu allergique à l'actualité tant il en avait consommé lors des confinements, il y avait un point commun : les uns et les autres annonçaient vouloir déserter les JT et leurs flots de mauvaises nouvelles anxiogènes. Réaction épidermique ou lame de fond ? En confrontant les audiences "d'avant" et d'après" grandes épidémies de covid, il y a assez loin de la coupe aux lèvres.

PAS SI CLAIR...

Le graphique comparatif ci-dessus (2) montre évidemment l'envolée des audiences des JT de RTL-TVI et de la RTBF en 2020 (courbes grises et jaunes), ainsi que le nombre de spectateurs/jour un peu plus important en 2021 (courbes bleu clair et verte). Les résultats de 2019 et 2022 sont ici difficiles à distinguer. Regardons donc les audiences des deux années moins marquées par la crise du covid : celles "d'avant" et celle d'après".
 
QUASI-SUPERPOSITIONS
Pour le RTL Info 19h, la similitude de tendance des deux courbes apparaît clairement : en 2019 comme en 2022, les audiences croissent ou décroissent régulièrement au même rythme, les courbes allant jusqu'à se recouper. Ces similitudes démontrent que les habitudes d'usage des spectateurs sont en général les mêmes "avant" et "après" le covid : il y a des jours de la semaine où on regarde moins ce JT, et d'autres où c'est le contraire. Le presque recouvrement atteste aussi de la quasi-égalité entre le nombre de spectateurs présents en 2019 et en 2022. Ils n'ont clairement pas déserté en masse.
Pour Le 19H30 de La Une, les constatations faites à propos de RTL TVI sont également de mise : les deux courbes présentent fréquemment les mêmes tendances journalières, et les deux courbes se superposent à certains moments, mais peut-être moins fréquemment que chez le concurrent privé (en tout cas dans la partie de la courbe concernant le mois d'octobre). Apparemment, dans l'ensemble, l'audience de La Une paraît ± identiquement au rendez-vous.
 
RTL TOUJOURS DEVANT...

Rien n'a-t-il dès lors changé ? En tout cas, la domination du JT de la chaîne du groupe appartenant à DPG-Rossel (les deux lignes bleues) sur celle du boulevard Reyers (lignes oranges) paraît à peu près constante au cours des deux années. 
En comparant les audiences jour par jour, le déficit d'audience du JT de la chaîne publique est quasi permanent tant en 2019 qu'en 2022. Les rares jours où ce JT rassemble plus de spectateurs que celui de RTL sont plus nombreux en 2019 qu'en 2022.
 
LE FIFRELIN QUI TUE
Finalement, y a-t-il plus ou moins de spectateurs en 2022 qu'en 2019 ? En établissant l'audience quotidienne moyenne des deux JT sur les deux années, pendant la période analysée, les résultats paraissent à peu près équivalents. 
Mais, en y regardant de plus près, on constate que le RTL Info, qui dépassait de peu, en moyenne, les 500.000 téléspectateurs quotidiens en 2019, en rassemble désormais 487.000. Le 19H30, de son côté, passe de 450.000 à près de 439.000. 
En chiffres absolus, l'audience des rendez-vous d'info des deux chaînes est donc bien plus basse en 2022 qu'avant le covid. Mais ces variations se situent à la marge, et sont de volume à peu près identique : une perte de ± 12.500 personnes pour la RTBF, et de ± 14.000 pour RTL TVI. Soit des chiffres qui se trouvent bien à l'intérieur de la marge d'erreur de la méthode de mesure de l'audience qui, rappelons-le, est réalisée sur un échantillon de foyer dont les usages télévisuels sont extrapolés à ceux de l'ensemble de la population belge francophone. 
 
Un fifrelin qui aurait tendance à pousser à la conclusion que seule une infime partie de l'audience aurait fui les JT. Voire que leurs audiences peuvent être estimées stables. D'autant qu'il ne faut pas aussi perdre de vue celles et ceux qui regardent chaque jour le 20H de TF1, et qui sont très fréquemment plus de 100.000.


Alors, où sont donc passés les anti-JT ? (3) Ne sont-ils pas passés des paroles aux actes ? Étaient-ils en fin de compte si peu nombreux qu'ils sont passés entre les mailles de l'audimètre ? Ou n'en ont-ils en fait jamais été spectateurs ? C'est sans doute ici que se révèle une des limites des méthodes de mesure quantitatives.

Frédéric ANTOINE
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[1] Notamment l'enquête sur les usages des médias en temps de covid que nous avions lancée au printemps 2021.
(2),Pour que la comparaison soit correcte, celle-ci a été opérée sur la même période de l'année (les mois de septembre et les 24 premiers jours d'octobre), en organisant les données selon les mêmes jours de la semaine.
(3) Dans l'enquête que nous avions menée au printemps 2021, la proportion de répondants déclarant qu'ils allaient changer leurs habitudes de consommation de l'info s'était avérée faible, mais bien présente.


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