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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…
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25 juillet 2020

Belgium: the country where everybody speaks English


Depuis près d'un mois, les Belges revenant de zones à risques de l'étranger sont obligés de remplir un formulaire, afin de lutter contre la propagation du covid-19. But this docment is only available in English. Is this normal?

Il porte le joli nom de Public Health Passenger Locator Form,  mais tout le monde l'appelle plus simplement Passenger Locator Form. What is translated by Google  by the words "Formulaire de localisation de passagers". Selon le site du ministère des Affaires étrangères (1), tout passager d'un vol extra-Schengen vers la Belgique doit le remplir avant de voyager. Et, à l'arrivée en Belgique, le formulaire doit être remis aux autorités désignées à la frontière.

Chose étonnante, quand on le consulte, on voit que ce formulaire ne parle pas que d'avion, mais aussi de train ou même d'autobus, éléments qui ne sont pas développés sur le site en question. Pour avoir tous les détails à son propos, il faut plutôt consulter… le site de l'Office des étrangers (2), où les mesures sont là détaillées point par point. Un paradoxe pour une personne de nationalité belge, qui illustre une fois de plus le surréalisme quotidiennement à l'œuvre dans ce petit pays.

Autre chose étonnante: ce passionnant document n'existe, à l'heure où ces signes sont écrites, qu'en anglais. Alors que cette obligation de déclaration remonte à la mise en œuvre d'un A.R. datant du 30 juin dernier…

Enfin, selon l'art.4 de la Constitution, "La Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande". Nulle part, le texte fondateur de l'Etat ne fait allusion à la langue anglaise.

NUL N'EST CENSÉ IGNORER L'ANGLAIS


Peut-on donc obliger un Belge à remplir un document officiel dans une langue qui n'est pas la sienne? En cas d'amende pour non respect du prescrit de l'A.R., quel tribunal validerait le fait que le justiciable ait été contraint de remplir un formulaire dans une langue étrangère? On répondra bien sûr que l'anglais est la lingua franca de l'époque. Mais, même si la page 2 du formulaire est parsemé de petits pictogrammes, la connaissance de l'anglais n'est imposée à aucun citoyen belge, et il n'est pas obligé de maîtriser cet idiome mondial pour se rendre à l'étranger. Et ce d'autant plus que, avant la page à compléter par de données pratiques sur son déplacement, il y a lieu de s'engager en page 1 pour de vrai, en signant au bas d'une longue texte se terminant par la formule:   "I HAVE TAKEN NOTICE OF THE INFORMATION PROVIDED ON THIS FORM AND HAVE MADE A TRUTHFUL DECLARATION".

L'usage de ce formulaire devenant une obligation pour tous ceux qui reviendront en Belgique à partir d'août, on annonce tout à coup qu'il va être traduit pour le début de la semaine prochaine. Bonne nouvelle! L'Etat fédéral se rend enfin compte que la pratique de la langue de Freddie Mercury n'est pas imposable à ses citoyens. Il est renversant de constater que, jusqu'alors, personne ne s'en était rendu compte.

A l'heure de la mondialisation, dès que l'on sort de son village ou de son quartier, on doit  être à même de parler l'English. Cette pratique est évidente pour l'Etat Fédéral, parce que elle l'est (ou supposée l'être par les élites) en Flandre, où le shift de mots flamands par des termes anglais est aujourd'hui monnaie courante, et où même la construction des phrases semble influencée par la langue des Britons lorsque les ressortissants du Nord s'expriment en français.

Pour certains, l'anglais est sans doute devenu la seule langue nationale de la Belgique. Une manière radicale de régler tous les problèmes communautaires.

On attend ainsi pour bientôt la publication de The Belgian Official Gazette,  édition unique et unilingue de l'ancien Het Belgisch Staatblad/Le Moniteur belge. Avec, en sous-titre: Voor de Vlamingen hetzelfde/Pour les francophones, la même chose.

Letterlijk.

Frédéric ANTOINE.

(1) https://diplomatie.belgium.be/fr/Services/venir_en_belgique
(2) https://dofi.ibz.be/sites/dvzoe/FR/Pages/Les-voyages-vers-la-Belgique.aspx

03 juin 2020

Coronavirus : Rites et adaptations des conférences de presse du CNS


Le Conseil National de Sécurité (CNS) a tenu ce mercredi 3 juin sa dernière conférence de presse de période de déconfinement. La première de ces communications s'était déroulée il y a près de trois mois, le jeudi 12 mars. Depuis lors, des rites se sont installés. Mais ce cérémonial a aussi subi quelques adaptations.

Une conférence de presse est, en général, une danse en trois temps. Le premier temps de la valse est celui de la prise de parole par l'organisateur. Le deuxième est celui de l'interpellation de l'instance invitante par les journalistes, normalement chargés d'assister à cet événement pour ensuite le rapporter à leurs lecteurs, spectateurs, auditeurs… Le troisième est d'ordinaire informel. On se retrouve, parfois autour d'un verre, pour prolonger les échanges qui ont eu lieu pendant la rencontre.

Les conférences de presse du CNS ne sont pas tout à fait une valse. Leur troisième temps est plutôt incertain, et elles s'adressent autant, sinon davantage à la population qu'aux journalistes eux-mêmes. Pour les journalistes, le rituel qui structure une conférence de presse et les conventions qui y sont associées relèvent des pratiques professionnelles habituelles. Ce cérémonial, et notamment sa durée, est sans doute moins habituel pour le grand public qui apprécie souvent une communication ramassée, allant à l'essentiel. Quand, pour plaire à tout le monde, il faut au cours de pareille séance donner la parole à tous les présidents de gouvernements régionaux et communautaires, par exemple, on ne peut pas dire que cela permet au message d'être concis et percutant. Mais, comme nous avons déjà développé précdemment quelques réflexions à ce propos, nous ne reviendrons donc pas ici sur ces sujets (1).

Chacun à sa place

Si l'on exclut la catastrophique  première conférence de presse sur le déconfinement du 24 avril, l'impression est que, de manière générale, le rituel de la conférence de presse a ici plutôt été respecté à la lettre, que ce soit dans son déroulement ou dans son dispositif.
La scénographie du 'plateau' et la disposition des intervenants autour de la table au cours des différentes conférences de presse le confirment, rassurant tout le monde, y compris sans doute aussi le spectateur. Personne ne change en effet de place (2).
A chaque fois, les présidents d'Exécutifs s'installent avant la Première ministre, celle-ci arrive sans que personne ne la salue, elle prend place à la tribune, se sert parfois un verre d'eau, puis commence son exposé. La structure de celui-ci est toujours à peu près identique. Il se présente sous la forme d'un exposé, d'une conférence et non d'une communication destinée à de suite présenter l'essentiel d'une information. Pour reprendre une vieille formule enseignée aux étudiants en journalisme, la structure de l'exposé utilisée ici est celle d'une présentation en pyramide inversée (on dira aussi 'en entonnoir'), c'est-à-dire que l'intervention débute par des rappels historiques, des mises en contexte, des commentaires globaux. Ce n'est qu'ensuite que l'orateur en vient à ce qui constitue le cœur de son message: présenter les décisions prises par le CNS le jour même, et dont la conférence a comme rôle d'informer les journalistes, afin qu'ils les répercutent à leur public. Devant le contenu ainsi exposé, aux journalistes de trier le bon grain de l'ivraie et de livrer à la population "les nouvelles", ce qui fait l'actualité du message.

Un léger glissement


Le nombre de personnes présentes à la tribune étant pair, la Première ministre n'occupe jamais le centre du plateau, ce qui pose à l'image un petit problème d'équilibre. Il est renforcé par la nature du fond sur lequel s'inscrit l'oratrice, celui-ci étant constitué par le mot "Belgique" dans les trois langues nationales. Comment se placer devant ces intitulés sans les occulter? Faute de solution, il semble que le positionnement de l'oratrice ait légèrement été modifié au fil du temps. L'observation des images prises par les services chargés de la captation montre ainsi que les cadrages prévus ont, à un certain moment, occulté la fin de "België" et à d'autres, celle de "Belgique". La version néerlandaise paraît plus malmenée de mars à mi-avril, et c'est ensuite au tour de la version française.

Plus particulier encore, l'oratrice ne se trouve pas au centre l'image, comme cela se conçoit dans un cadrage télévisuel classique. Le cas de la conférence de presse du 12 mars, qui n'a pas été couverte par les services de l'Etat mais par les chaînes de télévision elles-mêmes, montre que celles-ci avaient choisi de placer l'intervenante au centre de l'image, quitte à conserver à sa gauche et à sa droite les épaules des autres personnes présentes à la tribune. Lorsque la captation de la conférence de presse n'est plus laissée aux chaînes de télévision, l'insertion d'une traduction en langue gestuelle vient envahir la partie droite de l'image, et oblige le décalage de son élément central, créant ainsi un double centre d'attention pour le spectateur.
De petites adaptations

Une comparaison de ces cadrages 'buste' de l'oratrice au fil des conférences de presse permet d'évaluer la gestion de cet encombrement de l'espace par le réalisateur de la captation. Lors de la première conférence de presse officielle (17/03), la part du cadre prise par les interprètes représente près du quart de l'image. Cette superficie sera ensuite légèrement réduite jusqu'à la mi-avril, et reprendra davantage d'importance fin de ce mois-là, avant de se voir ensuite réduite en largeur. Pour une raison simple: le passage de deux à un interprète présents dans l'image. En mai, la traduction gestuelle occupe enfin un espace plus réduit. Elle se déroule aussi depuis fin avril sur un fond neutre (noir) et n'est plus prise, comme à la sauvette, près d'une porte de la salle de conférence de presse, avec des journalistes en arrière plan.

La conférence de presse du 3/6 marque aussi un changement vestimentaire important dans le chef de la Première ministre, qui porte cette fois-là une veste de couleur blanche, sur un chemisier foncé. Jusqu'alors, sa veste était quasi noire, et était à trois reprises portée sur un chemisier lui aussi foncé. Des détails qui marquent tant le spectateur de l'image animée que celui qui contemple une photo prise lors de l'événement. Ce passage au blanc revêt un poids significatif, comme le montre la copie d'écran de la tribune figurant au début de ce texte. Le 3 juin, comme lors de toutes les autres conférences de presse, les hommes portent en effet des costumes foncés. Mais, cette fois, l'oratrice ne se mêle pas à leur masse. On l'en distingue parfaitement.

Serrages de boulons


Sur divers points, le gouvernement fédéral semble commencer à améliorer sa communication. Mais la volonté de contrôler la transmission du message n'y est pas neuve. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer le côté hiératique, figé, des captations réalisées pour toutes les chaînes de télévision par les services de l'Etat et la liberté d'action dont bénéficiaient auparavant les opérateurs. La conférence de presse du jeudi 12 mars est très indicatrice à ce propos. Comme évoqué plus haut, ce jour-là, les chaînes pouvaient agir elles-mêmes. Les images prises ce jour-là n'ont donc rien de commun avec celles des captations suivantes. Sur la RTBF, on a même alors droit à des plans de coupe sur les journalistes ou sur l'enfilade des personnalités présentes à la tribune. Plans qui n'auront plus aucune existence dès que la prise d'image deviendra officielle. Tant et si bien que, lorsque les journalistes posent leurs questions lors du "deuxième temps" de cette étrange valse, non seulement on ne les voit désormais plus (question de droit à l'image?) mais, parfois, on ne les entend pas, ou à peine…


Ce resserrage de boulons a empêché que, comme au mois de mars, les écrans soient occupés pendant de longues dizaines de minutes par une image vide, ou par le passage de photographes dans le champ des caméras des chaînes de télé. Il n'aura toutefois pas empêché la surinformation de l'image rencontrée dans la conférence du 24/4. Mais la Première ministre avait promis qu'elle ne se présenterait plus. Ce qui fut fait. Lors d'une conférence de presse, on peut utiliser un Powerpoint. Mais pas dans une émission de télévision en direct…

Frédéric ANTOINE









(1) Voir à ce propos le premier post de ce blog, réalisé en réaction à la conférence de presse du CNS du 24/04/2020.
(2)Sauf bien sûr dans le cas de la conférences de presse du 20/03, hors CNS, destinée à la présentation du plan de protection sociale et économique, et où la Première ministre était entourée de membres des son gouvernement).




02 juin 2020

THE VOICE (TF1) VA-T-IL RETROUVER LA VOIE?


Samedi 6 juin, TF1 annonce le grand retour de The Voice. Cette demi-finale sera la première émission de cette télé-réalité de variétés depuis la fin avril. Une si longue absence, qui n'a pas encouragé le téléspectateur belge à rester le samedi soir sur la chaîne française…

Pour The Voice-TF1 comme pour bon nombre d'autres émissions, le confinement aura été une bonne chose. En Belgique, avant la mi-mars, le nombre de téléspectateurs du programme (Live+vosdal) était plutôt en baisse cette année, même si, après un très mauvais démarrage, les audiences s'affichaient un peu en dents de scie. Une semaine après le début des Battles, l'arrivée du confinement fera remonter l'audience au-dessus des 300.000 spectateurs, chiffre que le programme conservera jusqu'à sa 'dernière' émission du 25 avril, moment où, faute de matière et de direct, place devra être laissée à des rediffusions de soirées de variétés.

AFFICIONADOS

Au total, l'édition de cette année n'aura toutefois pas très largement bénéficié de la crise covid: son audience moyenne était d'environ 302.000 spectateurs jusqu'au confinement. Après la mi-mars, elle sera de 323.000. Depuis début avril, l'auditoire sera même en diminution à peu près constante. Celle-ci est patente après la fin de la diffusion des épisodes de The Voice, mais la tendance existait déjà précédemment. Les programmes de remplacement variant de samedi en samedi, ceux-ci n'auront pas la capacité de fidéliser chaque semaine le même public. Un show de Laurent Gerra, par exemple, n'amènera sur la chaîne que 140.000 spectateurs belges, alors qu'une rediffusion des Enfoirés ou un Grand bêtisier en réuniront plus de 230.000. Sur les quatre semaines disponibles quand ces lignes sont écrites, la moyenne est d'un peu plus de 200.000 personnes, soit une chute de 100.000 spectateurs par rapport à The Voice hors covid. Manifestement, casser ses habitudes ne plaît pas au public.

PARTICULARITÉ BELGE?

Ce comportement est-il le propre du public belge? Une petite comparaison avec l'audience du même programme en France apporte une partie de la réponse.

La taille de l'auditoire français du programme étant environ quinze fois supérieure à celle du public belge, un graphique reprenant les deux publics réduit à peu près à néant les variations d'audience en Belgique. Mais il permet de voir que, hormis lors de la première émission du programme, les tendances sont à peu près équivalentes: courbe décroissante jusqu'au début des Battles, et celles-ci coïncidant à peu près avec l'entrée en confinement, hausse sensible de l'audience les semaines qui suivent, petite perte lors de la première émission des K.O. puis relance et amorce d'une baisse d'audience. En France aussi, celle-ci est donc déjà présente avant la fin des épisodes de The Voice et le début des rediffusions d'autres programmes le samedi soir. Mais avec, dans la toute dernière partie du tableau, une remontée de l'audience (pour la France, nous avons disposé du chiffre d'une semaine de plus que pour la Belgique).

QUESTION DE TENDANCE

Ces deux comportements sont plus aisément visibles sur ce dernier graphique qui compare les évolutions des audiences en France et en Belgique sur une base 100, fixée comme étant le nombre de téléspectateurs de la première émission de la série 2020. The Voice ayant mal réussi son démarrage en Belgique, il est normal que, pendant de nombreuses semaines, l'émission y affiche un indice > 100. La France ayant vécu la situation inverse, il est normal que, pendant de nombreuses semaines, l'émission y affiche un indice < 100. Ce graphique permet surtout de voir que les pentes des courbes sont identiques dans les deux pays, ce que confirment les tracés polynomiaux de tendance qui ont été rajoutés. Ce n'est qu'en fin de période (mais où nous disposons d'une donnée supplémentaire pour la France) que l'audience semble davantage remonter dans ce pays qu'en Belgique francophone.

ET APRÈS ?

Il restera maintenant à voir si le public fidèle à l'émission sera de retour pour les dernières épreuves, où l'interactivité confère un rôle déterminant à l'audience dans la structure narrative du programme et dans le processus de résolution du suspens. La rupture de la feuilletonisation aura-t-elle cassé l'habitude du rendez-vous, voire l'intérêt généré jusque-là? Et quel sera l'effet joué par la saisonnalité? En juin, les courbes d'audience affirment d'ordinaire un fléchissement, que le déconfinement et la soif de liberté qui l'accompagne renforceront assurément cette année. De qui l'émission de télé-réalité sera-t-elle donc encore réellement la voix?

Frédéric ANTOINE.

30 mai 2020

l'Etat belge à la rescousse de TF1?

En période de crise médiatique, un des seuls moyens entre les mains de l' État pour soutenir les médias privés est d'y acheter des espaces et d'y diffuser de la publicité institutionnelle. Le coronavirus n'échappe pas à cette technique. Mais cela doit-il aller jusqu'à aider une multinationale médiatique étrangère?

Crise covid et consommation des médias font bon ménage. Mais confinement ne rime pas aussi aisément avec financement, surtout si celui-ci est de nature publicitaire. La situation de ce marché se redresse un peu ces dernières semaines. En télévision, l'occupation de certains écrans par de la publicité publique y contribue. Le 30 avril dernier, la FWB adoptait ainsi un plan d'aide aux médias où elle s'engageait notamment  "à acheter des espaces publicitaires pour une campagne de communication d’intérêt public dans l’ensemble des médias écrits et audiovisuels nationaux, régionaux et locaux, afin de répondre à la baisse drastique de leurs revenus publicitaires" (1).

Aide locale, acteurs internationaux

Est-ce dans ce cadre que le Forem développe actuellement une campagne de communication à la télévision? On ne le sait pas (2). Mais, que cette action de communication du Forem s'inscrive ou non comme un soutien spécifique aux médias en période de covid, on ne peut contester que cet achat d'espace pour diffuser des messages d'intérêt général à propos de ce service constitue une aide apportée par l'État aux organismes de télévision. En donc à des acteurs privés, dont les liens directs avec une implantation en Belgique francophone ne sont pas toujours avérés.

Faut-il rappeler que l'essentiel du capital de RTL Belgique appartient à un groupe allemand, qu'il relève d'une licence de diffusion en Belgique accordée par le Luxembourg, et que les organigrammes de l'entreprise ne cachent pas divers allers-retours entre la Belgique et le Grand-Duché?
Personne ne contestera toutefois que l'entreprise  produit en Belgique, et pour la Belgique, une part de ses émissions, même si celle-ci n'est pas en croissance. Une argumentation tentant à justifier la diffusion sur les chaînes du groupe RTL Belgique de messages d'intérêt général financés par une autorité publique locale mériterait donc au moins d'être discutée.

Pour TF1, plus directement visée ici, la question est bien davantage ouverte, voire béante. Certes, depuis la rentrée 2018, la chaîne privée française du groupe Bouygues développe sur le territoire belge un décrochage de son programme français qui prétend distinguer les contenus belges de ceux proposés sur l'hexagone. Mais il ne faut toutefois pas un long temps de vision pour conclure que la seule différence entre les deux chaînes se situe au niveau de leurs écrans publicitaires. Hormis cela, le reste du contenu, c'est-à-dire ce qui motive l'intérêt des Belges francophones pour cette chaîne, est strictement identique des deux côtés de la frontière. Le public belge est simplement devenu un marché de plus pour cette chaîne privée, une clientèle que TF1 entend valoriser (sinon exploiter) économiquement.

Soutien sans frontières

C'est dans le cadre de ces écrans publicitaires, et en l'occurrence à tout le moins en primetime, que l'on a pu très récemment voir, sur TF1, un spot publicitaire du Forem.
Quelle a été la régularité de cette diffusion, et à quels moments précis ces messages ont-ils été émis? On demandera ici au lecteur un peu de mansuétude: une observation de ce qui se passe dans la médiasphère belge francophone n'oblige ni ne permet d'assurer une veille permanente et totale de cet univers 24h/jour 7j/7. Et la non-intégration de ces écrans dans le replay en ligne ne permet pas de recouper, a posteriori, ce qu'a révélé la vision live.

A moins que cet espace ne lui ait été généreusement offert (chose ce que le téléspectateur n'aurait aucun moyen de savoir), tout porte à croire que le Forem a acheté ces emplacements sur TF1. Certes, ce géant des médias a, lui aussi, souffert de la crise du covid. Et les dividendes attendus par ses actionnaires seront sans doute moins élevés fin 2020 que fin 2019. Mais est-ce une raison pour les pouvoirs publics de courir au secours de ce groupe? Si la question peut déjà être posée pour l'État français, elle l'est évidemment a fortiori pour l'État belge, dont le Forem est une émanation.

Le monde des médias crie à l'aide en Belgique. Les autorités cherchent, via les moyens à leur disposition et en fonction des faibles marges de manœuvre dont elles disposent, à répondre à ces SOS. Et, au même moment, une des agences relevant du pouvoir public en Wallonie investit de l'argent wallon dans le soutien d'un groupe médiatique international. Groupe dont la seule véritable  ambition est de s'emparer d'une partie du marché publicitaire belge francophone, déjà réduit à une peau de chagrin.

Une brillante analyse réalisée par l'agence Space (3) a récemment démontré comment la reprise en main par IPB de la commercialisation de la pub de TF1 en Belgique avait augmenté, à l'automne 2019, les ventes d'espaces belges sur cette chaîne. Ce qui avait entraîné une hausse des rentrées engrangées par le géant français, hausse qui a essentiellement affecté… RTL-TVI, dont les liens directs et historiques avec IPB sont pourtant évidents.
Partant de là, le Forem a-t-il acheté chez IP un 'package' d'espaces sur les chaînes du groupe RTL et TF1 Belgique? Sa présence sur TF1 ne serait-elle donc qu'une 'conséquence malheureuse' de ce marché? Ce blog est incapable de la dire. Mais, même dans ce cas, et sauf si IP a fait cadeau de cet espace, il semblerait que TF1 a bien été soutenu, pour ne pas dire financé, par un service public dépendant de l'État belge…

Frédéric ANTOINE.


(1) https://linard.cfwb.be/home/presse--actualites/publications/publication-presse--actualites-29.publicationfull.html
(2) La coïncidence de cette campagne avec les décisions politiques récentes pouraitt le laisser supposer. Toutefois, le Forem étant  "le Service public wallon de l'Emploi et de la Formation professionnelle" (https://www.leforem.be/a-propos/le-forem-en-detail.html), il ne dépend pas de la FWB, mais du gouvernement wallon. Par contre, comme ce n'est pas la Wallonie mais la FWB qui exerce les compétence d'aide aux médias, peut-être l'action de l'un des gouvernements est-elle soutenue par l'autre, et vice-versa?
(3) "Gross tv investments South evolution"in: https://www.space.be/seen

29 mai 2020

Les ventes de la presse hebdomadaire: est-ce que cela va le faire?

Les hebdos ont vécu différemment le confinement et la crise du covid. Certains ont cherché à valoriser leurs contenus en proposant des formules spéciales d'abonnement papier à domicile. Quelques hebdos ont aussi essayé de développer leur lectorat payant en ligne. Mais il est beaucoup trop tôt pour que les chiffres disponibles révèlent une éventuelle inversion de tendance, qui reste totalement scotchée à la consommation papier. Un usage qui s'effrite, pour ne pas dire s'effondre, depuis le début de la décennie.

Les données de diffusion payante dont on dispose pour les hebdos sont de nature identique à celles des quotidiens (1). Les dernières data disponibles s'arrêtant à l'an dernier, et faites sur base des déclarations d'éditeurs, ne sont pas très bonnes du côté des ventes. C'est même un euphémisme. En gros, depuis dix ans, c'est l'effondrement.
Une situation dont le graphique d'ouverture de ce texte ne le laisse peut-être pas percevoir l'ampleur, le cas emblématique de la chute de la diffusion payante de Ciné Télé Revue écrasant la vision que l'on pourrait avoir des autres titres. En 2006, cet hebdomadaire centré sur les programmes de télévision vendait 366.444 exemplaires par semaine. Ce magazine était le champion toutes catégories de la diffusion payante des hebdomadaires belges francophones. Avec ses 143.657 exemplaires hebdomadaires, le deuxième du classement, Télépro, était à la moitié. L'an dernier, l'ancien magazine des stars d'Hollywood dépassait à peine les 150.000 exemplaires vendus chaque semaine. Télépro, pour sa part, se cramponnait toujours aux alentours des 100.000.  Des chiffres qui concernent essentiellement les ventes papier. Car, et c'est sans doute cela son talon d'Achille, en Belgique francophone comme ailleurs, la presse des magazines hebdomadaires ne parvient pas à commercialiser sa présence sur le numérique.

Le règne finissant des magazines télé

L'an dernier, comme depuis des années, quatre hedbos dominaient le marché grâce à leurs ventes papier: Ciné Télé Revue, dont la dégringolade est impressionnante depuis 2010. Télépro qui, en comparaison de son concurrent, donne l'impression de presque se maintenir, ou en tout cas de limiter la casse. Femmes d'Aujourd'hui, que les aléas de gestion du groupe Sanoma avant sa reprise par Roularta n'ont pas aidé à conserver toute sa clientèle. Et l'improbable Télé Star, version belge du magazine français éponyme édité par Mondadori France, filiale hexagonale de la grande maison d'édition italienne. Un magazine surtout lu dans le Hainaut par une clientèle au profil plutôt populaire, qui a découvert ce guide de programmes télé à l'époque où RTL-TVI faisait à son sujet un matraquage commercial à peu près permanent envers le public belge.

Chose que les jeunes générations pourraient trouver étonnante, mais qui confirme bien que les moins de 30 ans ne constituent pas l'essentiel de la clientèle des médias, ce sont donc bien toujours trois magazines tournant autour des programmes de télévision qui représentent les meilleures ventes de la presse magazine en Belgique francophone (comme dans de nombreux autres pays occidentaux). Et ce en compagnie d'un hebdo féminin, les femmes ayant, dès les années 1930, constitué une cible de choix pour les éditeurs de presse hebdomadaire qui considéraient que, si celles-ci ne trouvaient pas contenu à leur pied dans la presse quotidienne, un boulevard s'offrait devant eux pour leur en proposer d'autres dans leurs magazines.
L'an dernier, seuls trois de ces magazines dépassaient encore la barre des 60.000 exemplaires vendus par semaine.

Un marché peau de chagrin

En 2019, quatre hebdos édités en Belgique conservaient une diffusion papier moyenne entre 50 et 40.000 exemplaires: Le Soir Mag, Télé Star, Le Vif-L'Express et Moustique. En 2011, Télé Star et Le Vif dépassaient les 80.000 exemplaires vendus par semaine, Le Vif frôlait les 70.000 et Le Soir Mag dépassait les 55.000. Pour plusieurs de ces titres, les baisses sont donc marquées. Les grands hebdos restant édités en Belgique ne dépassent plus les 30.000 ventes par semaine, et certains (Flair, Spirou, Dimanche) sont en dessous des 20.000. Le cas de l'hebdomadaire catholique Dimanche, vendu uniquement par abonnement dans les paroisses, est assez emblématique. En 2011, il comptait encore près de 80.000 abonnés. Ses ventes ont été divisées par 8 en moins d'une décennie. Plusieurs titres ont aussi disparu des radars, soit parce qu'ils ont cessé de paraître, comme les éditions belges de Point de Vue ou de Public, soit parce que le CIM ne comptabilise plus sa diffusion, comme Le sillon belge.

En chiffres absolus, une perte est impressionnante: celle de Ciné Télé Revue, dont les ventes ont fondu de près de 160.000 exemplaires en 9 ans. Moustique est en recul de près de 40.000, Télé Star et Femmes d'Aujourd'hui d'environ 35.000. Paris-Match (édition belge) ne perd 'que' près de 18.000 exemplaires, Le Soir Mag 8.000 et Spirou 5.000.

Mais ce sont évidemment les données des pertes en pourcentages qui sont les plus éloquentes. Pendant ces 9 ans, Flair a vu ses ventes baisser de près de 60%, Ciné Télé Revue, Moustique et Télé Pocket de près de la moitié. La  plupart des autres hebdos sont à ± 40% de baisse. Mais Spirou ne perd qu'un quart de sa clientèle, Télépro et Le Soir Mag seulement un cinquième.

Des changements qui sauvent

Dans les deux tableaux ci-dessus, le cas de Dimanche doit être considéré séparément, car cette publication est comptabilisée pour ses ventes par abonnements, qui s'opèrent essentiellement dans les paroisses catholiques, et quasi exclusivement au sein de leurs pratiquants réguliers. L'effondrement à la fois en nombre d'exemplaires et en pourcentage des ventes (-88%) est directement associé à celui de la pratique religieuse dans le monde catholique.

Le Soir Mag et Télépro sont deux autres cas intéressants, car ils  sont parmi les titres qui résistent le mieux (ou le moins mal) à ce qui est bien davantage qu'une érosion.
La bonne résistance du Soir Mag n'est pas due à la fidélité de son lectorat, mais à un pari de changement de formule, déjà amorcé avant 2011 avec le passage du Soir Illustré au Soir Magazine, et confirmé fin 2015 lors du basculement en Soir Mag. Le choix rédactionnel de situer la publication comme un "mid-low market popular newsweekly" endigue alors la baisse des ventes, qui ne progresse plus que lentement.

La fidélité d'achat caractérise par contre Télépro, où elle s'explique notamment par son taux très élevé d'abonnés. Mai cette fidélisation est contrée par le fait que ceux-ci (comme pour d'autres magazines télé) appartiennent en général à des catégories d'âge avancées, où les risques naturels de non-renouvellement d'abonnement peuvent être importants. Or, cela n'empêche pas le magazine de continuer à ne pas trop mal se porter. Pour autant, alors que Roularta a récemment racheté à Bayard les 50% qui lui manquaient dans le capital du mensuel Plus Magazine, la même opération n'a pas été menée pour Télépro. Un statuo quo qui peut peut-être s'expliquer par la candidature du groupe à la reprise du pôle magazines des éditions de L'avenir, qui comprend Moustique et Télé Pocket, ce qui entraînerait la présence dans le groupe flamand de trois hebdos francophones peu ou prou liés à la télévision.

Un éventuel rachat dont la finalité peut être questionnée, puisque Télépro a, ces dernières années, beaucoup mieux résisté à la baisse du marché des hebdos que les deux autres titres. En le sortant du créneau de la presse télé pour le positionner dan celui des news magazines midmarket, la reprise de Moustique par Nethys a permis de sauver le magazine du dépérissement dans lequel le laissait son ancien propriétaire, Sanoma. Au cours de ces dernières années, la chute des ventes du titre a été fortement endiguée, et sa stratégie de développement des ventes numériques a été payante. Télé Pocket, lui, n'a rien connu de semblable, et l'état dans lequel l'avait laissé Sanoma n'a pas été revitalisé par son passage dans le giron de L'avenir.

Un espoir de stabilisation, voire de relance, touche aussi Femmes d'Aujourd'hui, dont les ventes en 2019 ont augmenté de quelques centaines d'exemplaires par rapport à l'année précédente. Là aussi, le départ de Sanoma et l'arrivée chez Roularta ont pu être synonymes de relance du projet et d'inscription dans une stratégie industrielle que n'avait pas développée son propriétaire précédent. Dans ce cadre, il sera intéressant notamment de voir les suites de la campagne d'abonnements promotionnels lancée pendant la période de confinement.

On peut, par contre, s'interroger sur les raisons du rachat l'an dernier de Ciné Télé Revue par Rossel, qui s'est ainsi mis sur le dos un mammouth en assez mauvaise santé, alors que le groupe avait plutôt réussi à endiguer le naufrage de son navire-magazine amiral, l'ancien Soir Illustré. Et que l'on voit mal les mêmes remèdes administrés à ce nouveau malade. A moins que…

Le numérique: les abonnés absents
Si une partie de la presse quotidienne a entrepris de sortir de son marasme en parvenant à commercialiser ses services numériques, on ne peut dire qu'il en soit de même des hebdos. En 2011, aucun des magazines analysés ici ne vendait le moindre exemplaire en version digitale. Le Vif L'Express commencera en 2012, année où il vendra 204 exemplaires numériques. Le Soir Magazine et Moustique débuteront en 2014, ce dernier arrêtant déjà en 2015… Les compteurs de tous les autres magazines sont alors toujours à zéro… et y sont toujours, ou presque, en 2019. Il faut regarder à la loupe le graphique ci-dessous pour repérer les titres qui, l'an dernier, pouvaient réellement compter sur l'appui de ventes numériques afin d'endiguer les pertes den papier. Dans leurs déclarations au CIM, certains éditeurs mentionnent ainsi avoir vendu 0, 2, 16, 37 ou 51 exemplaires en digital paid l'an passé. Seuls trois titres frisent ou dépassent le millier: Le Soir Magazine (moins de 900), Le Vif L'Express (mois de 1.400) et Moustique (plus de 3.300). Pour ces trois titres, ces ventes en ligne permettent d'amortir les courbes de déclin papier. Mais elles restent encore anecdotiques:  2% des ventes pour le Soir Magazine, 3% pour le Vif et 7% pour Moustique.

La situation n'est pas propre à la Belgique francophone, mais on y confirme la tendance: de manière générale les hebdos sont aux abonnés absents de la commercialisation de leurs produits en ligne. Pire, souvent, les contenus gratuits proposés en ligne divergent largement de ceux qui figurent dans la version papier. Types de sujets, angles, forme… sont différents, comme si la gestion du numérique était rédactionnellement indépendante de celle du support papier, et supposée non créer une notoriété mais seulement faire du buzz ou du clic. Sans chercher à familiariser l'internaute à l'image de marque du produit afin de l'inciter in fine à passer à l'acte d'achat de la version payante.
On entend, de manière récurrente, que les éditeurs d'hebdos réfléchissent à la question et vont frapper de grands coups. Mais on ne voit pas grand-chose venir. Comme si l'état actuel du marché leur semblait satisfaisant, et le déclin irréversible.
Certes, une bonne partie de la clientèle des hebdos apprécie consommer leurs types de contenus sur un support physique. Mais les diminutions de ventes relevées ici ne démontrent-elles pas que ce goût du papier n'est pas immodéré?

Frédéric ANTOINE.













(1) cf:  https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2020/05/presse-quotidienne-belge-la-diffusion.html

18 mai 2020

Covid et enseignement à distance : les (bonnes) surprises d’une petite révolution

« L’enseignement à distance, c’est super. Je peux suivre mes cours dans mon lit, en pyjama. Ou les regarder quand j’en ai envie. » Cette bribe de conversation, échangée il y a plusieurs mois entre étudiants attablés dans un café, n’évoquait alors qu’un vécu assez rare. Celui de (plutôt rares) cours dont les enseignants préféraient, pour diverses raisons, enregistrer leurs cours plutôt que les donner ‘en live’, ou qui souhaitaient ne pas limiter leur enseignement à une prestation ‘en direct’ en auditoire.

Le covid a banalisé cette pratique depuis que, le 13 mars, les autorités des universités décidaient de faire basculer les cours du ‘présentiel’ vers des formules d’enseignement à distance. En invitant plus que fortement leurs titulaires à les assurer en temps réel, en les donnant au moment à ceux-ci étaient prévus dans l’horaire des étudiants, afin que leurs rythmes de vie ne soient pas perturbés. Une chaude recommandation qui, selon quelques échos provenant d’étudiants, n’aurait pas toujours été suivie à 100%…

Il est par contre acquis que, sous diverses modalités, la pratique de l’enseignement à distance s’est, d’un coup, généralisée, en transformant subitement en profondeur la configuration pédagogique connue dans les universités et les institutions d’enseignement supérieur depuis leur création, pour certaines il y a plusieurs centaines d’années. Et ce pour le meilleur, mais peut-être pas que.

Seules de longues enquêtes approfondies qu’on ne manquera pas de mener dans les prochains mois à titre scientifique ou pédagogique permettront de dresser le bilan de cette petite révolution. La période de cours de l’année académique 2019-2020 étant arrivée à son terme, les quelques lignes ci-dessous n’auront comme seule ambition que de consigner l’une ou l’autre remarque issue d’une expérience personnelle, que rien ne permet bien sûr de généraliser, tant peuvent diverger d’un cas à l’autre les matières enseignées, les pratiques enseignantes (surtout pour les plus âgés•e•s…) et les cohortes étudiantes elles-mêmes.

ENFIN !

Il aura fallu que survienne le confinement pour que les universités libèrent leurs étudiant•e•s d’un fardeau dont le joug semblait ne jamais devoir disparaître : celui de l’assistance aux cours en un endroit déterminé et à un moment précis. Une pratique obsolète pour des générations chez qui l’essentiel de la consommation de contenus est délinéarisée, et relève largement d’une appropriation en mode self-service. Le covid a contribué à supprimer la contrainte de matérialité de l’enseignement universitaire. Reste toutefois que la recommandation de conserver les cours à leurs jours et heures habituels entretenait le maintien d’une obligation pour celles et ceux qui voulaient y assister (tout comme pour les enseignant•e•s qui devaient le prodiguer) : celle d’être au rendez-vous à l’heure dite.

Mais c’était sans compter sur les services proposés par la (ou les) plateforme(s) pour gérer ces enseignements à distance. Comme d’autres, Teams comprend en effet la possibilité d’enregistrer les ‘réunions’ qui y sont tenues et de les archiver ad vitam (chose que, pris dans la précipitation de devoir bifurquer vers l’enseignement à distance, certains membres du corps enseignant n’ont peut-être découvert qu’assez tardivement…).

L’enseignant qui pilote la réunion peut lui-même actionner l’enregistrement. Mais ce choix peut aussi être commandé par les autres utilisateurs de la réunion. Cette fonctionnalité supprime donc de facto l’obligation de suivre l’enseignement en temps réel. Dotant d’obsolescence la linéarité d’usage d’une séance de cours, elle rend les modalités d’apprentissage conformes aux modes contemporains d’appropriation de contenus par les étudiant•e•s.

Cette opportunité a, semble-t-il, été assez fréquemment saisie, notamment par des personnes qui, même confinées, n’étaient pas disponibles au moment d’un cours. Elle a aussi permis à celles et ceux qui voulaient réviser leurs notes de suivre plusieurs fois les mêmes enseignements. Ce qui est sans doute davantage envisageable lorsque l’on est contraint à ne pas bouger de chez soi qu’en période normale, où ces longues périodes de visionnement devraient être gérées au-delà des cours, dans des agendas souvent déjà chargés.

L’assistance

La diffusion à distance d’un cours a-t-elle eu un effet sur le volume du public que celui-ci recueillait lorsqu’il était donné en auditoire ? L’expérience personnelle semble ne pas le confirmer : de manière générale, l’assistance est restée la même. Lorsque la part de l’auditoire par rapport aux inscrits était élevée, celle-ci a continué à l’être après le passage en ligne. Et vice-versa pour les cours moins suivis.
Sur les petites cohortes, comme celles de séminaires, l’effet a été quasiment inexistant.
Le handicap que peut avoir la présence physique par rapport à la disponibilité sans déplacement ne paraît s’être fortement manifesté. Le fait que le basculement soit survenu en milieu de quadrimestre, et non au début de celui-ci, peut en partie expliquer ce phénomène.
Un élément permettant d’éclairer la question serait de savoir si la possibilité de visionner un cours en dehors du moment où il a été professé en a accru l’audience totale. Faute de données, la question reste, à ce stade, ouverte.

En dialogue ?

La pertinence de maintenir en période post-covid des enseignements en présentiel ne doit-elle pas être posée ? Quelle plus-value apporte l’enseignement d’un cours devant un grand auditoire par rapport à la dispense à distance du même contenu ? En ligne, les PowerPoint peuvent être mieux vus, la voix de l’enseignant•e peut être plus claire, et, normalement, la parole du professeur n’a aucune chance d’être couverte par le brouhaha de conversations entre étudiant•e•s. Pour un cours ex cathedra, l’avantage est donc ténu, sinon qu’il exige de la part du professeur•e un type d’exercice de communication pas en tous points comparable à ce qui se passe dans un cours en salle.

Mais l’enseignement n’est-il qu’un discours à sens unique ? Dans ses principes, même un cours donné sous forme de monologue peut comprendre une partie dialoguée, soit suite à des invites à poser des questions exprimées par l’enseignant•e, soit suite à une demande de prise de parole manifestée par un•e étudiant•e via le lever d’une main. Des modes plus marqués d’interaction en salle sont par ailleurs davantage suscités lors d’autres pratiques pédagogiques comme les cours inversés, les séances de séminaires ou les travaux pratiques.

Pour autant qu’il soit suivi en direct, l’enseignement à distance n’exclut pas ces moments d’échanges et de prises de parole (cf. ci-après). Si le cours est visionné à la carte, en dehors du temps de son déroulement, cette éventualité disparaît par contre complètement. L’étudiant•e ‘suit’ alors l’enseignement. Il/elle peut seulement y assister, comme à un spectacle. Si interaction il y a, celle-ci ne pourra être, elle aussi, que différée.

Prises de parole

Les plateformes sur lesquelles les cours ont été donnés offrent, en temps réel, d’évidentes possibilités d’interaction. À condition que la machine de chaque participant•e soit équipée de micro et de caméra, tout le monde est, potentiellement, capable d’intervenir lors de la ‘conférence’, et non seulement le ou la professeur•e.

Afin de garantir des conditions correctes de suivi, la plateforme offre aux animateurs de réunion la possibilité de couper tous les micros de l’assistance. Cette mesure peut être considérée comme une volonté d’y censurer l’expression. Il y a donc peu de chance qu’elle soit mise en œuvre. L’absence de brouhaha évoquée ci-dessus peut donc s’avérer relative.

Cette possibilité de prise de parole n’est pas anonyme. Le nom de chaque intervenant s’affiche sur l’écran. Mais, lorsque l’on supprime son image, l’expression tout de même s’opère dans un anonymat relatif. Et, en tout cas, loin du type de rapport de force qui organise la communication de groupe au sein d’un auditoire physique. Chacun•e étant seul•e chez soi, les prises de parole deviennent autonomes, et se libèrent. En l’absence d’image et du regard des autres, on ‘ose’ s’exprimer, alors que l’on aurait hésité à le faire ‘en public’. Cette pénombre communicationnelle fait par exemple jaillir des questions orales, surgissant au cours de l’exposé magistral. Elle dynamise le cours, et peut parvenir à générer des échanges qui n’auraient pu voir le jour devant un grand groupe, où s’exprimer peut provoquer la réprobation des tiers. Mais la pénombre peut aussi inviter à d’autres types de prises de parole, en libérant tant les contenus qu’elles véhiculent que leur mode d’expression. Jusqu’à la situation où l’espace d’un cours se transforme en agora, avec les risques de débordement que peut entraîner une totale liberté d’expression…

Comme sur les réseaux sociaux

Cette libération de la parole peut non seulement se réaliser sur les plateformes par voie orale, mais aussi écrite. Les outils d’enseignement à distance comprennent en effet un volet ‘chat’ (‘conversation’ dans les versions françaises), sous forme de texte. Lors de ‘conférences’ en grand groupe, ce passage par l’écriture permet de modérer les interventions. Il laisse le pilotage à l’animateur de la réunion qui a le loisir de tenir compte ou de répondre lorsque bon lui semble aux propos ou questions tenus dans le ‘chat’.

L’usage de ce mode d’expression est identique à celui à l’œuvre sur les réseaux sociaux. Une intervention d’une personne peut être suivie de réactions appréciatives de tiers sous forme d’émoticons, qui confèrent à toute prise d’expression un aspect référendaire. Ces règles du jeu peuvent avoir de quoi surprendre dans une configuration de communication comme celle d’un cours, où ni la parole de l’enseignant•e, ni celle d’éventuels autres intervenant•e•s, n’ont coutume à être ouvertement évaluées et appréciées.

Lorsque certain•e•s participant•e•s à un cours en viennent à dialoguer entre eux/elles à coup de messages via le ‘conversation’, le brouhaha parfois rencontré dans certains amphis physiques, peut aussi être remplacé par celui du ‘chat’…

La révolution amenée dans l’enseignement par la généralisation de l’enseignement en ligne n’a pas nécessairement été douce. Elle a, en tout cas, été profondément interpellante. Et, là comme ailleurs, rien ne sera sans doute demain plus jamais pareil. Et en tout cas pour celles et ceux qui, dans la ‘vieille’ génération des enseignant•e•s, croyaient jusqu’ici maîtriser les codes de ce type de communication…

Frédéric ANTOINE

04 mai 2020

Conférence de presse ou de stress?


A propos de la conférence de presse du CNS (Comité National de Sécurité belge) du 24/4/2020


A quoi sert une conférence de presse?

a) A communiquer à des journalistes un contenu complexe, impossible à réduire au texte d'un simple communiqué de presse, par exemple, afin que les journalistes se réapproprient ce contenu, le digèrent, le contextualisent, le vulgarisent, pour le transmettre ensuite à leurs usagers (lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes…).
b) A permettre aux journalistes, porteurs des interrogations de leurs usagers, de poser en leur nom des questions aux organisateurs, questions à la fois de compréhension, de précision, de contextualisation, mais aussi de contradiction, voire de controverse.
La conférence de presse relève d'une communication à deux niveaux, le journaliste-médiateur se situant au niveau médian du processus.
Un journaliste ne peut être le 'médiateur' de la communication d'organisateurs d'une conférence de presse que s'il en a lui-même saisi et compris tous les éléments.
Dans la panoplie des sources journalistiques, une conférence de presse est la (ou une des) matière(s) première(s) d'une production journalistique.

A qui s'adresse une conférence de presse?

Aux journalistes. A ceux qui vont relayer son contenu en se le réappropriant, contextualisant, nuançant, voire parfois en le contestant.

Que n'est pas (en général) une conférence de presse?

Un contenu clé sur porte transmissible en l'état aux destinataires finaux de la chaîne de l'information (lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes…).

A qui ne s'adresse pas une conférence de presse?


Au 'grand public' qui ne dispose ni des outils, ni du background, ni des éléments de contexte, lui permettant non seulement à terme de se réapproprier seul ce contenu présenté, mais surtout de l'assimiler en temps réel.

Quel est le virus qui tue actuellement les conférences de presse?

L'obsession de l'immédiateté, qui vise à réduire à néant l'intervalle de temps entre la collecte d'une information et sa transmission à son destinataire final. C'est-à-dire le rêve de supprimer le rôle de médiation du journaliste. Ce virus a été inoculé par les chaînes 'all news' (CNN en premier lieu) qui ont entrepris de retransmettre en temps réel (le fameux 'direct live') des points presse et des conférences de presse destinés précédemment à n'être accessibles qu'aux instances de médiation que sont les journalistes. Cette réduction de l'écart temporel est ensuite devenu une pratique courante, voire obligatoire, suite au culte de la banalisation du vécu en temps réel exercé par les réseaux sociaux.

A qui a été transmis le virus?

A tous les médias d'information qui n'envisagent plus d'instaurer un quelconque délai entre le moment où survient l'expression d'une information (notamment en conférence de presse) et sa communication à son audience. D'où la retransmission en temps réel, sans filtre, et parfois même sans traduction simultanée.
Mais le virus a aussi été transmis aux organisateurs de conférence de presse qui confondent désormais communication à des médiateurs professionnels et communication directe avec le grand public. Et qui offrent aux médias les moyens techniques de captation leur permettant de se passer de la médiation journalistique. Et leur garantissant ainsi un accès direct à l'audience, comme s'ils s'y adressaient directement. Alors que les codes utilisés restent ceux d'une conférence der presse.
On met ainsi sur le même pied 'information pour la presse' et 'communication à la Nation'. Ce qui n'a rien à voir.
La préoccupation des responsables de conférence de presse de les organiser 'à l'heure des JT', ou à l'heure d'émissions spéciales de prime-time conforte la banalisation de cette confusion, voire la rend inévitable.

Un commentaire?

On peut ajouter à cela que, même si la conférence de presse est destinée à des 'professionnels' et des 'médiateurs' patentés, les principes de base d'une bonne transmission de message y sont les mêmes que pour toute communication. Il s'agit de véhiculer un message clair, et donc le moins ambigu possible.
Ainsi, par exemple, tout utilisateur du powerpoint sait que le rôle de pareille projection n'est pas d'apporter une information autre que celle qui est au même moment présentée oralement. Au contraire, le powerpoint doit être en partie au moins redondant par rapport au contenu exprimé oralement, et il doit venir renforcer le oral, et non le perturber.
Assimiler des contenus divergents, voire dissonants, présentés en parallèle, et dans une mise en forme peu discernable, ne peut qu'entraîner confusion et incompréhension.
Si, de plus, trois images différentes convoquent en même temps le cerveau de l'audience, de gros doutes peuvent être exprimés quant à l'efficacité de l'exercice de communication…






Frédéric ANTOINE

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