User-agent: Mediapartners-Google Disallow: User-agent: * Disallow: /search Allow: / Sitemap: https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/sitemap.xml

Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

16 février 2023

SudInfo rétrécit : parce qu'il croit à l'avenir de la presse ?

 
Le 15 février, les versions papier des titres de SudInfo ont fondu au lavage. Pourquoi s'attacher ainsi au papier ? Et est-ce que ça change quelque chose, dans ce monde numérisé ?

Passer du format berlinois au demi-berlinois correspond à diviser la surface du journal par deux. Une page en berlinois fait 44 cm de haut sur 29 de large. En demi-berlinois, on est plutôt à du 21 x 29. On glisse donc de ± 1200 cm2 à ± 600. Une réduction qui s'opère essentiellement sur la hauteur de la page.

En Belgique francophone, seuls les titres de Rossel (L' Écho y compris)  aiment le format berlinois. Chez IPM, La DH et La Libre sont en tabloïd (33 x 23). L'Avenir, lors de son arrivée à l'imprimerie de Rossel, avait dû choisir le demi-berlinois. Metro s'y est aussi mis. SudInfo se glissant dans le même créneau que le journal namurois, il paraissait normal que ses titres finissent par passer au demi-berlinois, moins coûteux en papier que le berlinois.

Certains s'étonnent qu'un groupe de presse se préoccupe encore du futur de son édition papier, la consultation de l'info en ligne semblant aujourd'hui être devenue le seul mode d'appropriation des nouvelles, que ce soit via les sites des entreprises de presse ou, pour les plus jeunes, uniquement via les réseaux sociaux.

PASSER À LA CAISSE

Il est vrai, et on l'a souvent écrit sur ce blog, que depuis 2020, la commercialisation des journaux en ligne est devenue un vrai challenge, pour les titres, et certains ont réussi à bien monétiser leurs contenus dans des abonnements numériques. Sauf que la manne des ventes en ligne ne bénéficie pas à tous.  À l'instar de ce qui se passe ailleurs dans le monde, l'abonnement digital sourit surtout aux titres de qualité, ainsi qu'à la presse spécialisée. Les médias locaux et populaires réussissent moins bien à persuader leurs lecteurs de passer à la caisse.

Ainsi, selon les derniers chiffres disponibles, une part appréciable des acheteurs de SudInfo et de L'Avenir continuent à préférer le papier à l'achat numérique. En 2021, 87% des ventes de L'Avenir étaient toujours en format papier, et 78% des ventes des titres de ce qui s'appelle désormais SudInfo. Pourtant, en tout cas pour les titres de Rossel, ce n'est pas faute de ne pas avoir cherché à hameçonner l'abonné potentiel par tous les moyens au tournant des années 2020.  À ce moment-là, le pourcentage d'abonnés numérique avait cru. Mais, comme on l'observe pour d'autres titres, il semble que, de ce côté, on est arrivé sinon à un plafond, au moins à un palier. On disposera bientôt du "CIM Press Brand Report 2023", désormais la seule source d'info disponible sur la diffusion de la presse. On pourra alors vérifier si les tendances perçues jusqu'à 2021 se confirment.

LE PAPIER CHOUCHOU

Quoi qu'il en soit, face à de telles données, on comprend que les entreprises de presse continuent à choyer leurs acheteurs de papier ! Même si, au total, on leur en vend en quantité moins que par le passé, et pour un prix plutôt élevé.

(€, chiffres arrondis), 

(prix par mois)

Accès web

Accès web 

+ replica

Accès web 

+ replica 

+ journal papier à domicile

L’avenir

7,25

14,5

36

SudInfo

6

11

36

Différence

+1,25 

(L’avenir)

+3,5

(L’avenir)

0

Dans cette compétition, SudInfo se montre toujours moins cher que L'Avenir… sauf pour le prix de l'abonnement "full", qui est identique dans les deux offres. Ce qui interroge: pourquoi ne pas être en compétition aussi sur l'offre comprenant la livraison du journal papier ? 

Cette petite comparaison révèle aussi que les entreprises concernées estiment le prix de vente (en abonnement) de leur journal papier à ± 1,5 €/jour. Alors qu'en achat au numéro, le journal coûte 2€. Le prix de la production d'info en ligne représente 6-7€, et le prix propre de la production de l'exemplaire prototype du journal, avant sa production physique, à 5-7€. Pour l'abonné, le surprix lié à la production et à l'acheminement du journal papier se situe à 21-22€/mois. Soit près de 0,9€/jour.

ALLÉCHER ET CLARIFIER

Changer de format implique évidemment aussi de revoir la mise en page. Cette opération de rénovation s'avère d'autant plus importante si le titre compte une quantité appréciable de ventes au numéro en kiosque (chez le marchand de journaux). Ce type de vente est en décroissance constante depuis une bonne quinzaine d'années, notamment suite à la disparition de nombreux points de vente, mais aussi à cause des changements de comportement des lecteurs… et des éditeurs eux-mêmes.

Les entreprises ont en effet milité pour se voir réduire la vente au numéro, génératrice de coûts supplémentaires et d'éléments imprévisibles. Toutefois, ces ventes subsistent et nécessitent chaque jour de trouver le moyen d'alpaguer le lecteur occasionnel ou d'éviter de perdre le lecteur fidèle. Cette difficulté n'est que peu impactante pour L'avenir qui, en 2021, ne réalisait en kiosque que 10% de ses ventes print. Par contre, à la même époque, Sudpresse était toujours dépendant à 30% de ses ventes au numéro dans les librairies.

Cela explique l'attention que ce groupe de titres porte aux contenus de sa Une, qui doit être alléchante. Comme le montre l'illustration ci-dessous, un travail incontestable a été réalisé de ce côté, avec un recentrement du positionnement du titre.

SudPresse avait l'habitude de fréquemment modifier sa Une, notamment pour son titre de manchette, voyageant du côté droit au côté gauche de la page. Mais, pour le reste, la mise en page s'était maintenue ces dernières années dans un profil de Une de type "mosaïque vitrine", comprenant un nombre d'infos et d'accroches important. 

Une grosse révolution s'était manifestée l'an dernier, lorsque le groupe avait choisi d'insérer un édito sur la première page, ce qui est contraire au principe de la Une vitrine et rapprochait le titre populaire du journal Le Soir, dont une des spécificités est d'afficher un édito en première page. L'insert de cette originalité n'a sans doute pas séduit, car elle disparaît de la nouvelle Une 2023, évidemment plus petite et donc moins propice à la publication de textes. L'édito en Une apportait une touche de "sérieux" aux titres de SudInfo, et manifestait la volonté d'exprimer des avis, et d'inciter à l'échange…

La Une 2023 fait le choix de la clarté, avec une manchette incontestable qui occupe tout le haut de la page. On peut considérer que l'info verticale à droite en bas de page est sa "contre-manchette", dans la mesure où, lorsque le titre principal d'une édition n'est pas identique à celui des autres éditions, cette manchette-là se retrouve en "contre-manchette". Mais, comme on le voit ci-dessous, cette situation est rare.

Le jour de l'analyse, 8 des 11 éditions possédaient la même manchette, ce qui pourrait laisser penser que la politique choisie est de mettre en tête de page un "fait divers" général, les variations de titraille, avec coloration locale, concernant plutôt les petits titres. Une comparaison avec les éditions de la veille relativise cette impression : le 15/2, 6 des 11 éditions "seulement" affichaient la même manchette. Il semble que, lorsqu'un titre régional se distingue particulièrement, il accède à la manchette de cette édition, l'info générale qui occupe la manchette ailleurs étant reléguée dans ce que nous avons qualifié de "contre-manchette". 

L'observation des Unes du jour de l'analyse relève aussi que, davantage que la manchette et son illustration, qui ne sont pas présentes dans toutes les éditions, une seule illu (et son titre) se retrouvent dans chacune d'entre elles : la photo d'une jeune femme en bikini sur une plage et son titre, Miss Belgique, véritable star sur TikTok. Comme quoi, on ne se refait pas…

Pas plus qu'on ne se refait pas dans les choix de sujets : faits divers, justice, sports et faits de société.

NI UNE, NI DEUX…
 

Comment apprécier cette nouvelle vis-à-vis de celle de L'avenir, qui s'adresse d'abord à ses abonnés, sinon en notant que rien, ou presque, ne les rassemble. Élément commun : la manchette, qui occupe le haut de page de SudInfo et la partie inférieure de la page à L'avenir. Dès le nombre d'infos, les titres diffèrent : SudInfo en propose 5, dont un dans une oreille (en haut à gauche), L'avenir en présente six, dont une en insert à droite du titre du journal. Le registre des infos choisies distingue évidemment les deux titres, de même que le choix des illustrations. 

Au total, la Une de SudInfo paraît plus ouverte, aérée, que celle de L'avenir, qui donne une impression de "renfermé", de "non liberté", suite à la présence de "capsules" (cadres qui entourent les infos) qui isolent chaque info, l'enferment dans son encadré, et multiplient les traits noirs aux quatre coins de la page.

Peut-être dira-t-on que tout cela est un hasard, car les deux titres ne visent pas le même public, ou le même type de public ? En partie c'est sans doute vrai. Mais ils sont en tout cas de plus en plus en concurrence sur les mêmes terrains.

On dira peut-être aussi que tout cela est sans intérêt dans un monde où on ne lit plus le journal. On aura montré ici que la place du papier n'est pas si anecdotique que cela. Mais, surtout, cela démontre que la notion même d'édition n'est pas en train de se dissoudre dans les torrents d'infos qui déferlent via les fils info et les réseaux. Oui, éditer les nouvelles, cela existe toujours. Et le plus étonnant est que c'est toujours ce que recherchent celles et ceux qui s'abonnent en numérique. Ce n'est pas tant avoir accès à l'info qui les motive que de pouvoir lire le journal en ligne comme s'ils l'avaient en main. 

Si l'édition n'est pas morte, le journalisme non plus n'est pas sur le point de passer le clavier à gauche.


Frédéric ANTOINE.

 

 



 

 

 

13 février 2023

Journée mondiale de la radio : vraiment la fête pour le DAB+ ?


13 février : depuis 2001, cette date a été baptisée par l'UNESCO “Journée mondiale de la radio”. Ce qui est, parfois, synonyme de “Journée mondiale du DAB+”. Celui-ci devait terrasser la FM. Mais les données qu'on nous avance sont-elles incontestables?
 
Depuis cinq ans, le consortium Maradio.be publie pour la Journée de la radio quelques-uns des résultats d'un sondage commandé à l'IPSOS. Celui-ci tente notamment de cerner la notoriété des plateformes numériques de réception de la radio et de déterminer l'évolution de l'auditoire du média sur ces plateformes.
 
Chaque année, les données communiquées sont accompagnées de commentaires élogieux à propos de la conquête de terrain de la réception numérique par rapport à l'analogique, et en particulier la FM. Maradio.be n'est pas par hasard l'organe destiné à promotionner la consommation digitale du média, et (surtout?) à favoriser son écoute sur DAB+, vu les coûts liés au développement de ce mode de diffusion hertzien. 
Cette année, la presse s'est fait grandement (et parfois un peu complaisamment) l'écho des déclarations de victoire de Maradio.be. Il semble en ressortir que les jours de la FM sont définitivement comptés.
 
L'ART D'ACCOMMODER LES CHIFFRES 
 
Il peut toutefois être utile de nuancer quelque peu le poids de ces fameux chiffres qui plaisent tant aux médias.
 
Le sondage en question est réalisé depuis cinq ans. Les résultats qui en sont donnés ont, entre autres, comme but de démontrer la conquête de terrain du DAB+ sur la FM en comparant les chiffres déclaratifs recueillis. 
Un des arguments développés cette année est la baisse vertigineuse de l'usage de la FM depuis 2018. Or, il apparaît à l'étude que la base des résultats utilisés varie avec le temps. Si l'on se réfère aux premières années où les chiffres ont été communiqués, ceux-ci comptabilisent l'écoute FM à 80% de "parts de marché" (intitulé devenu récemment "volume d'écoute") - voir copie ci-dessous. Or, dans les comparaisons réalisées actuellement, ce volume est de 82%. Ce qui permet de montrer une victoire plus écrasante qu'avec les autres données…
De la même manière, les présentations antérieures mentionnent, pour les années 2018-2019, une écoute de la radio via la câblodiffusion. Cette notion n'est plus prise en compte dans la dernière communication des résultats. Enfin, chose plus étrange encore, la répartition de l'audience via les différents modes de réception n'a pas toujours atteint les 100%. Cela a été le cas en 1998. Cette année, au contraire, le total dépasse les 100%. On expliquera sans doute cela par des arrondis de décimales. Mais au profit de quel support ?
Les dernières communications affirment que "le numérique est en plein boom", et que cela met "la FM sous pression". Que, dans les réponses au sondage, le déclaratif sur l'audience en FM soit en baisse est une évidence. Mais quid des supports numériques ?

Si les premiers sondages affirmaient leur décollage, peut-on considérer que, ces toutes dernières années, celui-ci se soit confirmé avec force? Les pentes des courbes du numérique, et du du DAB+, particulièrement, tendent à plutôt de stabiliser.
Ainsi, entre 2021 et 2022, le déclaratif sur l'usage des plateformes a fait baisser l'emploi de la FM de 4%, mais n'a fait croître celui du DAB+ que de 1%. C'est la "radio IP" qui entraîne une hausse significative de l'écoute numérique (+3%). En pourcentages, la baisse de l'écoute FM en 2002
par rapport à 2021 est d'un peu plus de 6%, tandis que la hausse de consommation de la radio DAB+ par rapport à l'année précédente est de 5%, celle via la télévision  de 17% et l'écoute IP de 23%, !
 
Selon ces données, la diminution de l'écoute en FM est manifeste. Quant à son remplaçant hertzien, on ne peut dire que, sur ce court terme de l'après-covid, il a cru son usage de manière significative.

Restons de bon compte. Si l'on met de côté les années covid (2020-2021), la hausse de la consommation de la radio par DAB+ est remarquable. Mais ce mode de réception venait de très loin (voir premier tableau ci-dessus)…

MAIS QUAND MÊME…
 
Le DAB+ est-il en train de supplanter la radio FM ? Pas sûr quand on voit que, selon les déclarations faites lors de l'enquête IPSOS, près de 60% des "gens" consomment toujours de la radio en fréquence modulée, contre seulement 20% via son remplaçant hertzien, le DAB+. Ce n'est qu'en associant DAB+ et radio IP que les parts "numériques" atteignent un peu plus du tiers du marché de l'écoute radio.
 
Il serait à ce propos intéressant de savoir ce que les répondants à l'enquête ont mis derrière la référence à l'usage d'internet. Est-on exactement dans une écoute de radios-IP en streaming, ou certaines personnes ont-elles plutôt pensé à une écoute non-linéaire, voire à de la consommation de podcasts, radiophoniques ?
 
Comme ce sondage n'est pas accompagné d'une notice technique explicitant la méthodologie utilisée, le public ne dispose pas clairement d'éléments d'appréciation.
 
EN MARCHE, L'ERREUR ?
 
Cette enquête étant annuelle, et inspirant des comparaisons et des lectures longitudinales de ses résultats, on peut supposer qu'elle recourt toujours à la même méthodologie, dont quelques rares éléments ont été révélés il y a quelques années. Mais ceux-ci ne permettent par exemple pas de comprendre comment ce "volume d'écoute" (précédemment appelé "parts de marché") a été mesuré. Il semble qu'on interroge le sondé sur son écoute la veille de son questionnement. Que se passe-t-il si celui-ci a recouru à des supports de types différents ? Comment procède-t-on à une pondération ? Le temps consacré à l'écoute selon chaque modèle est-il pris en compte et pondéré ?
 
Et puis, il ne faut  jamais oublier que les résultats communiqués sont ceux d'un sondage. Ce n'est pas un relevé systématique réalisé auprès de l'ensemble de la population, ni une étude recourant aux mêmes méthodes que celles classiquement utilisées pour mesurer l'écoute de la radio. Selon les données disponibles par le passé, le sondage est mené sur 1500 Belges francophones, sans doute par la méthode des quotas, la plus aisée, mais pas nécessairement la plus exactement représentative (1).
 
Et enfin, sinon surtout, on ne doit jamais perdre de vue qu'un sondage de ce type doit se lire en tenant compte de la marge d'erreur statistique liée à la mesure de l'écart potentiel entre les réponses recueillies au sein de l'échantillon et celles de l'ensemble de la population. La notice technique du sondage doit la présenter de manière précise. En l'absence de ce renseignement, il nous faut estimer le volume de la population belge francophone, puisqu'il n'existe plus de chiffre officiel à ce propos depuis la suppression du volet linguistique dans le recensement de la population, en 1963. Nous ne nous fierons pas aux data de la Francophonie, qui vient d'annoncer fièrement que les Belges francophones représentent 76% de la population du pays (!) (2). En associant population wallonne et 3/4 de la population bruxelloise, on arrive à ± 4.500.000 personnes.

Selon les lois statistiques de mesure d'intervalle de confiance, si l'on a une telle population au départ, et qu'on enquête sur un échantillon de 1.500 personnes,
avec un niveau de confiance de 95%, on obtient une marge d'erreur de ± 3% (ce genre de calcul se fait gratuitement en ligne (3) -). Nous écrivons bien "±", ce que l'on omet souvent de mentionner. Cela signifie que, lorsque deux résultats se situent dans un intervalle plus petit ou égal à 3%, il est impossible de déterminer avec certitude lequel prime sur l'autre.
Dans le cas qui nous intéresse, il est par exemple en définitive impossible de dire si, en 2022, la part d'usage du DAB+ est vraiment supérieure à celle de la radio sur internet. Tout comme, au terme d'une comparaison entre années, il est impossible de définir dans quel sens est la tendance (hausse ou baisse) quand les résultats ne sont que de quelques %. 

Ce qui est juste certain, ce sont les tendances fortes. Au fil du temps "les gens" disent qu'ils écoutent moins la radio via des récepteurs FM, et une (relativement petite) partie de la population a aujourd'hui recours au numérique pour écouter la radio. Mais comparer l'évolution année après année n'est pas réaliste, les changements étant souvent très faibles. 
Tout cela à supposer que, dans le cadre de ce sondage comme de tant d'autres, le déclaratif recueilli soit sincère et véridique. Mais qui en douterait ?

Frédéric ANTOINE.



(1) Voir par exemple l'intéressant avis de Catherine Vandermandele dans cet article : https://bx1.be/categories/news/sondages-etudes-enquetes-de-limportance-de-mettre-les-chiffres-en-perspective/
Voir aussi l'excellent Vademecum Sondages réalisé à propos des sondages politiques par mon collègue Pierre Baudewijns, à la demande du CSA (https://www.csa.be/document/vade-mecum-sondages-et-autres-pratiques-de-consultation-du-public/)
 
 







30 janvier 2023

Un seul géant audiovisuel privé par pays en Europe : le rêve a fait long feu


Le RTL Group et la société Talpa, qui entendaient fusionner leurs activités aux Pays-Bas pour y créer un géant de l'audiovisuel privé, viennent d'y renoncer. Comme en France, les instances de contrôle de la concurrence y ont mis le holà. Adieu l'idée des grands quasi-monopoles nationaux pour contrer les GAFAM…

Le communiqué est tombé ce lundi matin à 08h00 (1) :"L'autorité néerlandaise de la concurrence ACM a informé le RTL Group et Talpa Network que l'autorité n'approuverait pas le projet de fusion de RTL Nederland et Talpa Network, initialement annoncé le 22 juin 2021." 

Aux Pays-Bas comme en France, en Allemagne ou en Belgique (francophone) notamment, c'est-à-dire là où il était historiquement implanté de longue date, le RTL Group avait sonné la fin de la récréation au milieu de la crise du covid. Il estimait qu'on ne pouvait lutter en ordre dispersé contre les hordes des plateformes (GAFAM et Cie) qui risquaient de dominer les marchés européens en tuant les opérateurs audiovisuels des pays d'Europe, petits Poucet face à ces ogres mondiaux. 

Charité bien ordonnée, le RTL Group voulait surtout se créer pour lui-même une forteresse imprenable sur le marché allemand. Pour cela, il lui fallait d'abord des moyens plus élevés que ceux dont il disposait à travers ses filiales dispersées en Europe, et pas toujours très rentables.

PLAN MACHIAVÉLIQUE

Ainsi est née la valse des mises en vente de ces avoirs, notamment en France, en Belgique francophone, aux Pays-Bas, en Croatie… avec des fortunes pas toujours aussi heureuses que celles souhaitées par le (déjà) géant allemand. Dans tous ces marchés, le RTL Group a finalement trouvé des amateurs qui, non seulement devaient le libérer du poids des ces avoirs historiques et bien remplir ses coffres-forts, mais qui mettaient aussi eux-mêmes en œuvre son plan de création de châteaux forts nationaux, hérissés de murailles, de tours et de mâchicoulis, pour tenir tête aux envahisseurs mondiaux.

TF1 annonçait son rachat de M6, le groupe CME celui de RTL Croatie, et le consortium Rossel-DPG Media de RTL Belgium. Au même moment, le groupe RTL renforçait au contraire sa présence en Hongrie, où l'opérateur éponyme, précédemment appelé RTL Klub, dominait déjà le marché. La forteresse se bâtissait ainsi autour du groupe lui-même. Au Luxembourg, RTL était déjà le maître historique. Les remparts de la place étaient donc déjà érigés. Aux Pays-Bas, enfin, le RTL Group n'avait pas choisi de vendre ses actifs, mais d'être, là aussi, lui-même, la pierre d'angle de l'opérateur quasimonopolistique de l'audiovisuel national privé, marché où il occupe une large place depuis la fin des années 1990. Pour cela, il lui suffisait de racheter son concurrent Talpa. Seule l'Espagne semble (sauf erreur ou omission) avoir épargné aux velléités du groupe allemand de bâtir des châteaux audiovisuels fortifiés partout où il est présent. Mais il faut dire que, dans la société hispanique Atressmedia, qui possède notamment la chaîne Antena 3, le RTL Group n'occupe qu'une place fort minoritaire face à Planeta De Agostini.

Hormis dans le cas espagnol, si son plan réussissait, la RTL Group parvenait ainsi à remplacer, sur de nombreux marchés, la diversité des opérateurs par une situation de quasi-monople, qui permettait aux nouvelles sociétés fusionnées de truster à elles seules la presque totalité du marché publicitaire de la télévision. Le RTL Group s'avérerait ainsi pour toujours l'incitateur des quasi-monopoles économiques des médias télévisuels privés en position de se défendre face aux plateformes. Que ce monopole lui appartienne, ou qu'il découle de la vente de ses actifs dans un pays. Et tout le monde croyait partout les choses faites…

COUPS DE THÉÂTRE 

… Jusqu'à ce que, en France, TF1 jette le gant face aux exigences des autorités de contrôle de la concurrence, qui estimaient qu'il était tout de même un petit peu fort de café de voir TF1, déjà leader sur le marché, tout simplement absorber celui qui lui faisait de l'ombre. Ces derniers jours, leurs collègues bataves ont dit la même chose à propos de l'aspiration de Talpa par le RTL Group, alors que l'opérateur allemand avait déjà un fameux pied sur le marché hollandais de la tv privée.

Ces opérations-là ont donc été un échec, et le RTL Group a dû reprendre ses billes françaises et néerlandaises, laissant le marché en l'état. En finale, il confirme être un géant transnational européen des médias, mais sur certains marchés, en concurrence avec d'autres opérateurs. Sur d'autres, il a lui-même organisé un quasi-monopole autour de ses avoirs.

Comme d'habitude, la Belgique francophone est restée  à l'écart de ces événements récents, puisque le rachat de RTL Belgium par le tandem DPG-Rossel a, lui, reçu la bénédiction de l'autorité belge de la concurrence. Il paraît que, chez nous, cela ne cause pas "une entrave significative" à la concurrence… En  Belgique, pas de souci ! Ouf ! (2)

TORT D'AVOIR RAISON ? OU MENACE ?

Même battu, le RTL Group affirme toujours qu'il avait raison, regrettant que l'instance de contrôle des Pays-Bas "n'aie pas pris en compte la rapidité et l'ampleur des changements dans le paysage médiatique néerlandais et de l'impact de ces changements sur les entreprises de médias locales." Avec Talpa, il continue ainsi "de croire fermement qu'une fusion de RTL Nederland et de Talpa Network aurait été la bonne réponse stratégique aux défis résultant de la concurrence accrue avec les plateformes internationales."

Le RTL Group a-t-il vraiment eu tort d'avoir raison trop tôt? Ou le maintien d'une concurrence loyale entre acteurs sur un marché est-il la garantie que, à terme, aucune dérive autocratique ne pourra y survenir? Certes, les décisions des organes de contrôle de la concurrence ont été de nature purement économique et financière. Mais ne sont-elles pas, in fine, particulièrement politiques? Même si, entretemps, les ogres des plateformes mondiales grignotent peu à peu le gâteau que, jadis, seuls les groupes européens (et les privés, dont RTL) se disputaient entre eux…

Frédéric ANTOINE.

----

(photo de château dans l'illustration: c.c. https://www.flickr.com/photos/158652122@N02/39968064392/- Le RTL Group s'est retiré du marché britannique en 2010 en vendant les parts détenues dans Channel 5)


(1) https://media.rtl.com/meldung/No-approval-expected-for-the-proposed-merger-of-RTL-Nederland-and-Talpa-Network/?__locale=en
(2)  "L'Autorité belge de la concurrence a approuvé, à une condition près, la vente de RTL Belgium à Rossel et DPG Media, estimant que la concentration n'impliquerait pas "une entrave significative" à une concurrence effective sur les marchés." https://www.lecho.be/tech-media/divertissement/feu-vert-pour-la-vente-de-rtl-belgium-a-rossel-et-dpg-media/10377164.html

 


23 janvier 2023

Pourquoi les médias audiovisuels linéaires sont-ils de plus en plus vidés de leurs contenus ?


"Tout pour plateformes, les les miettes pour l'antenne". Comme l'ont encore démontré récemment l'
interview de la reine Mathilde sur TVi ou le sort de Jardins et Loisirs sur La Une, les opérateurs audiovisuels semblent avoir renoncé à chouchouter leurs médias traditionnels. Sont-ils en train de préparer le suicide de la télévision linéaire ?

Le grand Netwolf et ses amis amis Amaz, Dis et Cie leur font-ils tellement peur qu'ils en perdent leur raison d'être ? Les opérateurs de médias audiovisuels ont les yeux de Chimène pour tout ce qui est en ligne et relève de la constitution de bibliothèques de contenus dans lesquelles les internautes viennent, quand ça leur chante, consommer ce qui leur chante . Et ils semblent de plus en plus dégoutés par tout ce qui était jusqu'à présent leur core business : la diffusion en temps réel sur des canaux de télévision et de radio  de programmes organisés au sein d'une grille conçue en fonction des habitus socio-démographiques de leur audience.

Ces derniers jours sont apparus de nouveaux cas de ce qu'on pourrait juger comme un dédain vis-à-vis de la diffusion en linéaire au profit d'une mise en boîte sur des services en ligne. Au risque de vider encore un peu plus la diffusion linéaire de son attractivité.

GLISSEMENT DES PLAISIRS

Depuis qu'ils ont perçu que, pour une partie de l'audience, la libre consommation de contenus audiovisuels était devenue bien plus tentante que leur vision (ou leur écoute) sur rendez-vous  à une heure déterminée, les opérateurs audiovisuels traditionnels ont fait le choix de s'immiscer tant que possible dans ce nouveau modèle. Gouverner étant synonyme de prévoir, il leur fallait eux aussi entrer dans une danse à laquelle ils n'étaient pas préparés.

Ils ont donc emboîté le pas à tous les nouveaux acteurs du secteur, en commençant par proposer, sur leurs propres plateformes, les contenus qui avaient été diffusés sur leur antenne. Normal : cela leur donnait une seconde vie. Mais c'était évident faire pauvrement amende honorable aux nouvelles pratiques d'une (petite) partie de l'auditoire. Les opérateurs se sont alors mis à gérer leurs produits de stock de la même manière que les propriétaires de plateformes mondiales qui, eux, ne diffusent pas en linéaire. De petites, puis des grandes séries prévues pour être proposées sur les chaînes tv se sont retrouvées en ligne bien avant d'être proposées à l'antenne. Ensuite, des blockbusters théoriquement destinés à booster l'audience des chaînes ont suivi le même sort.

Certaines chaînes, comme Arte, ont administré le même traitement à des documentaires, voire à certains de leurs magazines, mis en ligne avant l'heure H de leur diffusion sur « l'antenne ». 

Sur les radios généralistes, un procédé identique s'est développé suite à l'explosion de la mode des podcasts. Depuis longtemps, des stations comme Europe 1 préproposent  ainsi en ligne, dès l'aube, des émissions destinées jusque là à être d'abord diffusées par voie hertzienne au cours de la journée.

Mais bon, tout cela ne concernait toujours qu'un même contenu, désormais un peu défraîchi lorsqu'on lui trouvait une place dans une grille de diffusion.

RELÉGATION EN LIGNE

La nouvelle étape de ce processus qu'on pourrait juger un peu suicidaire pour les médias linéaires est en train d'arriver. Elle s'inspire des techniques à l'œuvre depuis quelques années dans les entreprises de presse, où on ne se soucie plus d'accorder une primauté de l'info à l'édition papier (voire même à l'édition de l'info tout court), mais à la livraison de la nouvelle en "mobile first", puis sur les applis et enfin le site web.

Considérant sans doute que les chaînes tv ou radio, avec les grilles et leurs rendez-vous, sont en train de devenir obsolètes, les éditeurs de contenus audiovisuels produisent maintenant d'abord, voire uniquement, pour la mise en ligne.

Début 2023, on a de la sorte appris que la diffusion linéaire du programme de jardinage de la RTBF Jardins et Loisirs (1) passait à la trappe. L'« émission » (si on peut encore parler d'une quelconque émission) n'est plus accessible que sur Auvio. Supposant que bon nombre des spectateurs de ce programme doivent être nés avant les millennials (1980-1990), on imagine l'aisance avec laquelle ils vont switcher de leur grand écran 4K à leur tablette ou leur smartphone pour regarder en couple (ou en famille…) les conseils de Luc Noël.

L'opération relève d'une subtile stratégie : on ne supprime pas le programme, qui répond au cahier des charges de l'opérateur public. Mais on le met dans un placard doré qui lui permet de ne plus occuper l'antenne. Chronique d'une mort annoncée ? Ou une déclinaison du Mystère de la chambre jaune

Depuis septembre dernier, le même sort frappe la tranche matinale de Ouftivi, la chaîne tv pour enfants qui occupe le même créneau linéaire que La Trois. Suite à la volonté de l'opération de diffuser sur La Trois l'émission radio de début de journée Matin Première, les programmes pour enfants ont été privés de diffusion linéaire, les très jeunes spectateurs étant renvoyés sur Auvio. Un bon moyen  pour les dissuader (si besoin était) de regarder une chaîne de télévision 'classique'…

LE MEILLEUR SUR LA PLATEFORME?

Chez RTL Belgium, on a réussi un beau coup en obtenant une interview de la reine Mathilde à l'occasion de ses cinquante ans. Alors qu'une reine, d'ordinaire, cela ne se confie pas aux médias. Une aubaine que cette exclusivité pour un opérateur qui a relégué aux oubliettes l'emblématique programme Place Royale et ceux qui le réalisaient et le produisaient (1). Une sorte de petit camouflet, aussi, pour l'opérateur public, que tous les Belges financent, mais qui n'a pas eu droit à cette royale faveur.

En vertu de tout cela, on imagine que l'interview en question a été choyée, pouponnée, mise en avant autant que faire se peut… Elle a eu de la promo, certes. Mais l'interview,  menée avec sensibilité par la journaliste Alix Battard, n'a pas duré très longtemps lors de sa diffusion sur RTL TVI le 20 janvier. On était même étonné qu'elle soit déjà finie au moment où la reine a reçu de la journaliste des bâtons de marche en cadeau. Mais c'était bien la fin. Car, pour tout voir et tout entendre des confidences royales, on a été renvoyé sur… RTL Play. La reine n'a pas confié tous ses secrets aux amoureux de la monarchie lors de la diffusion linéaire. Ce qui comptait pour l'opérateur audiovisuel était de pousser le spectateur à voir ou revoir l'émission en extended play sur la plateforme de la chaîne. De quoi sûrement tenter les admirateurs de la famille royale, qui n'appartiennent pas tous à la génération Z…

LA FIN DES FRISSONS

En radio, la diffusion linéaire (en FM)  paraît de plus en plus destinée à reproposer des contenus d'abord créés pour être proposés comme des podcasts. Le phénomène touche de plus en plus de programmes de stock, conçus et  ± promotionnés comme tels, et pour lesquels l'inscription dans la grille horaire d'une chaîne donne l'impression de ne plus être que complémentaire. Sur La Première (RTBF), par exemple, certains de ces podcasts mis à l'antenne sont  ainsi diffusés à des heures connues pour ne rassembler qu'un très faible nombre de téléspectateurs. Ils sont même diffusés parfois plusieurs fois, comme si l'on recourait à eux pour simplement "remplir" l'antenne…

À force de banalisation, pareilles pratiques contribuent à vider la diffusion linéaire de l'attrait de programmes renommés, qui justifiaient que l'auditeur prenne rendez-vous avec la chaîne pour les écouter ou les voir. Petit à petit va s'estomper le réflexe de "Ah, il est l'heure de…", déjà effrité en télévision par toutes les opportunités de vision légèrement ou très différée que proposent les opérateurs télécoms comme VOO ou Proximus. 

Radio et télévision sont ainsi en train de perdre ce qui constituait leur âme: le direct. Avec le frisson et le sentiment d'appartenir à une communauté d'audience que ce mode instantané de transmission a permis depuis le début de la diffusion hertzienne.

 Frédéric ANTOINE.

(1) https://www.rtbf.be/article/jardins-loisirs-quitte-la-une-et-vous-donne-rendez-vous-en-ligne-11123427
(2) Qui ont tout de même été appelés à la rescousse pour dresser le portrait de la souveraine avant son interview…

 


19 janvier 2023

P.P. à la RTBF : faites ce que je dis, ou ce que je fais ?


Le placement de produit (PP) : une “bonne” ou une “mauvaise” chose sur l'audiovisuel public?
À la RTBF, cela fait semble-t-il débat, entre séquence du JT et pratiques dans les émissions. Mais c'est peut-être plus subtil que cela…

Mardi 17 janvier, une des séquences du JT de 19h30 de La Une (1) était consacrée au placement de produit (PP) dans les séries. Intitulée "Séries/trop de publicités déguisées", elle commençait par l'exemple de Emily in Paris, sur Netflix, où la jeune Américaine est poussée à visiter un fastfood américain dans la Ville Lumière. La séquence évoquait ensuite le passage de James Bond de la consommation du Bourbon Whisky à la bière, recourait à l'avis de plus expert·e·s et se terminait par des images fixes d'extraits de séries où des noms de marques apparaissaient clairement.

Message général de la séquence: vous ne le savez peut-être pas, mais on vous montre des noms de marque dans les fictions que vous regardez. Ce sont des publicités déguisées.

 MONTRER LE DOIGT…

Pas un mot, par contre, sur le placement de produit dans les émissions de la RTBF elle-même. Comme s'il s'agissait-là d'un autre sujet. Ou un sujet tabou. Alors que l'opérateur public ne se cache pas (et ne peut pas se cacher) de pratiquer de la sorte, puisque les lettres PP, en blanc dans un cercle noir, apparaissent clairement au début de certains programmes, parfois même accompagnées des noms des marques qui figureront dans l'émission. Ce qui permet au spectateur de jouer au petit jeu de retrouver où se cachent ces pubs déguisées.

Comme nous l'avons déjà écrit sur ce blog (2), dans un programme récent comme The Dancer, le PP est plus subtil  encore parce qu'on ne voit pas toujours le "produit" évoqué à l'image, sinon parfois furtivement (2), mais le nom de la marque apparaît clairement à certains moments accompagné d'un bref slogan, en bas de l'écran. Du PP new look. Si on parle de publicités déguisées, en voici des exemples, et des bons!

… REGARDER LA LUNE

Mais, dans la séquence du JT, rien de tout cela. Pas d'évocation de la situation en Belgique. Bien sûr, le sujet était limité aux séries, mais tout de même. Celui-ci n'a-t-il pas été élargi par crainte de "dénoncer" de “mauvaises” pratique? En fonction du titre de la séquence, qui parle de "publicités déguisées", cela pourrait s'imaginer. Mais, quand on résume le ton général de la séquence, cette analyse ne paraît pas correcte. 

En effet, la conclusion énoncée à la fin de la séquence n'est pas de l'ordre de la dénonciation, mais de la bienveillance à l'égard du PP : « Le placement de produit, reflet de notre société, et stratégie payante pour les marques, et d'une certaine manière pour les spectateurs aussi. Une chose est sûre: la publicité n'en a certainement pas fini de s'incruster dans la question. »

PASSER  À LA CAISSE

On est loin d'une alerte contre les publicités déguisées. On se demande même, in fine, si le PP a quelque chose à voir avec la publicité, puisqu'il serait une "stratégie payante" pour le téléspectateur. 

Payante, alors que le but de la monstration d'une marque en PP à l'antenne est de pousser le spectateur à acquérir le produit montré, sans devoir l'en convaincre par un spot de 30 secondes, mais en le laissant simplement doucement s'identifier à la personnalité ou l'acteur qui utilise le produit. Et, comme lui, l'inciter à s'approprier la même marque… en l'achetant.

Très schématiquement, on ne dira jamais assez que l'intention finale d'une pub, comme du PP, c'est que le consommateur s'imprègne du produit commercial qu'on lui montre, et ensuite "passe à l'acte", c'est-à-dire achète le produit. Et, pour cela, se déleste d'une partie de ses avoirs monétaires au profit de l'instance propriétaire de la marque (et qui peut en être le producteur).

Bien sûr, lorsque des firmes achètent de l'espace PP dans une fiction ou un programme de télévision (comme dans un film), ils contribuent à son financement. Mais cet argent ne vient pas de la fortune personnelle du patron de la firme. Il existe suite aux recettes que l'entreprise a accumulées par la vente de ce produit-là (ou d'un autre). Et donc parce que des clients (c'est-à-dire des téléspectateurs) l'ont acheté.

C'est bien le téléspectateur qui, indirectement, finance la série, le film, le programme de télévision, voire l'opérateur audiovisuel lorsqu'il "passe à l'acte" après avoir été séduit par le produit dans une émission comprenant du PP, ou dans un spot pub.

PAS DE MAGIE

L'audiovisuel n'est pas par magie gratuit ou, dans les cas des plateformes, légèrement payant. Il ne peut l'être que parce qu'il se finance essentiellement par la promotion de marques et de produits dans ce qu'il diffuse (sauf s'il s'agit d'un opérateur public, financé en partie par l'Acteur Public, ou s'il impose à ses usagers un droit d'entrée, comme un abonnement, pour accéder à ses programmes). 

Il ne faut jamais l'oublier. En finale, celui qui paie est toujours le consommateur. Mais, souvent, il ne le sait pas. C'est sans doute là que la vérité est la plus déguisée.

 Frédéric ANTOINE.

PS: L'intention de ce texte est d'apporter un regard complémentaire sur la question du PP dans l'audiovisuel, et non de porter un avis la séquence diffusée.

----
(1) Sur Auvio: de 00.27.09 à 00.30.10
(2) https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2023/01/sur-la-une-rtbf-dancer-ou-advertiser.html
(3) Ainsi, une pub pour une banque apparaît furtivement dans un cadre sur le mur gauche du couloir qui mène à la salle de danse où se produisent les candidats.

11 janvier 2023

Sur La Une (RTBF): The Dancer ou The Advertiser?

 

The Dancer,
le nouveau show type  'télé-réalité dansante' de La Une, a bien des atouts pour plaire, et est assurément un beau spectacle. Mais ce programme coûte-t-il si cher qu'il faille le truffer de publicités commerciales d'un nouveau genre? Ici, la pub ne rentre pas seulement par la porte, mais aussi par la fenêtre. Et parfois bien subtilement… Même si ce n'est pas une originalité de La Une (*)
Mais rendons d'abord hommage à la qualité du programme, et à ses originalités.
 
The Dancer version RTBF est, comme le précise son générique final, une superbe franchise du format éponyme créé par Fremantle UK et Sico Entertainment. Et dont la version la plus accessible sur la Toile est celle qu'a diffusée il y a + un an la RTVE, l'opérateur audiovisuel public espagnol. En de nombreux points, celle-ci ressemble à la belge, y compris dans le type de casting flamboyant des membres du jury (et surtout de sa composante féminine).
 
Nous n'avons pas la place pour présenter ici le programme en détail. Mentionnons simplement qu'il est donc composé de prestations de danseurs et danseuses ± amateurs ou ± professionnels. La première étape du programme est destinée, comme dans The Voice, par exemple, à éliminer les plus mauvais et à constituer ensuite autour des membres du jury des équipes dont les membres s'affronteront dans les étapes suivantes. D'ordinaire, dans ce genre de programme, les membres du jury sont seuls à opérer cette sélection, l'étape d'interaction où le public vote pour les candidats n'apparaissant que plus tardivement. Ici, si 75% du public présent en studio vote pour le candidat lors de sa prestation d'une durée de 2 minutes, il est retenu dans un premier temps. Les membres du jury ne feront ensuite leur sélection que parmi les participants sélectionnés.
 
                                                                            (logo version hispanique)
 
UNE RICHE ÉCRITURE
 
On se croit donc un peu à ce stade dans The Voice, à la différence près que, à certains moments (et comme dans toute bonne télé-réalité), la compétition n'apparaît qu'être un prétexte pour créer de l'émotion autour du candidat et de son histoire. On pleure beaucoup sur le plateau, avant et après la prestation, et ces éléments prenants participent sans doute grandement à l'addiction que le spectateur peut avoir le programme, une fois qu'il s'est familiarisé avec lui.
 
Le concept repris par Fremantle Belgique fonctionne bien, et s'avère plus riche, par exemple, que Belgium's got talent (ou son équivalent français). Cette richesse ne se retrouve pas seulement dans les décors très léchés ou l'univers général du programme, mais aussi, sinon surtout, dans sa construction narrative, qui a l'originalité de multiplier les angles si on compare The Dancer aux autres programmes classiques du genre. 
 
Alors que, s'ils en ont, ces productions de télé-réalité comptent en général un présentateur, The Dancer recourt à un couple de deux personnes, qui n'occupent pas vraiment un rôle central, mais sont plutôt chargées de cadrer les émotions (auxquelles elles participent) et, surtout, de borner les phases du récit. Les membres du jury, particulièrement actifs dans l'animation du plateau, apportent un deuxième point de vue sur l'histoire à laquelle ils participent. Leur rôle est central. La "secrétaire" de la production, qui accueille les candidats dans son bureau avant leur prestation, est la porteuse du troisième niveau de récit. Elle remplace un peu les séquences backstage des productions classiques, mais en occupant une place beaucoup plus importante (1). Mais ici, 
 
En pus, il y ici encore d'autres récits, produits par d'autres acteurs. Le quatrième récit est généré par un(e) ami(e) du compétiteur, à la fois via une vidéo présentée avant sa prestation, mais aussi en étant présent(e) dans le studio où se déroule l'émission, et constamment cadrée lors des étapes de la prestation. Enfin, et ce n'est pas la moindre originalité, le programme est parsemé de commentaires "live" (si l'on peut dire) provenant de divers couples de spectateurs faisant partie du public. Le spectateur à domicile s'identifie ainsi à celui qui est dans la salle. La communion est parfaite;

Inutile de dire que cette diversité de récits s'entremêle, contribuant largement à la dynamique du programme.
 
POMMES ET POIRES
 
Une analyse des rôles exacts de chaque producteur de récits serait passionnante à réaliser, ainsi qu'une étude sur les concurrents, subtilement castés et invités à se produire dans un ordre qui participe évidemment à l'écriture du scénario du programme. Tant et si bien qu'on en finit par se dire que, dans cette émission comme dans d'autres du mêmer (type Belgium's got talent),  on compare des pommes et des poires, entre une troupe qui présente une prestation d'ensemble, un quatuor ou un quintet de danseurs dynamiques et un petit couple de pensionnés exécutant une valse viennoise. Deviner qui le public a retenu et éliminé pourrait être fait avant même le début de chaque prestation. 
Mais enfin, est-ce si important? Le plaisir du spectateur est-il là?
 

DÉPLACEMENTS DE PRODUITS

L'originalité de The Dancer se trouve enfin… dans son usage des messages publicitaires. Comme tout bon programme qui se respecte, cette production à laquelle la RTBF est associée est évidemment truffée d'interruptions publicitaires, dont l'emplacement est bien inscrit dans la structure du scénario de l'épisode. Cela, on connaît par coeur. Le panneau "ce programme contient du placement de produit", diffusé avant le début de l'émission (et également dit en voix-off, sans doute pour les enfants en âge préscolaire) fait également référence à des choses maintenant connues, la production ayant même la bienveillance d'énumérer les marques dont les produits seront placés dans le programme. 

Mais, lorsqu'on regarde The Dancer, ce placement de produit (s'il s'agit de lui) prend une tournure assez spéciale, et très peu vue jusqu'ici (en tout cas à notre connaissance sur le service public): ce n'est pas le produit qui apparaît sur l'écran, mais un bandeau publicitaire qui occupe tout à coup le bas de l'image. Le bandeau contient un message, mais ne montre pas un produit. Est-on encore dans le genre "placement de produit"? Cette nouvelle forme de production publicitaire contribue à l'originalité de ce show car elle nécessite un travail subtil de conception du message, qui doit être à la fois concis, accrocheur, et faire référence à une marque sans nécessairement à nommer. Tout un nouveau terrain de jeu pour les créatifs des boîtes de pub…

Mais pour le spectateur, c'est surtout compris comme une nouvelle invasion de son espace visuel par de la pub. Non content d'en avoir avant, après, ainsi que toutes les douze minutes (ou ±) d'un programme, voici maintenant que la pub s'immisce dans le programme lui-même. Non en montrant un produit, mais en ajoutant un message textuel au contenu de l'image et du son que l'on consomme en même temps. Peut-on à la fois suivre ce qui se passe à l'image et assimiler les paroles tenues si, au même moment, on doit déchiffrer un contenu textuel qui occupe une partie de l'écran? La question est ouverte.

Ce système est en tout cas
un superbe moyen de forcer les téléspectateurs à ingurgiter de la pub même quand ils n'en veulent pas, puisqu'elle est insérée dans l'image du programme. Fini les visionnements a posteriori via les services de VOO ou de Pickx où l'on zappe les écrans pub. Ici, on en est prisonnier. On ne peut pas ne pas la voir (2).
 
Amis publiphobes, ce nouveau type de matraquage n'est pas fait pour vous. A la fin de The Dancer, le trop-plein de commercial risque de vous sortir par les narines. Ou de ne pas du tout vous donner envie de danser. Ce qui est sans doute une des missions du service public.

Frédéric ANTOINE.

Ce texte du 11/01 a été complété le 12/01 à 17h55.

-----
(1) Dans les émissions classiques, une seule et même personne assure parfois la partie backstage et la présentation générale.
(2) Idem sur Auvio, où n'existent pas les écrans pub insérés au sein du programme lors de la diffusion en linéaire.
 
(*) Suite à la publication de ce texte sur ce blog, un lecteur précise: "Vous estimez que ces bandeaux n’ont été tres peu vus à votre connaissance sur les antennes de la RTBF. En réalité, ce principe existe depuis 2014 et la saison 3 de The Voice. . A l’époque, en juin 2013, le renouvellement de The Voice était menacé à cause de la suppression du PP.  La RTBF a alors utilisé ce moyen. Et, en 2015, quand le PP a été illico ré-autorisé, ces bandeaux sont neanmoins restés. Désormais, PP et bandeaux pub cohabitent."


Ce que vous avez le plus lu