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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

22 novembre 2022

Staracadémiciens, Amoureux des prés… : vraies personnes ou pions d'un show tv ?


Les chaînes tv abreuvent à longueur de journée leurs spectateurs de télé-réalités en tout genre, où  la vie des autres prétend être montrée telle qu'elle est. Et le public, émerveillé, de se passionner,
s'identifier ou s'apitoyer sur ces "vrais" gens vivant de "vraies" épreuves. N'oublie-t-on pas une chose : qu'ils soient apprentis chanteurs, candidats à l'amour, Kohlantiens ou Marseillais, tous ne sont-il pas que des pions ? Des personnages aux comportements quasiment téléguidés au service d'un seul et même maître : le spectacle télévisuel ?

L'amour est dans le pré vient tristement de se terminer sur RTL TVI. Tous les célibataires qui rêvaient de trouver l'âme sœur on touché la fin du parcours bredouilles, sauf un. Samedi prochain, il en sera un peu de même de Star Academy sur TF1. Comme on le dit si bien à Koh-Lanta, "à la fin, il n'en restera qu'un". Et les autres repartiront comme ils sont venus, porteurs de gloires qui, dans bien des cas, resteront à jamais éphémères. Ils diront bien sûr qu'ils ne sont désormais plus les mêmes, que la Starac les a transformés, qu'ils entament une nouvelle vie. Bon nombre en reviendront pourtant au même anonymat que Julien, Alain ou André, les agriculteurs qui cherchaient l'amour. 

La télé-réalité a cela de cruel que, comme me disait fin des années 1980 le producteur Jacques Antoine, "on croit souvent que, dans un jeu télé, les candidats jouent un rôle essentiel. C'est totalement faux. En fait, ils ne comptent pas".

Mais, malgré tout, qu'est-ce qu'on se sera passionné pour les péripéties de ce que l'on appelle désormais une 'aventure', faute de pouvoir désigner par un terme plus opportun ce qui n'est pas vraiment un jeu. Quoique. Ni un docu-réalité. Quoique. Ni un feuilleton. Quoique.  Ni une fiction. Quoique…

DE SI VRAIS CANDIDATS

Cela fait une bonne vingtaine d'années que les analystes décortiquent les productions de télé-réalité pour démontrer que, comme pour les raviolis Buitoni de la vieille pub télé, l'important est ce qui est dans la boîte et non les mentions qui se trouvent sur l'étiquette. Ce qui, en l'occurrence, veut dire que les télé-réalités n'ont de 'réel' que leur nom. Mais, malgré tout, quel téléspectateur n'a pas, au moins à un moment, eu envie de croire que ce qu'il regardait était bien une portion de réel. Une addition de tranches de vie si agréables à consommer qu'on ne peut imaginer que le gâteau qu'elles constituent ne soit pas composé que d'ingrédients réels.

Cela fait plus de vingt ans qu'on essaie d'expliquer que l'habit ne fait pas le moine. Ou que la télé-réalité est au réel ce que, dans autre vieille pub, le Canada Dry était à l'alcool : un leurre qui avait bien le goût et les couleurs de l'alcool, mais n'en était pas. Qu'importe. Ne sont-ils pas si touchants, tous ces candidats et candidates qui révèlent jusqu'à l'intime leur vie devant des caméras dont ils acceptent l'intrusion dans leur existence ?

Mais… Révèlent-ils vraiment leur vie, ou n'est-ce pas seulement ce qu'ils prétendent faire ? Ou ce qu'on leur a dit de dire qu'ils faisaient ? Et tolèrent-ils juste l'intrusion des objectifs dans leur vécu ? ou ne l'ont-ils pas suscitée, voire longtemps rêvée ?

DERRIÈRE L'ÉCORCE

La première couche de consommation de ce type de programmes a tendance à opposer un déni farouche à toutes les questions posées ci-dessus. Mais non, ils sont vrais de vrais, bruts de décoffrage, les gens que l'on voit dans ces émissions. Comment peut-on prêter de telles intentions à ces programmes, sinon par malveillance ? Tel le serpent de la Bible, la télévision ne manque pas de subterfuges pour cacher ses réelles intentions. Et y réussit plutôt bien. Alors, dépassons un peu les premières impressions.

Les candidats de la Starac ou de L'amour est dans le pré sont-ils "vrais" ? Certes, ils existent bel et bien dans la vie réelle. Et participent au programme parce qu'ils répondent à certains critères recherchés par les concepteurs. Mais leur apparence télévisée est-elle égale à eux-mêmes, est-elle un clone d'eux-mêmes, ou autre chose ? Pour qu'ils entrent dans le 'jeu', les candidats doivent en permanence être fidèles aux caractéristiques qui leur ont ouvert les portes de l'émission. Car c'est pour cela qu'ils ont été castés. Le casting vise à constituer un panel diversifié de situations et de 'caractères', c'est-à-dire de personnages. Léa est ainsi une jeune fille (oserait-on déjà dire une jeune femme ?) qui a une belle voix. Mais elle est surtout un être un peu fantasque, souvent drôle et un poil paresseux. Impossible de la rater une fois qu'on a vu la multitude de bouclettes qui constituent sa coiffure, ou que l'on a remarqué la forme de ses lèvres, comparable à celle de certaines influenceuses de Dubaï. Rien à voir avec Enola-la-sage, que l'on verrait bien sortie d'une école de bonnes sœurs, et qui fait déjà par moments des airs de petite mammy. La situation familiale de Bernard est unique, lui qui, à soixante ans, doit s'occuper de son fils de 16 ans tout en étant marchand de bêtes et fermier. Aucun rapport avec celle de Julien qui, en élevant ses propres moutons, se croit déjà un sûr de lui et de ses choix alors qu'il est toujours un grand ado qui aime par-dessus tout faire la fête avec ses copains.

ÉCRIT D'AVANCE. OU PRESQUE

Le casting, c'est essentiel. Grâce à lui, au fil des épisodes du programme, chaque personnage sera porteur d'un récit différent. Dans la Starac comme chez les Marseillais. Mais l'histoire dont il sera le héros lui appartient-elle ? L'histoire générale du programme, ce qu'on appelle son "méga-récit", n'a rien à voir avec celle de chaque candidat. Le scénario d'une télé-réalité est toujours d'abord écrit par ses producteurs. 

Ceux-ci inscrivent leur produit dans la ligne habituelle des émissions du genre : variété de compétiteurs ; épreuves ; éliminations successives [par les pairs, un jury ou le public] ; isolement [voire enfermement] total ou partiel des participants ; paraphrasage du déroulement des étapes de l'émission par les candidats eux-mêmes ["le confessionnal], etc. Certaines télé-réalité ajoutent à toutes ces composantes l'élément historiquement discriminant qui a fait, fin des années 1990, de ces émissions un genre télévisuel à part : un suivi des compétiteurs dans tous leurs faits et gestes 24h/24 (ou presque). Cet élément, qui requiert des moyens importants et une production en temps réel ["en direct"] a été abandonné par toutes les émissions ne se déroulant pas dans un cadre fermé précis, proche d'un studio de télévision, où le travail de postproduction a pris une part de plus en plus importante (comme dans L'amour est dans le pré). La Starac, par contre, a signé le retour aux sources de cette possible expérience permanente d'observation de la vie des compétiteurs (ici via un abonnement payant à MyTF1). 

Les constantes constitutives du genre sont déclinées de manière différente selon les émissions, ce qui permet à la télé-réalité de se répandre tel un virus dans l'ensemble de la sphère télévisuelle. La variation de combinaisons, mêlée à des thématiques elles aussi diversifiées, donne l'occasion à chaque production d'être à la fois unique, et ainsi de renouveler le genre, tout en étant en même temps fortement similaire aux autres produits de télé-réalité. Et donc à rassurer le spectateur sur ce qu'il regarde, et le garantir du plaisir qu'il aura à consommer le programme.

PRISONNIERS DU FORMAT

Ce cadre et la narration qui en découle sont prédéfinis par le format fixé par la production. Celui-ci comprend aussi les étapes qui chapitreront les différents moments du récit et en organiseront l'évolution, jusqu'à la résolution finale. Pour le candidat qui entre dans le canevas, impossible de se défaire de ces jalons imposés qui forment la trame de l'histoire.

En 2022, la Starac se déroule sur six semaines, chacune constituant une des étapes du récit "il était une fois des jeunes inexpérimentés qui deviennent des chanteurs professionnels grâce à un drill intensif mené par des experts dans un cadre communautaire fermé". La version 2022 de L'amour est dans le pré compte 8 épisodes de l' histoire "il était une fois des agriculteurs célibataires cherchant l'âme sœur et demandant à la tv son aide pour trouver des prétendant(e)s parmi lesquel(le)s ils feront leur choix".

Dans les deux cas, les étapes du récit, correspondant en gros chaque fois à un épisode (ou à une semaine), sont clairement marquées, du "il était une fois", où l'on découvre les personnages, à "voici le(s) gagnant(e)s qui ont réussi toutes les épreuves", dont ressort le meilleur chanteur ou le(s) "couple(s) agriculteur/prétendant étant toujours ensemble".

ENCHAÎNÉS

Dans ce format prédéterminé, la liberté laissée à chaque compétiteur est limitée, puisqu'il doit à la fois se conformer au scénario préétabli et être lui-même, pour se distinguer des autres. Là réside une des subtilités de la recette de la télé-réalité. Certes, chaque protagoniste évolue de manière différente, et est porteur de son histoire. Lorsque Alain décide, en définitive, de ne pas poursuivre l'histoire avec la dulcinée qui semblait l'avoir séduite, c'est son choix. Si Julien se comporte comme un jemenfoutiste, c'est son choix. Et s'il en découle que cela le fait éliminer par le vote du public, c'est la conséquence de son choix. Les personnages pilotent donc une partie de l'histoire. Mais pas tout. Car le récit reconstitué par la réalisation télévisuelle est aussi, sinon surtout, une production narrative scénarisée. Et pas une succession de moments de réel semblables à ceux que captent des caméras de surveillance dans les rues, les magasins (et parfois des foyers). Il faut suivre le live de la Starac sur MyTF1 (payant) pour assister aux événements au moment de leur déroulement. Mais, même alors, un réalisateur choisit les images qu'il met à l'antenne du live, ainsi que les caméras qu'il utilise et leurs angles de prise de vue. Et il occulte une (grosse) partie de la réalité. Quand il s'agit de produire une émission d'une heure ou un peu plus, tout est évidemment remonté, édité, orienté. C'est alors que les personnages sont vraiment façonnés, afin que le public leur attribue une identité et que se bâtisse un récit qui illustre leur profil.

DÉFORMATIONS

Pas étonnant, dès lors, que des participants à certaines émissions de télé-réalité préenregistrées constatent à la diffusion que celles-ci ne reflètent pas leur personnalité, ou en tout cas l'image qu'ils entendent donner d'eux-mêmes dans leur "vraie" vie. Le personnage télévisuel n'est pas nécessairement identique à l'être de sang et d'eau qui se démène dans son quotidien. Il est bel et bien devenu un objet que façonne la production au gré des aléas de son récit. La "vraie" Léa est-elle aussi drôle et décalée que celle que l'on voit à l'écran, et la "vraie" Anisha aussi à la fois effacée et calculatrice sur la monstration de son état d'esprit ? Le "vrai" Bernard est-il aussi rond et bienveillant tous les jours que celui que l'on a vu sur l'écran ? Qui est vraiment cette Françoise à qui il pensait s'attacher ?  À en croire les articles parus dans la presse populaire ces dernières semaines, elle (et peut-être lui) ne seraient pas à l'écran comme dans la vie. Et que cherche "vraiment" cette Cathy, qui à l'écran semble plus chercher l'amour de ses chevaux que d'un homme ?

SYNDROME DE FAUST

Tout qui s'inscrit à une émission de ce type est touché par le syndrome de Faust : entrer dans un processus qui permet (ou promet) d'obtenir la gloire ou la réussite. Et, en contrepartie, vendre son âme au diable télé-réalité. Sans possibilité de retour. Car même si l'on renonce en cours de route, il sera trop tard. La machine télévisuelle aura bâti le personnage et initié son histoire. Dans ce cadre, tout renoncement ne concourra qu'à renforcer le profil médiatiquement créé et à fournir un rebondissement de plus au récit. On peut même arriver à ne plus se dépêtrer de son avatar télévisuel. Au point de ne trouver qu'une seule solution pour s'en sortir : le reproduire dans d'autres télé-réalités, ou le faire vivre en permanence sur les réseaux sociaux. 

Au risque qu'un jour ce double ne vienne cannibaliser la "vraie" personne ? 

Cela ne pendra sans doute pas au nez des agriculteurs qui ne feront de ce passage télévisuel qu'une page de leur vie qu'ils chercheront à refermer. Mais à voir les confessions a posteriori que plusieurs d'entre eux (ou de leurs prétendantes) versent cette année dans la presse, on peut craindre que le virus les ait atteints. 

Les jeunes apprenti(e)s de la Starac peuvent eux, être bien plus facilement tentés d'être phagocytés par leur double télévisuel. Avec les risques évoqués ci-dessus.  À moins que, issus d'une génération pour qui la télé-réalité fait partie de la vie, ils n'aient eux-mêmes pris part à la constitution de ce personnage archétypé qu'ils ont affiché à l'écran. Et que derrière lui se cache leur "vraie" personne. Mais là aussi, il n'est pas sûr que toutes ces jeunes âmes aient eu l'occasion de faire pareille démarche, voire même de l'imaginer. Alors que leurs rêves de célébrité et de réussite paraissent si proches de se réaliser.

Frédéric ANTOINE.


 

18 novembre 2022

Grand-Place de Bruxelles : Un sapin à dimensions variables

Quelle est la taille exacte du sapin de Raeren placé ce jeudi matin sur la Grand-Place de Bruxelles ? Ce n’est pas aux médias qu’il faut poser la question si on veut avoir la bonne réponse. En effet, ceux-ci ont, ces derniers jours, communiqué des hauteurs variant de 18 à 40 mètres de haut.


Côté « sapin géant », on retrouve La Libre, Sud Info ou RTL Info qui attribuent à l’arbre une hauteur de « une quarantaine de mètres ». À l’opposé, les 18m sont évoqués par la VRT, L’Avenir ou Le Soir. Entre les deux, le JT de la RTBF titrait hier soir sur un arbre de 20m.Tout comme VEDIA. Ce matin, l’envoyé spécial de LN24 sur la Grand-Place parlait de « plus de 20m », alors que son collègue en studio affirmait que le sapin avait été « déraciné » dans un jardin… Avec tout cela, débrouillez-vous pour trier le vrai du faux.


À BONNES SOURCES

En fait, tout est question de source. Les médias qui imaginent un sapin géant recopient simplement un communiqué Belga, sans se poser de question à son propos. Ceux qui tournent autour des 20m. s’inspirent d’un communiqué de la ville de Bruxelles, diffusé aux environs du 11 novembre. Sur place à Raeren le 16/11, L’Avenir évoquait alors une hauteur estimée de 18 à 20m. Et sur place aussi à Bruxelles le lendemain, le journal se fixait sur 18m. Ce qui semble le plus logique. 


UN SIMPLE BON SENS

Faut-il être journaliste pour se rendre compte de l’impossibilité quasi complète d’avoir dans son jardin un sapin de 40m. de haut ? Selon les normes de construction actuelles, cela représenterait un immeuble de 15 étages. Difficile à imaginer à côté d’une villa.
Déjà avec sa hauteur réelle, le nouveau propriétaire de la demeure s’est dépêché de faire scier cet arbre pour éviter qu’il tombe sur sa maison en cas de tempête. Alors, avec 40m., on n’imagine même pas.
Vérifier semble difficile. Au risque de se contredire. En effet, le 11/11, reprenant le communiqué bruxellois, Sud Info écrit : « cet épicéa d’une hauteur de 20m. ». Quelques jours plus tard, pour ce média, la taille du sapin aura doublé. Un arbre qui croît aussi vite, cela vaut une citation au Guinness Book.


ET CE N’EST PAS TOUT…


On me dira que tout cela est du détail et ne remet pas en cause les fondements d’une info de qualité dont se revendiquent tous les médias. Certes, mais quand ça s’accumule, cela finit par poser problème. Ainsi, dans l’info qui nous concerne, les médias ont aussi patiné à propos de l’espèce du sapin. Il y a une grosse semaine, tout le monde parlait d’un épicéa. Depuis le 16/11, le sapin de Raeren s’est, quasiment partout, transformé en un Nordmann (sur LN 24, on parlait encore d’épicéa dans les infos du 17/11 matin). Un sapin qui mute en une semaine, c’est aussi un record… également dû à la source de l’info. Qui, sauf exception, n'est pas le journaliste qui a rédigé l’article.
Qu’il est bon de s’appuyer sur des sources. Quand elles sont fiables. Et qu’on peut les recouper. Même quand l’info provient d’une agence de presse…

Frédéric ANTOINE.

(cet article court a d'abord été publié sur le facebook millemedias express https://www.facebook.com/Millemedias)

16 novembre 2022

Mondial : le Palais ne botte pas en touche


Le Palais a-t-il clairement choisi de ne pas boycotter la Coupe du Monde au Qatar ? Cela pourrait être la conclusion à tirer de cette vidéo unique en son genre où il apparaît que, plus supporter des Diables que le roi Philippe à l'occasion de leur participation au Mondial qatari, tu meurs.
 
Que ce soit un super coup de comm, du jamais vu, une inscription des pas médiatiques de notre souverain dans ceux de la reine d'Angleterre, personne n'en disconviendra. On est loin des discours de Noël ou du 21 juillet, des "Mesdames et Messieurs" du roi Philippe ou des "Mesdames et Messieurs, chers compatriotes" de son père. 
Voilà un souverain qui a (enfin) franchi le Rubicon de la retenue et de la timidité, se permettant, un peu pince sans rire, des allures d'acteur. À la place des interventions officielles sur des médias qui le sont tout autant, voici une vidéo, léchée dans sa réalisation, clairement destinée à faire le buzz sur internet et les réseaux sociaux. 
 
Et cela fait mouche. Outre le tintamarre médiatique qu'elle soulève, elle a déjà recueilli en 18 heures plus de 22.000 vues sur YouTube. En comparaison, le discours de Noël 2021 du roi Philippe ne compte à ce jour que 6.700 vues, et le fameux discours du roi Albert du 21 juillet 2011, où il critiquait l'attitude de la classe politique après 400 jours de crise n'a jamais totalisé "que" 26.000 vues. Bref, ce clip diabolico-royal est une belle opération.
 
CHOIX POLITIQUE, OU CIVIQUE ? 
 
Mais fallait-il vraiment faire maintenant, et à cette occasion, cette opération médiatique ? Alors que le Palais cultive d'ordinaire la retenue, et ne s'engage (s'il s'engage…) que lorsqu'un sujet ou une opinion est unanimement partagé dans la population, comment apprécier la participation royale à ce clip présenté comme les "Derniers ajustements avant le départ pour la Coupe du monde: It’s #DEVILTIME! 😈 🇧🇪" ?
 
Une partie de la réponse est simple : l'attitude du Palais a, vraisemblablement, reçu l'assentiment du gouvernement, qui a de son côté décidé d'envoyer la ministre des Affaires étrangères au Qatar "pour supporter les Diables". Déléguer dans cet  État controversé une des personnalités les plus haut placées de la hiérarchie ministérielle démontre que la Vivaldi n'a pas choisi de boycotter le pays où se déroule la compétition. Dès lors, pourquoi empêcherait-elle le roi de prendre le même parti : non seulement être, dans l'absolu, un supporter de l'équipe nationale, mais l'encourager lors de sa participation à ce tournoi, même si cette épreuve fait l'objet de contestations de la part d'une partie de la population ?
 
SUJET CLIVANT ?
 
À notre connaissance, il n'existe pas de sondage récent permettant d'identifier l'opinion des Belges face à cette Coupe, et à la nécessité (ou non) de la contester de l'une ou l'autre manière. Un sondage a bien été mené en septembre par Amnesty International, mais il se centrait sur des thèmes connexes, sans qu'on puisse en déduire clairement une opinion de la population sur la compétition. Il indiquait en tout cas qu'une grande majorité de Belges voudrait que la FIFA indemnise les travailleurs du Qatar et souhaiterait que l'Union belge s'exprime à propos des droits humains dans ce pays. 54% des sondés se disaient aussi susceptibles de regarder au moins un match.

Ce dernier pourcentage signifie en creux qu'une partie de la population ne comptait pas suivre un seul événement du tournoi qatari. On sait que de nombreuses localités n'organiseront pas de retransmission publique de la compétition. On a aussi appris ce 16 novembre que l'Union belge annulait son fan village prévu à Vilvorde, suite au manque d'intérêt des supporters… Alors que, d'ordinaire, le Mondial enflamme tous les cœurs, cette Coupe divise visiblement la population. Assurément pas en deux parties égales, les silencieux étant sans doute nombreux à pencher pour le camp du "comme d'habitude". Mais faut-il pour autant faire fi de cette autre partie, dont on ne sait si elle est majoritaire ou minoritaire, qui a décidé de se passer de Mondial au nom de son éthique ou ses convictions ?
 
LE ROI DES BELGES
 
D'ordinaire, les Diables constituent une cause nationale. Un élément unificateur dans un pays émietté, comme le montre adroitement cette actuelle pub tv qui vise, sans le dire, à promouvoir des paris sportifs. Une équipe nationale, c'est du pain béni pour la monarchie d'un pays fédéral. D'où, sans doute aussi, l'engagement royal pour le foot. Tout le foot. Pourvu que les Diables en soient. Le foot, où qu'il se déroule, s'il permet à la Belgique de retrouver, ne serait-ce que pour un temps, une unité noir-jaune-rouge. 
 
Le contenu de la vidéo montre un choix du Palais sans nuance. On pourrait le qualifier d'unilatéral. Au nom de l'unité nationale, et du respect de tous les points de vue, n'aurait-il pas été possible d'être plus diplomate ? De distinguer un engagement derrière une équipe de la compétition discutée à laquelle ils vont participer ? 
Sil eût été difficile que le souverain s'exprime dans le clip à propos des craintes concernant le respect des droits humains au Qatar (ce qui reste à voir), n'aurait-il pas été possible de glisser quelque chose à ce sujet dans le final de la vidéo, qui se contente de montrer, symboliquement unies, les armoiries de l'Union belge (…de foot) et de la Monarchie. 
Il est tard, mais il n'est pas trop tard. Une parole royale permettrait encore de dissiper d'éventuels doutes. Une prise de position lors d'un événement, quelques mots via un communiqué… Ou une autre vidéo sur YouTube ?
Notre footeux souverain redeviendrait alors vraiment le roi de tous les Belges.

Frédéric ANTOINE
(illu : capture d'écran YouTube)
 

 

14 novembre 2022

La sauce Star Academy 2022 commence à prendre


À
l'instar de la France, les Prime de la Star Academy réalisent de belles audiences en Belgique. Mais les quotidiennes attirent aussi pas mal de monde. Pour les qualités artistiques des candidats ? Ou parce que les hôtes du château sont de superbes exemples d'une génération d'adultes qui ne sont encore que des ados…

Chose exceptionnelle, le 15 octobre dernier, en francophone belge, le premier Prime de la Star Academy a fait mieux que les JT de RTL TVI et de la RTBF, qui sont d'ordinaire en tête du classement des audiences journalières (J+1) dans notre petite communauté linguistique. Certes, ce jour-là, le nombre de spectateurs des JT ne cassait pas la baraque, mais ils ont été ensuite été un grand nombre à suivre toute la soirée d'ouverture de cette télé-réalité qui s'est terminée par le départ des candidats vers le fameux château puis, dans une autre émission, par leur arrivée sur les lieux.

 Depuis lors, les Prime de la Star Academy constituent, chaque samedi, la troisième audience du samedi en Belgique francophone, derrière celles des JT. Ce qui signifie qu'il y a plus de téléspectateurs belges francophones devant ce "télé-crochet" français, flagship de l'ogre TF1, que devant n'importe quel autre programme proposé ces soirs-là. 
Les premières semaines, les décalages avec l'audience du premier Prime ont été importants. Le 5/11, il frisait les 100.000 téléspectateurs. Mais, depuis lors, la sauce commence à bien prendre, et les audiences des Prime croissent de semaine en semaine. Celle où les candidats étaient éliminés en duo a attiré plus d'audience que les précédentes. Mais c'est samedi dernier qu'ont été battus tous les records. Même si, avec près de 350.000 spectateurs, on était encore loin des 420.000 de l'émission d'ouverture. 
La courbe des Prime continuera-t-elle à croître jusqu'à la finale ? Sans doute, si l'attachement de l'audience aux candidats se précise encore davantage.

TOUS LES JOURS, PAR LE TROU DE LA SERRURE

Il ne faut en effet pas perdre de vue que, indépendamment des Prime, la Star Academy est aussi une émission quotidienne, diffusée en premier rideau d'access primetime (sauf le dimanche), accompagnée d'un bon paquet de pubs, dont une part réservée au public belge. Un programme monté sur base des séquences de la vie du château captées, comme au bon vieux temps de la télé-réalité de première génération, par une grosse batterie de caméras placées dans toutes les pièces et saisissant les faits, gestes et paroles des candidats 22H/24 comme le précisaient les règles du CSA français (devenu depuis l'ARCOM). Des caméras dont les captations sont mixées en direct afin que les séquences qui en proviennent possèdent quasiment la même dynamique que celle d'une réalisation plateau. 
 
Ces quotidiennes ne réalisent pas les scores des Prime, mais réunissent tous les jours au moins 140.000 personnes en Belgique, ce chiffre dépassant certains jours les 200.000 téléspectateurs. Score n°1 à ce jour : celui du 3 novembre (225.000).

DES ÊTRES-PORCELAINE
 
La quotidienne montre bien sûr toutes les séances d'apprentissage et d'exercices en tout genre auxquels sont soumis les apprenti(e)s chanteurs/euses, ou des moments "chauds" de la vie sur place : lorsque des vedettes de la chanson française viennent leur dire bonjour ; lorsque monsieur le directeur annonce les épreuves à passer à l'évaluation du mardi; ou quand il révèle les noms des nommés qui risqueront de passer à la trappe à la fin du Prime
 
Mais, au gré des intentions de la prod et des choix des réalisateurs, les quotidiennes révèlent aussi, sinon surtout, la "vraie" (fausse) vie des résident(e)s du château, du lever au coucher. Comme dans le modèle historique de la télé-réalité. De quoi laisser découvrir qui sont, ou ne sont potentiellement pas, ces jeunes adultes âgées de 18 à 28 ans. Des adultes qui semblent tous, malgré leur âge, d'abord être des adolescents en proie au doute, cherchant encore leur identité. Et que l'on imagine mal engagés dans une vie professionnelle, en couple avec des enfants, ou confrontés aux aléas de la vie quotidienne.
Des êtres-porcelaine, immensément fragiles, aux sentiments à fleur de peau. Et sur qui toute critique trop directe entraîne un effondrement quasi complet. La prof d'expression scénique s'en souviendra longtemps, elle qui, ayant été claire et directe face à la prestation nullissime en Prime d'un candidat jemenfoutiste, a dû deux jours plus tard venir s'excuser devant (et bien sûr devant les caméras)  pour l'avoir traité de la sorte. L'évaluation faite par cette prof lui avait immédiatement valu d'être descendue en flèche sur les réseaux sociaux, certains allant jusqu'à réclamer à TF1 sa démission, ou à annoncer des dépôts de plaintes au CSA (devenu l'ARCOM) !
 
TOUT LE MONDE IL EST BEAU…

Contrairement aux premières Starac, l'édition 2022 est en permanence sur la sellette des réseaux sociaux où un public jeune, voire très jeune, qui s'identifie parfaitement à des candidats subtilement castés, considère qu'il est le seul juge de la qualité de ses actes, et ne tolère pas d'être remis en cause par un tiers, qui plus est si celui-ci est un professeur. 
La Star Academy 2022 a ainsi des airs de The Voice, où, tout le monde il est beau et gentil, ce "télé-crochet" ayant en son temps été créé pour adoucir le côté alors trop critique (c'est-à-dire de nature professionnelle) des évaluations de la Starac. Cette fois, pas de risque ! Les avis donnés par les profs lors des Prime sont ainsi tous plus positifs les uns que les autres, au point d'inspirer des larmes d'émotion à certains évaluateurs. Pas tout à fait le genre des évaluations de certains jurés de Danse avec les stars, comme Chris Marker…

Pour la Belgique, les données en notre possession (publiquement accessibles par quiconque) ne permettent pas de déterminer l'identité socio-démographique du public de la quotidienne de l'émission. En France, TF1 a annoncé des chiffres records. Par exemple, pour la troisième semaine, 38% de parts d'audience auprès des 15-34 ans, et 42% chez les 25-34 ans. Mais les PDA ne prennent en compte que celles et ceux qui regardent la télé, et ne donnent pas leur nombre absolu. Raté pour savoir si l'émission a fait un ras de marée chez les jeunes adultes… 
Chez nous, saura-t-on un jour quelle proportion des 174.000 téléspectateurs de la quotidienne (chiffre moyen jusqu'au 11/11) est constituée de jeunes ayant délaissé les réseaux sociaux et les plateformes pour retourner vers le petit écran ?

Frédéric ANTOINE.
 

11 novembre 2022

Mort d'un policier : quand la grande actu tombe dans l'ombre de la nuit


Pas simple de gérer une info quand elle tombe dans la soirée. Le meurtre d'un policier bruxellois, jeudi 10 dans la soirée, démontre que la réactivité des médias n'a pas été au top.

Aux environs de 19h15, rue d'Aerschot, un jeune policier est frappé de plusieurs coups de couteau et décède. Son collègue est grièvement blessé. Dans l'impossibilité de trouver l'heure exacte où la nouvelle est communiquée par Belga (sans abonnement payant, ce n'est pas simple…), on peut estimer que l'info est arrivée dans les médias vers 19h50. Le JT de La Une est alors diffusé en direct. Malgré l'importance de l'événement, il n'y sera jamais fait allusion à cette info au cours des 15 minutes qui s'écoulent entre 19h50 et 20h35. Et il n'y aura pas d'émission spéciale par la suite sur le sujet. Sur RTL TVI, le journal était terminé, mais il n'y aura pas là non plus d'émission sur l'événement. Les soirées des deux chaînes se dérouleront normalement, comme si de rien n'était. Sans mort de policier.

Plus étonnant, il en est de même sur LN24, supposée être sur l'événement en direct tout au long de la journée. Mais pas de 20 à 22h, où la station diffuse des documentaires. Là aussi aucun bandeau ne défilera en bas de l'écran (pour donner cette info, ou d'autres). Il faut attendre 22h pour que la journaliste présentant un JT qui sera ensuite rediffusé, donne l'info face caméra très succinctement. Pas d'envoyé sur place, par d'images, de reportage, d'interview. Rien que une photo qui sera celle utilisée par presque tous les médias du monde qui traiteront de l'événement (et qui ne montre rien de très précis).  RTBF et RTL TVI n'ont pas encore trop à craindre de leur concurrence apparentée au groupe IPM… Ce soir-là, l'info tv n'était pas au rendez-vous.

PRENDRE SON TEMPS

Et les médias "classiques" ? Sur le smartphone à notre disposition, la première alerte provient de Sud Info à 19h55, rapidement suivie par celle du Soir (= les 2 médias de Rossel). L'alerte suivante tombe sur notre smartphone 20 minutes plus tard, en provenance de RTL Info. Il faut attendre un peu moins de 40 minutes pour qu'une alerte arrive de La Libre, puis de 7/7.be. L'alerte de L'Avenir arrivera plus de 40 minutes après celle de Sud Info, et celle de la RTBF un peu moins de 50 minutes, comme celle de La DH. Il semblerait y avoir comme du retard dans l'air…

CONFIRMATIONS…

Lors d'une précédente chronique sur ce blog, ce type de relevé des heures de réception des alertes sur un smartphone avait été discuté par un lecteur. Nous le complétons donc ici par un relevé de l'heure affichée en tête de l'article publié sur l'appli du médias, et auquel l'alerte renvoie directement.

Les résultats sont légèrement différents, mais confirment tous que, en soirée, la réactivité des médias devant une actu de ce genre n'est pas parfaite.

Comme pour les alertes, les médias du groupe Rossel sont les plus rapides à publier un article sur le sujet (Le Soir ne fera qu'une brève avant d'être plus précis 30 minutes plus tard). Il y a quasi similarité entre l'article et l'alerte. A La Libre, l'article est écrit vers 20h30 (soit 33 minutes plus tard que la brève du Soir), avant que l'alerte ne nous soit transmise. Idem chez 7/7, qui publie près de 35 minutes plus tard que Sud Info. L'Avenir fait paraître son texte 2 minutes avant que nous recevions son alerte, soit près de 3/4 d'heure après Sud Info. La RTBF publiera son texte et son alerte en même temps, à plus de 50 minutes du premier. Pour RTL Info, il semble y avoir un illogisme entre l'heure de l'alerte (20h25) et le l'heure notifiée en tête d'article (20h39). Il faut préciser que l'heure retenue ici est celle explicitement indiquée comme étant cette de la première publication, et pas celle des mises à jour. Et que, sauf erreur de réception, LN24 n'a envoyé aucune alerte à propos de cette info. A 20h11, son alerte concernait le "Doc en prime" diffusé à l'antenne, dont le titre correspondait assez à l'actu du moment: "Demain, serons-nous tous myopes"…

Face à cet événement, certains médias se sont vraiment montrés très prudents avant de le rendre public. Précaution extrême de mise ? A moins que, simplement, tous n'aient pas eu les mêmes moyens, une veille de 11 novembre à 20h, pour traiter une actu chaude ?

Frédéric ANTOINE.



08 novembre 2022

L'amour n'est plus dans le pré


La quatorzième saison de L'amour est dans le pré, sur RTL TVI, sera-t-elle la dernière ? Tout montre que, sur le marché belge, la formule arrive à bout de souffle, tant côté des fermiers que de leurs prétendants.  Et, en partie, de l'audience.

L'audience 2022 de L'amour est dans le pré (AEDP) n'est pas terrible. Le volume de l'auditoire J+1 (les gens qui regardent en direct, ou en léger différé) est à peu près identique depuis le début de la diffusion. Il n'a décollé que tout récemment, lors du premier épisode de sélection finale de la prétendante. Si on ajoute ceux qui regardent jusqu'à J+7, les chiffres sont meilleurs, et moins plats.

Ces audiences 2022 sont aussi clairement  inférieures à celles des années précédentes. Que ce soit l'édition 2021, qui avait été différente des versions précédentes parce que plus courte, sans présence de Sandrine Dans, et recourant beaucoup aux voix, notamment.
Ou que ce soit celle de 2019, dernière année “normale” avec une formule traditionnelle, ± identique à celle de cette année 2022. Et ce même en J+7.

De quoi cet affaiblissement de l'audience est-il un indice ? Tentative d'analyse.

UN RÊVE DE TV  MÉDIATRICE

Elle était belle, l'ambition originelle de L'amour est dans le pré (AEDLP). Servir d'agence matrimoniale médiatique à des agriculteurs solitaires éloignés de tout cœur à prendre, n'était-ce pas là un superbe rôle pour la télévision ? Bien sûr, le programme s'immisçait dans la vie des candidats et de leurs prétendant(e)s, montrant de semaine en semaine leurs relations et sentiments, comme il se doit dans une émission de télé-réalité. Bien sûr, chaque épisode était précédé, suivi et entrecoupé de bon nombre d'écrans de pub bien remplis et chers vendus, comme cela se doit dans l'univers de la télévision privée. Mais ce programme-là revendiquait d'apporter autre chose qu'un simple spectacle et un étalage de monstration de sentiments. Il disait vouloir servir à quelque chose. Avoir une utilité. Et, qui plus est, sociale, humaine. C'est-à-dire, par exemple, sans aucun rapport avec “l'utilité" du filmage 22h/24h des candidats de la Star Academy.

Avec l'AEDLP, la télévision rentrait parfaitement dans une des configurations définies dès les années 90 (soit avant l'arrivée de la télé-réalité) par la sociologue Dominique Mehl, qui parlait déjà à l'époque de la "télé médiatrice" (1).

TROP PETIT POUR L'HEXAGONE ?

La télé-réalité aime se parer de justifications sociétales, et ici c'était plutôt réussi. Perdus au fin fond d'immenses terres campagnardes isolées de tout, vivant presque comme il y a un siècle, de pauvres célibataires endurcis par la vie des champs pouvaient ainsi rêver de trouver l'âme sœur. Et, parfois, ça marchait. 

À l'échelon de la France, pareil concept avait tout son sens, tant les zones agricoles sont dans des déserts démunis de tout.  À commencer par des occasions de rencontrer d'éventuel(les) compagnes et compagnons ailleurs qu'à un diner sanglier après une chasse, à une après-midi loto à la salle des fêtes ou lors du bal du village, toujours aussi musette en 2022 qu'en 1922.

Ayant fait un tabac en France, le concept passe la frontière, et devient tout aussi populaire en Wallonie. Les premières audiences de la version belge de l'AEDP cassent la baraque et le public urbain, médusé, découvre qu'il y a véritablement une crise de la solitude au sein d'un monde agricole déboussolé, où l'on ne cesse de travailler dur, tout en reconnaissant que, sans les aides de l'Europe, la survie aurait déjà été impossible. L'AEDP devient la face visible de l'iceberg d'un monde que l'essentiel de la population ignore d'autant plus que, aujourd'hui, le monde agricole ne représente plus qu'une dizaine de pour-cent de la population belge.

UN FORMAT EN ÉVOLUTION

Petit à petit, l'émission élargira le spectre de sa "clientèle” de cœurs perdus. Pardi, finalement, les vieux garçons perdus dans des fermes délabrées, il n'y en a pas légion. On découvre alors que le monde agricole est multifacette, et que les clichés qu'on peut avoir à son égard doivent être plus que nuancés. Au fil des années, les profils des célibataires s'élargiront à l'ensemble de l'univers lié à l'agriculture, voire même (fort) au-delà. La définition du “célibataire” évoluera elle aussi, ceux qui seront castés et retenus s'éloignant de plus en plus du profil de l'endurci. Deux ou trois dizaines de mois de solitude suffiront parfois pour répondre au critère et être pris dans l'émission. Dans un monde où tout va vite et où règne l'immédiateté, les mois ne durent-ils pas autant que des années. Alors, dans ces cas-là, faire "appel à l'équipe" (c'est-à-dire à la prod de RTL TVI) ne paraît pas illogique.

Mais, avec ces adaptations, la formule s'érode peu à peu. La quatorzième édition, qui se terminera avant la fin novembre, constitue une illustration parfaite des désagrégations successives d'un concept en définitive peut-être devenu trop difficile à exploiter correctement sur un petit territoire de 4 millions d'habitants, où il n'y a plus que 22.000 personnes qui travaillent régulièrement à la ferme, ce nombre étant encore plus réduit dans les exploitations de type familial (± 13.600 hommes et 6.200 femmes) (2).

DÉSAGRÉGATIONS

Cette difficulté de recrutement se retrouve du côté des célibataires (± endurcis, donc), qui ont envoyé leur candidature à RTL TVI et ont été retenus par la production (en tout cas est-ce comme cela qu'ils sont présentés). 

Parmi ceux-ci, deux candidates, mère et fille. Et ne sont pas directement liées au monde agricole puisqu'elles animent et dirigent… un manège. Certes, il s'agit toujours d'animaux, mais n'est-on pas là très borderline ?
Autre candidat à la frontière du genre : un jeune patron d'entreprise d'élevage de poussins, plus proche du monde entrepreneurial que de celui de l'exploitation agricole.
On se demandera aussi pourquoi la production a sélectionné dans son échantillon un jeune agriculteur de 22 ans, plutôt séduisant, qui passe toutes ses fins de semaine à s'amuser dans les fêtes que des membres de la FJA (Fédération des Jeunes Agriculteurs) semblent organiser aux quatre coins de Wallonie. À cet âge et dans ce contexte, la médiation de l'appareil télévisuel était-elle vraiment nécessaire pour sauver ce jeune homme d'un célibat qui ne devait avoir duré que quelques mois?…
 
Même si les autres candidats sont, eux, les bottes bien ancrées dans les terres agricoles, cette diversité de casting écarte le téléspectateur du cœur de cible. Bien d'autres préoccupations que celles de la ferme se mettent en effet à occuper (voire brouiller) l'écran.

COMME NEIGE AU SOLEIL
 
Tout cela ne serait pas trop grave si cet éparpillement du casting avait été sans conséquence. Or, au fil du programme, le nombre de candidat(e)s a fondu comme neige au soleil, une partie de ces “agriculteurs atypiques” rendant les armes dès le début de « l'aventure », ou presque. 
 
Cherchant à encourager la diversité, le casting comprenait un agriculteur issu à la deuxième génération d'une famille immigrée. Il se désistera avant même l'étape de la réception des courriers envoyés par les prétendants. 
 
Au manège, la candidate la moins âgée déclarera forfait avant l'arrivée des prétendants qu'elle avait sélectionnés.

Quant au jeune agriculteur de 22 ans, au moment de faire un  choix définitif entre ses prétendantes, il déclarera n'avoir rien ressenti ni pour l'une ni pour l'autre, et les renverra donc toutes les deux chez elle sans autre forme de procès. Il sera tout de même forcé d'avouer que, en fait, il en pinçait pour une autre, qui n'était pas venue aux speed dat, mais… qu'il connaissait déjà auparavant.
 
LA GRANDE (PETITE) FAMILLE AGRICOLE 

La deuxième perversion qui gangrène l'AEDLP est ainsi liée à l'étroitesse du monde agricole. Si le jeune éleveur de moutons ans de 22  rêvait d'une jeune femme qu'il connaissait déjà, plusieurs de ses prétendantes l'avaient aussi rencontré auparavant lors des soirées de la FJA. 
 
Le fait n'est pas propre à cette édition-ci de l'AEDLP, mais plusieurs candidats se connaissaient visiblement avant l'émission, et certains avaient incité d'autres à candidater. Il en est de même du côté des prétendant(e)s. Plusieurs sont issu(e)s du monde agricole et se connaissent. 
Des liens familiaux existent entre certaines prétendantes. La femme qui sera retenue par un des agriculteurs avait déjà fait l'émission l'année dernière, et était restée en couple plusieurs mois avec celui qui l'avait choisie à l'époque. 
Au moment du départ de la personne qu'il n'avait pas retenue, un agriculteur n'hésitera pas à lui dire "Et bien le bonjour chez toi"… 
Autant de liens et de sous-entendus qui annihilent l'impression de naturel, de légèreté et de surprise auquel le spectateur croit s'attendre. Finalement, les jeux ne sont-ils pas un peu pipés ?
 
AU SPECTACLE

Enfin, l'émission semble attirer moins de prétendant(e)s que par le passé. Les candidat(e)s séduisent-ils moins? En tout cas, les prétendant(e)s paraissent moins nombreux à envoyer le fameux courrier avenue Georgin. D'où des sélections parfois difficiles (plus de personnes = plus de choix diversifiés), et dans certains cas un nombre très limité de prétendant(e)s retenus. 
Cette année, des personnes ont même été conviées à Bruxelles à un “visionnage collectif”, au Food Market de la gare maritime de Bruxelles, le 18 avril, afin de les inciter à poser leur candidature. Une démarche différente de celle de l'envoi spontané d'une lettre d'amour à la production…

Regardant l'AEDLP, le spectateur peut par moment se dire : "Tout ça pour ça !". En fait, oui. Parce que, finalement, cette émission est aussi, sinon d'abord, un spectacle. Tant pis si les personnages se connaissent déjà ou si les longues séquences des séjours à la ferme n'aboutissent à rien, l'essentiel est dans le récit, les sentiments qu'il inspire et les sensations qu'il procure au téléspectateur. Et dans les personnages. Si ceux-ci sont typiques, tant mieux. L'émission terminée, on s'interrogera toujours sur certains des choix faits par les célibataires. Clairement, ils n'ont pas tous été faits dans l'espoir de se lancer avec lui (ou elle) dans une nouvelle vie. Mais dans le but de donner du show, de l'exotique, de l'original. 
Permettre à des personnes du monde agricole de se sentir moins seul(e)s, est-ce vraiment encore au programme ?

Frédéric Antoine
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(1) Dominique MEHL, La fenêtre et le miroir, Paris, Payot, 1992.
(2) https://etat-agriculture.wallonie.be/contents/indicatorsheets/EAW-A_I_a_2.html#

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