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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

14 novembre 2022

La sauce Star Academy 2022 commence à prendre


À
l'instar de la France, les Prime de la Star Academy réalisent de belles audiences en Belgique. Mais les quotidiennes attirent aussi pas mal de monde. Pour les qualités artistiques des candidats ? Ou parce que les hôtes du château sont de superbes exemples d'une génération d'adultes qui ne sont encore que des ados…

Chose exceptionnelle, le 15 octobre dernier, en francophone belge, le premier Prime de la Star Academy a fait mieux que les JT de RTL TVI et de la RTBF, qui sont d'ordinaire en tête du classement des audiences journalières (J+1) dans notre petite communauté linguistique. Certes, ce jour-là, le nombre de spectateurs des JT ne cassait pas la baraque, mais ils ont été ensuite été un grand nombre à suivre toute la soirée d'ouverture de cette télé-réalité qui s'est terminée par le départ des candidats vers le fameux château puis, dans une autre émission, par leur arrivée sur les lieux.

 Depuis lors, les Prime de la Star Academy constituent, chaque samedi, la troisième audience du samedi en Belgique francophone, derrière celles des JT. Ce qui signifie qu'il y a plus de téléspectateurs belges francophones devant ce "télé-crochet" français, flagship de l'ogre TF1, que devant n'importe quel autre programme proposé ces soirs-là. 
Les premières semaines, les décalages avec l'audience du premier Prime ont été importants. Le 5/11, il frisait les 100.000 téléspectateurs. Mais, depuis lors, la sauce commence à bien prendre, et les audiences des Prime croissent de semaine en semaine. Celle où les candidats étaient éliminés en duo a attiré plus d'audience que les précédentes. Mais c'est samedi dernier qu'ont été battus tous les records. Même si, avec près de 350.000 spectateurs, on était encore loin des 420.000 de l'émission d'ouverture. 
La courbe des Prime continuera-t-elle à croître jusqu'à la finale ? Sans doute, si l'attachement de l'audience aux candidats se précise encore davantage.

TOUS LES JOURS, PAR LE TROU DE LA SERRURE

Il ne faut en effet pas perdre de vue que, indépendamment des Prime, la Star Academy est aussi une émission quotidienne, diffusée en premier rideau d'access primetime (sauf le dimanche), accompagnée d'un bon paquet de pubs, dont une part réservée au public belge. Un programme monté sur base des séquences de la vie du château captées, comme au bon vieux temps de la télé-réalité de première génération, par une grosse batterie de caméras placées dans toutes les pièces et saisissant les faits, gestes et paroles des candidats 22H/24 comme le précisaient les règles du CSA français (devenu depuis l'ARCOM). Des caméras dont les captations sont mixées en direct afin que les séquences qui en proviennent possèdent quasiment la même dynamique que celle d'une réalisation plateau. 
 
Ces quotidiennes ne réalisent pas les scores des Prime, mais réunissent tous les jours au moins 140.000 personnes en Belgique, ce chiffre dépassant certains jours les 200.000 téléspectateurs. Score n°1 à ce jour : celui du 3 novembre (225.000).

DES ÊTRES-PORCELAINE
 
La quotidienne montre bien sûr toutes les séances d'apprentissage et d'exercices en tout genre auxquels sont soumis les apprenti(e)s chanteurs/euses, ou des moments "chauds" de la vie sur place : lorsque des vedettes de la chanson française viennent leur dire bonjour ; lorsque monsieur le directeur annonce les épreuves à passer à l'évaluation du mardi; ou quand il révèle les noms des nommés qui risqueront de passer à la trappe à la fin du Prime
 
Mais, au gré des intentions de la prod et des choix des réalisateurs, les quotidiennes révèlent aussi, sinon surtout, la "vraie" (fausse) vie des résident(e)s du château, du lever au coucher. Comme dans le modèle historique de la télé-réalité. De quoi laisser découvrir qui sont, ou ne sont potentiellement pas, ces jeunes adultes âgées de 18 à 28 ans. Des adultes qui semblent tous, malgré leur âge, d'abord être des adolescents en proie au doute, cherchant encore leur identité. Et que l'on imagine mal engagés dans une vie professionnelle, en couple avec des enfants, ou confrontés aux aléas de la vie quotidienne.
Des êtres-porcelaine, immensément fragiles, aux sentiments à fleur de peau. Et sur qui toute critique trop directe entraîne un effondrement quasi complet. La prof d'expression scénique s'en souviendra longtemps, elle qui, ayant été claire et directe face à la prestation nullissime en Prime d'un candidat jemenfoutiste, a dû deux jours plus tard venir s'excuser devant (et bien sûr devant les caméras)  pour l'avoir traité de la sorte. L'évaluation faite par cette prof lui avait immédiatement valu d'être descendue en flèche sur les réseaux sociaux, certains allant jusqu'à réclamer à TF1 sa démission, ou à annoncer des dépôts de plaintes au CSA (devenu l'ARCOM) !
 
TOUT LE MONDE IL EST BEAU…

Contrairement aux premières Starac, l'édition 2022 est en permanence sur la sellette des réseaux sociaux où un public jeune, voire très jeune, qui s'identifie parfaitement à des candidats subtilement castés, considère qu'il est le seul juge de la qualité de ses actes, et ne tolère pas d'être remis en cause par un tiers, qui plus est si celui-ci est un professeur. 
La Star Academy 2022 a ainsi des airs de The Voice, où, tout le monde il est beau et gentil, ce "télé-crochet" ayant en son temps été créé pour adoucir le côté alors trop critique (c'est-à-dire de nature professionnelle) des évaluations de la Starac. Cette fois, pas de risque ! Les avis donnés par les profs lors des Prime sont ainsi tous plus positifs les uns que les autres, au point d'inspirer des larmes d'émotion à certains évaluateurs. Pas tout à fait le genre des évaluations de certains jurés de Danse avec les stars, comme Chris Marker…

Pour la Belgique, les données en notre possession (publiquement accessibles par quiconque) ne permettent pas de déterminer l'identité socio-démographique du public de la quotidienne de l'émission. En France, TF1 a annoncé des chiffres records. Par exemple, pour la troisième semaine, 38% de parts d'audience auprès des 15-34 ans, et 42% chez les 25-34 ans. Mais les PDA ne prennent en compte que celles et ceux qui regardent la télé, et ne donnent pas leur nombre absolu. Raté pour savoir si l'émission a fait un ras de marée chez les jeunes adultes… 
Chez nous, saura-t-on un jour quelle proportion des 174.000 téléspectateurs de la quotidienne (chiffre moyen jusqu'au 11/11) est constituée de jeunes ayant délaissé les réseaux sociaux et les plateformes pour retourner vers le petit écran ?

Frédéric ANTOINE.
 

11 novembre 2022

Mort d'un policier : quand la grande actu tombe dans l'ombre de la nuit


Pas simple de gérer une info quand elle tombe dans la soirée. Le meurtre d'un policier bruxellois, jeudi 10 dans la soirée, démontre que la réactivité des médias n'a pas été au top.

Aux environs de 19h15, rue d'Aerschot, un jeune policier est frappé de plusieurs coups de couteau et décède. Son collègue est grièvement blessé. Dans l'impossibilité de trouver l'heure exacte où la nouvelle est communiquée par Belga (sans abonnement payant, ce n'est pas simple…), on peut estimer que l'info est arrivée dans les médias vers 19h50. Le JT de La Une est alors diffusé en direct. Malgré l'importance de l'événement, il n'y sera jamais fait allusion à cette info au cours des 15 minutes qui s'écoulent entre 19h50 et 20h35. Et il n'y aura pas d'émission spéciale par la suite sur le sujet. Sur RTL TVI, le journal était terminé, mais il n'y aura pas là non plus d'émission sur l'événement. Les soirées des deux chaînes se dérouleront normalement, comme si de rien n'était. Sans mort de policier.

Plus étonnant, il en est de même sur LN24, supposée être sur l'événement en direct tout au long de la journée. Mais pas de 20 à 22h, où la station diffuse des documentaires. Là aussi aucun bandeau ne défilera en bas de l'écran (pour donner cette info, ou d'autres). Il faut attendre 22h pour que la journaliste présentant un JT qui sera ensuite rediffusé, donne l'info face caméra très succinctement. Pas d'envoyé sur place, par d'images, de reportage, d'interview. Rien que une photo qui sera celle utilisée par presque tous les médias du monde qui traiteront de l'événement (et qui ne montre rien de très précis).  RTBF et RTL TVI n'ont pas encore trop à craindre de leur concurrence apparentée au groupe IPM… Ce soir-là, l'info tv n'était pas au rendez-vous.

PRENDRE SON TEMPS

Et les médias "classiques" ? Sur le smartphone à notre disposition, la première alerte provient de Sud Info à 19h55, rapidement suivie par celle du Soir (= les 2 médias de Rossel). L'alerte suivante tombe sur notre smartphone 20 minutes plus tard, en provenance de RTL Info. Il faut attendre un peu moins de 40 minutes pour qu'une alerte arrive de La Libre, puis de 7/7.be. L'alerte de L'Avenir arrivera plus de 40 minutes après celle de Sud Info, et celle de la RTBF un peu moins de 50 minutes, comme celle de La DH. Il semblerait y avoir comme du retard dans l'air…

CONFIRMATIONS…

Lors d'une précédente chronique sur ce blog, ce type de relevé des heures de réception des alertes sur un smartphone avait été discuté par un lecteur. Nous le complétons donc ici par un relevé de l'heure affichée en tête de l'article publié sur l'appli du médias, et auquel l'alerte renvoie directement.

Les résultats sont légèrement différents, mais confirment tous que, en soirée, la réactivité des médias devant une actu de ce genre n'est pas parfaite.

Comme pour les alertes, les médias du groupe Rossel sont les plus rapides à publier un article sur le sujet (Le Soir ne fera qu'une brève avant d'être plus précis 30 minutes plus tard). Il y a quasi similarité entre l'article et l'alerte. A La Libre, l'article est écrit vers 20h30 (soit 33 minutes plus tard que la brève du Soir), avant que l'alerte ne nous soit transmise. Idem chez 7/7, qui publie près de 35 minutes plus tard que Sud Info. L'Avenir fait paraître son texte 2 minutes avant que nous recevions son alerte, soit près de 3/4 d'heure après Sud Info. La RTBF publiera son texte et son alerte en même temps, à plus de 50 minutes du premier. Pour RTL Info, il semble y avoir un illogisme entre l'heure de l'alerte (20h25) et le l'heure notifiée en tête d'article (20h39). Il faut préciser que l'heure retenue ici est celle explicitement indiquée comme étant cette de la première publication, et pas celle des mises à jour. Et que, sauf erreur de réception, LN24 n'a envoyé aucune alerte à propos de cette info. A 20h11, son alerte concernait le "Doc en prime" diffusé à l'antenne, dont le titre correspondait assez à l'actu du moment: "Demain, serons-nous tous myopes"…

Face à cet événement, certains médias se sont vraiment montrés très prudents avant de le rendre public. Précaution extrême de mise ? A moins que, simplement, tous n'aient pas eu les mêmes moyens, une veille de 11 novembre à 20h, pour traiter une actu chaude ?

Frédéric ANTOINE.



08 novembre 2022

L'amour n'est plus dans le pré


La quatorzième saison de L'amour est dans le pré, sur RTL TVI, sera-t-elle la dernière ? Tout montre que, sur le marché belge, la formule arrive à bout de souffle, tant côté des fermiers que de leurs prétendants.  Et, en partie, de l'audience.

L'audience 2022 de L'amour est dans le pré (AEDP) n'est pas terrible. Le volume de l'auditoire J+1 (les gens qui regardent en direct, ou en léger différé) est à peu près identique depuis le début de la diffusion. Il n'a décollé que tout récemment, lors du premier épisode de sélection finale de la prétendante. Si on ajoute ceux qui regardent jusqu'à J+7, les chiffres sont meilleurs, et moins plats.

Ces audiences 2022 sont aussi clairement  inférieures à celles des années précédentes. Que ce soit l'édition 2021, qui avait été différente des versions précédentes parce que plus courte, sans présence de Sandrine Dans, et recourant beaucoup aux voix, notamment.
Ou que ce soit celle de 2019, dernière année “normale” avec une formule traditionnelle, ± identique à celle de cette année 2022. Et ce même en J+7.

De quoi cet affaiblissement de l'audience est-il un indice ? Tentative d'analyse.

UN RÊVE DE TV  MÉDIATRICE

Elle était belle, l'ambition originelle de L'amour est dans le pré (AEDLP). Servir d'agence matrimoniale médiatique à des agriculteurs solitaires éloignés de tout cœur à prendre, n'était-ce pas là un superbe rôle pour la télévision ? Bien sûr, le programme s'immisçait dans la vie des candidats et de leurs prétendant(e)s, montrant de semaine en semaine leurs relations et sentiments, comme il se doit dans une émission de télé-réalité. Bien sûr, chaque épisode était précédé, suivi et entrecoupé de bon nombre d'écrans de pub bien remplis et chers vendus, comme cela se doit dans l'univers de la télévision privée. Mais ce programme-là revendiquait d'apporter autre chose qu'un simple spectacle et un étalage de monstration de sentiments. Il disait vouloir servir à quelque chose. Avoir une utilité. Et, qui plus est, sociale, humaine. C'est-à-dire, par exemple, sans aucun rapport avec “l'utilité" du filmage 22h/24h des candidats de la Star Academy.

Avec l'AEDLP, la télévision rentrait parfaitement dans une des configurations définies dès les années 90 (soit avant l'arrivée de la télé-réalité) par la sociologue Dominique Mehl, qui parlait déjà à l'époque de la "télé médiatrice" (1).

TROP PETIT POUR L'HEXAGONE ?

La télé-réalité aime se parer de justifications sociétales, et ici c'était plutôt réussi. Perdus au fin fond d'immenses terres campagnardes isolées de tout, vivant presque comme il y a un siècle, de pauvres célibataires endurcis par la vie des champs pouvaient ainsi rêver de trouver l'âme sœur. Et, parfois, ça marchait. 

À l'échelon de la France, pareil concept avait tout son sens, tant les zones agricoles sont dans des déserts démunis de tout.  À commencer par des occasions de rencontrer d'éventuel(les) compagnes et compagnons ailleurs qu'à un diner sanglier après une chasse, à une après-midi loto à la salle des fêtes ou lors du bal du village, toujours aussi musette en 2022 qu'en 1922.

Ayant fait un tabac en France, le concept passe la frontière, et devient tout aussi populaire en Wallonie. Les premières audiences de la version belge de l'AEDP cassent la baraque et le public urbain, médusé, découvre qu'il y a véritablement une crise de la solitude au sein d'un monde agricole déboussolé, où l'on ne cesse de travailler dur, tout en reconnaissant que, sans les aides de l'Europe, la survie aurait déjà été impossible. L'AEDP devient la face visible de l'iceberg d'un monde que l'essentiel de la population ignore d'autant plus que, aujourd'hui, le monde agricole ne représente plus qu'une dizaine de pour-cent de la population belge.

UN FORMAT EN ÉVOLUTION

Petit à petit, l'émission élargira le spectre de sa "clientèle” de cœurs perdus. Pardi, finalement, les vieux garçons perdus dans des fermes délabrées, il n'y en a pas légion. On découvre alors que le monde agricole est multifacette, et que les clichés qu'on peut avoir à son égard doivent être plus que nuancés. Au fil des années, les profils des célibataires s'élargiront à l'ensemble de l'univers lié à l'agriculture, voire même (fort) au-delà. La définition du “célibataire” évoluera elle aussi, ceux qui seront castés et retenus s'éloignant de plus en plus du profil de l'endurci. Deux ou trois dizaines de mois de solitude suffiront parfois pour répondre au critère et être pris dans l'émission. Dans un monde où tout va vite et où règne l'immédiateté, les mois ne durent-ils pas autant que des années. Alors, dans ces cas-là, faire "appel à l'équipe" (c'est-à-dire à la prod de RTL TVI) ne paraît pas illogique.

Mais, avec ces adaptations, la formule s'érode peu à peu. La quatorzième édition, qui se terminera avant la fin novembre, constitue une illustration parfaite des désagrégations successives d'un concept en définitive peut-être devenu trop difficile à exploiter correctement sur un petit territoire de 4 millions d'habitants, où il n'y a plus que 22.000 personnes qui travaillent régulièrement à la ferme, ce nombre étant encore plus réduit dans les exploitations de type familial (± 13.600 hommes et 6.200 femmes) (2).

DÉSAGRÉGATIONS

Cette difficulté de recrutement se retrouve du côté des célibataires (± endurcis, donc), qui ont envoyé leur candidature à RTL TVI et ont été retenus par la production (en tout cas est-ce comme cela qu'ils sont présentés). 

Parmi ceux-ci, deux candidates, mère et fille. Et ne sont pas directement liées au monde agricole puisqu'elles animent et dirigent… un manège. Certes, il s'agit toujours d'animaux, mais n'est-on pas là très borderline ?
Autre candidat à la frontière du genre : un jeune patron d'entreprise d'élevage de poussins, plus proche du monde entrepreneurial que de celui de l'exploitation agricole.
On se demandera aussi pourquoi la production a sélectionné dans son échantillon un jeune agriculteur de 22 ans, plutôt séduisant, qui passe toutes ses fins de semaine à s'amuser dans les fêtes que des membres de la FJA (Fédération des Jeunes Agriculteurs) semblent organiser aux quatre coins de Wallonie. À cet âge et dans ce contexte, la médiation de l'appareil télévisuel était-elle vraiment nécessaire pour sauver ce jeune homme d'un célibat qui ne devait avoir duré que quelques mois?…
 
Même si les autres candidats sont, eux, les bottes bien ancrées dans les terres agricoles, cette diversité de casting écarte le téléspectateur du cœur de cible. Bien d'autres préoccupations que celles de la ferme se mettent en effet à occuper (voire brouiller) l'écran.

COMME NEIGE AU SOLEIL
 
Tout cela ne serait pas trop grave si cet éparpillement du casting avait été sans conséquence. Or, au fil du programme, le nombre de candidat(e)s a fondu comme neige au soleil, une partie de ces “agriculteurs atypiques” rendant les armes dès le début de « l'aventure », ou presque. 
 
Cherchant à encourager la diversité, le casting comprenait un agriculteur issu à la deuxième génération d'une famille immigrée. Il se désistera avant même l'étape de la réception des courriers envoyés par les prétendants. 
 
Au manège, la candidate la moins âgée déclarera forfait avant l'arrivée des prétendants qu'elle avait sélectionnés.

Quant au jeune agriculteur de 22 ans, au moment de faire un  choix définitif entre ses prétendantes, il déclarera n'avoir rien ressenti ni pour l'une ni pour l'autre, et les renverra donc toutes les deux chez elle sans autre forme de procès. Il sera tout de même forcé d'avouer que, en fait, il en pinçait pour une autre, qui n'était pas venue aux speed dat, mais… qu'il connaissait déjà auparavant.
 
LA GRANDE (PETITE) FAMILLE AGRICOLE 

La deuxième perversion qui gangrène l'AEDLP est ainsi liée à l'étroitesse du monde agricole. Si le jeune éleveur de moutons ans de 22  rêvait d'une jeune femme qu'il connaissait déjà, plusieurs de ses prétendantes l'avaient aussi rencontré auparavant lors des soirées de la FJA. 
 
Le fait n'est pas propre à cette édition-ci de l'AEDLP, mais plusieurs candidats se connaissaient visiblement avant l'émission, et certains avaient incité d'autres à candidater. Il en est de même du côté des prétendant(e)s. Plusieurs sont issu(e)s du monde agricole et se connaissent. 
Des liens familiaux existent entre certaines prétendantes. La femme qui sera retenue par un des agriculteurs avait déjà fait l'émission l'année dernière, et était restée en couple plusieurs mois avec celui qui l'avait choisie à l'époque. 
Au moment du départ de la personne qu'il n'avait pas retenue, un agriculteur n'hésitera pas à lui dire "Et bien le bonjour chez toi"… 
Autant de liens et de sous-entendus qui annihilent l'impression de naturel, de légèreté et de surprise auquel le spectateur croit s'attendre. Finalement, les jeux ne sont-ils pas un peu pipés ?
 
AU SPECTACLE

Enfin, l'émission semble attirer moins de prétendant(e)s que par le passé. Les candidat(e)s séduisent-ils moins? En tout cas, les prétendant(e)s paraissent moins nombreux à envoyer le fameux courrier avenue Georgin. D'où des sélections parfois difficiles (plus de personnes = plus de choix diversifiés), et dans certains cas un nombre très limité de prétendant(e)s retenus. 
Cette année, des personnes ont même été conviées à Bruxelles à un “visionnage collectif”, au Food Market de la gare maritime de Bruxelles, le 18 avril, afin de les inciter à poser leur candidature. Une démarche différente de celle de l'envoi spontané d'une lettre d'amour à la production…

Regardant l'AEDLP, le spectateur peut par moment se dire : "Tout ça pour ça !". En fait, oui. Parce que, finalement, cette émission est aussi, sinon d'abord, un spectacle. Tant pis si les personnages se connaissent déjà ou si les longues séquences des séjours à la ferme n'aboutissent à rien, l'essentiel est dans le récit, les sentiments qu'il inspire et les sensations qu'il procure au téléspectateur. Et dans les personnages. Si ceux-ci sont typiques, tant mieux. L'émission terminée, on s'interrogera toujours sur certains des choix faits par les célibataires. Clairement, ils n'ont pas tous été faits dans l'espoir de se lancer avec lui (ou elle) dans une nouvelle vie. Mais dans le but de donner du show, de l'exotique, de l'original. 
Permettre à des personnes du monde agricole de se sentir moins seul(e)s, est-ce vraiment encore au programme ?

Frédéric Antoine
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(1) Dominique MEHL, La fenêtre et le miroir, Paris, Payot, 1992.
(2) https://etat-agriculture.wallonie.be/contents/indicatorsheets/EAW-A_I_a_2.html#

29 octobre 2022

Les JT après les années covid : pas la débâcle, mais pas la joie non plus


Depuis la fin des fortes épidémies de covid, on avait dit les gens dégoutés de l'info, et désertant en masse les rendez-vous d'actu. Par rapport à 2019, les JT rassemblent effectivement un peu moins de monde. Mais c'est loin d'être la cata.

Les oracles (et les enquêtes sociologiques [1]) l'avaient laissé croire : entre covido-sceptiques et partisans des théories du complot, convaincus que les médias étaient manipulés, et un grand public devenu allergique à l'actualité tant il en avait consommé lors des confinements, il y avait un point commun : les uns et les autres annonçaient vouloir déserter les JT et leurs flots de mauvaises nouvelles anxiogènes. Réaction épidermique ou lame de fond ? En confrontant les audiences "d'avant" et d'après" grandes épidémies de covid, il y a assez loin de la coupe aux lèvres.

PAS SI CLAIR...

Le graphique comparatif ci-dessus (2) montre évidemment l'envolée des audiences des JT de RTL-TVI et de la RTBF en 2020 (courbes grises et jaunes), ainsi que le nombre de spectateurs/jour un peu plus important en 2021 (courbes bleu clair et verte). Les résultats de 2019 et 2022 sont ici difficiles à distinguer. Regardons donc les audiences des deux années moins marquées par la crise du covid : celles "d'avant" et celle d'après".
 
QUASI-SUPERPOSITIONS
Pour le RTL Info 19h, la similitude de tendance des deux courbes apparaît clairement : en 2019 comme en 2022, les audiences croissent ou décroissent régulièrement au même rythme, les courbes allant jusqu'à se recouper. Ces similitudes démontrent que les habitudes d'usage des spectateurs sont en général les mêmes "avant" et "après" le covid : il y a des jours de la semaine où on regarde moins ce JT, et d'autres où c'est le contraire. Le presque recouvrement atteste aussi de la quasi-égalité entre le nombre de spectateurs présents en 2019 et en 2022. Ils n'ont clairement pas déserté en masse.
Pour Le 19H30 de La Une, les constatations faites à propos de RTL TVI sont également de mise : les deux courbes présentent fréquemment les mêmes tendances journalières, et les deux courbes se superposent à certains moments, mais peut-être moins fréquemment que chez le concurrent privé (en tout cas dans la partie de la courbe concernant le mois d'octobre). Apparemment, dans l'ensemble, l'audience de La Une paraît ± identiquement au rendez-vous.
 
RTL TOUJOURS DEVANT...

Rien n'a-t-il dès lors changé ? En tout cas, la domination du JT de la chaîne du groupe appartenant à DPG-Rossel (les deux lignes bleues) sur celle du boulevard Reyers (lignes oranges) paraît à peu près constante au cours des deux années. 
En comparant les audiences jour par jour, le déficit d'audience du JT de la chaîne publique est quasi permanent tant en 2019 qu'en 2022. Les rares jours où ce JT rassemble plus de spectateurs que celui de RTL sont plus nombreux en 2019 qu'en 2022.
 
LE FIFRELIN QUI TUE
Finalement, y a-t-il plus ou moins de spectateurs en 2022 qu'en 2019 ? En établissant l'audience quotidienne moyenne des deux JT sur les deux années, pendant la période analysée, les résultats paraissent à peu près équivalents. 
Mais, en y regardant de plus près, on constate que le RTL Info, qui dépassait de peu, en moyenne, les 500.000 téléspectateurs quotidiens en 2019, en rassemble désormais 487.000. Le 19H30, de son côté, passe de 450.000 à près de 439.000. 
En chiffres absolus, l'audience des rendez-vous d'info des deux chaînes est donc bien plus basse en 2022 qu'avant le covid. Mais ces variations se situent à la marge, et sont de volume à peu près identique : une perte de ± 12.500 personnes pour la RTBF, et de ± 14.000 pour RTL TVI. Soit des chiffres qui se trouvent bien à l'intérieur de la marge d'erreur de la méthode de mesure de l'audience qui, rappelons-le, est réalisée sur un échantillon de foyer dont les usages télévisuels sont extrapolés à ceux de l'ensemble de la population belge francophone. 
 
Un fifrelin qui aurait tendance à pousser à la conclusion que seule une infime partie de l'audience aurait fui les JT. Voire que leurs audiences peuvent être estimées stables. D'autant qu'il ne faut pas aussi perdre de vue celles et ceux qui regardent chaque jour le 20H de TF1, et qui sont très fréquemment plus de 100.000.


Alors, où sont donc passés les anti-JT ? (3) Ne sont-ils pas passés des paroles aux actes ? Étaient-ils en fin de compte si peu nombreux qu'ils sont passés entre les mailles de l'audimètre ? Ou n'en ont-ils en fait jamais été spectateurs ? C'est sans doute ici que se révèle une des limites des méthodes de mesure quantitatives.

Frédéric ANTOINE
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[1] Notamment l'enquête sur les usages des médias en temps de covid que nous avions lancée au printemps 2021.
(2),Pour que la comparaison soit correcte, celle-ci a été opérée sur la même période de l'année (les mois de septembre et les 24 premiers jours d'octobre), en organisant les données selon les mêmes jours de la semaine.
(3) Dans l'enquête que nous avions menée au printemps 2021, la proportion de répondants déclarant qu'ils allaient changer leurs habitudes de consommation de l'info s'était avérée faible, mais bien présente.


20 octobre 2022

LIZZ resigns : (presque) tous sur la balle


L'annonce de la démission de la Première ministre britannique a rapidement déclenché des alertes info sur les smartphones. Mais tous les médias belges francophones n'ont pas réagi aussi rapidement…

En Grande Bretagne, la future démission de Lizz Truss semblait dans l'air bien avant cet après-midi, et les médias étaient tout matos dehors bien avant qu'elle ne sorte sur le pas de la porte du 10 Downing Street, en tout début d'après-midi (sans doute après son Last Lunch as Prime Minister).

À 01h33 PM heure de Londres, la BBC annonce que Lizz Truss est devant le pupitre, et va s'adresser aux Britanniques. La présentation de la démission a lieu à 01h34 PM, et tout est fini à 01h37 PM. L'info est si extraordinaire (jamais un chef de gouvernement de sa Gracieuse Majesté n'avait baissé les bras aussi vite) qu'elle mérite bien un "Breaking news" et une alerte sur les smartphones. La politique des médias n'est-elle pas aujourd'hui de pratiquer le "mobile first"?

LE TEMPS D'UN ŒUF À LA COQUE

Alors, qu'est-ce que cela donne? On ne peut pas être abonné aux alertes de tous les médias. L'observation qui figure ici n'est donc pas exhaustive mais comprend tous les médias francophones belges couvrant l'actu chaude en continu.

Trois minutes auront suffi à certains médias pour annoncer la nouvelle. Parmi les alertes dont nous disposons, le quotidien Libération (Paris) aura été le plus rapide, ce qui peut paraître étrange pour un média qui se veut plus "quality" que hot news.

Pour la Belgique francophone, l'alerte la plus rapide, à peine quelques secondes après Libé, est N24. La chaîne confirme ainsi qu'elle est bien une télévision qui entend sauter sur l'info, et être immédiatement sur la balle. Le Breaking news, c'est son affaire. En tout cas pour l'actu en question. Une belle promesse pour l'avenir.

Ensuite, les choses 'traînent' un peu. Si plusieurs médias français (ou du Québec) lancent leur alerte à Actu+4, en Belgique francophone, il faut attendre Actu+5 pour que des alertes tombent sur les smartphones. Et d'abord celle de la RTBF, qui démontre ainsi que, tout comme LN24, elle est elle aussi sur la balle de tous les événements.

Le Soir est à peine moins rapide, démontrant que ce n'est pas parce qu'on est un quality paper qu'on ne peut pas être prompt sur la transmission de l'info, surtout quand celle-ci est sûre et ne mérite pas divers recoupements. Les régionaux de Rossel, réunis dans Sud Info, réagissent quasiment aussi vite que Le Soir. Le quotidien de la rue Royale est ainsi plus rapide que les grands quality papers français Le Monde et Le Figaro qui se targuent souvent de ne pas faire la course à l'annonce d'un événement.

ALERTES À LA TRAÎNE

Le site 7/7.be donne la nouvelle à Actu+10, ce qui est une réaction moyenne. Tous les titres de IPM se trouvent au-delà de ce timing. Si on comprend que La Libre entretienne son image de quality paper en ne cherchant pas à être le premier à livrer l'info, il ne devrait peut-être pas en être de même de son "compère" La DH. Mais comme il semble que la gestion de tout ce qui est numérique soit assez proche entre les deux titres, Libre et DH communiquent la nouvelle à Actu+12, ce qui est tout de même assez tardif (6 minutes plus tard que Le Soir, et 9 minutes de plus que LN24, qui appartient au même groupe). 

L'Avenir, qui appartient aussi à IPM, est encore plus lent: il publie sont alerte pour téléphones à Actu+16! Une démonstration de l'intérêt très relatif qu'il porte à l'actualité internationale. Alors que tous les médias alertaient sur la démission  londonienne, L'Avenir publiait une alerte sur l'annonce du cancer d'un homme politique wallon avant d'informer sur le départ de Lizz Truss. De quoi démontrer quelles sont ses priorités.

Doit-on en dire autant de RTL Info, qui se veut normalement en ligne directe avec le hot news, mais qui a réagi à Actu+20 minutes, alors que les autres médias avaient déjà tourné la page ou se focalisaient sur l'aftermath de l'info: quels candidats au poste, Boris Johnson a-t-il des chances, etc? De quoi la tardive réaction de la rédaction de RTL est-elle le signe, alors que sa nouvelle direction déclare que l'actu est un des piliers du groupe, et le restera?

LACONIQUE OU PLUS PRÉCIS?

Bien sûr, il y a le fait de réagir, puis il y a le contenu. Car même dans une alerte smartphones, on peut en dire peu ou plus. Beaucoup se limitent à   "Royaume-Uni: La Première ministre Lizz Truss annonce sa démission", certains médias insérant tout le message dans le corps du texte (Libération, France Info, Le Figaro), et d'autres jouant sur un avant-titre en plus du titre (LN24) (1). Le Soir est dans la même tonalité minimaliste, avec une formule plus raccourcie mais tout aussi informative: "La Première ministre britannique, Lizz Truss, annonce sa démission". 

Certains entendent en dire davantage. BFM ajoute que Lizz Truss était "fragilisée", ce qui apporte une réponse au "Pourquoi" de la liste des 5W qu'on doit normalement retrouver dans une info. 

Plusieurs médias mettent l'accent sur le caractère particulier de la situation: la brièveté du règne de Lizz Truss. La RTBF dit qu'elle démissionne "après moins de deux mois". 7/7 parle de "seulement 45 jours".

On pourrait croire que, arrivées tardivement après les autres alertes, celles de La DH et de La Libre auraient été plus peaufinées, détaillées ou complètes. Ce n'est pas le cas. Elles se contentent du même contenu informationnel bref, sans y ajouter le moindre détail. Tout comme la lanterne rouge de notre classement horaire, RTL Info, qui, 20 minutes après l'événement, se contente de dire que "la Première ministre britannique Lizz Truss démissionne".

Enfin, même dans une alerte info, on peut trouver de quoi dramatiser la nouvelle. Sud Info commence ainsi son message par les mots "Crise gouvernementale au Royaume-Uni". L'anxiogène mot "crise", présent ici, ne sera pas utilisé par les autres médias. Si les alertes infos se contentent généralement du factuel, sans faire d'accroche, chez Sud Info, mettre en avant le caractère sensationnel de l'info semble inscrit dans les règles d'écriture.

Frédéric ANTOINE.

(1) D'ordinaire, l'avant-titre des alertes info donne simplement le nom du média émetteur, voire ne comprennent que la mention: "alerte info". Certains médias, comme LN24 (ou Sud Info) se contentent de donner leur identité via le cadre graphique situé à gauche de l'alerte info, et utilise l'avant-titre pour apporter un premier élément contextuel d'info ("Grande-Bretagne", pour LN24, ce qui est assez précis. "Monde", qui l'est beaucoup moins, pour Sud ìnfo) . (texte corrigé à ce propos ce 21/10 suite à une remarque faite par LN24 lors de la publication le 20 en soirée)
 

18 octobre 2022

La dictature de l'illu qui tue l'info

 

Depuis que l'info se consomme en ligne, elle est accompagnée d'une sorte d'impératif catégorique: elle doit obligatoirement être illustrée. Coûte que coûte. Au risque de voir l'illu faire dévier ou tuer le sens de l'info. Mais personne n'a l'air de s'en soucier. Cas d'école.

Le 15 octobre, une fusillade se produit dans un camp d'entrainement de l'armée russe, dans les environs de la ville de Belgorod, proche de la frontière ukrainienne. Il y a au moins 11 morts et 15 blessés, selon le ministère russe de la Défense, qui parle d'attentat. L'info est relayée par les médias du monde entier. En vertu de la "dictature de l'illu", pour la "vendre" au lectorat, elle doit impérativement être illustrée. Mais comment faire, alors que l'événement n'a, évidemment, pas été photographié par des reporters de guerre au-dessus de tout soupçon ?

UNE IMAGE, DU CONTENU

En scrollant sur les sites d'info, l'inanité de cette obsession iconique saute aux yeux. Forcés de fournir une image, les responsables des sites qui publient des articles sur cette fusillade oublient un élément-clé du journalisme : celui qui veut que toute image de presse soit porteuse d'un contenu informationnel, c'est-à-dire qu'elle contribue à l'information du lecteur. En journalisme, une image n'est pas une "simple" illustration, un élément de décoration mis à côté d'un texte pour faire joli ou attirer le regard. L'image peut bien sûr être esthétique et attractive. Mais elle doit, d'abord, apporter de l'information qui complète ce qui figure dans l'article qu'elle accompagne. Et si possible ne pas être en redondance avec le contenu de celui-ci.

Dans ce cadre, ce que montre l'image est évidemment essentiel. Mais il ne prend souvent sens que grâce à la légende qui la suit. Souvent, c'est la légende qui donne sens à l'image. Ce n'est pas tout à fait comme ça que l'envisage la sémiologie, mais on pourrait dire que, en quelque sorte, l'image est de l'ordre du signifiant, et la légende du signifié. Sans légende, l'image reste polysémique. On peut y mettre ce que l'on veut. La légende cadre la signification de l'image et lui permet d'apporter son "plus" informationnel.

LA LÉGENDE AUX OUBLIETTES

Or dans bien des cas, sur les sites d'info, le légendage des photos est désormais passé aux oubliettes.  On "tape" la photo comme ça, au-dessus du texte, au lecteur de comprendre en quoi celle-ci apporte quelque chose à celui-là. Au mieux  on misera sur le fait que le titre de l'article, qui suit souvent l'insert iconique, suffira à donner du sens à l'image, l'important n'étant pas que l'image informe mais qu'elle attire le regard et donne envie de lire le texte.  Jusqu'au point d'en pervertir ou nier le contenu?

Dans les fils info, l'absence de légende est ontologique. Le lecteur n'a à sa disposition qu'un titre court et une illu, l'essentiel étant qu'il clique pour accéder au contenu (ou au paywall…).  Exemples extraits des sites de La DH et de La Libre (qui sont, économies d'échelle obligent, quasiment similaires):



 

 

Les photos des fils infos ouvrent toujours l'article auquel on accède. Et c'est ici que l'observation de l'impératif illustratif brille par toute sa splendeur.

 UN MYSTÈRE PAS TRÈS NET


La Libre et La DH recourent à la même illu, non légendée, insérée après le chapeau de l'article. La photo montre des militaires descendant d'un hélicoptère. Quel rapport avec la fusillade dans un camp militaire près de Belgorod ? La question reste ouverte. Seul lien direct : la présence de soldats. Des militaires ukrainiens ont-ils débarqué dans le camp par hélico pour lancer une attaque ? Sont-ce les militaires russes du camp qui se protègent derrière un hélicoptère ? Mystère. L'image laisse supposer un lien entre l'événement et la présence d'un hélico, or celui-ci n'est évoqué nulle part dans l'article.

Une rapide recherche sur le web démontre que cette photo n'est pas liée à l'événement qu'elle illustre. Plusieurs sites d'info l'ont utilisée, sans la légender, avant la mi-octobre 2022 (Swiss Info, le 7/10, The Hill, le 8/10…). D'autres sites ont publié la photo en mentionnant seulement sa source (Ukrayina.pl le 06/08, Latercera.com, le 04/08…). Quelques sites ont précisé qu'il s'agisait d'une image d'illustration (Wiadomosci Gazeta, le 02/09, Ukrayina.pl, le 06/08…). Des informations déjà plus précises que ce qui figure sur les sites de La Libre et  de La DH, où il est seulement fait état d'un copyright AP. Et qui démontrent que l'image remonte au moins au 4 août, et non au moment de la fusillade.

AUTOPSIE D'UNE ILLU MUETTE

En approfondissant les recherches, on découvre que plusieurs sites ont légendé l'image. Certaines de ces légendes sont peu précises, comme celle de la chaîne d'info allemande n-tv, dès le 10/08 : " Ein neues Armeekorps soll nach erheblichen russischen Verlusten mehr Soldaten in die Ukraine bringen."(1) D'autres paraissent hors sujet, comme celle de Indiatvnews (04/09) : "Local authorities “will do everything necessary to make the signing of the contracts as convenient as possible,” the official statement said." (2), ou celle figurant sur le site de la chaîne publique allemande ZDF : "In der Region halten schwere Kämpfe an. Die Anwohner leisten den Aufforderungen der Behörden zur Evakuierung des Gebietes Folge. Dafür werden Busse und Züge zur Verfügung gestellt." (3)

Mais il y a des légendes précises, qui apprennent ce qu'est réellement le contenu de cette photo (4) . Les infos les plus détaillées accompagnent souvent les publications les plus anciennes, c'est-à-dire les plus proches de l'événement qu'a réellement capté l'objectif du photographe. Le site eupennois Ostbelgien utilise l'image dès le 30/07, avec la légende suivante: "30 juillet 2022, Ukraine, --- : Dans cette vidéo encore, des soldats de l'armée russe sortent d'un hélicoptère militaire lors d'une opération dans un lieu tenu secret en Ukraine. Photo : -/Service de presse du ministère russe de la Défense/AP/dpa" (5). Le 31/07, pravda.sk (Slovaquie) reprend l'image avec une légende plus courte et descriptive: "Des soldats de l'armée russe sortent d'un hélicoptère militaire lors d'une mission dans un lieu tenu secret en Ukraine. L'image a été fournie par le service de presse du ministère russe de la Défense. / Foto: SITA/AP, Ministerstvo obrany RF". Le 1er août, le site du quotidien norvégien ABC Nyheter légende la photo comme suit : "Cette photo, publiée par le ministère russe de la Défense en juillet, montrerait des soldats russes dans la région du Donbass en Ukraine. Selon les services de renseignement britanniques, la Russie est probablement en train de déplacer des forces du Donbass vers le sud de l'Ukraine. Photo : Ministère russe de la Défense / AP / NTB Photo : NTB".

UNE PHOTO PÉRIMÉE ?

Ainsi, il apparaît que cette photo a été prise au cours du mois de juillet, et visiblement rendue publique par le ministère russe de la Défense le 30/07. Cette image est issue d'une vidéo montrant des soldats russes en action. Le journal slovaque Pravda, fondé en 1920, publie le 01/08 une « fotogaleria » de 6 images issues de cette vidéo, et mentionne qu'elles figurent  « sur les prises de la vidéo ». Le lieu où la vidéo a été tournée est "tenu secret", mais se situe en Ukraine, sans doute dans le Donbass.

On est donc très loin de l'info dont cette photo est l'illustration. Certes, elle montre des soldats russes, mais ceux-ci ne sont pas en Ukraine, ne participent pas à une fusillade, et nse sont sans doute pas dans un camp d'entrainement. De plus, il y a au moins deux mois et demi d'écart entre l'image et le texte. Enfin, la source citée, AP, est incomplète, et ne permet pas de saisir que le cliché provient du ministère russe de la Défense.

 UN INCENDIE FORT 'HORS SUJET'

L'exemple développé ici dans le cas de deux quotidiens est loin d'être le seul où un gap existe entre l'info et son illustration. L'Avenir, qui appartient au même groupe IPM, a pour sa part choisi d'illustrer l'info par une image, située sous le chapeau, et représentant un incendie. Elle est prudemment légendée : "La région de Novgorod." Si légende il y a, celle-ci a-t-elle un rapport avec l'événement ? En fait, un seul: photo et info se situent bien dans la même région. Comme si on illustrait une actu sur la gare de Liège par une photo du casino de Chaudfontaine, en légendant: "La région de Liège."

Mise à part cette relative exactitude géographique, la photo  choisie est plutôt mensongère dans son rapport à l'info, car la fusillade n'a pas suscité d'incendie. Celui-ci est lié à une "frappe" qui a touché une station électrique de la région de Novgorod le 14/10. Or, l'affaire qui nous occupe a eu lieu le 16. Selon des médias qui ont légendé cettee image (6), celle-ci aurait été prise par le gouverneur régional Viatcheslav Gladkov et diffusée sur Telegram. Aucun rapport donc avec "l'attentat" dont parle l'article.

 

MÊLI-MÊLO D'INFOS

L'Avenir n'est pas le seul à faire cette association erronée, qui pousse à la confusion. Ainsi, par exemple, à l'autre bout de la planète, le Bangkok Post illustre par la même image un article intitulé "Russia says 11 killed in 'terrorist attack' at military site". La légende de la photo entend ici éviter la confusion, en expliquant que le gouverneur de Belgorod a diffusé des photos des dégâts causés par 'une attaque' sur une sous-station électrique. Bel effort de nuance, sauf que le type d'attaque dans les deux cas n'a rien de commun… 
Autre exemple : le quotidien parisien La Croix, qui illustre par cette fameuse photo d'incendie, à première vue non légendée, un article titrant sur les nouvelles frappes dans la région de Belgorod, en ouvrant son article en parlant des frappes ayant eu lieu le dimanche, alors que la photo remonte au vendredi. Si on clique sur la photo, une légende apparaît et cela change tout! Car elle explique que la photo a été prise le 14/10 par le gouverneur et concerne une centrale en feu suite aux frappes. Pour avoir l'explication, il faut donc d'abord disposer d'un mode d'emploi, ou être un habitué. Néophytes de La Croix, s'abstenir…
 
 JUSTE UNE IMAGE ?

L'illu de 7sur7.be représente un soldat à lunettes, portant un écusson russe, à l'affût, braquant son arme. Sa légende a le mérite du laconisme. En mention nan seulement "Archives d'illustration" (avec un 's' étrange à archives), on se prémunit de toute critique. Personne ne saura exactement ce que la photo représente, mais on se doute que "c'est juste une image", et pas "une image juste", comme Jean-Luc Godard se plaisait à le dire. Une image amplement utilisée ces derniers jours pour illustrer des articles sur la guerre d'Ukraine, plusieurs médias l'utilisant, tout comme 7sur7, pour accompagner un article sur la fusillade, souvent sans légende, comme le Moscownewsnet, Connexionblog,  ou  le site du Irish Sun
 
En quelques heures de recherches, il a été impossible de déterminer davantage l'histoire de ce cliché et son origine. Il semble avoir surgi au moment de l'événement, on en tout cas ne pas avoir été utilisé précédemment. Mais d'où vient-il?

Son usage dans ce cas-ci pose la question de l'apport de l'image à l'info. On parle en effet de fusillade ou d'attentat envers des soldats russes. Est-ce ce que l'image laisse supposer? Elle représente un soldat russe en position de combat, et non en situation d'agressé.
 
 DE FAMEUX AGRESSEURS…
 
Deux médias belges francophones ont choisi la même photo pour illustrer l'événement : Le Soir et la RTBF. Dans les deux cas, nous sommes dans l'après-événement. Ici, pas de personnage, mais ce que l'on considère être l'aftermath de l'attaque: des bâtiments calcinés, voire détruits. Ce qui semble à première vue un fameux succès pour une agression menée par seulement deux "terroristes", selon les termes russes.

Formellement, les deux pages se ressemblent plutôt : exactement le même titre, et même absence de légende pour un cliché, lui aussi totalement identique… mais impossible à identifier. La même présentation se retrouve notamment sur le site belgium.dayfr, qui dépend de l'opérateur israélien On 24 News. Il reprend en légende de la même photo… le titre de l'article, sans plus. Cette même image sera aussi reprise, sans plus de légende, pour illustrer un article du site roumain d'information stiripesurse.ro intitulé "Des dizaines de localités en Ukraine ont été touchées par les Russes au cours des dernières 24 heures". Ce qui n'a aucun rapport avec la fusillade d'un camp militaire russe. 

Les recherches avec Google Lens ne permettent pas d'approfondir davantage la question de l'origine de cette photo. Il semble, par contre, qu'elle ait été très très peu utilisée pour illustrer l'événement, hormis par les deux médias belges et le site california18 fondé par l'acteur indien Tarun Kumar. Un site qui a eu l'honnêteté de mentionner sous la photo : "Default author image".

TOMBE LA NEIGE…

Dans notre classement des décrochages les plus marquants entre un article et son illustration, la palme reviendra dans ce cas-ci à RTL Info, où la photo choisie a de quoi faire rêver à plus d'un titre (si l'on peut dire). Paysage de villages sous la neige, bulbe de clocher doré… On est loin des horreurs de la guerre. Quand, subtilement, le graphisme insère dans ce paysage de carte postale une citation qui fait figure de sous-titre à l'article, annonçant que, suite à l'attentat "près de la frontière ukrainienne" (avec un U majuscule à l'adjectif…), les deux terroristes ont été abattus. Le tout entre guillemets. 
 
Impossible d'éviter la question : quel rapport entre l'église, la neige, et l'actu ?

Non, l'attentat ne concernait pas l'église, même si on pourrait le supposer puisque nulle part dans la titraille on ne parle d'un camp d'entrainement russe. Non, les morts ne sont pas des fidèles venus assister à l'office. On pourrait le supposer, car il n'est jamais question dans la titraille de "soldats" ou de "militaires". Donc, à quoi sert cette image d'église?

Et puis, il y a la neige. Une actu "près de frontière ukrainienne", un jour de neige. Le samedi 15 octobre, faisait-il si froid dans cette région pour que la neige y tombe en masse? Alors que l'Europe de l'Ouest croule sous les vagues de chaleur, l'Est serait-il touché par une météo frigorifique, du genre de celle que les Russes attendent en détruisant tous les sites de production énergétique d'Ukraine pour tuer de froid toute la population ?

LA MÉTÉO DES PISTES

Pour en avoir le cœur net, vérifions. Quel temps fait-il actuellement à Belgorod? Les sites de prévision météo, ce n'est pas cela qui manque…

Alors d'accord, on n'a pas la météo du 15/10, puisque ce jour-là on n'avait pas encore la matière de cet article, mais en tout cas ce mardi 18/10, il devait y faire 17° max, et 7° min. Sauf erreur, pas de quoi faire tomber de la neige. Et il aurait fallu une fameuse dépression atmosphérique juste avant le 18 pour que le 15 il gèle et neige. D'ailleurs, ce n'est pas prévu dans la région en octobre, comme le démontrent les statistiques mensuelles de températures.
En moyenne, à Belgorod, le minimum est de 5° jusqu'au 20/10 puis ça descend un peu. Et les maxima ne descendent jamais sous les 8°. Selon les stats, le 15 octobre, il fait en moyenne entre 14° et 5°. Flocons pas possibles. Cette photo n'a pu être prise à cette époque. Elle n'a aucun lien avec l'actu qu'elle illustre.
 
Y A PLUS DE SAISONS

Quelques recherches avec Google Lens le confirment. On retrouve ainsi la même photo, davantage de saison, dès le 6 février 2022 pour illustrer un papier sur la site de la NPR, la radio publique des USA. Un article en italien de Swiss.info légende la même illustration de manière claire: cette photo représente "le dôme doré d'une église dans le village russe de Shebekino, à la périphérie de Belgorod et à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne, dans une image prise le 27 janvier 2022" (7). Là, tout y est. Ce n'est pas l'église de Belgorod, mais celle d'un village de la périphérie, et elle a été prise fin janvier 202é… soit avant le début des hostilités.

Beau tour de force de l'utiliser en plein mois d'octobre. Et pour illustrer un article sur une fusillade survenue dans un camp de l'armée russe. Il fallait y penser… et penser à ce que lecteur peut en retirera, au-delà d'une impression de calme et de douceur. Mais soyons de bon compte: RTL Info n'a pas été seule à taper "Belgorod" sur des banques d'images pour tomber sur cette photo.




 

Le panorama enneigé a servi à un média pour faire le bilan de bombardements pour la journée du 16/10. Sur le site du quotidien français La Dépêche, elle accompagne un papier sur l'incendie d'une station électrique (avec une légende situant la frappe "aux abords de Belgorod", donc peut-être quelque part sur la photo?). Pour Europe1, enfin, l'image est sensée illustrer un dépôt de pétrole en feu (mais avec une légende qui focalise sur "la région de Belgorod, terrain de conflits". Bref, un beau paysage, cela peut être mis à toutes les sauces. Le photographe qui s'est baladé par là avant que les Russes envahissent l'Ukraine a eu un sacré flair!

BRISER SES CHAÎNES ?

Dans plusieurs des nombreux cas évoqués ici, une simple légende aurait déjà constitué un premier pas pour que l'on comprenne le lien entre l'image et le texte. Les exemples où une légende a été ajoutée à la photo démontrent que l'illu y gagne en intérêt ou en relativisation de son importance. 

Mais, indépendamment de cela, il subsiste ce fameux diktat de l'illustration. Qui fait sûrement plaisir aux yeux, mais pas à l'info. 

Pourra-t-on un jour le surpasser? Ou peut-on espérer que les médias aient un sursaut, et trouvent le moyen d'au moins vivre avec, sans en être simplement l'esclave  prêt à (presque) tout pour satisfaire son maître?… 

Frédéric ANTOINE

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(1) Un nouveau corps d'armée doit amener plus de soldats en Ukraine après d'importantes pertes russes.
(2) Les autorités locales "feront tout ce qui est nécessaire pour rendre la signature des contrats aussi pratique que possible", indique le communiqué officiel.
(3) De violents combats se poursuivent dans la région. Les résidents locaux suivent les demandes des autorités d'évacuer la zone. Des bus et des trains sont prévus à cet effet.
(4) Notamment CBC 30/08 : "In this handout photo taken from video and released by Russian Defence Ministry Press Service on July 30, Russian soldiers leave a helicopter during a mission at an undisclosed location in Ukraine. (Russian Defence Ministry Press Service/The Associated Press)". nw.de (21/08):
"Russische Soldaten verlassen einen Militärhubschrauber während eines Einsatzes an einem nicht näher genannten Ort. | © Russian Defense Ministry Press Service/AP/dpaUsnews.com". Usnews.com (08/08): "Russian Army soldiers leave a military helicopter during a mission at an undisclosed location in Ukraine, on July 30.(Russian Defense Ministry Press Service/AP)". ZDF 03/08: "In der Region halten schwere Kämpfe an. Die Anwohner leisten den Aufforderungen der Behörden zur Evakuierung des Gebietes Folge. Dafür werden Busse und Züge zur Verfügung gestellt.
(5) "30.07.2022, Ukraine, ---: Auf diesem Videostandbild verlassen Soldaten der russischen Armee einen Militärhubschrauber während eines Einsatzes an einem nicht genannten Ort in der Ukraine. Foto: -/Russian Defense Ministry Press Service/AP/dpa"
(6) Par exemple: rtbf.be, rtlinfo, Le Parisien, Le Figaro, Lapresse.ca…
(7) "La cúpula dorada de una iglesia del pueblo ruso de Shebekino, a las afueras de Belgorod y a pocos kilómetros de la frontera ucraniana, en una imagen tomada el 27 de enero de 2022".










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