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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

04 juillet 2020

Session de juin: le covid a sauvé des 'vies'

Un peu moins de 10.000 décès en Belgique, plus de 130.000 aux USA et 60.000 au Brésil, plus d'un demi-million dans le monde. Les drames causés par le covid 19 ne cessent d'augmenter.
Il arrive cependant aussi que, grâce au coronavirus, des 'vies' aient été en quelque sorte sauvées. Comparaison n'est pas raison, et la peine des uns ne peut évidemment être comparée à la joie des autres. Mais ce qui s'est passé pendant la session d'examens de juin 2020 n'aurait sans doute jamais eu lieu sans la pandémie.

Tout le monde s'accorde pour le dire: en moyenne, les résultats scolaires de juin 2020 sont meilleurs que ceux des années précédentes. Il y a eu moins d'échecs, et plus de réussites. Dans une proportion relative toutefois: non pas tout le monde, mais davantage de monde, a réussi à sauter l'obstacle. Pour l'école de la réussite, c'est assurément une bonne nouvelle. Surtout que, dans certains cénacles, on avait cru que, devant le désarroi auquel ils avaient été confrontés, beaucoup d'apprenants auraient rencontré des difficultés à réussir leur session. Certains avaient aussi redouté que les modes d'évaluation imposés par la crise n'aient pas été favorables aux éudiant·e·s.
On ne peut pas tout à fait dire que ces appréhensions aient été confirmées par les faits…

MIEUX PRÉPARÉS


A l'échelon de l'enseignement supérieur, les plus optimistes expliquent cette augmentation des taux de réussite par les incontestables progrès réalisés pendant le covid par les éudiant·e·s. Ayant eu davantage de temps pour étudier, ils auraient pu mieux approfondir leur connaissance des matières et ainsi être  fin prêts au moment de l'épreuve. Le fait que certains cours aient vu leur mode d'évaluation modifié, par exemple remplacé par un travail personnel, leur aurait aussi permis de s'approprier le contenu de cours de meilleure manière et de démontrer, voire de révéler, aux professeur·e·s, leurs capacités analytiques, réflexives et interprétatives personnelles. Dans la foulée, des voix se sont fait entendre pour que les institutions scolaires s'interrogent à l'avenir sur leurs critères et modèles d'évaluation, et remettent en cause, renoncent ou minimisent, la part qui y est réservée à la restitution des acquis de connaissances, ceux-ci ayant parfois, en temps normal, une fâcheuse propension à pénétrer par une oreille des apprenants à la veille d'un examen pour en ressortir aussitôt par l'autre, celui-ci terminé…
De grands chantiers prometteurs s'annoncent donc!

Assurément, une partie des 'vies sauvées' lors des examens de juin est liée à la ténacité des éudiant·e·s, voire à leur opiniâtreté, à tenir tête aux circonstances et à se surpasser pour réussir, malgré tout, une année pas comme les autres. Mais on ne peut pas se voiler la face et n'expliquer cette bonne nouvelle que  de cette manière positive. Pour les examens écrits (ne parlons pas des oraux, qui constituent un autre cs intéressant), la hausse des réussites n'est pas seulement due aux opportunités d'étude fournies par la crise du covid. Les conditions dans lesquelles les examens 'traditionnels' écrits se sont réalisés n'ont pas, elles non plus, été étrangères aux taux de réussite rencontrés.

SANS SURVEILLANCE

Réalisés en distanciel et non en auditoire, les examens écrits se déroulant sous forme traditionnelle ont placé les éudiant·e·s dans des configurations exceptionnelles. En auditoire, la première chose qui est demandée aux candidats est de déposer toutes leurs affaires loin d'eux, hormis de quoi écrire et éventuellement de se désaltérer. Des dispositifs de distanciation entre éudiant·e·s sont organisés, faisant en sorte de les dissuader de porter un regard involontaire sur la copie de leur voisin·e. Le silence est de rigueur. Les assistants passent entre les rangées pour s'assurer que l'un ou l'autre petit papier, ou un téléphone, tombé à terre, n'a pas été malencontreusement ramassé. Les seuls ouvrages autorisés sont souvent des dictionnaires de langue, un code (sans annotation), ou une calculette (sans mémoire permettant de stocker des informations). Aucun participant n'est autorisé à remettre sa copie avant un certain nombre de minutes, et les retardataires ne sont acceptés à entrer que pendant un laps de temps limité, afin que les énoncés des questions ne circulent pas inopinément en dehors des auditoires dès le début de l'examen. Enfin, lors de la remise de sa copie, l'étudiant·e est invité·e à présenter sa carte d'identification académique, afin que son identité soit vérifiée.

Bien difficile, évidemment, d'appliquer tout cela lors d'examens à distance, réalisés chacun chez soi. Et ce d'autant que, à juste titre, étudiant·e·s et associations représentatives ont crié au viol de la vie privée face aux tentatives de certaines institutions d'imposer à domicile, domaine du privé par excellence, des mesures qui s'inspiraient un tant soit peu de ce qui se déroulait en public en auditoire (en recourant en l'occurrence cette fois au contrôle par caméra, à la prise de photographies, à l'enregistrement visuel de la carte d'étudiant, etc…).

INSPIRATIONS

Sans dévoiler la couronne, il semble que l'on peut au moins dire que, dans plusieurs jurys d'examen, on a évoqué cette année l'un ou l'autre cas ponctuel de "tricherie" à l'écrit. Ceux-ci ont été un peu plus nombreux que d'habitude. Mais pas dans des proportions impressionnantes. Difficile, en effet, d'identifier avec précision ce qui se passe à distance à partir du moment où le correcteur ne se trouve pas devant une reproduction flagrante d'un même contenu sur plusieurs copies. Et ce d'autant que rien ne peut prouver la source de cette similitude, hormis si celle-ci est une pure reproduction d'un énoncé trouvé sur internet (ce qui, semble-t-il, a parfois été le cas). La question devient, de plus, totalement incontrôlable lorsque l'on a affaire à des examens de type QCM où même l'éventuel choix majoritaire d'une réponse erronée n'a pas de signification en soi (on n'est tout de même pas au Grand concours des animateurs de TF1…).

Bon nombre d'enseignants ayant pratiqué des examens écrits à questions ouvertes seront d'accord pour estimer qu'un 'certain esprit' a soufflé sur le déroulement de plusieurs épreuves en ligne. S'est-il propagé par télépathie, téléphonie, visiophonie, ou via d'autres modes de médiation? Impossible de le savoir. Tout au plus certain·e·s ont-ils pu relever dans les copies virtuelles des concordances de réponses, des formulations un peu trop identiques,  qui ne se retrouvent pas d'ordinaire avec la même fréquence lors d'examens en présentiel. Parfois, l'inspiration tombée du ciel a été plus flagrante. Par exemple quand, à un examen où chaque question comprenait plusieurs variantes que le logiciel distribuait aléatoirement entre les questionnaires, un étudiant en est venu à fournir une réponse qui ne correspondait pas à la question qui lui avait été spécifiquement posée, mais à une autre de ses variantes. Ou lorsque, au sein d'une réponse, un participant avait inclus une donnée quantitative (du type production totale de cacahuètes en Ouzbekistan en 2014) de ma manière tellement précise que, sauf par miracle, seul un éléphant drillé côté mémoire eût été susceptible de la retenir de manière aussi détaillée…
Mais, en temps de covid, n'est-il pas parfois bon de croire au miracle?

Ces étonnements passés, on en viendrait presque à plaindre les quelques malheureux qui n'ont pas exploité les inspirations qui les ont touchées avec la finesse requise pour passer entre les mailles des filets des éventuel·le·s inquisiteurs et inquisitrices. Comme l'a écrit Victor Hugo, Ô combien de marins, combien de capitaines. Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont évanouis ! Combien ont disparu, dure et triste fortune !

SUR L'HONNEUR

"Pourquoi ne part-on pas du principe qu'il faut faire confiance aux étudiants?", a-t-on aussi entendu dire de divers bords avant et pendant la session. Certaines universités et écoles supérieures, qui étaient parties sur ce principe, en sont quelque peu revenues. Pour un peu cadrer la chose, des enseignants avaient parfois aussi fait signer aux étudiant·e·s une "déclaration sur l'honneur" où le/la candidat·e s'engageait à ne pas consulter ou avoir recours à des sources extérieures pendant la durée de l'examen en ligne. De manière quasi unanime, les participant·e·s à ce type d'épreuve s'y sont engagé·e·s. Mais sans doute le sens des mots 'sur l'honneur' n'est-il pas universellement compris. Et comme il était interdit de chercher le sens de celui-ci sur internet pendant l'examen, peut-être a-t-il simplement échappé à certains participants.

Ces derniers jours, des médias se sont aussi fait écho de situations plus inimaginables encore. Dès que les modes d'évaluation à distance avaient été connus, des bourses en ligne auraient été ouvertes afin de recruter des 'remplaçants' prêts à prendre, contre menue rémunération, la place de certain·e·s étudiant·e·s ne se sentant pas assez préparés pour réussir l'épreuve. Des étudiants d'années supérieures, voire d'anciens étudiants, auraient été sollicités et, de facto, des examens auraient été passés par procuration. Derrière l'invisibilité de la toile, impossible de le vérifier, ni dans un sens ni dans l'autre. Mais si pareils appels ont bien circulé en ligne, ne serait-il pas du devoir des universités et des écoles concernées de porter plainte contre x, et de réclamer enquête aux autorités compétentes, comme la Federal Computer Crime Unit?

Pire, il se dit même que des parents auraient eux-mêmes été solliciter d'anciens professeurs de secondaire de leurs enfants pour leur demander de remplir ce rôle de remplaçant temporaire. Certains ont-ils cédé à ces stridentes sirènes? Sur ce dossier, l'omerta ne planerait-elle que sur Palerme?

REBELOTE

Afin d'avoir le cœur net, le véritable test aura-t-il lieu lors de la session d'août-septembre?
Certaines institutions ont choisi à ce moment de revenir autant que possible au présentiel, qui devrait aplanir les éventuelles équivoques de la session de juin. Mais est-il juste de ne pas donner aux étudiants présentant en août les mêmes conditions (pour ne pas dire les mêmes 'chances') que lors de la première session? Déjà, les étudiants de première année d'enseignement supérieur, qui pouvaient repasser en juin des examens ratés en janvier, s'étaient plaints de ne pas disposer alors des mêmes conditions que lors de leur premier passage, certains enseignants ayant modifié leurs modalités d'examen ou leur type de questions, afin d'y rendre en juin les 'réponses collectives' un petit peu moins aisées…

L'adaptation des questions aux nouvelles configurations semble, dans certains cas, avoir été le mode de réponse le plus adéquat au changement de conditions de l'épreuve que constitue un examen. Même si cela n'a pas toujours plu aux personnes concernées, le 'bouche à oreille' virtuel tant pratiqué à l'heure actuelle ayant davantage l'habitude de recommander la manière d'étudier une matière sur base de la manière dont celle-ci avait précédemment été évaluée que d'anticiper ce vers quoi une nouvelle évaluation pourrait s'orienter…

Quoi qu'il en soit, les comparaisons de taux réussite entre juin et septembre seront difficiles à établir. Restera ensuite à déterminer qui sera le grand gagnant de cette année coronavirus. Les résultats seront peut-être étonnants.

"Dans quelques années, lorsque je consulterai un kiné, je commencerai par lui demander la date de la fin de ses études", disait en boutade il y a peu quelqu'un prenant part à une conversation. Devra-t-on l'avenir poser la même question à son ingénieur·e des ponts et chaussées, son/sa chirurgien·ne, son infirmier·e, son avocat·e ou son/sa communicat·eur·rice préféré·e? "Pour toutes les matières qui ne sont pas au cœur de la formation, tout cela n'est pas très grave", entend-on parfois dire en réponse. Oui, mais pour les autres?

Frédéric ANTOINE.




02 juillet 2020

LA PUB RTBF AU RÉGIME: QUELLE ÉTRANGE COÏNCIDENCE

Alors que la FWB s'apprête à offrir 40 millions d'euros au luxembourgeois RTL Group, le même gouvernement dépose sur la table un avenant au contrat de gestion de la RTBF destiné à réduire les ressources que l'opérateur public peut escompter obtenir de la vente d'espaces publicitaires. Etrange, vous avez dit étrange?

Tous les médias dont une partie des ressources dépend de l'insertion de publicités commerciales ont souffert de la crise du covid. Dans l'audiovisuel, la situation n'est pas différente pour l'opérateur public, les grands réseaux privés, les chaînes thématiques ou les télévisions locales.

Face à ce marasme généralisé, on aurait pu s'attendre à ce que l'Etat s'engage dans un plan d'aide généralisé, ou dégage un montant global de soutien, ou encore propose à tous les opérateurs intéressés de faire appel à son intervention.

Sauf erreur, cela ne semble pas être le cas, seul le RTL Group se voyant jusqu'ici promettre l'octroi d'une aide substantielle qui, si elle pourra peut-être permettre d'éponger un peu le déficit covid, n'endiguera les autres problèmes dans lesquels la filiale belge l'entreprise luxembourgeoise est empêtrée depuis plusieurs années. On pense notamment à ses difficultés endémiques de passage vers le numérique, à la concurrence des plateformes payantes, à l'avidité de son actionnaire en matière de dividendes, ou à l'absorption d'une partie du marché pub en FWB par le groupe TF1, opérant via la régie publicitaire de RTL Belgique elle-même…

DOUBLE PEINE

Quand, au même moment, on apprend que le gouvernement de la FWB, fidèle à sa déclaration de politique générale, va proposer de modifier le contrat de gestion de l'opérateur public pour y réduire la possibilité d'obtenir des recettes de publicité commerciale, on commence à se poser des questions. La concomitance des deux informations est trop belle pour paraître fortuite. On comprend donc que certains parlent à ce propos d'une "double peine" pour la RTBF. D'une part, voir que son concurrent étranger, membre d'un géant mondial des médias, bénéficier pour la première fois de l'histoire d'une aide publique alors que le service public n'a pas droit à la même sollicitude. D'autre part, au contraire, se voir privé de recettes commerciales qui lui permettaient d'exercer ses activités, l'Etat étant de longue date incapable de fournir un financement suffisant pour ne pas avoir à recourir à ce genre de recettes.

Pratiquement, la rencontre de ces deux mesures est sans doute due à un hasard de calendrier. Mais, même en ce cas, un peu de sensibilité, voire de tactique politique, aurait peut-être permis d'au moins éviter l'impression donnée, et les interprétations que cette coïncidence inspire…

CERVEAUX DISPONIBLES

Au-delà de cela, les deux choix opérés par le gouvernement de la FWB révèlent la représentation qu'il se fait du rôle des acteurs privés et publics au sein du paysage médiatique audiovisuel.

De longue date, certains des partis au pouvoir en FWB ont dénoncé l'impact de la publicité sur l'offre de programmes de l'entreprise qui en dépend. Celle-ci infère sur la grille, le type de programmes proposé, leurs contenus… A ce propos, la fameuse phrase de feu Patrick Lelay (TF1) sur le "temps de cerveau disponible" qui préside au choix des programmes de télévision diffusés entre les spots publicitaires est devenue une référence classique, d'autant plus forte qu'elle venait en droite ligne d'un des orfèvres en la matière. Dans les médias privés, cette interaction de la publicité sur l'offre de contenu est inhérente au modèle.
En vertu de la théorie économique des "two sided markets", on peut considérer que, en échange d'une gratuité d'accès aux contenus, le consommateur de ce type de médias accepte, sciemment, implicitement ou inconsciemment d'être instrumentalisé et utilisé par l'opérateur en tant que monnaie d'échange vis-à-vis de ses annonceurs. Et ceci, que cela paraisse éthique ou non (1).

La question éthique (ou philosophique) peut, par contre, être soulevée dans le cas de médias publics, majoritairement (si pas totalement) financés par de l'argent public. L'usager d'un média public, réputé être 'au service du public', est-il un objet, dont le profil de consommateur peut impunément être vendu par l'opérateur à son annonceur? En fonction de leur positionnement politique ou de leurs convictions, tous les partis peuvent avoir, à ce propos, une lecture différente, ou évaluer de manière variée l'importance de cette problématique.

Les choix du gouvernement de la FWB sont visiblement inspirés par ce type de regard éthique ou philosophique. Mais, l'Etat étant incapable de soutenir l'ensemble du financement de son opérateur public, le gouvernement 'se contente' de minimiser l'impact de la publicité sur l'offre proposée par ce dernier.

DES ETINCELLES

Il paraît plus étrange que cette minimisation soit imposée en cours de contrat avec l'opérateur. Un contrat est supposé valide pendant toute la durée pour laquelle il a été fixé. Il cliche les règles du jeu, afin de permettre à l'opérateur de programmer sa stratégie sur l'ensemble de la période concernée. Modifier les règles en cours de partie remet évidemment ces modalités en cause, et met l'opérateur en position difficile. On pourrait alors considérer qu'il appartient à l'Etat lui-même de compenser les réductions de ressources imposées à l'entreprise.  Est-ce le cas? N'étant pas dans le secret des dieux, nous n'avons pas de réponse à ce propos, mais il semble que cela ne soit pas le cas.

Si l'on ajoute à cela la perte de revenus liée à la crise covid, non compensée elle aussi, il ne peut venir à l'esprit qu'une seule interprétation: ces événements ne sont-ils pas autant d'étincelles ou d'allumettes destinées à manifester la volonté de l'Etat d'amener l'opérateur public à revoir, face à une réduction de recettes, son offre et sa stratégie? A se remettre en cause?

Un énorme chantier pourrait être amorcé à ce sujet. L'opérateur public doit-il tout faire? Est-il obligé d'être présent sur tous les fronts, et de chercher à répondre coup par coup à toutes les initiatives de ses concurrents? Ou le service public doit-il se recentrer, se focaliser sur ce qui est davantage de l'ordre de l'essentiel (en ayant déterminé ce que le terme recouvre)? En fonction des réflexions développées par certains partis, que ce type de question circule ne doit pas être exclue.

Avant d'arriver à cela, il devrait se tenir à ce sujet une large consultation, dont les considérations socio-économiques ne peuvent être absentes. Mais tout cela devrait être programmé, organisé, et prendre du temps. Ne pourrait-on imaginer de nouveaux "Etats généraux de l'audiovisuel public", au même titre qu'il y eut, il y a de nombreuses années, une initiative politique de nature à peu près identique?
En l'état, face à de pareils enjeux, les projets actuels paraissent peut-être plus qu'un peu précipités…

Frédéric ANTOINE.



(1) Ce qui pose d'autant plus la question d'une aide apportée par l'Etat à ce type d'opérateur privé…




01 juillet 2020

RTL "redevient" belge. Parce qu'elle le vaut bien?

La presse a annoncé ce 30 juin que la Fédération Wallonie Bruxelles et RTL Belgium avaient conclu un accord au terme duquel, en échange de son "retour" dans le giron belge, la société bénéficierait d'une aide importante de l'Etat. Une info à nuancer. Mais dont on ne peut s'empêcher de se demander à qui elle profite.

En fin de journée, le mardi 30/06, le service de presse de RTL Belgium a envoyé, à quelques minutes d'intervalle, deux communiqués de presse au contenu assez proche, annonçant que l'entreprise et le gouvernement de la FWB "avaient convenu d’un protocole d’accord visant à permettre à RTL Belgium de faire face à l’impact que le COVID-19 a eu sur ses activités". Le premier communiqué laissait sous-entendre que cet accord était déjà mis en œuvre. Le second comprenait un paragraphe supplémentaire précisant que "ce protocole est encore sujet à une approbation de l'Europe sur les aides d'Etat". Nuance…

Le communiqué de presse du cabinet du ministre Linard, beaucoup plus détaillé, était aussi beaucoup moins péremptoire que celui de l'entreprise. On peut notamment y lire que "des négociations vont donc être entamées en vue de conclure une convention entre la FWB et RTL Belgium". Il n'est donc nullement question ici d'un protocole d'accord, mais seulement de la mise en œuvre de négociations. Nuance…

Toutefois, au-delà d'une exégèse des formules utilisées, le fond de l'affaire est bien le même: "en cas de rattachement de RTL Belgium à la FWB" et à condition de s'engager sur une série de points dont "le respect la législation de la FWB, dont le prochain cadre fixé par la transposition de la directive SMA", l'Etat belge, par l'entremise de la FWB, s'engagera à fournir "une aide destinée à préserver la pérennité de RTL Belgium".

LE RETOUR DE L'ENFANT PRODIGUE

La FWB s'efforce depuis la crise du covid à soutenir tant que possible les médias de Belgique francophone, les journalistes, et le monde de la culture. Etait-il normal qu'elle réponde aux appels lancés par RTL Belgium?

On ne peut à ce propos perdre de vue que, pour des motifs purement économiques, RTL Belgium avait choisi de claquer la porte de ses liens avec les autorités belges en 2005 pour se replier sur l'autorisation dont elle bénéficie sur ses historiques et hospitalières terres luxembourgeoises. Un petit duché dont les autorités de contrôle des médias sont assurément plus laxistes que leur alter ego belge. On ne peut, de plus oublier que, à l'époque, en vertu de la législation européenne, personne n'avait pu trouver à redire au fait que l'entreprise ne soit alors plus soumise à des obligations et à un contrôle sur le territoire auquel ses chaînes s'adressaient, et où elle avait l'essentiel de ses activités.

Une nouvelle version de la directive européenne, qui avait à l'origine rendu cela possible, devrait prochainement être adoptée au Parlement de la FWB et, selon certains observateurs, rendre à peu près obligatoire que RTL Belgium réintègre le giron des autorités belges.

Mais cela impliquait-il que, en contre-partie du retour de l'enfant prodigue, la FWB lui déploie le tapis rouge et s'empresse de faire un geste à son égard?

MADE IN GERMANY

Prenons un peu de hauteur. Faut-il rappeler que 66% du capital de RTL Belgium sont entre les mains du RTL Group, société luxembourgeoise elle-même détenue à 76,28% par le géant allemand des médias Bertelsmann, possédé par la famille allemande Mohn (1)?

On répondra sans doute à cela que 34% du capital de RTL Belgium sont, tout de même, entre des mains belges, puisque par l'entremise d'Audiopresse, cette part de l'entreprise est détenue par des groupes de presse belges. Mais il faut aussi garder en mémoire que, de ces 34%, près du tiers est détenu par le groupe médias flamand Mediahuis, qui n'a aucune implantation ni rapport institutionnel direct avec la Belgique francophone…

Peut-on aussi mettre de côté le fait que, en obéissant à la logique de rentabilité maximale imposée par son actionnaire principal, et sous prétexte de mise sur pied d'un plan de développement digital, l'entreprise a mené fin 2017 une sévère opération de 'nettoyage' de son personnel ('plan Evolve') qui lui a… permis de doubler ses bénéfices en 2018 (2), et donc de satisfaire l'attente en dividendes de ses actionnaires?

Peut-on aussi omettre de rappeler que l'opération d'économies menée en 2018 a, en pratique, entraîné une réduction claire des productions 'belges' sur les chaînes du groupe ainsi que de leur ancrage en FWB? L'offre de programmes en prime time, exposée dans un précédent article de ce blog, démontre que, hormis les JT, bon nombre des émissions de ces chaînes, figurant en haut des podiums d'audience, n'ont pas de rapport avec la FWB. A de nombreux égards, RTL Belgium est déjà à l'heure actuelle sur la voie d'une filialisation de M6 France. L'appui que la FWB pourrait s'engager à apporter à la société allemande a-t-il comme but d'arrêter cette hémorragie, ou simplement de sauver ce qui peut l'être? On pense ici aux petits magazines qui suivent les jt du soir, aux télé-réalité comme L'amour est dans le pré ou Mariés au premier regard et, bien sûr, aux jt et au talk-show politique du dimanche midi.

QUEL PLURALISME?

RTL Belgium a su, à et égard, jouer sur la corde sensible du monde politique: la question du pluralisme. Le communiqué de presse de l'entreprise est éloquent à cet égard. Une de ses trois phrases insiste sur ce point, évoquant sa volonté de "préserver le pluralisme de l’information audiovisuelle en Communauté française, un pluralisme dont RTL a toujours été et reste le premier garant". En écho, le communiqué du cabinet de la ministre des médias mentionne que "RTL Belgium contribue de manière spécifique à ce pluralisme".

Alors que la logique du service public est d'assurer en son sein une représentation pluraliste de la société (d'où la notion de "pluralisme interne"), les autorités politiques et l'entreprise privée prennent, elles, la défense du "pluralisme externe". Une notion au nom de laquelle un opérateur audiovisuel privé fut autorisé en Belgique francophone en 1987 par le gouvernement du PRL Philippe Monfils (les plus anciens se souviennent sans doute de la fameuse campagne de pub menée à l'époque par RTL avec comme slogan "L'autre vérité", moyen de vulgariser la notion de 'pluralisme externe').

"Pluralisme" doit-il être lu dans les communications faites le 30/06 dans le sens de "pluralisme politique"? On peut en tout cas supposer que les autorités de l'Etat ne sont pas insensibles au fait de disposer sur RTL d'autres tribunes (ou de davantage de tribunes) que s'il n'existait plus que la seule RTBF. Aider RTL aurait alors comme but essentiel de préserver  "le pluralisme"(?) de l'info. Vu le volume et la composition du personnel de l'entreprise, l'exigence exprimée par la FWB, demandant que RTL assure une "garantie du maintien de l’emploi" semble aller dans ce sens: sauver ce qu'il y reste d'un pôle journalistique déjà mis au régime précédemment.
A titre de comparaison, le personnel de RTL Belgium comptait 'seulement' 297,6 équivalents TP en 2018, contre 350,4 l'année précédente (3). La RTBF, elle, rémunérait 2.009 ETP en 2019 contre 2.038 en 2018 (4).

ET LN24?

Bien sûr, RTL TVI réalise pour l'instant les meilleures audiences en soirée, et ses jt sont en règle générale plus regardés que ceux de La Une. I est donc politiquement difficile de ne pas être sensible à cette donnée du problème. Toutefois, jusqu'à présent, la règle générale était que l'Etat n'accordait aucune aide aux entreprises audiovisuelles privées. Le cordon autour de ce secteur est donc en train de tomber. Il peut peut-être, à certains points de vue, paraître pertinent d'accorder de l'argent à une société dépendant d'un géant mondial des médias, qui possède de par le monde 126.000 employés et qui a réalisé un chiffre d'affaires global de 18 milliards d'euros l'an dernier, et un milliard d'euros de bénéfice (5).
Mais alors, il semblerait aussi légitime de se demander si d'autres opérateurs n'auraient pas droit, peut-être avant RTL, à être soutenus par l'Etat. A commencer par LN24, qui petit à petit réussit à trouver sa place sur le marché de la télévision, mais manque de moyens pour s'y développer et assurer pleinement sa mission d'information.
Si l'argument politique est celui du pluralisme, et ce d'abord dans le monde de l'info, cette chaîne all news, qui est devenue un lieu d'expression et de débat de plus en plus indiscutable et couru, mériterait sans doute plus d'être encouragée et soutenue qu'une filiale d'une entreprise allemande dont le principal souci reste la rentabilité, où le réflexe de base est ontologiquement de nature commerciale, et dont la programmation est d'abord guidée par le souci de distraire ses téléspectateurs.

Frédéric ANTOINE.

(1) Capital du RTL Group:
Bertelsmann Capital Holding:76.28%
Silchester International Investors LLP: 5.01%
Treasury shares: 0.76%
Public: 17.95%
(2) Les comptes annuels 2019 n'ayant pas encore été déposés à la BNB (ou n'y étant pas accessibles), l'actualisation de ces données est à cette heure impossible.
(3) Comptes annuels 2018 et 2017.
(4) Rapport annuel RTBF 2019.
(5) https://www.bertelsmann.com/news-and-media/news/bertelsmann-increases-revenues-achieves-best-ever-operating-result-in-2019.jsp

















23 juin 2020

Quel Moustique pique aujourd'hui Roularta?

Alors que Nethys espérait ne pas vendre les Editions de L'Avenir par appartements, voici que Roularta insiste, dans l'urgence, pour en reprendre les magazines. Le premier pas d'une stratégie bien réfléchie.

La vente des Editions de L'Avenir (EDA) tarde. Nethys voulait tout céder d'un bloc, pour que le repreneur embarque tout le package, quitte à lui-même trier plus tard le bon grain de l'ivraie. On le sait, les propositions déposées sur la table par les quatre candidats à la reprise n'ont pas vraiment été à la hauteur des espérances de la SA dépendant d'Enodia, ni de ses commanditaires. Brader les EDA n'arrangeant personne, on était plutôt sur le bouton "pause". Or, voici que ce 22 juin Roularta s'annonce publiquement candidat à la reprise des hebdomadaires du groupe, en veillant bien à ce que les médias francophones relaient sa communication. Est-ce une information? Le groupe flamand figure depuis le début dans le quatuor de repreneurs potentiels des EDA. Il n'y a donc là rien de neuf. Sauf que Roularta dévoile cette fois un coin d'un voile, pourtant dès le début quasiment translucide: dans son offre, le groupe de Roulers n'a jamais été intéressé que par les hebdos de L'Avenir. Pour le reste, il s'y est plutôt plié pour la forme.

Dans l'œil du core-business

Et pour cause: Roularta n'a aucune expertise dans le domaine de l'édition de presse quotidienne. C'est même le seul secteur des médias où il n'a jamais historiquement investi. Le seul pied qu'il a mis dans cet étrier est tout récent, lorsqu'il a racheté les parts de DPG dans Mediafin, le holding co-propriété de Rossel pour éditer L'Echo et De Tijd, afin de renforcer son emprise dans le domaine des médias économiques et financiers. Si l'on ajoute à cela que les subtilités du marché sous-régional wallon des médias sont, elles aussi, plutôt étrangères à l'entreprise, on comprend aisément qu'elle n'a pas d'intérêt à s'engager dans cette galère. Alors que, côté presse  magazine, c'est tout autre chose. Même si ce secteur n'est pas le moteur historique du groupe, il est bien, par contre, son domaine d'excellence. Avec une belle compétence à décliner plutôt avec succès des concepts de magazines flamands dans le monde francophone. Rajouter Moustique et Télé Pocket à son arc revient pour Roularta à élargir son offre de presse périodique francophone, et conforter ainsi sa place sur ce marché.

Mid-market

Dans un premier temps, on opposera bien sûr à cette lecture ce qui paraît une évidence: la place que la presse magazine de télévision occupe déjà chez Roularta, depuis le temps lointain de son rachat de 50% de Télépro. Oui mais voilà: à l'heure actuelle, Moustique n'a plus grand chose d'un magazine télé. Le faire tomber dans l'escarcelle du groupe ne risque pas de causer beaucoup d'ombre au deuxième titre le plus vendu de la presse magazine francophone.

On rétorquera peut-être que, soit, Moustique est plutôt aujourd'hui un news magazine. Mais que, dans ce cas, il risque de faire doublon avec Le Vif, dont Roularta essaie depuis plus de vingt ans d'élargir l'assiette de lectorat.
Or, là est l'originalité ce cet éventuel rachat: au lieu d'essayer sans succès de supprimer le plancher de verre qui empêche Le Vif de toucher un public un peu plus "classes moyennes", pourquoi ne pas laisser le pendant francophone de Knack dans sa niche, et chercher à toucher ce fameux lectorat mid-market par un autre magazine? Dans ce cas, inutile de devoir le créer: il suffit de racheter Moustique, et le tour sera peut-être joué. Tout au plus s'agira-t-il d'éliminer les 'scories' du passé télé qui y subsistent, et d'un peu reprofiler le produit. Restera bien sûr la question du 'replacement' des journalistes spécialisés de l'ancien magazine des éditions Dupuis, souvent plein de talents. Pas sûr qu'ils seraient accueillis à bras ouverts chez Télépro

Le segment manquant

Dernière objection à régler: la place de Télé Pocket dans pareil montage. Ne fait-il, lui aussi double emploi? Là également, la réponse coule de source: si Le Vif-L'Express est confiné dans sa niche, il en est en quelque sorte de même pour Télépro, même s'il serait ici plus pertinent de parler de "chenil" que de "niche", pour peu que l'on reste dans le cadre d'une métaphore canine. Certes, le magazine télévisuel verviétois continue à être une réussite. Mais il s'adresse à un public au profil particulier, et plutôt âgé, sans beaucoup de commune mesure avec celui de Ciné-Télé-Revue, son principal concurrent. Pourquoi ne pas installer Télé Pocket sur ce segment manquant? Roularta pourrait ainsi réussir, dans le secteur de la presse tv, la même répartition de ses publics que celle qui découlerait d'un partage du marché "news magazine" entre Le Vif et Moustique.

S'il se concrétisait, ce deal de vente des seuls magazines d'EDA à Roularta réjouirait aussi un autre candidat à la reprise des éditions de L'Avenir: Rossel, qui n'a pas vraiment cure des magazines mis en vente, Moustique étant, au moins en partie, dans le même créneau que Le Soir Mag, et Télé Pocket, à certains égards, dans la même ligne de mire que Ciné-Télé-Revue. En cas de cession des hebdos à Roularta, la porte serait alors ouverte à la seule reprise par Rossel du journal L'avenir. Il ne resterait plus alors qu'à fixer le sort du Journal des Enfants, outil pédagogique utile à l'image de marque d'un groupe de presse moderne, et éventuellement se questionner sur le futur de Proximag, sauf si celui-ci ne s'avérait pas d'office condamné, vu l'état du marché de la presse gratuite push.

Déjà, L'avenir est imprimé chez Rossel et les deux entreprises ont en commun des activités liées à la recherche publicitaire. Le pas suivant, fourni grâce à Roularta, avec qui Rossel est déjà allié, serait alors presque naturel.

Frédéric ANTOINE.



22 juin 2020

En prime time, RTL TVI s'en sort maintenant mieux que La Une

Retour au calme sur le front des audiences de télé.
Le déconfinement libère aussi d'une présence quasi obligatoire devant les écrans.
Les jours s'allongent, et l'ambiance estivale incite à leur délaissement.
Notamment en prime time.
En redonnant des ailes à la chaîne privée.


A le regarder de loin, le graphique de l'audience réalisée par les principales émissions de prime time de RTL-TVI et de La Une semble sans appel: face à une chaîne privée qui dépasse souvent les 500.000 spectateurs lors de son grand programme de soirée, La Une fait plutôt petit joueur. D'autant que, après le début du déconfinement, la chaîne privée est restée sur sa lancée, alors que la chaîne publique paraît toujours tout aussi faible.
Les graphiques sont toutefois parfois un peu trompeurs. Ce qui inspire la lecture rapide exprimée ci-dessus, ce sont les pics d'audience élevés réalisés par RTL-TVI. Mais ceux-ci ne sont que très ponctuels. Ils ne reflètent pas une tendance d'ensemble. Et ce d'autant que, pour comparer ce qui peut l'être, seuls ont été ici prises en compte les programmes longs de prime time, débutant entre 20h et 21h15, et non les émissions de durée moyenne qui suivent les JT des deux chaînes. Ainsi, on ne retrouvera pas ici les magazines d'actu de la chaîne privée de 19h45, ni le fameux Questions en prime de La Une, ou les magazines d'après-jt qui occupent l'antenne de fin de semaine depuis des décennies.


Un top effet

Un nettoyage du graphique, en ne retenant que les audiences de RTL-TVI, montre clairement cet effet de pics, particulièrement patent à partir de la mi-mars. De manière générale, ceux-ci reviennent de façon cyclique tous les sept jours, le lundi. On l'aura compris: ils illustrent "l'effet Top Chef" qui booste l'audience moyenne de la chaîne privée. Les résultats d'audience obtenus ce jour-là sont fréquemment fort différents la plupart des autres soirs de la semaine, où l'audience du programme de prime time se situe plutôt à 300.000 spectateurs (Live+Vosdal), voire en dessous.
Néanmoins, la courbe générale de tendance de l'audience de la chaîne révèle une hausse appréciable de son audience moyenne dès le début du confinement, celle-ci fléchissant à peine lors du déconfinement.


Un peu essoufflée

Les prime de la Une, qui étaient en plutôt en forme en début d'année, ne semblent pas avoir bénéficié de la crise sanitaire. De jour en jour, les audiences de la chaîne sont en dents de scie, aucune tendance ne se manifeste. Le seul pic n'y apparaît que lors de la diffusion du reportage "Dans l'ombre du virus", le 25 mars. Et, quand commence le déconfinement, l'audience se met à fléchir (ce qu'il faut mettre en rapport avec le type de programmes proposés en prime time par le service public à partir de cette époque). A l'heure actuelle, les soirées de La Une font beaucoup moins bien qu'en janvier. En termes de saisonnalité, ce n'est normalement pas étonnant. Mais pas comparable à ce qui se passe sur la chaîne privée.

Qui perd gagne


Cette inversion de suprématie sur le prime time est claire sur l'audience moyenne de ces émissions au fil des mois de 2020: en début d'année, les émissions de soirée de La Une drainaient davantage de spectateurs que celles de sa concurrente privée. En mars, la tendance s'inverse. Le nombre total de spectateurs augmente sur les deux chaînes, mais ils sont plus nombreux sur RTL-TVI. Le mois d'avril le confirme: La Une conserve plus ou moins la même audience moyenne; celle de la chaîne privée croît encore. En mai, le nombre de spectateurs baisse sur les deux chaînes. La Une poursuit dans la même direction en juin, alors que RTL-TVI regagne des spectateurs, en partie grâce à "l'effet Top Chef".

En début d'année, l'avance de la chaîne publique sur la chaîne privée était d'environ 30.000 spectateurs moyens/jour. En mars, c'est RTL qui précède la RTBF de manière à peu près identique. Sur les 21 premiers jours de juin disponibles au moment où ces lignes sont écrites, et hors dernière manifestation éventuelle de "l'effet Top Chef", la chaîne privée engrange chaque jour en prime time en moyenne 80.000 spectateurs de plus que la chaîne publique.

L'embellie connue par la chaîne publique a-t-elle été infectée par le virus du covid? Ou La Une est-elle trop tôt tombée dans le ronron des programmes d'été, économes et redondants, diffusés parce qu'il le faut bien et non pour drainer de l'audience? RTL, en tout cas, peut s'en frotter les mains. Du moins tant qu'elle ne plongera pas, elle aussi, dans le désert de la programmation estivale.

Frédéric ANTOINE.

21 juin 2020

Top chef, une finale peut-être fade (pour les Belges)

La finale de Top Chef est diffusée ce lundi 22 juin sur RTL-TVI. Elle l'a été mercredi dernier sur M6. On sait donc déjà qui va gagner. Quelle sera l'audience de cet épisode sans concurrent belge?

L'élimination de Mallory s'est déroulée devant un beau public belge, la semaine dernière… alors que les plus curieux savaient déjà que le jeune chef avait fait les frais de choix peu orthodoxes du jury vis-à-vis de sa recette de turbot en vessie. Le public du programme n'est donc vraiment pas avide de savoir qui gagne, mais plutôt de comment il gagne (ou perd).
Lundi dernier, l'audience de cet épisode n'a pas été le meilleur de l'année, ni même des dernières semaines. Paradoxalement, c'est celle de la première demi-finale, où Mallory n'était pas directement en course, qui a attiré la plus forte audience de toute la saison jusqu'ici. Le fait qu'on pouvait ne pas savoir que Mallory n'aurait pas droit à proposer son épreuve ce soir-là a sans doute jouer dans la curiosité du public. Mais pas seulement.
En effet, la place occupée par l'épisode de l'élimination de Mallory' dans les audiences du programme est sans doute plus révélatrice de l'intérêt du public belge pour son concurrent: le soir de son élimination, l'émission a été le plus regardé des programmes de télévision en Belgique francophone, devant les JT.  Ce qui est un phénomène extrêmement rare, surtout pour une production de ce type. Mais, cette année étant assez spéciale, Top Chef avait toutefois déjà atteint le même sommet, quinze jours plus tôt. La place du programme dans le top 3 ou 4 des émissions les plus regardées le lundi en Belgique francophone n'avait fait que se confirmer depuis la mi-mai.
L'épisode d'élimination de Mallory tient aussi un autre presque record: celui de l'épisode le plus court de l'année. Il a duré à peine plus d'une heure, alors que l'émission dure normalement ±125 minutes. Fin avril, un autre épisode avait déjà occupé l'antenne pendant un temps particulièrement bref. De la mi-mai à début juin, le programme avait aussi été raccourci d'environ une demi-heure. Avant l'épisode express qui fut fatal au concurrent belge, la première demi-finale avait déjà revêtu un format écourté.
Cette stratégie permet à RTL-TVI (mais pas à M6) de faire coïncider la fin de cette télé réalité culinaire avec celle de sa saison d'hiver. Elle offre aussi à la chaîne de beaux scores d'audience, rares au mois de juin où ce sont d'ordinaire les compétitions sportives qui attirent les spectateurs en masse vers les chaînes qui les diffusent (et en privent donc la chaîne privée…). Le profil d'audience de prime time que la chaîne affiche en ce mois juin est incontestablement tiré vers le haut par cette émission.

F. A.

13 juin 2020

Godefroy détruit au piolet : la télé y était


« Mesdames messieurs, bonsoir. Un seul titre aujourd’hui dans notre journal : la recrudescence des actions militantes contre Godefroid de Bouillon sur le territoire belge. Comme vous le savez, plusieurs groupements reprochent à ce personnage d’avoir été à la tête de la première croisade contre le monde arabe, et d’être ainsi responsable de la mort de centaines de milliers d’innocents, ainsi que de création d’un sentiment xénophobe à leur égard. Afin de faire disparaître ce « héros national » de la mémoire collective, ces mouvements ont déjà mené plusieurs actions : la stèle qui lui est consacrée dans l’église de Baisy-Thy a ainsi été détruite à la masse avant-hier. Et, au même moment, la statue qui le représentait sur la façade du palais des princes évêques de Liège a subi le même sort.
Dans ce journal, nous sommes fiers de pouvoir vous montrer en exclusivité une autre action d’un de ces groupements. Celle-ci s’est passée en plein milieu de la nuit dernière à Bouillon. Nos équipes y étaient, et en ont rapporté des images d’une violence inouïe. Lors de leur diffusion, nous vous inviterons d’ailleurs à écarter de l’écran les plus jeunes enfants.  Mais, avant cela, Quentin Florquet, vous avez pu assister avec toute votre équipe à la destruction de la statue de Godefroy de Bouillon qui se trouve en contrefort à quelques mètres du château de Bouillon. Expliquez-nous comment vous avez réussi recueillir ces images exclusives. »

« Eh bien, Francis, mon caméraman, mon preneur de son, mon éclairagiste et moi, nous passions alors tout à fait par hasard, dans le cul de sac que constitue à Bouillon la rue de l’hôtel de ville. C’était dans la nuit, à 2h37 du matin. A plusieurs centaines de mètres de nous, notre attention a subitement été attirée par le bruit d’un petit piolet, type « Grivel Monte Blanco Gold », d’environ 65 cm de long. C’était un son tellement caractéristique que cela nous a intrigués, et que nous avons décidé d’aller voir de quoi il s’agissait. Nous avons dû accomplir un parcours très dangereux, dans une nuit noire et sans lune, sans trop savoir où nous allions. Puis nous avons clairement vu, de loin, quelques personnes tapant sur ce qui ressemblait à un amas de pierre. Immédiatement, notre cameraman a sorti son matériel, et n’écoutant que son courage, notre éclairagiste s’est faufilé entre les rochers jusqu’au petit groupe. Sur place, il a allumé ses lampes. Nous pensions avoir affaire à des alpinistes un peu aventureux, ce qui aurait fait un beau sujet de saison pour le JT. Quelle n’a pas été notre surprise en découvrant que ces personnes s’en étaient prises à une statue. A ce moment-là, nous ignorions totalement de qui il s’agissait. J’ai alors tenté d’établir le contact. Autant vous dire que nous avons été farouchement refoulés par un des intervenants, qui nous a invité à rester à distance pour ne pas être blessés par les éclats de pierre. Mais nous nous sommes malgré tout accrochés, nous avons été de l’avant, et c’est ainsi que vous allez pouvoir voir de très gros plans de l’opération, et de la violence avec laquelle le bloc de pierre a été réduit à néant. Bien évidemment, nous sommes ensuite partis sans demander notre reste. »
« Merci Quentin, pour ces explications qui donnent tout son poids à la séquence qui va suivre. Afin d’être complet, j’ajouterai que, en toute fin de cet après-midi, nous avons bien sûr tenté de prendre contact avec le bourgmestre de Bouillon. Hélas, celui-ci était alors indisponible. Nous aurons donc sans doute son avis une prochaine fois. Quentin, comptez-vous encore nous apporter d'autres scoops aussi percutants? »
« Je me rends demain à Innsbruck. Mais cela n'a aucun rapport direct avec ce que nous avons découvert hier, bien sûr. »

F.A.
 (Toute ressemblance avec des faits, événements, ou  personnes existants ou ayant existé est évidemment purement fortuite. Merci à l'auteure du post facebook qui a inspiré ce texte de fiction.)
 

12 juin 2020

IPM vs Rossel : la grenouille et le boeuf? Ou le roseau et le chêne?

Le groupe de presse IPM a choisi ces dernières semaines de jouer dans la cour des grands.
Après s'être porté candidat en mars à la reprise des Editions de l'Avenir, il s'est empressé de se manifester lors de la mise en vente du groupe Paris-Normandie, en avril.
A chaque fois, il rencontre devant lui un fameux adversaire de taille: Rossel.




Le 6 mars dernier, quatre candidats manifestaient leur intérêt pour le rachat à Nethys des Editions de l'Avenir: le fonds d'investissement allemand Fidelium Partners, Rossel, IPM (associé à des partenaires) et Roularta. Le covid ayant aggravé la maladie du groupe de presse wallon, la vente est toujours en suspens, mais IPM semble y croire, puisque le groupe avant déjà fait acte de candidature à l'automne 2019, en partenariat avec quatre investisseurs wallons (Bernard Delvaux, Laurent Levaux, Pierre Rion et Juan de Hemptinne). 

Quelques semaines après la révélation des noms des repreneurs potentiels du média wallon, le 21 avril, le groupe de presse français Paris-Normandie était (re)mis en liquidation judiciaire, les acquéreurs éventuels étant invités à se manifester pour le 22 mai. Pour cet acteur de la PQR (presse quotidienne régionale), ce n'était pas une première. Le groupe avait déjà connu plusieurs procédures judiciaires depuis 2012. La dernière, survenue en 2017, avait vu le groupe Rossel se porter candidat au rachat, avant d'être évincé par le tribunal au profit de l'offre faite par le PDG de l'époque, jugé moins croque-mitaine que l'éditeur belge. Une réputation que le groupe tenait de la manière 'vigoureuse' dont il avait mené la restructuration de La Voix du Nord, qui lui avait déjà valu, en 2014, de rater la reprise de Nice-Matin (ce qui donnera alors des idées à Nethys…)

Je suis ton père

2020 sonne le retour du Jedi. Rossel remet le couvert, étant cette fois porteur d'une réputation moins sulfureuse, et démontrant que la solution précédemment choisie n'était manifestement pas la bonne, puisqu'elle avait connu l'échec, le covid n'étant que le souffle qui avait ravivé les braises.
Le boulevard était grand ouvert pour le groupe bruxellois, où les activités françaises pèsent déjà plus lourd que son imposante place sur le marché belge. Or voilà qu'arrive une deuxième offre… pilotée par IPM. Non contents de s'affronter dans leur propre pays pour voir qui mangera le groupe de presse namurois, voici les deux protagonistes également en lutte sur le plan international.

On l'a dit: pour Rossel, cette candidature au rachat est presque une habitude. Elle s'inscrit dans le cadre de la stratégie d'une développement qui, depuis longtemps, considère la petite Belgique comme trop étroite pour satisfaire des ambitions de croissance. Une stratégie que Rossel n'est pas seul à avoir adopté dans ce petit royaume: les deux groupes de presse flamands DPG et Mediahuis, eux aussi étouffés par la petitesse du marché national, ont adopté une attitude de même nature. DPG est aujourd'hui le patron d'une bonne partie de la presse hollandaise, et est parti à la conquête de la presse danoise. Mediahuis a mis la main sur une autre partie de la presse batave, a posé ses valises en Irlande et vient de prendre possession de l'essentiel de l'édition de médis écrits au Luxembourg.

Impasse, pair et manque

Pour IPM, on est plutôt dans le registre de la surprise. Longtemps, ce groupe a été vu comme le Petit Poucet du secteur de la presse de Belgique francophone, à la fois par la faiblesse de diffusion de ses titres, les limites de ses capacités financières, et la très faible diversification de ses activités. L'international ne l'a jamais intéressé, ou il n'en a pas eu les moyens. Ses seuls fleurons dans le domaine sont l'édition, pour la Belgique, de versions adaptées de Paris-Match et du Courrier International. Et sa participation dans le titre français Libération est plutôt anecdotique. Les choses ont changé au cours de la décennie 2010, pendant laquelle le groupe a pris l'option de diversifier ses activités, mais en investissant hors du secteur des médias. Soit à l'opposé des choix de son principal 'concurrent' (même s'il n'est pas sûr que les deux compétiteurs jouent dans la même division).
Le choix d'IPM d'investir dans les paris sportifs est économiquement compréhensible. L'est-ce à d'autres titres pour un groupe média éditeur d'un des quotidiens les plus illustres de la presse belge, dont un de ses anciens patrons se plaisait jadis à dire qu'il était illustre, mais pas illustré? La question est ouverte, et peut-être davantage depuis que, en 2018, une partie de Sagevas, la S.A. faîtière de Betfirt, a été cédée par IPM à la société BF Capital Malta, que venait juste de créer au Français Jacques Elalouf, résidant à Londres et spécialisé à l'international dans le secteur des jeux en ligne.
A côté de ce domaine, IPM a aussi investi, entre autres, dans le tourisme de luxe en rachetant, notamment, un spécialiste français des voyages sur mesure.

La manifestation d'intérêt d'IPM pour le groupe L'Avenir n'est pas neuve. Déjà par le passé, l'éditeur de La Libre et de la DH avait tenté de l'acquérir. Mais sans succès. Son insistant intérêt récent s'enracine donc dans une histoire, tout en l'ayant jamais été aussi manifeste. L'implantation de L'Avenir, son importance sur le marché wallon, ses capacités à gérer une information de proximité, sont sans conteste tentantes pour un opérateur plutôt bruxellois qui a, depuis des années, rencontré des difficultés (et un peu renoncé) à gérer une véritable présence régionale. Sa présence dans les candidats à la reprise de Paris-Normandie est plus questionnante dans la mesure où, jusqu'à présent, le groupe n'avait manifesté aucune velléité de croissance de cette nature.

Roulage de mécaniques

Même s'il a grandi, s'est stabilisé et est aujourd'hui plus solide qu'hier, IPM est conscient qu'il n'est sans doute pas assez puissant pour assurer seul la reprise d'une entreprise presse de grande importance. D'où la subtilité d'offres de rachat où le groupe s'associe à d'autres partenaires. Dans le cas de L'Avenir, ceux-ci lui assurent une crédibilité wallonne. Et qu'un d'entre eux joue une rôle dans le repilotage de Nethys n'est sans doute pas innocent. Cela avantagera-t-il l'offre "d'ouverture" du 'petit' groupe belge face à son immense concurrent, dont le rêve reste (aussi) de contrôler une bonne partie de la PQR française?

Pour Paris-Normandie, s'être associé dans le NP Holding à Jean-Louis Louvel, l'ancien propriétaire du groupe, relève de la même stratégie. Mais ne produira peut-être pas les mêmes effets. Cette fois, le personnel du groupe français semble avoir pris le parti de Rossel, et se méfie du retour de l'ancien patron, qui n'avait pas vraiment convaincu. Pourquoi IPM est-il dès lors entré dans cette arène? Pour gagner à ce coup-ci, ou pour fourbir ses armes pour le coup d'après? Ou pour montrer que, face au chêne de la rue royale, l'ancien habitant de la rue Montagne aux herbes potagères n'est plus le frêle roseau d'antan?

Frédéric ANTOINE.



10 juin 2020

Le virtuel, la bonne affaire pour le "Septante et un" de RTL-TVI?

Depuis le 18 mai, le jeu Septante et Un est passé en mode digital: 70 candidats, de chez eux, affrontent le 71ème, qui est sur le plateau. Une manière de poursuive la production de ce divertissement en période de mesures de distanciation sociale. Mais est-ce que cela fonctionne?

Septante et Un, c'est une affaire qui marche. Chaque soir de semaine, le jeu réunit près de 300.000 téléspectateurs devant RTL-TVI entre 18h30 et 19h00. En 2019, son audience moyenne était d'environ 273.000 personnes. Depuis le début 2020, elle a augmenté de plus de 20%, se situant aux environs de 316.000 spectateurs.
Le confinement n'est évidemment pas étranger à cette légère hausse. L'audience moyenne du programme par mois démontre que le nombre moyen de spectateurs  a été très légèrement plus élevé en mars et en avril 2020 qu'en janvier, pilier traditionnel des fortes audiences de la télévision. Cette année, la baisse amorcée en février a été arrêtée par l'arrive du covid, et n'a repris qu'en mai lors des premières étapes du déconfinement. Mais ce qui apparaît surtout en ce début d'année est la relative stabilité de l'auditoire de l'émission. Le programme a ses fidèles, et ceux-ci restent plutôt entre eux.


Le crash du vendredi 13
Jour par jour, mis à part lors des premières semaines de confinement où le jeu compte fréquemment plus de 350.000 "compétiteurs", voire dépasse les 400.000, l'audience de confinement n'affiche pas des scores particulièrement remarquables. On semble être dans l'habitude. Sauf à un moment: le… 13 mars. Ce access-primetime là fut catastrophique. Ce fameux vendredi, dernier jour de "liberté" avant les premières fermetures, le programme n'attirera que 138.000 personnes, soit la moitié de son public d'un jour normal. Ce vendredi-là ne l'était manifestement pas.

En mai, la production décide de ne pas arrêter la diffusion de l'émission, alors que la réserve d'épisodes se tarit. Le jeu choisit de passer en mode distanciel. Les 70 compétiteurs du champion en plateau seront désormais présents de chez eux, alors que jusque là ils animaient le studio.
La mécanique du jeu en a-t-elle modifiée? Pas sur fond. Et sur la forme, dans le rapport de proximité que gère d'ordinaire l'animateur? Le dispositif fait davantage pénétrer le spectateur lambda dans l'intimité de chaque compétiteur, et se rapproche donc un peu de celui des télé-réalités. Mais cela fonctionne-t-il pour autant, voire mieux qu'auparavant, quand tout le monde était sous les sunlights?

Bienvenue à la maison?
La comparaison des résultats d'audience "avant-après" ne sont pas probante. On ne peut évidemment éviter de tenir compte de la tendance à se déconfiner qui marque au fil des semaines le mois de mai, et qui pousse le spectateur à l'infidélité, surtout si le temps est beau (ce qu'il fut).
On ne peut non plus ne oublier cette tendance générale à la baisse qui touche l'audience de toutes les émissions pendant les mois de milieu d'année.
Toutefois, le trend est clair: l'audience du Septante et Un  ne croît pas après le 18 mai (marqué par une barre rouge sur le graphique ci-dessus). Au contraire, elle va connaitre fin mai plusieurs moments particulièrement faibles, avant de revenir à son niveau d'étiage de mi-mai au début du mois de juin. En moyenne, sur la partie du mois de mai 'ancienne formule', Septante et Un a attiré en moyenne 300.000 personnes/jour., ce qui est dans la fourchette haute de ses chiffres d'audience. Du 16 mai à la fin du mois, lorsque survient la formule "distancielle", ce nombre diminue de près de 10% et tombe à 256.000. Ce score est inférieur à la moyenne enregistrée par le programme en mai 2019 (275.000 spectateurs/jour), mais il faut aussi souligner qu'il est plus élevé que la moyenne réalisée par le jeu pendant la deuxième partie du mois de mai 2019 (225.000 personnes). Il restera à voir si la remontée enregistrée depuis le début juin (270.000 spectateurs en moyenne) se confirmera au fil du mois. Si c'est le cas, cela pourra signifier qu'un temps de familiarisation de l'audience des habitués aura été nécessaire afin de retrouver son public traditionnel. Si celle-ci s'effrite encore, il y aura lieu de s'interroger sur la capacité du distanciel de fédérer une audience autant amatrice du climat du jeu que de son contenu.

Frédéric ANTOINE.



07 juin 2020

"Question en Prime" (RTBF), un dopant pour les audiences de soirée de La Une?

L'émission d'information sur le covid de La Une était prévue jusqu'au jeudi 4 juin. Finalement, elle continuera, avec une fréquence moindre. Mais avec un public toujours nombreux.

Le déconfinement est presque complet en Belgique à partir de demain lundi 8 juin. Quasiment quotidienne, l'émission Questions en Prime, qui fait suite au JT du soir de la RTBF, n'aurait à l'origine pas dû se poursuivre la semaine prochaine. Ce ne sera pas le cas: elle reste programmée ces prochaines semaines les lundi et  mardi. L'occasion de clôturer une séquence où ce programme aura été, pendant près de trois mois, pour des centaines de milliers de spectateurs, un rendez-vous à peu près quotidien.

Nous avons déjà évoqué Questions en Prime à deux reprises dans ce blog. L'article d'aujourd'hui entend dresser un regard d'ensemble sur ce programme qui débuta le 16 mars dernier, soit la veille de la réunion décisive du CNS de mettre la Belgique en confinement. La demande d'informations et de clarifications de la part du public, la nécessité de recourir à des experts pour éclairer le sujet, mais aussi le besoin d'expression de tous les groupes concernés par l'événement (…et le clin d'œil de Kroll), feront bénéficier l'émission d'une audience importante, supérieure à bien des programmes ordinaires de début de primetime proposés par le service public.
Comme le montre le graphique ci-dessus, cet  auditoire n'est pas constant: il varie en nombre selon les moments et les événements. Mais ces variations se manifestent plutôt "vers le bas". Le programme dispose en temps normal d'une audience assez stable et fidèle d'environ 600.000 spectateurs. Et, à certains moments, celle-ci se raréfie. Par contre, sur toute la période se clôturant jeudi dernier, un seul pic est à relever: le 24 avril, soir de la fameuse conférence de presse d'annonce du plan de déconfinement du gouvernement.

UN REBOND INATTENDU

Cette stabilité est particulièrement visible si l'audience est mesurée non par jour mais en moyenne par semaine, ce qui écrème les extrêmes. La moyenne quotidienne/semaine d'environ 600.000 spectateurs est patente pendant les sept premières semaines, soit jusqu'à la fin avril. Début mai, celle-ci diminue de 50.000 personnes environ. Le déconfinement étant alors amorcé, on aurait pu croire que la baisse d'audience engagée à mi-mai marquerait toute la suite de la courbe. Or il n'en est rien. On enregistre bien une audience moyenne faible la semaine du 18 au 21 mai, celle-ci remonte ensuite aux environs des 500.000 spectateurs. Les hésitations atermoiements, nuances, modifications de mesures expliquent assurément un besoin de clarté, de précision et de cadrage de la part de l'audience. Celle-ci est alors un peu moins présente qu'au cours du plus fort de la crise, mais son volume explique sans doute pourquoi la RTBF a choisi de maintenir l'émission au-delà du terme prévu.

L'observation de la fréquence de programmation de l'émission démontre aussi que celle-ci n'a pas, jusqu'à présent, été organisée dans une logique de decrescendo progressif. Si la moyenne de diffusions hebdomadaires est de 4 (lundi-jeudi), ce nombre sera dépassé à deux reprises, mais réduit à trois certaines autres semaines. C'est donc bien l'actualité qui détermine la fréquence, et non la pré-programmation. En témoigne le fait, que, au cours de la première semaine de juin, le programme a été proposé à quatre reprises.

IMPACT SUR L'HORLOGISME

Dans les années 1990, le chercheur Dominique Chateau avait constaté que "l'horlogisme télévisuel" était en train de dominer les logiques de programmation, la "dictature" de la grille encourageant la diffusion de programmes "compacts a priori" plutôt que de productions "compactes a posteriori"(1). Questions en prime est un contre-exemple à cette règle qui s'est imposée dans l'organisation de la télévision linéaire. En effet, ce programme est venu bousculer la compacité de la grille de primetime de La Une en y ajoutant une émission qui décalait le moment de début du véritable spectacle de soirée. De plus, même si Questions en prime a une durée moyenne d'environ 22 minutes, celle-ci a été à quatre reprises de moins de 20 minutes, et à cinq reprises de plus de 25 minutes. Ajoutée à la compacité, elle aussi variable, des JT de temps de crise, celle de ce programme rend impossible la fixation d'un horaire permanent de rendez-vous pour le téléspectateur de La Une. Quand commence la soirée? Bien malin qui peut le dire. Se jouant des grilles, le programme ne permet pas à l'audience de planifier aisément son emploi du temps vespéral.


VOLATILES

Mais Questions en prime cannibalise-t-il quelque peu le spectateur qui, ayant suivi l'émission, le contraignant peu contraint à regarder aussi celle qui suit? Questions en prime est-t-il une illustration la technique du lead-in (2)? La moyenne de l'audience de l'émission sur toute sa période est de plus de 567.000 spectateurs. Pour les jours où on peut comparer l'auditoire de Questions en prime et du programme qui suit, la  moyenne/jour de l'audience de l'émission d'informations est de 556.000, le programme qui suit ayant, toujours en moyenne, environ 225.000 spectateurs de moins. Si l'on peut supposer que les personnes concernées étaient identiques (ce que les données dont nous disposons ne nous garantissent pas) cela signifierait que le programme de primetime suivant Questions en prime a, en moyenne, conservé  60% de l'audience antérieure.


Jour par jour comparable, il n'y a qu'une seule fois où le programme qui suit a rassemblé davantage de téléspectateurs que Questions en prime: le mercredi de mars où a été diffusé le reportage "Dans l'ombre du virus". Ce jour-là, Questions en prime est essentiellement une courte séquence de lancement proposé avant le reportage.
A quatorze reprises, l'émission qui a suivi Questions en prime a enregistré une baisse d'audience de plus de 50% par rapport au programme d'information, et la perte d'auditoire a été entre 30 à 49% à vingt-et-une reprises. Les pertes d'audience inférieures à 20% n'ont eu lieu que huit fois. On ne peut donc pas confirmer que Questions en prime a eu un effet déterminant sur le volume du public du programme suivant. Au contraire, celui-ci a fait preuve, à l'issue de l'émission d'information, d'une grande volatilité.

Frédéric ANTOINE.

(1) CHATEAU D., “Horlogisme ou la télévision comme forme”, Médias et information, n°1, 1993.
(2) "A program's "lead-in" is the program that precedes it in the channel's lineup" (NAPOLI Ph. M., Audience Economics: Media Institutions and the Audience Marketplace, Columbia University Press, 2003, p. 188).

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