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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

28 février 2022

Pourquoi Poutine a-t-il négligé les médias ukrainiens ?






Et si la force de résistance des Ukrainiens provenait… de leurs médias, qui continuent à émettre jour et nuit en couvrant la guerre avec assurance. Des médias actifs comme si de rien n'était. Comme si Poutine les avait (heureusement) oubliés.

D'ordinaire, prendre ses médias constitue un des premiers objectifs d'une agression armée contre un État. Occuper la radio-télévision et ainsi empêcher toute information de la population envahie, n'est-ce pas essentiel? Miner l'état des troupes ne passe-t-il pas par le silence radio? Pas dans le cas de l'Ukraine en tout cas. L'activité, le dynamisme des médias audiovisuels de ce pays meurtri est impressionnante. Leur relais sur internet, et leur présence permanente en direct sur Youtube, participe assurément à soutenir l'état d'esprit des populations, et à le dynamiser. Si les Ukrainiens tiennent bon, cela semble aussi être grâce aux médias.


Des médias qui n'opèrent pas dans la clandestinité, mais qui paraissent continuer à faire le job, en particulier sur les chaînes all news, dont Ukraïna 24, qui présente sa retransmission en direct par ces mots: " Le 24 février 2022, le président Volodymyr Zelensky a déclaré la loi martiale dans le pays en lien avec une attaque militaire à grande échelle des forces armées de la Fédération de Russie contre des villes ukrainiennes. Que se passe-t-il en ce moment ? Les forces armées ukrainiennes travaillent. La direction de l'Etat appelle au calme. Tout sera l'Ukraine ! УкраїнаLIVE "Ukraine 24". Cette chaîne, comme d'autres, travaille depuis de grands studios, avec recours à des incrustations et à des split screens. Ukraïna 24 "is the first 24/7 News TV channel from the Ukraine. The channel was founded in 2006. It claims to present an objective and unbiased presentation of news, interesting and useful information for the viewer of the day" (1).


Sur la chaîne Canal 24, les journalistes, plutôt jeunes, s'y succèdent à l'antenne, parfois seuls, parfois en couple. Le programme fait l'objet d'une réelle réalisation, avec enchaînements de séquences et de témoignages (souvent recueillis par smartphones). Lors des retours studio, plans larges sur le couple de journalistes alternent avec plans plus serrés sur l'un d'entre eux. Au milieu de ces événements terribles, ils esquissent même parfois un sourire. La chaîne, "appelée à l'origine News Channel 24, fait partie de la Lux Television and Radio Company, un conglomérat de médias en Ukraine" (2). La journaliste présente dimanche en fin d'après-midi était impressionnante malgré son jeune âge. La chaîne possède un site internet (https://24tv.ua/) qui comprend un nombre considérable d'informations sur la guerre, vue par les Ukrainiens, et qui est, selon certaines sources un des plus visités du pays (2).
Kyiv, est une télévision de Kiev. Son site présente la "diffusion en direct de la chaîne de télévision de Kiev sur la défense de l'Ukraine et de Kiev contre les envahisseurs russes". Selon ce qu'elle dit d'elle-même, la chaîne a un profil plutôt généraliste, mais la guerre en a fait une chaîne d'info. "Kyiv tv est un diffuseur moderne de la capitale européenne. Nous sommes toujours les premiers à savoir quoi, où et quand se passe à Kiev. Les sujets d'actualité de la vie de la métropole métropolitaine se dévoilent dans les programmes uniques de la chaîne. Le contenu artistique de la chaîne de télévision se compose de films et de séries européens et américains."(3)

 
Le compte Telegram de la station est entièrement dédié aux événements, et se présente à la fois comme au service des habitants de la capitale, et de l'Etat ukrainien en guerre. La chaîne y écrit elle-même que "les principales nouvelles de Kiev sont exactes et proviennent de sources primaires".


 
Une des spécialités des chaînes est la diffusion de brèves interviews de soldats russes faits prisonniers par l'armée ukrainienne. Une communication qui a de quoi renforcer la détermination des populations, et qui est soutenue par un site créé par le ministère des Affaires intérieures d'Ukraine afin de présenter les documents d'identité et les photos des soldats russes capturés ou tués par l'armée du pays.


Un site évidemment destiné à être consulté par les familles concernées. Et qui peut avoir un effet réel…tant que subsistera internet entre la Russie et l'Ukraine.



Il existe encore d'autres stations qui se sont muées en news channels, et qui sont tous actifs en temps réels. Comme les autres médias ukrainiens, ils continueront à mobiliser les corps et les âmes aussi longtemps qu'ils pourront émettre, ou être reçus via l'internet.

Tant que…


Frédéric ANTOINE.


Lorsque sévissait la guerre en Serbie contre Milošević, je passais mes nuits à regarder la télévision serbe, diffusée par satellite. C'était impressionnant de propagande et de directs couvrant les bombardements de la ville. Très révélateur, instructif. Plus qu'utile quand on est journaliste. Mais en Belgique (et dans d'autres pays d'Europe occidentale), personne ne s'y intéressait. En 2022, il suffit d'une liaison internet pour entrer au cœur de tous ces médias, de les voir vivre. Et de mieux comprendre. Il suffit. Mais encore faut-il le vouloir…


(1) https://wwitv.com › tv_channels › b2602.htm
(2) https://fr.abcdef.wiki/wiki/Channel_24_%28Ukraine%29
(3) https://kyiv-media.translate.goog/about?_x_tr_sl=uk&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=wapp



04 février 2022

Sauvetage du petit Ryan : quand les médias créent une émotion planétaire


La planète retient son souffle : arrivera-t-on à sauver le petit Ryan, tombé dans un puits à Tamrout (Maroc) ? Pas un Jt, ou presque, sans nouvelles du sort du pauvre garçon. Le petit Marocain n'est pas le premier enfant à susciter pareil intérêt médiatique. Pourquoi tant d'émotion ?

Le 1er février après-midi Ryan (0) est tombé dans un puits que, semble-t-il, réparait son père (1). Bien que se déroulant dans un village en terre battue (2) et un peu perdu à ± 130 km de Tétouan, l'information remonte dans les médias locaux. Le quotidien en arabe Press Tetouan annonce la nouvelle sur son site dès le 2 février à 00h48, déjà accompagnée d'une photo, suivi par Alhadet à 00h50.

 (contenus en arabe, traduits en français)

Ce 2 février, le sujet sera traité, sur un mode mineur, par quelques sites marocains d'information (3). Il faut attendre le jeudi 3 pour que le fait divers prenne une ampleur nationale, puis internationale.  Analysant cet émoi international, Press Tetouan publiera le 3 en fin de journée et pendant la nuit plusieurs articles évoquant l'émoi international suscité par l'événement : Ryan unit le cœur des Arabes (4) ; L'attention de la presse internationale se tourne vers Tamrout (5) ; British Broadcasting Corporation... "Ryan" est devenu le fils du Maroc et de tout le Moyen-Orient (6)… L'article sur la presse internationale fait même référence au Soir et à 7sur7.be, considérés comme représentant les médias francophones dans leur ensemble (7). 

 Fait divers public

Les médias audiovisuels ne seront évidemment pas en reste, d'autant que pareille affaire permet de faire de l'image. Jeudi soir, le sort du "petit Ryan" est longuement traité dans le Jt de 19h30 de La Une (RTBF). La séquence à ce propos dure 1'47". Elle commence 21'20 après le début de l'émission. TF1 fait un peu moins bien : sa séquence, qui n'occupe qu'une minute de l'antenne, démarre 22'50 après le début du Jt. Mais elle est précédée d'un lancement studio de 20 secondes, alors que, à la RTBF, il ne prend que 15 secondes. Au RTL Info de 19h, le sujet fait seulement l'objet d'un "à-travers" de 20 secondes, placé 25'50" après le début du Jt. Sur France 2, cette info… n'est pas évoquée du tout. Elle n'est pas non plus dans le mini Jt atyique qu'est l'émission Vews, sur Tipik, ni dans le 21h de LN24. 


Sur RTBF radio La Première, le "petit Ryan" est par contre le… 2e titre du journal parlé de 19h (durée du titre : 20 secondes). Au cours du journal, ce sujet occupera 1'12" de l'antenne, en débutant à 3'17. Il comprend un lancement de 24", un "billet sec" d'une correspondant sur place (dont on ne saura rien et dont on ne comprendra pas le nom (8) ), sujet d'une durée de ± 35". Il sera suivi d'un retour studio de 13" évoquant un autre cas d'enfant tombé dans un puits, celui du "'petit Julen", survenu en Espagne il y a juste deux ans.

Mise à jour : le vendredi 4, dans son JT 20h, France 2 a bien rattrapé son vide du soir précédent. Le journal a consacré au "petit Ryan" une très longue séquence, 11 minutes après le début du journal (soit bien avant les JT du jeudi). Le sujet en lui-même a duré 1'25, après un lancement de 5". La chaîne publique  française a donc traité le sujet en 1'30. Mais il y a même inclus une animation destinée à faire comprendre comment les secours espéraient atteindre le jeune garçon prisonnier. Le même soir sur RTL-TVI, on passe d'un "à travers"' du jeudi à une séquence de 1'30, annoncée dans les titres, et .diffusée à la 27e minute du journal, accompagnée d'une infographie.

On peut donc dire que, finalement, les quatre chaînes observées ont traité de manière auss imposante ce fait divers, la différence se situant dans le moment de la réaction. La Une et TF1 s'investissent dans un long traitement dès le 3/2, alors que les deux autres stations considèrent alors l'événement comme peu digne d'intérêt. Devant l'ampleur médiatique que prend l'événement le 4/3 et l'impact émotionnel que celui-ci a sur les populations, et une chaîne publique (France 2) et une chaîne privée (RTL TVI) changent leur fusil d'épaule et survalorisent l'événement, allant jusqu'à en faire un des titres de leur édition vespérale, et en l'illustrant d'une infographie. Les deux chaîne "rattrapent' ainsi le coup de la veille. Pour quelles raisons éditoriales ?

La loi des séries

L'élément évoqué en fin du JP de La Première n'est pas innocent. Au même moment, plusieurs autres médias feront eux aussi allusion à cet autre drame arrivé il y a peu. D'autant que celui-ci s'est mal terminé : l'enfant (le "petit Julen") est finalement décédé. 

Serait-on en train de vivre une répétition des affaires de ce type, comme s'il y a avait là une loi des séries, voire une malédiction sur les enfants ? 

 En ne cherchant que quelques minutes sur internet avec l'aide des moteurs de recherche Duckduckgo et Google et les mots "enfant-tombé-puits-drame", on repère deux douzaines de drames de ce type  au cours des ± dix dernières années. Ce relevé est forcément incomplet. Il révèle toutefois que les médias évoquent fréquemment les chutes d'enfants dans les puits. 

Dans de nombreux cas, le fait divers est terminé lorsque le média s'en empare. L'issue a alors souvent été fatale, et le fait est présenté de la même manière que les autres accidents de la vie. Parfois, on relate le fait parce que l'issue a, au contraire été positive. On met évidemment alors cet élément "anormal" en exergue. 
Miaisd loccasions où les journalistes peuvent parler d'événements de ce type alors qu'ils sont en train de se produire sont rares.

Un suspense insoutenable

C'est ce qui distingue "le petit Ryan" de la plupart des faits divers ayant par ailleurs les mêmes trois caractéristiques : un puits, une chute, un enfant. L'événement ici prend une autre dimension, car il comprend une quatrième caractéristique : la tentative de sauvetage. L'actualité est prise en cours de déroulement. Il se passe toujours quelque chose quand débarquent médias et caméras. La scène comprend des personnages (parents, témoins éventuels, sauveteurs…) et, par dessus tout, elle repose sur un suspense insoutenable. Or, le suspense n'est-il le père de tout récit : que va-t-il se passer ? Tout est là. Dans l'attente d'un dénouement, heureux ou malheureux.

Voilà pourquoi ce fait divers, somme toute hélas plutôt banal, enfle jusqu'à devenir un sujet médiatique national, voire mondial. Lorsque tout un pays, et plus, suit en direct les opérations de sauvetage, il s'accroche à l'enchaînement des événements comme à d'autres récits où l'issue est incertaine. Avec le surcroît de tension provenant du fait que l'on est ici dans le réel, et non dans la fiction. Une vie est bien en jeu. Et, qui plus est, celle d'un enfant, chose sacrée, comme on peut le comprendre. Ce qui explique pourquoi les médias s'intéressent davantage aux drames concernant les enfants qu'à ceux qui touchent les adultes. La charge émotionnelle liée à ce qui se passe dans ce puits devient dès lors énorme.

Modèle en son genre

L'événement marocain n'est hélas que la réplique d'autres cas de traitement médiatique d'accidents concernant des enfants. Le tableau ci-dessus rappelle, sous le titre L'agonie d'un enfant, ce cas survenu près de Rome en 1981 déjà, et qui avait suscité un énorme déferlement médiatique, ainsi qu'une attention sans bornes des populations. 

L'emballement était toutefois là encore plutôt local. Médiatiquement parlant, le premier cas de cette série si spéciale se situe quelques années plus tard. Il  ne concerne pas tout à fait un puits, mais tous les autres ingrédients de la sinistre recette y étaient. Il s'agit de ce que Paris-Match dénommait encore avec subtilité récemment L’insoutenable calvaire d’Omayra Sanchez

En 1985, lors de l'éruption d'un volcan endormi en Colombie, cette petite fille était devenue prisonnière d'une coulée de boue. Un photographe de presse, qui croyait saisir l'image d'une victime de la catastrophe, s'aperçoit qu'elle est vivante. Cet homme de médias lance un appel au secours, et l'opération de sauvetage de l'enfant débute. Sous les yeux des caméras du monde entier. Omayra est consciente, elle parle. Elle se confie. Elle se montre forte. Que d'émotions ! On l'aide à résister à la boue qui l'entoure, mais on ne parviendra pas à la sauver. On assistera à sa mort en direct. Rappelant cet événement (9), Paris-Match parviendra même encore il y a peu à republier la dernière photo de l'enfant, lorsqu'elle est sur le point d'expirer…

On n'avait jamais été aussi loin. Surtout avec des enfants. Les médias n'avaient jamais su, pu, ou osé, couvrir ainsi un fait divers de ce type. Mais la brèche a été ouverte.  Elle ne se refermera plus. Et les feuilletons recommenceront. Qu'on se rappelle, par exemple, en 218, l'histoire de ces douze enfants bloqués dans une caverne en Thaïlande, vécue par le menu, avec des drames et des détails en tout genre.

En 1985, on appelait encore l'enfant victime par nom et son prénom. Aujourd'hui, on parle du "petit Julen" ou du "petit Ryan". La dernière digue de la distance (ou du respect?) a été rompue. Celle ou celui qui risque de perdre la vie, ne pourrait-il pas être notre enfant ? De spectateurs, les médias font quasiment de nous des acteurs de l'histoire. Comme si on y était. Par procuration. La vive émotion vécue au Maroc en est plus que la preuve.

Frédéric ANTOINE 04/02/2022 - 18h

Mis à jour 04/02 20h30, 05/02 08h (réécrit 11h40)

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(0) Nous utiliserons ici l'orthographe Ryan et non Rayan, employée surtout dans les médias francophones, car elle nous paraît plus fidèle à la dénomination arabe.
(1) Le contexte de l'événement n'est pas très clair, le père disant aux médias que son fils était à côté de lui, puis est tombé dans le puits. Sa mère, dans une déclaration à la presse, a elle expliqué qu'elle cherchait son fils le mardi après-midi et qu'il avait disparu, sans savoir où il était…
(2)
(3) Notamment : machahidpress, chaouen24
(4) (Press Tetouan) الطفل “ريان” يوحد قلوب العرب
(5) (Chaouanpres) أنظار الصحافة العالمية تتجه إلى تمروت
(6) الإذاعة البريطانية… الطفل “ريان” أصبح ابن المغرب وعموم الشرق الأوسط(Press Tetouan) 
(7) Tour à tour, plusieurs journaux francophones ont couvert l'actualité, dont « Le soir » : « Un enfant de 5 ans coincé dans un puits de 35 mètres de profondeur » et « 7sur7 » : « Une course contre la montre pour sauver un enfant de 5 ans coincé dans un puits au Maroc ».
(8) Quelque chose comme Eva (?) Secan, ou Segan, ou Sekan, ou ???
(9) https://www.parismatch.com/Actu/International/Omayra-Sanchez-morte-en-direct-boue-volcan-Armero-Colombie-1985-photos-1712373#-Samedi-a-9-heures-lenfant-ferme-les-yeux-Elle-ne-les-rouvrira-plus-Malgre-respiration-artificielle-et-massage-cardiaque-Un-des-sauveteurs-bouleverse-perd-connaissance-La-mort-apres-soixante-heures-de-combat-a-triomphe-de-lenfant-courageuse-Paris-Match-n1905-29-novembre-1995
 


01 février 2022

The Voice Belgique : c'est la perte de voix



La RTBF a beau se réjouir des résultats de la dixième saison de The Voice Belgique, en nombre de téléspectateurs, ce n'est pas la joie. Les premiers blind n'ont pas très bien marché du tout…

Une moyenne de 342.000 téléspectateurs (J+1) en 2020 contre 435.000 en 2019. Avec une perte de près de 100.000 personnes sur les 5 premiers blind, qui attirent en général le plus de monde, The Voice risque l'extinction de voix. Si l'on prend en compte les visions décalées jusqu'à 7 jours après l'émission (1), le programme est encore plus aphone. De 2019 à 2022, sur la moyenne des spectateurs J+7 des trois premiers blind, on passe de 511.000 à 387.000 personnes. Une baisse de volume d'environ 124.000 individus. Certes, le programme a une petite audience en différé, mais celle-ci est, cette année, sans comparaison avec celles des versions passées. Et nous n'avons pas pris en compte ici la situation de 2021, où l'on était en plein covid, avec de forts scores d'audience, alors qu'en janvier-février 2019, la liberté de vivre n'avait pas encore été mise entre parenthèses…

L'an dernier, l'audience J+7 avait augmenté entre le blind 1 et le 3, avec des chiffres supérieurs à 2019. Cette année-là, l'audience J+7 était stable pour les deux premiers blind, et avait crû pour le 3. Cette année, l'audience a baissé pour le blind 2 et est ± revenue pour le 3 au stade du blind 1.
En 2022, l'audience +7 finit, au blind 3, par rejoindre celle que le programme a obtenue l'an dernier. Cette année, les 3 premières émissions se sont classées aux 9e ou 10e place des meilleurs scores de leur semaine de diffusion. En 2021, pour la même période, le programme était entre 5e et 9e position. En 2019, c'était entre 3e et 6e…
 
 Interprétations diverses

Jusqu'à l'an dernier, la RMB donnait librement accès à d'intéressants détails sur le profil de l'audience de The Voice via son application RMB Insight. En 2022, c'est un étrange silence radio. Il faut donc se rabattre sur un communiqué triomphant publié en ligne par la régie ce 13 janvier (2). Si on n'y évoque pas les chiffres absolus traités ici, on peut par contre y lire que le télé-crochet attire "pas loin de 500.000 téléspectateurs par programme" (ce qui ne correspond pas aux data J+7 communiquées par le CIM, mais qui doit faire référence à une mesure de l'auditoire, c'est-à-dire de tout qui a eu contact avec le programme, et n'exploite donc pas la mesure de l'audience moyenne communiquée par le CIM).
La RMB écrit aussi que l'émission réalise "des performances inébranlables", affirmant que "la part de marché moyenne de la Saison 10 (24% sur PRP 18-54) atteint le même niveau que celle de la Saison 9 (24% sur PRP 18-54)". 
 
La dégelée de l'an neuf
 
Aucune de ces analyses ne fait référence au fait que, pour la première fois, le show a débuté au milieu  des vacances de Noël (premier blind le 28/12), ce qui aurait dû lui attirer un public plus nombreux que les saisons antérieures, où le programme avait commencé en janvier. Concrètement, cela n'a pas été le cas. L'audience de ce premier prime a été inférieure à celle des années précédentes. Les parts de marché du programme en J+7 ont, elles, été légèrement supérieures à celles des épisodes suivants (28/12 : 27,6%. 4/01 : 24,4%. 11.01 : 6,6%). 
Une première avant le 31 décembre aurait aussi pu avoir un effet d'entraînement, en poussant l'audience à rester à l'écoute pour la suite. Surtout que, cette année, les vacances de Noël étaient toujours au menu début janvier, lors de la diffusion du deuxième épisode. Or, cette semaine-là, The Voice a réalisé son pire score d'audience jusqu'à présent, et a obtenu ses plus basses parts de marché (parmi les data disponibles). Pas sûr donc que le coup des vacances de Noël ait vraiment fait mouche…
 
Premier quand même

Quel que soit l'état du nombre de spectateurs, la RTBF peut en tout cas s'enorgueillir, comme le souligne la RMB que "The Voice est le programme suivi par la plus grande part des téléspectateurs (PRA 18-54) de la soirée du mardi". L'audience de primetime étant fort morcelée en Belgique francophone, ce résultat peut aisément être atteint avec de faibles parts de marché en fonction du nombre de chaînes entre lesquelles se répartissent les téléspectateurs. Mais il faut reconnaître que, ce soir de la semaine-là, La Une dame le pion à RTL-TVI. Par la qualité de son programme. Mais aussi, peut-être parce que, le mardi soir, la chaîne privée programme (volontairement ?) une série qui ne se distingue pas trop du lot et obtient des résultats très moyens.

Mais qu'importe. Être en tête, n'est-ce pas ce dont rêve d'abord le service public?

Frédéric ANTOINE

(1) Et ce sur tous les écrans du foyer (et pas seulement sur l'écran principal).

(2) https://rmb.be/fr/actualites/647-the-voice-la-10eme-assure/

29 janvier 2022

So Soir croit le Sénat belge tout puissant

 Dans une pub radio pour son supplément So Soir, Le Soir attribue au Sénat belge des pouvoirs qu'il n'a plus  vraiment, et ce depuis longtemps. 
Normal, de la part d'un grand journal de qualité?
 
 
 
Dans son dernier spot publicitaire radio, Le Soir accorde au Sénat de notre pays un rôle plus que déterminant dans les procédures en législatives. Une voix y dit en effet, sur un ton très "info radio":  « … Fumée blanche au Sénat qui approuve… » 
 
Pour sûr, ce Sénat-là doit avoir une fonction essentielle dans le pays, puisqu'on attend son vote comme celui qui préside au choix d'un pape!
 
Or il se fait que, depuis les dernières réformes de notre constitution, dans la plupart des cas, on se désormais contrefiche pas mal que le Sénat produise de la fumée blanche ou noire, car l'adoption des lois n'est plus que l'affaire de la Chambre des Représentants. 
 
Certes, les articles 77 et 78 de la constitution mentionnent bien une série de rare cas, très précis, où un vote au Sénat est aussi obligatoire. Mais, en général, la Haute Chambre ne sert plus à rien.
 
So Soir veut-il jouer les constitutionnalistes et attirer subtilement l'attention des auditeurs sur les infimes compétences du Sénat? Ou les auteurs de cette pub n'ont-ils pas plutôt du droit constitutionnel une connaissance disons "superficielle" ou dépassée? 
 
A moins que cette promo pour So Soir ait été écrite… en France, où le rôle du Sénat reste, là, fort important. Ou la pub parle-t-elle du Sénat des États-Unis ? Fort peu probable, car le premier "sonore" que l'on entend dans cette pub parle de "'notre Premier ministre", et le mot "Sénat" n'est pas accolé au nom d'un pays étranger.
 
Conférer un rôle déterminant au Sénat belge est d'autant plus étrange que derrière So Soir se trouve évidemment le journal Le Soir, pour qui l'exactitude et la précision de l'information sont essentielles…
Accorder de l'importance à ce qui n'en a pas, est-ce ce que l'on attend d'un grand journal de qualité?
 
"S'informer, c'est primordial", dit-on dans la fin de la pub, avant d'ajouter "
S'évader, cela fait aussi du bien." Visiblement, dans ce spot, on a plutôt choisi de se placer du côté de l'évasion que de celui de l'info.
 
En tout état de cause, ce sont les Sénateurs qui seront contents. Eux qui se plaignent toujours du peu de rôle qu'ils ont encore à jouer en Belgique, ils n'en croiront pas leurs oreilles. Et ils auront alors raison…
 
Frédéric ANTOINE
 

 








 

25 janvier 2022

Le putsch au Burkina à la télé : quel super show !

Ce 24 janvier, les militaires ont renversé Roch Kaboré, le président du Burkina Faso, lors d'une annonce à la télé nationale. Mais pas n'importe comment. Cette prise de pouvoir là a profité d'une mise en scène dont les putschistes ne bénéficient d'ordinaire pas. Et dans un cadre qui pose question.

Cinq minutes. Le show annonçant la fin du régime Kaboré sur la RTB (cela ne s'invente pas) n'aura duré qu'un douzième d'heure. Mais il n'aura pu que marquer ceux qui l'auront vu, tant il a  bien été mis en scène. 

Par son cadre, tout d'abord. Il n'y a pas eu ici de saisie d'antenne brusque, ou de coup de force non contrôlé. La prise de parole des militaires s'est déroulée… dans le contexte d'une émission d'informations. Leur apparition à l'antenne a en effet été précédée… du générique prévu par le journal télévisé local pour ses éditions spéciales.

Un petit générique qui commence même par la mention "Urgent-merci pour votre fidélité" (dans ce cas-là, ça ne s'invente pas non plus), glissée dans un bandeau surmonté du globe terrestre. De quoi mettre le spectateur en confiance. Ensuite s'enchaînent des images animées énumérant les grandes thématiques que l'on traite dans un JT ("société", "politique" "faits divers"…), puis vient  le globe terrestre, situant clairement le Burkina Faso sur la mappemonde. Le tout se termine par le titre "Édition spéciale" sur fond de drapeau national burkinabé.

Un générique qui évoque directement le début des Jt de la station, d'où proviennent les principes de cet indicatif (univers, terre, listage des rubriques…, le tout tournant en permanence).

Dans ce contexte, le message adressé au spectateur est clair : il va assister à une édition spéciale de son Jt, comme il en aura sans doute vu (1) lors du 11 novembre 2001, du récent drame d'Inata (Sahel) où 53 gendarmes furent massacrés par des terroristes, ou au moment des dramatiques inondations qui touchèrent le pays en 2020.

 UN FOND D'INFO

Mais voilà. À la fin du générique, pas d'apparition de journaliste présentatrice (ou présentateur) du Jt. Un groupe de personnages occupe l'écran, et n'a pas l'air d'appartenir à la rédaction de la chaîne de télévision. Pourtant, nous sommes bien au Jt. La preuve : ces individus occupent bien le studio du journal télévisé propre. Entre la scénographie classique du journal télévisé du Burkina et ce que l'on voit alors, rien n'a été modifié.


Les pupitres sont aux mêmes endroits que d'ordinaire. Trois hommes sont assis exactement à la place de l'anchorwoman habituelle de la RTB. Mais, alors que celle-ci est tous les soirs seule à l'écran, ils sont là encadrés d'autres personnages. 
 
Soit, pourra-t-on penser, quoi là de plus normal ?  Les putschistes ont simplement pris la place du journaliste.

Oui, mais ce n'est pas tout. Comme dans toute station de télévision qui se respecte, une partie du studio du Jt de la RTB est virtuel. Et un grand écran occupe le fond du décor, derrière la présentatrice. À l'instar du paysage parisien que l'on voit tous les sur France 2 ou TF1 (ou sur La Une), au Burkina, c'est une artère animée de Ouagadougou, menant vraisemblablement au Monument des Héros, qui occupe le fond de l'écran. Lors de l'intervention des militaires, l'arrière-plan de l'image n'est pas celles des rues de Ouaga, mais la reproduction du dernier plan du générique, c'est-à-dire la mention "édition spéciale", sur fond du drapeau national. De quoi rappeler en permanence qu'on est bien dans l'actu.

La présence d'un tel élément de décor lors de l'apparition de putschistes à l'antenne n'est pas le fruit du hasard. En dehors du Jt (2), le fond de ce studio est un écran noir. L'image animée pour accompagner l'intervention des militaires a volontairement été choisie, et techniquement insérée dans le système du studio pour apparaître à l'antenne. Elle laisse croire que ce qui se passe là est bien de l'information, et que celle-ci revêt une importance nationale.

COMME UN TABLEAU

La disposition à l'image des représentants des corps d'armée n'est pas, elle non plus, fortuite. Mais le fruit d'un agencement esthétique qui inscrit de manière très particulière les militaires debout derrière ceux qui sont assis à la table. Les plus petits ont été placés sur les côtés, et les plus grands au centre (ou sur des praticables).  De plus, le militaire planté au centre du groupe porte un casque surmonté d'une pointe, ce qui le fait dominer tous les autres, et le rend particulièrement impressionnant. Un peintre classique n'aurait pas conçu plus bel agencement.

L'éclairage du studio, lui aussi, n'est pas celui fourni par les néons qui doivent éclairer cette pièce quand on n'y tourne pas. Au contraire, ce travail de lumières est très pensé. En plan d'ensemble, l'image baigne plutôt dans la pénombre, alors que le bas de l'écran (les 3 bureaux) reflète la couleur rosée émanant du sol (lors des Jt, c'est du bleu). À l'arrière-plan, l'essentiel du groupe debout apparaît dans l'ombre, comme une masse compacte. Seul se distingue le milieu de l'image, particulièrement éclairé, tant à l'arrière qu'au premier plan. Au centre du tableau, un militaire assis bénéficie d'une belle lumière. C'est celui qui prendra la parole. Mais l'éclairage sort aussi de l'ombre le personnage au casque pointu de l'arrière-plan. L'image joue ainsi avec une belle subtilité entre le clair et l'obscur. Une composition qui ne s'est pas mise en place toute seule.

AXE Y-Y

Le capitaine Ouedraogo est le personnage central de la composition, comme Jésus dans la Cène de Michel-Ange. Il occupe la place de la journaliste présentatrice. C'est lui qui sera chargé de livrer le message de la junte, alors que principal acteur de cette révolte militaire est le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Celui qui esgt désormais présenté comme le président du pays siège vraisemblablement à la droite du porte-parole. Un commandant assuré, qui semble connaître les médias et gère assez parfaitement son axe Y-Y, qui lui fait regarder la caméra droit dans les yeux.

Le nom de ce dernier est mentionné dans un bandeau apparaissant à plusieurs reprises au bas de l'écran. Ce bandeau est identique à celui qu'utilise le journal télévisé pour identifier les personnages passant à l'antenne lors des reportages. Son usage dans ce cadre inhabituel laisse une fois de plus supposer que la communication des militaires s'inscrit dans le registre des émissions d'information.
 
 TOUTE UNE RÉALISATION
 
La séquence à laquelle on a assisté lundi 24 janvier est le fruit d'une réalisation précise. Sa mise en image en est aussi la preuve. Le message de la junte n'est pas capté par une seule caméra, opérant en plan fixe, mais par deux. L'une cadre en plan large sur l'ensemble du groupe des militaires, l'autre est focalisée sur le commandant porte-parole. En régie, une équipe de réalisation alterne plans larges et serrées, et place les trois inserts du bandeau qui apparaît lors des plans américains sur l'orateur.

Ces éléments ne manquent pas d'intérêt. Car ils diffèrent de la plupart des prises de parole à la télévision de militaires putschistes au moment de leurs opérations. Le cas du Burkina est tristement célèbre à ce propos, car ce n'est pas son premier putsch. Mais la séquence télévisée qui eut lieu lors du putsch de 2015 n'est pas tout à fait comparable à celle de 2022.
Certes, l'intervenant se trouvait-il sans doute aussi à l'époque dans le studio du Jt, et bénéficiait-il d'un fond d'image non neutre. Mais l'action paraissait alors moins posée qu'en 2022. Le personnage, seul à l'image, semblait revenir d'opérations. Il paraissait plutôt terrorisé par la caméra, ce qui n'est pas le cas cette fois-ci. Il n'y a pas eu alors de travail de mise en image du personnage. Il a 'simplement' utilisé le média comme mode de transmission d'une communication. En 2020, par contre, il y a une vraie volonté de présenter un produit répondant aux conventions de l'audiovisuel, non seulement aux Burkinabés mais aussi au monde entier.
 
RAW

Un bref regard à d'autres interventions télévisuelles de militaires putschistes confirme que, dans la plupart des cas, les intervenants se contentent d'utiliser le vecteur 'télévision' sans se soucier de la présentation et de la mise en image de leur apparition. Ils s'emparent du média et livrent une communication raw (brute).

Guinée, 2021
                                                 Mali, 2012                                        Zimbabwe, 2017
 
Les militaires investissent toujours le même studio, celui du Jt, par ce qu'il est sans doute le seul studio de la chaîne de télévision. Mais aussi parce que ce lieu est un symbole du pouvoir (l'information n'est-elle pas le nerf de la guerre?). Une fois dans ce lieu, les putschistes font "avec ce qui a". Dans les chaînes ayant une image de fond de studio fixe, ils s'installent devant elle. Quand il y a un green key au fond du studio, celui-ci est toujours à l'image lors de leur prise d'antenne. Aucune composition n'est envisagée, et les intervenants n'ont pas de maîtrise du langage médiatique.

Souvent, les putschistes préfèrent d'autres cadres qu'un studio de tv pour la communication de leur prise de pouvoir. Le lieu retenu leur permet de confirmer leur force, ou le poids de leur emprise sur la société. Certains militaires choisissent aussi des postures classiques, en orateur derrière un pupitre, comme au temps d'avant les médias électroniques… 
 
Ils sont ainsi bien loin de cette fausse "édition spéciale" qu'a, fournie (malgré elle?) la télévision du Burkina Faso.

Frédéric ANTOINE.


(1) Les sujets évoqués ici sont supposés avoir fait l'objet d'éditions spéciales du Jt burkinabé. Nos archives ne nous ont pas permis d'en certifier l'existence.

(2) Ou d'autres programmes tournés dans le même studio.




23 janvier 2022

"Face au Juge" (RTL-TVI): Pourquoi ça marche?


En janvier-février, les dimanches soirs en début de soirée, Face au Juge cartonne toujours sur RTL-TVI. Cela sera sans doute encore le cas cette année. Mais pourquoi donc cette émission-là dépasse-t-elle en audience toutes les autres? Quelle est sa recette? Et cela est-il prêt à durer?

 

526.645‏ téléspectateurs. Tel est le résultat d'audience (J+1) du premier Face au Juge de cette saison. Un résultat en dessous des scores réalisés l'an dernier, année Covid, mais aussi en 2019 (le programme avait alors débuté fin février). Le docu-réalité judiciaire de RTL-TVI a donc perdu des plumes à l'occasion de son premier numéro. Peut-être fera-t-il mieux par la suite (comme en 2019), mais ce résultat en baisse peut aussi être un indicateur de l'usure de la formule, ce qui serait assez normal vu le nombre d'années que ce programme existe.

 

EN TÊTE DE COURSE

Toutefois, même si son auditoire est en baisse, l'émission était toujours le 16 janvier dernier en tête des audiences, juste derrière le RTL Infos de 19h. L'an dernier, Face au Juge avait 4 fois occupé la première place des audiences journalières en Belgique francophone, et 2 fois la deuxième place. Un véritable record puisque, à part lors d'événements sportifs en direct, les Jt sont quasiment toujours en tête de ce type de classement en Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour Face au Juge, ce résultat n'est pas neuf, comme s'il était inhérent au programme. Est-ce une question de format, de casting ou de programmation?

EFFET DE GRILLE

Sans mettre en cause les qualités de la réalisation, on doit constater que ses bons résultats sont d'abord justifiés par son positionnement dans la grille de RTL-TVI. La plage de début de soirée qui suit le Jt de la chaîne privée capte toujours beaucoup d'audience, par effet d'entraînement d'après-Jt, et en raison de la longueur du JT qui empêche, en lecture linéaire, d'enchaîner 'normalement' sur un autre programme, par exemple le 19h30 de La Une, après les infos sur RTL. 

De plus, traditionnellement, le dimanche soir s'avère être un des moments de la semaine où la télévision réunit le plus grand nombre de téléspectateurs. Face au Juge bénéficie de cette circonstance, de sa place après le RTL Info 19h, mais aussi de la présence, après le magazine, d'un programme de soirée particulièrement porteur. Début 2021, c'est en primetime du dimanche que la chaîne a diffusé Mariés au premier regard (suivi en 2e volet, de Mon admirateur secret).

Le même phénomène a touché, en 2021, l'autre série de docu-réalité En route avec la police locale, elle aussi diffusée en début d'année le dimanche à la suite des infos. Elle a, à chaque fois, figuré dans le top des audiences de la chaîne (Jt exclus).

PROXIMITÉ MAXIMALE

Le concept de l'émission contribue évidemment aussi à son succès. Appliquant à la lettre le vieux slogan RTL C'est vous, l'émission repose sur un effet miroir porté presque à son paroxysme. On sait, depuis les travaux de la sociologue Dominique Mehl, qu'une des recettes appliquées par la télévision post-moderne est d'avoir abandonné "la fenêtre" pour "le miroir" (1). Face au Juge reproduit la formule à merveille, et  de manière plus complète que d'autres émissions qui paraissent encore mieux correspondre à ce créneau (2). Elle fait rentrer le téléspectateur-type de la station au cœur du programme comme s'il en était l'acteur. Les contrevenants suivis dans l'émission pourraient être chacun d'entre eux. Ils sont issus des zones géographiques où l'on peut estimer que la chaîne compte le plus de téléspectateurs. Et les affaires montrées, justice de paix, tribunal tribunal correctionnel ou de police, constituent les niveaux de justice que n'importe quel citoyen peut rencontrer. Et ce principe est peut-être encore davantage applicable à l'audience de RTL-TVI, qui ne présente pas tout à fait le même profil sociodémographique que celui de Arte ou de La Trois, par exemple. Violences familiales, conflits de voisinage et entre propriétaires et locataires, rébellion vis-des forces de l'ordre, infractions au code de la route passant devant la Cour… dans Face au Juge, on y est. "Ça pourrait être moi." "Mais alors, comment on fait?" Chaque contrevenant devient une sorte d'exemple pour le spectateur, c'est-à-dire une espèce de héros particulier. Mais chaque juge suivi n'est pas en reste. Le tout donne en quelque sorte à l'audience un mode d'emploi de la Justice, avec un côté bon enfant.

DES ACTEURS REMARQUABLES

Le dernier composant de la recette Face au Juge, mais le premier en ordre d'importance, sont en effet les juges qui gèrent les dossiers. Sans eux, pas de programme, parce que pas de spectacle Ils ne font qu'appliquer la loi? Pas vraiment. Comme ils sont là pour juger, ils apprécient chaque situation, chaque contexte, et nuancent leurs jugements en fonction de nombreux critères qui empêchent le couperet de la Justice de tomber d'un coup ou de trop assommer le justiciable. Ce sont les juges qui sont bon enfant, et en ce sens qui brisent les représentations stéréotypées qu'a le public d'un Palais de Justice terrifiant, ou de juges intraitables et inaccessibles. En guise d'opération de relations publiques pour le monde judiciaire, cette diffusion annuelle en plusieurs épisodes vaut plus, et a davantage d'impact, que n'importe quelle campagne de communication coûteuse, confiée à de subtiles offices privées.

Ces juges sont des acteurs. Pour la plupart, ils se sont bâti un personnage que la vedettisation télévisuelle n'a fait que renforcer, voire exacerber. Parfois jusqu'à la caricature. Le plus remarquable de ces acteurs est évidemment celui du Tribunal de Première instance de Bruxelles, qui est devenu un véritable personnage médiatique. La série va en tout cas devoir s'en séparer, puisqu'il a quitté ses fonctions fin janvier 2021…

REALITÉ-TELÉ?

Tout ceci porte évidemment à s'interroger sur le statut de l'émission. Est-ce du reality-show, du docu-réalité, du docu-drama (docu-fiction) ou… du journalisme? La présence ponctuelles de courtes interviews des juges pourrait tendre à cette dernière option, de même que l'étrange affirmation faite dans l'intro de chaque émission ("C'est toujours un plaisir de vous dévoiler les coulisses de la Justice)". Mais celles-ci ne sont-elles pas un peu des prétextes, le poids des images captées constituant, en définitive, l'essence de l'émission? Ici, c'est la réalité que l'on veut montrer. Une fois les personnages (tant juges que prévenus) bien choisis, il suffit de laisser tourner les caméras, puis d'agir au montage pour construire le récit en séquences alternées, avec une voix-off journalistique peu présente, qui se contente en général raccourcit les péripéties inutiles ou résume les situations. 

Comme toujours en télé, la réalité montrée est ici une certaine réalité. Et comme souvent dans ce type de programme, une réalité traitée avec peu de distance… même si on ne jurerait pas de la même manière des séquences de Strip-tease ou des films de feu Manu Bonmariage, par exemple.

Quoiqu'il en soit, Face au Juge est le fruit d'une bonne recette de télé populaire. Mais qui dépend de la qualité des acteurs, de leur permanence, et de la diversité des vécus montrés. Ce que le public commence peut-être à moins ressentir…

Frédéric ANTOINE.

(1) MEHL Dominique, La fenêtre et le miroir, Paris, Payot, 1992.

(2) On pense ici à Vu à la Télé, version belge du programme britannique Gogglebox, lui aussi diffusé le dimanche en début de soirée sur RTL-TVI, qui ne réussit pas à atteindre les audiences de Face au Juge alors qu'il est l'application pure de principe de la télé-miroir puisqu'il prétend montrer au téléspectateur ce qui se passe dans les foyers le soir lorsque la famille ou les couples sont devant le petit écran.




18 janvier 2022

Europe 1: autopsie d'un début d'agonie

Les auditeurs continuent à fuir la radio 'périphérique' française Europe 1. Sa reprise par Bolloré n'a rien amélioré. Que du contraire. À l'heure de la complémentarité des médias, la station est-elle vouée à disparaître, en se transformant en version audio de CNews ? La radio en ersatz de la télé, ça peut-il faire une bonne recette ?

Il est loin le temps où Europe 1 (ex-Europe n°1) caracolait en tête des audiences aux côtés de RTL et de France Inter Paris. Dans le dernier relevé de Médiamétrie (qui se base sur du déclaratif d'écoute "veille"), la radio dont l'émetteur historique se trouvait en Sarre se retrouve loin derrière les autres grands réseaux "généralistes", publics ou privés.

Il y a une vingtaine d'années, il en était tout autrement. Les parts d'audience d'Europe 1 et de France Inter, derrière RTL, étaient à peu près équivalentes. De nombreux commentaires ont dès lors considéré que la dégringolade prodigieuse d'Europe 1 était continue depuis dix ans. En fait, il n'en est rien.
Selon les données de Médiamétrie (période de comparaison novembre-décembre), Europe 1 a perdu ses premières parts d'audience (PDA) au tournant des années 2000. Mais, ensuite, la station (en bleu clair gras sur le graphique) s'est constamment située entre 7,5 et 9% de PDA. À peu de choses près, on pourrait parler d'une courbe d'audience plane. Jusqu'à fin 2015. À partir de 2016, la courbe plonge, connaît un léger rebond en 2019 et continue ensuite sa chute. Mais, en PDA, celle-ci est peu prononcée entre 2020 et 2021.
 
COLAPSADA
 
Si l'on tient compte de l'audience cumulée, c'est-à-dire de tous les auditeurs qui ont eu un contact avec la station, la forme de la courbe diffère quelque peu. La dégringolade depuis 2016 paraît alors encore plus manifeste en % d'audience cumulée, la perte d'auditeurs en fin 2020 et fin 2021 étant très marquée. Sa traduction en chiffres absolus d'auditoire est plus parlante encore.
Entre 2015 et 2021, la station créée par Maurice Siegel a perdu 2.551.189 auditeurs, soit plus de la moitié de ceux qu'elle possédait avant cette colapsada. Et aussi depuis le début de ce siècle, environ. Au sein de cet effondrement, la reprise en main par Bolloré depuis l'été 2021 ne constitue, en définitive, qu'une péripétie de plus dans un processus à l'œuvre depuis 2016. 
 
L'automne de cette année-là est celui du grand basculement de la programmation de la station, en dehors de sa matinale et de ses programmes de soirée. C'est alors que l'on introduit les récits de Christophe Hondelatte à 10h30 du matin, alors que ce type de programme était jusque là réservé à l'après-midi. C'est alors que Anne Roumanoff débarque à midi, moment où débutait précédemment la tranche d'infos de la mi-journée, et qu'apparaît dans cette tranche une émission intitulée "La famille Europe 1". 
C'est alors que Nikos Aliagas se voit attribuer tout le créneau de l' afternoon drive (et même le pré-afternoon) avec un talk de vedettes remplaçant à la fois une émission plutôt intimiste et féministe et le talk-show qu'animait Cyril Hanouna.  

Des bouleversements tellement à l'opposé des usages des auditeurs que toute cette grille sera revue en janvier 2017 (c'est-à-dire après la période de mesure d'audience analysée ici). Mais le mal était fait. Si les adaptations apportées permettront de stabiliser les pertes, elles ne donneront pas l'occasion de remonter la pente. 
 
C'est aussi à l'automne 2020 ques formats que revêtent la programmation ont, eux aussi, changé. Lorsque, par souci d'économie, la station va multiplier en daytime les émissions de deux heures, jusque là fort peu nombreuses. Difficile de tenir 120 minutes avec un même contenu, et de garder l'audience en haleine pendant un laps de temps si long. Ce n'est pas sans raison que les formats courants des radios de rendez-vous (hors plages musicales) sont d'ordinaire plutôt d'une heure, voire au maximum de 90 minutes (1).
 
 ÊTRE DANS SES CHARENTAISES
 
Le deuxième coup de grâce de l'audience lieu lors de la saison 2019-2020, année du covid qui a eu un impact sur la consommation de la radio sur le chemin du travail (morning drive et afternoon drive). Il ne peut pas directement s'expliquer par la survenance des modifications lourdes dans les contenus de programmation. Celles-ci auront plutôt lieu à l'automne 2021, sur le ton d'un rapprochement imposé avec CNews. 
 
 Précédemment, c'étaient plutôt des paris osés sur la grille et le recours à des 'animateurs'-vedettes, ainsi des questions d'économie qui avaient piloté les changements de programme. Ainsi que le départ de certaines vedettes aspirateurs d'audience comme Laurent Ruquier, remplacé un temps par Cyril Hanouna avant que cette tranche d'avant soirée ne soit totalement modifiée plusieurs fois.

L'auditoire d'une radio est caractérisé par sa fidélité. Sur une radio de contenus (aussi appelée "de rendez-vous"), l'auditeur, en linéaire, se branche pour écouter des programmes précis. L'audience cumulée est atteinte par l'addition de publics successifs qui se rendent tour à tour sur une station afin d'y suivre leur(s) émission(s) favorite(s). Contrairement à la radio de flux, l'auditeur des radios dites 'généralistes' est fidèle à une émission, à un animateur, et non à un format ou à un type de musique. Modifier l'offre de programme ne peut que le perturber. Les glissements de programmes d'une case à l'autre de la grille le dérangent tout autant. S'il ne sent plus dans ses Charentaises, il y a toujours des risques qu'il choisisse de retrouver ailleurs les contenus que la radio qu'il écoutait ne propose plus.
 
VASES COMMUNICANTS ? 
 
Nous ne disposons pas de toutes les données précises de Médiamétrie. En analysant seulement celles en notre possession, d'intéressantes observations peuvent être réalisées à partir des tableaux ci-dessus. En ne s'intéressant plus aux courbes d'Europe 1 seule, mais à leurs interrelations avec celles des autres radios. Sur la période 2007-2021, à l'instar de RTL qui est le meilleur exemple, certaines stations peuvent être considérées comme relativement stables, tant en PDA qu'en audience cumulée. Hormis Europe 1, un seul des grands réseaux pris en compte ici connaît sur cette période une perte d'audience, mais après en avoir gagné : NRJ (2). D'autres radios affichent une des courbes en hausse. Et, particulièrement, France Inter. En parts d'audience, la radio publique est assez stable jusqu'en 2014, puis croît de manière importante. La tendance est encore plus marquée en nombre d'auditeurs.
De 2007 à 2015, le total d'auditeurs d'Europe 1 et de France Inter est relativement proche. La radio publique supplante certes la station privée, mais de quelques centaines de milliers de personnes "seulement", pourrait-on dire. Après 2015, tout change: Europe 1 plonge, France Inter décolle. La perte de l'une paraît même, à première vue, être identique au gain de l'autre. Ce n'est pas tout à fait le cas : davantage d'auditeurs d'Europe 1 la quittent que France Inter n'en accueille de nouveaux. 

La comparaison de l'auditoire des deux stations par rapport à leur nombre d'auditeurs de 2015 confirme qu'Europe 1 perd, depuis lors, davantage d'auditeurs que la radio publique n'en gagne. Mais on ne peut s'empêcher de penser qu'il pourrait s'être passé depuis cette année pivot un phénomène de vases communicants, une partie du public d'Europe 1 la délaissant au profit de France Inter. Et non de RTL. Sans doute existe-t-il des données plus précises que celles à notre disposition pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, mais celle-ci nous semble plausible. Plutôt urbain et proche des CSP+, l'auditeur d'Europe 1 recherche du contenu, et notamment de type 'enrichissement des connaissances'. France Inter et Europe 1 ont depuis de nombreuses années essayé de viser ce type d'audience, l'une plutôt par le haut, l'autre davantage dans une approche plus légère, allant à certains moments jusqu'à de l'infotainment (ce qui n'a pas nécessairement aidé la station).
 
Il est aussi clair qu'une partie de cet auditoire fuyant constitue aujourd'hui un des bataillons de l'audience des podcasts de Europe 1, qui sont parmi les plus écoutés de France et qui n'imposent plus à l'écouteur de se soumettre aux diktats horaires d'une grille de programmation. Mais nous n'avons pas les moyens de mesurer les flux entre l'un et l'autre.
 
LE FACTEUR "HÉRITAGE"
 
La radio publique a-t-elle siphonné le public d'Europe 1 au fur et à mesure de ses errements programmatiques, puis des appréhensions liées à la main mise du groupe Bolloré sur le média ? Si tel est le cas, le reste du public d'Europe 1 acceptera-t-il encore davantage de rapprochements entre sa radio et CNews, au risque que celle-ci ne devienne plus que "le son de la télévision"? 
On n'en est pas là. 
Ce sont ses journalistes et ses animateurs qui continuent à produire l'ADN de cette radio, et à essayer de maintenir la marque à flot. Europe 1 bénéficie d'un "facteur héritage" important. Si important sans doute que son auditoire est plutôt revêche aux changements, surtout s'ils sont motivés par des raisons économiques et financières. 
 
Force est toutefois de constater que la France pénètre (enfin?) dans le modèle des "groupes audiovisuels" tel qu'il fonctionne quasiment partout dans le monde, c'est-à-dire possédant à la fois des radios et des télévisions. Longtemps, en France, la propriété de ces deux types de médias a été distincte. Même l'audiovisuel public n'a pas, jusqu'à présent, uni ses branches radiophoniques et télévisuelles. Le rachat de RTL France par M6 a sonné le début de cette nouvelle ère. Les rapprochements entre Europe 1 et CNews en constituent une autre étape. Mais différente. Il existe une grande homologie entre M6 et RTL, que se soit sur la conception du rôle des médias, leurs projets, leurs contenus, leurs programmations et leurs publics. On peut aisément switcher de l'un à l'autre, comme le fait Julien Courbet tous les matins. 
Europe 1 est une radio généraliste et CNews une chaîne thématique d'infos. La configuration est différente. Et sans doute aussi les publics, particulièrement depuis que cette chaîne de news a pris un tournant plus politique. Autant le mariage un peu forcé entre RTL et M6 peut-il se terminer par la paix des ménages, autant celui d'Europe 1 et CNews risque de mener à une union contre nature. Mais quand on s'en apercevra, il sera sans doute trop tard : d'espèce en voie de disparition, les auditeurs d'Europe seront tout simplement passés aux abonnés absents. Et seront devenus d'habiles consommateurs de podcasts non-native. Pour toujours ?

Frédéric ANTOINE.

Traitement des données programmatiques:  à partir de la source http://radioscope.fr/grilles/europe1/europe12016.htm
 
(1) Tournant peu heureux abordé par Europe 1 pour certains de ses programmes dès sa funeste réforme de 2016 qui dérouta l'auditeur. 

(2) NRJ figure dans notre analyse parce qu'il est le premier réseau musical important.
 
Lire aussi (pour les abonnés) cet article auquel ont aussi contribué des amis et collègues du GRER, le Groupe de Recherches et d'Etudes sur la Radio : https://www.challenges.fr/media/radio-le-virage-editorial-de-bollore-a-europe-1-nenraye-pas-la-chute-des-audiences_796648

 




06 janvier 2022

La RTBF pour tout le monde, c'est bientôt fini ?

La RTBF pourrait arrêter la diffusion hertzienne de ses chaînes tv à la fin de cette décennie. Devoir s'abonner pour pouvoir capter des contenus, est-ce compatible avec le statut d'un opérateur public ? Peut-on être obligé de payer pour recevoir un service que l'on finance en grande partie avec ses impôts ?

Selon un article paru ce 5 janvier dans la revue Broadband tv news (1), la RTBF entend "switch off its digital terrestrial broadcasts by the end of the decade", un projet qui est "part of a new strategic plan adopted by the RTBF Board of Directors". On savait déjà que, pour l'opérateur public, la fin de la radio analogique était programmée dans le courant de cette décade (reste à voir si le DAB+ finira un jour par vraiment séduire l'audience…). Mais, en tout cas à notre connaissance, il n'était pas encore établi que le service public comptait aussi éteindre tous ses émetteurs de TNT.


 NI RIVALITÉ, NI EXCLUSION
 


 Si tel est le cas, cela pose un sérieux problème par rapport à l'identité de ce qu'est un service public audiovisuel. Celui-ci est en effet supposé offrir à tout le monde un accès égalitaire, c'est-à-dire gratuit, à ses programmes. C'est ce qui caractérise le statut de "bien public" que la fameuse matrice de Paul Samuelson (2) définit comme non rival et non exclusif. La consommation de ce bien par une personne n'empêche pas d'autres de le consommer (contrairement aux biens privés), et tout le monde doit y avoir accès, sans barrière à l'entrée, c'est-à-dire sans devoir payer. 



 Même si la réception hertzienne de la télévision est très minoritaire dans notre pays, en coupant ses émetteurs, la RTBF annihilerait le statut d'égalité entre tous les citoyens.

L'article 3 de son statut (3) définit la mission de service public comme étant "assurée en priorité par une offre au public, notamment à l'ensemble des francophones de Belgique, de programmes de radio et de télévision, par voie hertzienne, par câble, par satellite ou tout autre moyen technique similaire qui permet d'assurer l'accès, à des conditions respectant le principe d'égalité entre les usagers, à tous les programmes généraux et spécifiques de l'entreprise correspondant à sa mission de service public". 


 Ce texte nomme explicitement la transmission hertzienne, tout en parlant aussi de câble et de satellite, mais pour autant que ces moyens permettent "d'assurer l'accès, à des conditions respectant le principe d'égalité entre les usagers".


 ZÉRO TICKET D'ENTRÉE


 Les ondes allant où bon leur semble, la diffusion hertzienne permet une réception partout, à tout moment, et directe. C'est-à-dire sans devoir pour cela s'acquitter d'un quelconque payement, qui fait passer le bien dans le domaine de l'exclusion. Sans réception hertzienne, l'accès aux contenus est conditionné au recours à un gatekeeper, de type privé, que celui-ci soit un opérateur du câble ou un fournisseur d'accès à l'internet. L'un et l'autre transforment le bien public en bien privé, puisqu'ils imposent à l'usager le paiement d'un abonnement pour avoir accès à l'ensemble des services qu'ils proposent. Puis, éventuellement, un second paiement, pour atteindre un service en particulier ou pour avoir accès à un contenu spécifique en particulier. 


 Or, on ne doit pas être obligé de payer pour recevoir un service que l'on finance en grande partie avec ses impôts.


 Faire dépendre la transmission des contenus d'un opérateur public d'acteurs privés ne correspond pas non plus à ce que l'on peut attendre d'un agent public. Que ce soit sur le plan de la logique politique et sociale, mais aussi sur celui de la sécurité. Le jour où une panne, un sabotage ou un acte révolutionnaire mettrait les câbles hors service, par quel biais s'exprimerait alors la télévision publique? Aucun.  


Il n'aurait plus de moyen d'entrer en contact avec ses usagers. 


 Si demain survient un accident nucléaire, un tsunami, un tremblement de terre ou toute autre catastrophe et que les Belges allument leur téléviseur afin de s'informer auprès de l'opérateur public, que verront-ils? Rien. Parce que câble sera muet. Et il en sera de même de l'internet. Inutile de se fier à son modem. Seuls subsisteront les messages hertziens, diffusés par des émetteurs qui sont conçus pour continuer leur mission en cas de panne du réseau électrique. Tout comme l'opérateur public, qui a le moyen de produire des contenus en toutes circonstances. Alors qu'aucune obligation de continuité de service n'est imposée aux entreprises privées de télécommunications, qui seraient bien en mal de l'assurer.


 UNE ANORMALITÉ

 
 La proportion de téléviseurs reliés à une antenne est faible ? Certes. Mais, par leur simple câble, certains téléviseurs actuels permettent déjà une réception directe de signaux télévisuels émis en numérique. Et pour tous les autres, il suffit de brancher un petit fil à la sortie coaxiale. Et hop, miracle, en passant en réception hertzienne, on captera une image.


 Certes, en cas de crise, on se repliera sans doute aussi sur la radio, à condition de disposer de récepteurs DAB+ (sinon, tant pis pour vous. Vous mourrez devant votre transistor FM dans les émanations toxiques, sans avoir pu savoir comment faire pour y échapper). Mais on aura besoin de la tv pour concrétiser les informations, pour l'illustrer, l'humaniser.


 Certes, la plupart des gens s'acquittent d'un abonnement pour leur smartphone, pour l'internet, la télé, le téléphone. C'est presque devenu "normal" de payer pour disposer de ces services. Mais, pour les médias publics, cela reste une simple possibilité parmi d'autres. Et non une normalité.


 L'ARGENT vs RAISON D'ÉTAT


 Alors oui, en Flandre,  depuis le 1er décembre 2018, on est déjà dans cette configuration incroyable (4). Et la VRT s'est payée le luxe de dire à ses téléspectateurs qu'il y avait "des alternatives" à la réception hertzienne pour continuer à voir ses programmes. Des alternatives, oui. Mais qui ne sont pas de même nature que le produit d'origine. Quant à la justification de cet abandon, elle était essentiellement financière (5) : en Flandre, il n'y aurait "que" 45.000 foyers qui utiliseraient la réception hertzienne. Ce qui reste à démontrer sur le terrain, car ces cas ne sont pas vraiment identifiables, tant ils peuvent être diversifiés. Et cela et n'augure en rien les situations futures.


 Bien sûr, posséder et gérer des émetteurs coûte cher. Si cher que, en Flandre, la VRT avait déjà en 2008 vendu son parc d'émetteurs à Norkring, avant de céder sa diffusion en DAB+ au hollandais Broadcast Partners. Il est évidemment tentant de justifier le futur switch off dans le sud du pays par les mêmes arguments que dans le nord. Se libérer de la charge des émetteurs permet d'investir dans le futur de la télé…


 Mais, au niveau des pouvoirs publics, peut-on accepter de laisser tomber cette composante essentielle de la mission de service public, pour de simples raisons économiques? La raison d'État, elle, imposerait de la maintenir. Par nature. Par principe. Et par précaution.


 Frédéric ANTOINE.
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(1) https://www.broadbandtvnews.com/2022/01/05/rtbf-wants-to-switch-off-fm-and-dvb-t/ 

(2) SAMUELSON P., “ The Pure Theory of Public Expenditure ”, in The Review of Economics and Statistics, Vol. 36, No. 4. (Nov., 1954), pp. 387-389.

(3) https://ds1.static.rtbf.be/article/pdf/2018-11-09-decret-portant-statut-de-la-rtbf-coordination-officieuse-de-justel-1548073211.pdf
(4) https://www.vrt.be/nl/aanbod/kijk-en-luister/radio-luisteren/dvbt/
(5) "We begrijpen bij de VRT dat een deel van de DVB-T kijkers op zoek moet naar een alternatief. Als openbare omroep moeten we keuzes maken en onze middelen als een goede huisvader beheren. Daarom kiezen we ervoor om te investeren in een toekomstgerichte technologie, zoals internet, waarmee we ons aanbod voor zo veel mogelijk mensen beschikbaar maken. De DVB-T kijkers zullen we op weg helpen naar het alternatief." (https://www.vrt.be/nl/over-de-vrt/nieuws/2018/10/31/vrt-stopt-op-1-december-met-haar-dvb-t-signaal/)


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