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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

06 janvier 2022

La RTBF pour tout le monde, c'est bientôt fini ?

La RTBF pourrait arrêter la diffusion hertzienne de ses chaînes tv à la fin de cette décennie. Devoir s'abonner pour pouvoir capter des contenus, est-ce compatible avec le statut d'un opérateur public ? Peut-on être obligé de payer pour recevoir un service que l'on finance en grande partie avec ses impôts ?

Selon un article paru ce 5 janvier dans la revue Broadband tv news (1), la RTBF entend "switch off its digital terrestrial broadcasts by the end of the decade", un projet qui est "part of a new strategic plan adopted by the RTBF Board of Directors". On savait déjà que, pour l'opérateur public, la fin de la radio analogique était programmée dans le courant de cette décade (reste à voir si le DAB+ finira un jour par vraiment séduire l'audience…). Mais, en tout cas à notre connaissance, il n'était pas encore établi que le service public comptait aussi éteindre tous ses émetteurs de TNT.


 NI RIVALITÉ, NI EXCLUSION
 


 Si tel est le cas, cela pose un sérieux problème par rapport à l'identité de ce qu'est un service public audiovisuel. Celui-ci est en effet supposé offrir à tout le monde un accès égalitaire, c'est-à-dire gratuit, à ses programmes. C'est ce qui caractérise le statut de "bien public" que la fameuse matrice de Paul Samuelson (2) définit comme non rival et non exclusif. La consommation de ce bien par une personne n'empêche pas d'autres de le consommer (contrairement aux biens privés), et tout le monde doit y avoir accès, sans barrière à l'entrée, c'est-à-dire sans devoir payer. 



 Même si la réception hertzienne de la télévision est très minoritaire dans notre pays, en coupant ses émetteurs, la RTBF annihilerait le statut d'égalité entre tous les citoyens.

L'article 3 de son statut (3) définit la mission de service public comme étant "assurée en priorité par une offre au public, notamment à l'ensemble des francophones de Belgique, de programmes de radio et de télévision, par voie hertzienne, par câble, par satellite ou tout autre moyen technique similaire qui permet d'assurer l'accès, à des conditions respectant le principe d'égalité entre les usagers, à tous les programmes généraux et spécifiques de l'entreprise correspondant à sa mission de service public". 


 Ce texte nomme explicitement la transmission hertzienne, tout en parlant aussi de câble et de satellite, mais pour autant que ces moyens permettent "d'assurer l'accès, à des conditions respectant le principe d'égalité entre les usagers".


 ZÉRO TICKET D'ENTRÉE


 Les ondes allant où bon leur semble, la diffusion hertzienne permet une réception partout, à tout moment, et directe. C'est-à-dire sans devoir pour cela s'acquitter d'un quelconque payement, qui fait passer le bien dans le domaine de l'exclusion. Sans réception hertzienne, l'accès aux contenus est conditionné au recours à un gatekeeper, de type privé, que celui-ci soit un opérateur du câble ou un fournisseur d'accès à l'internet. L'un et l'autre transforment le bien public en bien privé, puisqu'ils imposent à l'usager le paiement d'un abonnement pour avoir accès à l'ensemble des services qu'ils proposent. Puis, éventuellement, un second paiement, pour atteindre un service en particulier ou pour avoir accès à un contenu spécifique en particulier. 


 Or, on ne doit pas être obligé de payer pour recevoir un service que l'on finance en grande partie avec ses impôts.


 Faire dépendre la transmission des contenus d'un opérateur public d'acteurs privés ne correspond pas non plus à ce que l'on peut attendre d'un agent public. Que ce soit sur le plan de la logique politique et sociale, mais aussi sur celui de la sécurité. Le jour où une panne, un sabotage ou un acte révolutionnaire mettrait les câbles hors service, par quel biais s'exprimerait alors la télévision publique? Aucun.  


Il n'aurait plus de moyen d'entrer en contact avec ses usagers. 


 Si demain survient un accident nucléaire, un tsunami, un tremblement de terre ou toute autre catastrophe et que les Belges allument leur téléviseur afin de s'informer auprès de l'opérateur public, que verront-ils? Rien. Parce que câble sera muet. Et il en sera de même de l'internet. Inutile de se fier à son modem. Seuls subsisteront les messages hertziens, diffusés par des émetteurs qui sont conçus pour continuer leur mission en cas de panne du réseau électrique. Tout comme l'opérateur public, qui a le moyen de produire des contenus en toutes circonstances. Alors qu'aucune obligation de continuité de service n'est imposée aux entreprises privées de télécommunications, qui seraient bien en mal de l'assurer.


 UNE ANORMALITÉ

 
 La proportion de téléviseurs reliés à une antenne est faible ? Certes. Mais, par leur simple câble, certains téléviseurs actuels permettent déjà une réception directe de signaux télévisuels émis en numérique. Et pour tous les autres, il suffit de brancher un petit fil à la sortie coaxiale. Et hop, miracle, en passant en réception hertzienne, on captera une image.


 Certes, en cas de crise, on se repliera sans doute aussi sur la radio, à condition de disposer de récepteurs DAB+ (sinon, tant pis pour vous. Vous mourrez devant votre transistor FM dans les émanations toxiques, sans avoir pu savoir comment faire pour y échapper). Mais on aura besoin de la tv pour concrétiser les informations, pour l'illustrer, l'humaniser.


 Certes, la plupart des gens s'acquittent d'un abonnement pour leur smartphone, pour l'internet, la télé, le téléphone. C'est presque devenu "normal" de payer pour disposer de ces services. Mais, pour les médias publics, cela reste une simple possibilité parmi d'autres. Et non une normalité.


 L'ARGENT vs RAISON D'ÉTAT


 Alors oui, en Flandre,  depuis le 1er décembre 2018, on est déjà dans cette configuration incroyable (4). Et la VRT s'est payée le luxe de dire à ses téléspectateurs qu'il y avait "des alternatives" à la réception hertzienne pour continuer à voir ses programmes. Des alternatives, oui. Mais qui ne sont pas de même nature que le produit d'origine. Quant à la justification de cet abandon, elle était essentiellement financière (5) : en Flandre, il n'y aurait "que" 45.000 foyers qui utiliseraient la réception hertzienne. Ce qui reste à démontrer sur le terrain, car ces cas ne sont pas vraiment identifiables, tant ils peuvent être diversifiés. Et cela et n'augure en rien les situations futures.


 Bien sûr, posséder et gérer des émetteurs coûte cher. Si cher que, en Flandre, la VRT avait déjà en 2008 vendu son parc d'émetteurs à Norkring, avant de céder sa diffusion en DAB+ au hollandais Broadcast Partners. Il est évidemment tentant de justifier le futur switch off dans le sud du pays par les mêmes arguments que dans le nord. Se libérer de la charge des émetteurs permet d'investir dans le futur de la télé…


 Mais, au niveau des pouvoirs publics, peut-on accepter de laisser tomber cette composante essentielle de la mission de service public, pour de simples raisons économiques? La raison d'État, elle, imposerait de la maintenir. Par nature. Par principe. Et par précaution.


 Frédéric ANTOINE.
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(1) https://www.broadbandtvnews.com/2022/01/05/rtbf-wants-to-switch-off-fm-and-dvb-t/ 

(2) SAMUELSON P., “ The Pure Theory of Public Expenditure ”, in The Review of Economics and Statistics, Vol. 36, No. 4. (Nov., 1954), pp. 387-389.

(3) https://ds1.static.rtbf.be/article/pdf/2018-11-09-decret-portant-statut-de-la-rtbf-coordination-officieuse-de-justel-1548073211.pdf
(4) https://www.vrt.be/nl/aanbod/kijk-en-luister/radio-luisteren/dvbt/
(5) "We begrijpen bij de VRT dat een deel van de DVB-T kijkers op zoek moet naar een alternatief. Als openbare omroep moeten we keuzes maken en onze middelen als een goede huisvader beheren. Daarom kiezen we ervoor om te investeren in een toekomstgerichte technologie, zoals internet, waarmee we ons aanbod voor zo veel mogelijk mensen beschikbaar maken. De DVB-T kijkers zullen we op weg helpen naar het alternatief." (https://www.vrt.be/nl/over-de-vrt/nieuws/2018/10/31/vrt-stopt-op-1-december-met-haar-dvb-t-signaal/)


04 janvier 2022

Noël, Nouvel An: les audiences tv n'étaient pas de la fête


Bêtisier sur bêtisier : depuis quelques années, il n'y a que cela qui marche, les soirs de réveillon et les jours de fête, à la télé. 
Cette fois, cela n'a en général pas trop emballé le téléspectateur, qui devient plus rare est sans doute allé voir ailleurs. 
Mais ils sont nombreux, ceux qui sont toujours friands des rites de la programmation de fêtes.

 

Les chaînes font rarement des records d'audience les jours de fête de fin d'année. Cette fois-ci, les programmes qui ont rassemblé plus de 300.000 téléspectateurs n'étaient pas légion… et pas plus originaux que d'habitude. Comme tous les jours de l'année, ce sont les JT qui se sont offert la meilleure part de la bûche, et celle de RTL a, ainsi qu'à l'ordinaire, été plus appréciée que celle du service public. Et ce y compris lors du service du midi, le 31 décembre.

Mais il y a eu aussi quelques émissions de l'ex-émetteur luxembourgeois qui ont donné l'eau à la bouche aux téléspectateurs: les bêtisiers de Noël et du Nouvel An, bien sûr, et d'autres programmes du 31 décembre. Ce jour de la Saint-Sylvestre, l'audience n'a pas boudé son plaisir sur RTL TVI : outre les JT de midi et du soir, elle y fut aussi en nombre pour l'édition du 71 (on aime les quizz les veilles de fêtes), et pour le programme de pré-prime time Drôles de Belges. 

INFIDÈLES AU POSTE

Bon, des audiences de 300.000 personnes, c'est tout de même pas la gloire. Mais cette année on a un peu dû s'en contenter, car le spectateur n'a pas tellement été très fidèle au(x) poste(s). Ce n'était pas le cas par le passé. Si l'on considère les audiences > 500.000 spectateurs (et non 300.000) lors des soirées de réveillon et des jours de fête entre 2018 et aujourd'hui, on ne comptabilise que 3 programmes diffusés en 2021, contre 5 en 2018, aucun en 2019 et 7 en 2020. Cette année-là fut exceptionnelle puisque frappée par le covid. Les restrictions qui y étaient imposées s'apparentaient à un réel confinement. Et donc à une surconsommation de la mère nourricière "télévision".

En 2021 (barres rouges dans le graphique), seuls trois JT de RTL se placent dans ce classement des programmes ayant réuni plus d'un demi-million d'amateurs. L'an dernier (barres bleues dans le graphique), les bêtisiers de la chaîne privée avaient aussi bien nourri les repas des soirs de fête, ainsi qu'un JT de la RTBF. En 2018 (barres jaunes dans le graphique) aussi, les bêtisiers étaient de la fête, les JT étant moins nombreux à drainer les foules. Lors de la fin d'année 2019 (barres vertes dans le graphique s'il y en avait eu), aucun programme n'a atteint les 500.000 spectateurs lors des réveillons ou des jours de fête (1). Ce délaissement de la télé préparait-il inconsciemment à des moments de disette de réjouissances, alors que l'on commençait à appendre qu'un virus inconnu causait quelques morts en Chine?
 
QUE DE BÊTISES !
 
Que ce soit les veilles ou les jours de fête, de 2018 à 2021, les JT ouvrent toujours le bal des plus fortes audiences (pour les personnes intéressées, voir les graphiques I. ci-dessous). Ils sont suivis par les bêtisiers, qui fleurissent sur toutes les chaînes, sauf la veille de Noël (2). À la Noël, les bêtisiers sont toujours de la fête, sauf le 25/12/2018, où un film de De Funès se classait parmi les plus fortes audiences. La veille de l'An, les bêtisiers envahissent aussi les écrans. Le jour de l'An, ils sont encore au rendez-vous, mais des films humoristiques (Les Bronzés) figurent aussi parmi les programmes les plus regardés (2 films en rafale, le 01/01/2020).
 
Quelles sont les raisons du succès de ces programmes de "bêtises", de "manque d'intelligence, de jugement" (3), basés sur la contre-banalité, l'extra-ordinarité, que celles-ci se déroulent dans la vie quotidienne des humains ou des bêtes, ou dans le cadre de la production de contenus audiovisuels? Dans chaque cas, ces "sottises, idioties, imbécillités, stupidités"(4) portent à sourire, même si c'est (et c'est souvent le cas) du malheur ou de la mauvaise fortune d'autrui. La proximité avec l'univers du spectateur, le côté touchant, la part humoristique (on s'amure lors des réveillons et des soirs de fête) expliquent sans doute le succès de ces programmes. Le fait qu'ils soient composés de courtes séquences, semblables à celles que l'on trouve en ligne [d'où elles sont souvent pompées] joue aussi certainement un rôle dans leur attrait, car ils s'inscrivent dans les mécaniques de brièveté et de renouvellement permanent qui caractérisent les usages audiovisuels contemporains.

LA RECETTE DU BINÔME 

La programmation de prime time, elle, est plus diversifiée que ce que laissent supposer les audiences de masse (pour les personnes intéressées, voir les graphiques II. ci-dessous). La veille de Noël, les chaînes proposent souvent des films familiaux, et pas nécessairement des rediffusions de classiques du cinéma humoristique français. Ces productions recueillent toutefois souvent une audience faible, avoisinant les 150.000 spectateurs (5). 
 
Le même type de programmation se retrouve le soir de Noël, accompagné de quelques tentatives de diversification de l'offre, avec des "specials" issues de programmes ordinaires, comme un jeu de type télé-réalité, ou une émission culturelle. Ou des cas de non-prise en compte de la spécificité du jour, avec maintien de la programmation ordinaire, par exemple un épisode d'une série policière. Ces programmes-là aussi recueillent de faibles audiences (± 200.000 téléspectateurs, soit un peu plus que la veille).
 
La programmation se voudra un peu plus diversifiée le soir de la Saint-Sylvestre, où les bêtisiers côtoient des films familiaux, mais aussi des programmes de divertissement et des variétés, voire du théâtre (nous nous limitons ici au prime time et ne prenons pas en compte les deuxièmes rideaux de soirée). À nouveau, ces écarts par rapport à la sacro-sainte offre "bêtisiers ou films" n'attirent pas des hordes de spectateurs.
 
Le soir du jour de l'An est un peu comparable à celui de Noël. Là aussi, le duo "bêtisiers ou films" est complété par des programmes plus variés, allant des documentaires (nature ou animaliers) à des "specials" de jeux et de divertissements, voire à la simple poursuite de l'offre habituelle de la chaîne ce jour-là de la semaine.

UNE INFO PRESQUE NORMALE
 
Si les JT restent les programmes les plus regardés les soirs de veilles et les jours de fête, leurs succès sont au total plus relatifs cette année que par le passé (pour les personnes intéressées, voir les graphiques III. ci-dessous). Les émissions d'info drainaient un grand nombre de spectateurs ces soirs de fin d'année en 2020, à des moments forts de la pandémie. Cette année, celle-ci n'a pas disparu, mais l'intérêt de l'audience s'est émoussé. Les courbes des JT de RTL TVI et de la RTBF adoptent les mêmes tendances de 2018 à nos jours. Pour RTL, les audiences restent plus importantes qu'avant le covid. Pour la RTBF, la situation varie. La veille de Noël, comme RTL, son auditoire est en hausse sensible. Mais il retrouve son niveau d'avant covid les autres soirs. Le 31/12, le résultat de RTL TVI est à l'image de son access prime time et de son prime time. Le jeu précédant le JT booste l'audience de celui-ci, qui booste celle du programme qui suit, etc.

UN MINUIT PAS TRÈS CHRÉTIEN

Il est fini, sur les chaînes premium, le temps des cathédrales à l'heure de minuit. Désormais, si mes opérateurs en diffusent, les messes de minuit sont déléguées sur des chaînes secondaires, où ces programmes ne collent pas toujours avec le profil de l'audience cible de la chaîne. Et comme même le pape ne fête plus Noël à minuit, pourquoi encore se fendre de ce genre d'émission à une heure aussi tardive ? En tout cas, en audience, ce ne sont pas les messes de minuit qui jouent les grandes orgues (5). Les seuls programmes autour de minuit le 24/12 figurant dans le Top 20 du CIM sont soit des films de De Funès diffusés sur RTL TVI, soit des épisodes des aventures du ventriloque humoriste Jeff Panacloc proposés en 2020 et 2021 par TF1, à partir de 24h10…

Le 31 décembre, pas de messe au menu non plus. On communie avec autre chose lorsque s'annoncent les douze coups. Pendant trois ans, TF1 a réalisé en Belgique de très beaux scores d'écoute avec le programme de variétés précédant le passage à l'an neuf, proposé par son animateur vedette de télé-crochets. Cette année, l'émission a disparu au profit d'une soirée tout bêtisier (un premier de 220 minutes, suivi d'un second de 140 minutes). Le premier était donc toujours en cours lors du passage à 2022. Le "véritable" programme d'avant minuit, débutant vers 23h40, on le trouve sur RTL TVI depuis des années. Il est en général suivi par environ 100.000 spectateurs (un peu plus en 2020). Le programme de même type proposé par La Une ne figure pas dans le Top 20 du CIM. Cela signifie que, en 2021, il a rassemblé moins de 91.000 personnes (score réalisé sur RTL après minuit avec un film). Pas étonnant sans doute, puisque la RTBF ne faisait que rediffuser un divertissement basé sur ses animateurs qu'elle avait déjà diffusé… le 28 décembre 2020.
 
 
LA MUSIQUE QU'ON AIME
 
Côté musique, Le coup de baguette de La Une, c'est le très traditionnel concert du Nouvel An de Vienne, proposé en Eurovision à partir de midi chaque 1er janvier depuis… 1959. L'événement recueille toujours son petit succès. Ces dernières années, il a réuni entre 230.000 et 200.000 fidèles amateurs de valses, avec des résultats aussi élevés le 01/01/2019 que le 01/01/2021, en pleine pandémie. Le concert a encore attiré une audience appréciable cette année. La ritualité de ce spectacle participe sûrement à fidéliser son audience, de même que sa retransmission en direct, qui fait communier le spectateur à un moment unique (ou du moins le croit-il).
 
 
La transmission du concert impacte évidemment l'heure de diffusion du journal télévisé de La Une, qui est amené à prendre l'antenne vers 13h50, soit après la fin du JT de RTL TVI. Le jour de l'An, les deux journaux télévisés ne sont donc pas en concurrence sur le même créneau. Conséquence: celui de la chaîne privée est toujours Premier Violon quand la tv publique est au Musikverein. Ce numéro en solo permet parfois à RTL de compter beaucoup plus de spectateurs que Le 13H de La Une (notamment lors de la pandémie, le 01/01/2021). Cette année, l'écart était moins marqué. Du côté de la RTBF, le volume d'audience de ce JT décalé est remarquablement stable d'année en année. Il est bien sûr composé en grande partie des amateurs de J. Strauss. Mais, en nombre, sans rapport direct avec l'audience totale du concert eurovisé.

SEASON'S GREETINGS


De l'humour, de la légèreté, un brin d'émotion et beaucoup de bons sentiments. La recette de la programmation tv du temps de Noël paraît immuable à travers les décennies. Résultats d'audience aidant, les programmateurs n'ont cessé de renforcer dans leurs grilles la place réservée aux genres de programmes qui plaisent. Pour raisons budgétaires ou choix stratégiques de contre-programmation, certaines chaînes préfèrent jouer d'autres airs, ou de faire comme si de rien n'était. Cela plait aux fidèles de la station, ou à ceux qui sont fatigués de voir les mêmes films éternellement au programme, et de devoir ingérer à longueur de soirées de fêtes les mêmes petites catastrophes ou bourdes de chiens, de chats, d'ados débiles, de maris stupides et de présentateurs de JT trop sûrs d'eux, re-re-rediffusées pour la nième fois +1. 
Comme l'esprit de Noël, toujours pareil au même d'année en année, la tv alors n'innove pas, mais reproduit. Sûre d'avoir toujours "son public" avec elle. Le public de tous ceux qui sont seuls, ainsi que de ceux qui ont choisi de passer ce moment "tranquillement à deux", et pour qui la cérémonialité de la programmation de fin d'année participe de la réussite de leur(s) soirée(s).
Les rituels programmatiques de ces veilles et jours de fête permettent aussi de toucher la fameuse "cible familiale", dont personne ne sait vraiment ce qu'elle recouvre, mais dont on est au moins certain d'une chose : c'est qu'elle réunit autour de la petite lucarne adulte(s) et enfant(s).
La programmation de fin d'année, c'est la carte postale photoshopée que les chaînes adressent à leur audience. La promesse d'un univers télévisuel lisse, heureux, léger. Que les JT s'excusent presque de venir troubler de quelques mauvaises nouvelles, qu'ils s'empressent d'emballer d'images de fêtes, de feux d'artifices, de neige, de pâtisseries et de reportages paradisiaques à l'autre bout de la terre. 
L'irréel même dans le réel. Et dire que ça marche…

Frédéric ANTOINE
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(1) Le JT de RTL TVI du jour de l'An 2020 avait frôlé les 500.000 spectateurs.
(2) De 2018 à nos jours, seul RTL TVI en propose un ce soir-là, en 2018.
(3) Selon les dictionnaires Larousse et Le Robert
(4) https://dictionnaire.lerobert.com/definition/betise
(5) Il faut aussi pointer, en 2020, l'excellente audience hors normes du programme de magie proposé en pré-prime time sur RTL TVI. 
(6) Les messes de minuit ne figurent pas dans les Top 20 des audiences transmis par le CIM. Nous ne savons donc pas quel est leur volume d'audience, ni si celui-ci se maintient au fil des ans et des horaires de diffusion. Ou fond au même rythme que les fidèles des paroisses…
 
 
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GRAPHIQUES

I. LES PLUS FORTES AUDIENCES DES VEILLES ET JOURS DE FÊTE
source data : www.cim.be




II. LES AUDIENCES DE PRIME TIME DES VEILLES ET JOURS DE FÊTE
 




 

III. LES AUDIENCES DES JT DU SOIR, LES VEILLES ET JOURS DE FÊTE







 


31 décembre 2021

En 2021, la presse a sauvé la télé


2021 restera comme l'année du grand bouleversement des structures de propriété des médias de Belgique francophone. Avec cette incroyable particularité d'avoir vu des entreprises de presse se porter au secours de l'audiovisuel. Alors qu'on les croyait moribondes.

 Presque morte la presse écrite? Cela fait des années qu'on le dit. Mais pourtant, ce sont ces bons vieux éditeurs de journaux de grand-papa qui ont, en 202,  redonné un futur à des médias qui semblaient être leurs concurrents. 

Fin juin, Rossel (accompagné de DPG Media) annonçait avoir, avec 250 millions d'euros, raflé la mise pour le rachat de RTL Belgium, principal acteur de l'audiovisuel privé dans le sud du pays. Le plus grand groupe de presse devenait ainsi encore plus dominant sur le marché. 

Le 1er janvier 2021 prenait officiellement cours le rachat des Éditions de l'Avenir et de leur branche magazines par IPM, qui entrait ainsi dans la cour des grands. Mais l'éditeur de La Libre et de La DH n'avait pas dit ainsi son dernier mot. Ce 22 décembre, il devenait aussi officiellement l'actionnaire de référence et « l'opérateur industriel » de LN24, la fragile chaîne de tv all-news dont tout le monde avait prédit le crash dès la naissance, à l'automne 2018.

 DANS DES VIEILLES MARMITES

Les vieux médias en ont de la sorte sauvé de plus jeunes, en les faisant entrer dans des structures entrepreneuriales historiques reposant sur la production d'informations. LN24 trouve ainsi une place dans un groupe, ce qui lui manquait grandement. L'acquisition de l'Avenir par IPM pouvait se lire dans la même perspective : précédemment, au sein de la nébuleuse Nethys, le secteur « presse » était un électron libre, une danseuse acquise pour des raisons politiques par un conglomérat public. Celui-ci avait bien promis des rapprochements entre ses pôles télécommunications et presse, mais il ne les réalisera jamais, tant ces deux mondes sont étrangers l'un à l'autre. 

Le débarquement des tv et des radios de RTL dans la très journalistique entreprise Rossel ne se justifie pas trop par la même raison. RTL Belgium était déjà une entreprise intégrée, qui n'avait pas besoin d'un chaperon lui permettant de gérer sa vie. Rossel, par contre, rêvait de longue date de s'offrir une branche télévision. Pour choisir les meilleures séries et les télé-réalités les plus dignes des lecteurs du Soir et de Sud Info ? Pas vraiment. L'animation radio, le divertissement tv et la presse, ce n'est pas tout à fait la même boutique. Rossel en avait déjà fait l'amère expérience. Alors que, du côté de DPG Media, tv et radio commerciales, on connaissait cela plutôt pas mal.

Par ailleurs, comme on l'a écrit dès l'annonce de cette absorption, RTL Belgium représentait surtout pour ses acquéreurs un acteur important du secteur publicitaire, surtout via sa filiale IP. En faire tomber les recettes dans la poche de Rossel (et aussi, sinon surtout, de DPG Media), était du plus grand intérêt.

L'ANNÉE DE IPM 

 

Quoi qu'il en soit, la plus grande surprise de ces derniers mois aura été la rapide montée en puissance de IPM, longtemps considéré avec une certaine condescendance comme le Petit Poucet des entreprises médiatiques belges. Et dont les développements récents dans divers secteurs extramédiatiques (voyages, paris en ligne, assurances…) n'avaient pas rassuré sur les réelles intentions de se positionner comme un bastion du monde de la presse et du secteur de l'info.

Il semble toutefois que, pour IPM, ces investissements parfois sujets à questionnements étaient moins des fins en soi que considérés des leviers stratégiques (ainsi que le prouve notamment le léger désinvestissement opéré en 2020 par l'entreprise dans la société Sagevas). Ils devaient, peut-on aujourd'hui penser, lui permettre de trouver le moyen d'augmenter les ressources grâce auxquelles elle pourrait se développer dans le secteur des médias.

 
C'est grâce à cela que IPM a eu la possibilité de candidater auprès de Nethys pour la reprise de l'Avenir en 2019. Pour la première fois depuis des années, le revenu net du groupe IPM pour l'année 2018 avait été bénéficiaire (+ 1.636.206 US$), et il en sera de même en 2019 (+ 4.139.728 US$). Maja, holding faîtier du groupe (luxembourgeois) SA d'Informations et de Productions Multimedia, était alors lui aussi dans le vert. Rien ne s'opposait donc à faire grossir IPM dans la presse régionale et magazine. 
2020 sera, comme en s'en doute, moins profitable pour le groupe… mais pas catastrophique. Cette année se soldera chez IPM Group par un bénéfice net de 2.439.146 US$, soit ± 40% inférieur à 2019, mais un bénéfice tout de même, malgré la pandémie. Quant au holding Maja, il sera moins heureux. Il terminera l'année avec un déficit de 281.553 US$. Une des raisons pour lesquelles IPM n'a pas mis totalement la main sur LN24 il y a quelques jours ?

En effet, sous la coupe de IPM, LN24 conserve, au rang de petits actionnaires, ses partenaires d'origine, à l'exception d'un des fondateurs de la chaîne, qui avait mis ses maigres économies en jeu dans ce pari risqué [pour mieux lire le tableau à ce propos, il suffit de cliquer dessus]. 
Lors du rachat de l'Avenir, l'éditeur de presse bruxellois avait aussi accepté une entrée dans le jeu de la fameuse coopérative créée au sein du groupe namurois au plus fort de sa crise. Une part symbolique du capital lui avait été accordée. 
IPM aime les symboles, illustration de sa volonté de ne pas (trop) marquer sa toute-puissance. Pourra-t-il poursuivre sur cette lancée? Une de ses 'nouvelles' sources de revenus, sa participation dans la société Sagevas, n'était pas en bonne forme récemment. L'entreprise avait terminé l'exercice en perte en 2019 et 2020. On ne sait bien sûr pas encore ce qu'il en fut en 2021.
Par contre, Turf Belgium tient la forme. Le bénéfice annuel de cette société de paris est passé de 42.000 US$ en 2018 à 326.000 US$ en 2020. Et les paris sur les chevaux ont dû aller bon train lors des confinements de 2021…

IPM a donc peut-être encore de la marge pour croître dans le futur. Et rêver de devenir un jour (presque) aussi grosse que Rossel ?

Frédéric ANTOINE.

20 décembre 2021

Les films de Noël : trop magiques pour être honnêtes


Les (télé)films de Noël étalent leur neige, leurs larmes et leurs bons sentiments à longueur d'après-midi sur les chaînes de télé. Pourquoi en est-on si accro ? Et ceux qui souffrent de cette affection sont-ils si nombreux que cela?

 
« Le scénario de base du film romantique américain ? Frank Capra l'a donnée en 1934, au moment où il réalisait New York-Miami (1). Cela se résume en cinq mots : Boy meets girl. Point final. » En des temps que les moins d'au moins cinquante ans ne peuvent pas connaître, le professeur Victor Bachy enseignait cette vérité aux étudiants qui suivaient son  cours d'Histoire du cinéma. Capra avait vachement raison. Tellement même que cette recette miracle est toujours celle qui se trouve au cœur de bon nombre de scénarios de films, téléfilms et séries "romantiques" made in USA. Si on les passe à l'essoreuse, c'est cela qui ressort : « A boy meets a girl. ». Les films de Noël qui dégoulinent sur les écrans, en sont le plus parfait exemple. Tous, ils répondent à la définition donnée avec brio par Capra il y aura bientôt 90 ans, alors que, malin, il s'était simplement basé pour son film sur une nouvelle de Samuel Adams.

LES MIRACLES DE NOËL
 
Alors, bien sûr, les films de Noël enrubannent l'histoire, la pimentent du côté "miracle de Noël" qui consiste à faire se rencontrer des personnes que, dans la plupart des cas, rien ne prédisposait à pareil tête-à-tête. Le miraculeux de Noël supprime les infranchissables obstacles sociaux de différences de classes, de milieux, de professions, de genre, de couleur de peau, de culture, etc. Ce qui, en définitive, ceci aussi n'est non plus nouveau : dans New York-Miami déjà, une riche héritière désœuvrée prenait un bus pour échapper au mariage que son père voulait lui imposer et tombait sur un journaliste populo, au chômage et sans le sou, avec lequel, bien sûr, des liens se tisseront. 
Finalement, il aurait dû faire des films de Noël, Capra…
 
Au-delà de leurs scénarios, les films de Noël constituent en eux-mêmes un miracle : celui de ne ce cesser d'attirer un public, alors qu'en définitive ils racontent tous la même chose. On répondra sans doute que ce doux paradoxe n'est pas l'apanage des films de Noël : le fonds de commerce de tous les médias repose sur quelques thèmes éternels qu'ils ne cessent de ressasser. En grattant un peu, on pourrait en dire autant de bien des créations artistiques, littéraires ou cinématographiques, par exemple. Disons donc que, du côté des films de Noël, c'est particulièrement patent…
 
L'ÉTERNALITÉ DU MÊME
 
Cet éternel recommencement n'est sans doute pas étranger au succès de ces programmes.  À l'instar de la littérature feel good, qui raconte à peu près toujours la même histoire. La répétition d'une même structure narrative est la clé de voûte de l'univers des films de Noël. 
Chacun d'entre eux est différent, et pourtant pareil au même dans ses fondements et dans ce qui permet de l'identifier comme étant bien un film de Noël. Le réconfort qu'apporte le programme tient à son contenu, qui fournit le rassurant message selon lequel, finalement, à Noël, « rien n'est impossible » et la vie peut devenir belle. Happy ending obligatoire. 
Mais ce qui pousse à consommer ces films en binge drinking (et donc de les diffuser en linéaire de manière rapprochée) c'est que chacun apporte au spectateur et à la spectatrice sa dose de drogue quotidienne de bonheur de Noël. Le produit que l'on s'injecte ne change pas de jour en jour, voire de film en film le même jour. La mixture qu'on s'inocule est identique. On n'a pas de risque de s'y perdre. On sait (et on n'attend que cela) que l'on sera ému, qu'on versera une petite larme, voire plusieurs, mais qu'en finale, on ressentira comme une boule de chaleur gonfler au fond de sa cage thoracique lors des dernières scènes.
 
La simplicité du schéma canonique du film de Noël est véritable sa force. Il répond au profond besoin de ritualité qui rôde au fond de chaque téléspectateur. Par son fond et par le rythme de sa diffusion, il crée un rite associé à Noël devenu aussi indispensable à certaines personnes que décorer un sapin, boire un vin chaud au marché de Noël, dévorer des cougnous et des petits Jésus en sucre ou, parfois, assister à une messe de minuit.

UNE NICHE DE FIDÈLES

TF1 a intégré tout cela en noyant ses après-midi de téléfilms de Noël depuis le 31 octobre, à raison de deux doses par jour en moyenne, TMC étant chargé d'entretenir le dépendance par des rediffusions en matinée et sur le temps de midi (2). RTL-TVI, de son côté, se contente d'une injection quotidienne, en début d'après-midi.
 
Les audiences de ces programmes de daytime ne son pas extraordinaires. Mais elles se distinguent par la fidélité du public. Tout le monde n'aime pas les films de Noël, mais ceux qui les aiment les aiment. 
Le graphique ci-dessus réunit tous les films de Noël diffusés en daytime par RTL-TVI et TF1 et ayant été rendus publics par le CIM, càd faisant partie des 20 meilleures audiences de la journée. Raison pour laquelle la totalité des films diffusés n'y figure pas. On peut y voir que la plupart des audiences réalisées se situent autour de 100.000 téléspectateurs (ou téléspectatrices). Les films de Noël bénéficient d'une assise d'audience restreinte, mais solide.
Sur TF1, l'audience varie quelque peu selon les slots de diffusion:  il y a en général davantage de spectat·eurs·trices à la séance de 16h00 qu'à celle de 14h00. C'est aussi à l'injection de sérum de Noël de 16h00 que sont réalisées les meilleures audiences.
Pour RTL-TVI, on dispose de moins de données publiques. Bon nombre des films diffusés ne figurent pas dans le Top 20 journalier et donc n'ont pu être pris en compte ici. Ils auraient clairement fait chuter l'allure de la courbe, qui ne reprend donc que quelques audiences maximales. Parmi ces données disponibles, il n'y a qu'un téléfilm de Noël diffusé sur les deux stations (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en pas d'autres). Noël avec le témoin amoureux a été proposé sur RTL-TVI le 7 décembre et sur TF1 le 8. Dans les deux cas, le film figure dans les 20 meilleures audiences du jour, mais en fin de classement. Sur RTL, il a fait 104.000 spectatrices et spectateurs. Et sur TF1 près de 90.000.
 
UNE MISSION DE SERVICE PUBLIC?
 
Et la RTBF ? Si La Une n'est pas en reste, ce n'est que les après-midi de week-ends. Une bonne idée à la base, puisque ces jours-là les concurrents ne sont pas très Noël dans leur programmation. Hélas, il faut croire que le téléspectateur ne l'a pas compris. Ou que, plus vraisemblablement, le service public a mal communiqué là-dessus, comme souvent. Car il n'y a pas eu là de miracle de Noël. Seul un des téléfilms, diffusé le 11/12, figure dans un Top 20, avec 104.000 téléspectateurs. On sait que le public ne se comporte pas le week-end comme en semaine, mais ne pas réussir à attirer un volume d'audience à peu près similaire à ceux des concurrents en semaine pose une vraie question. Les accros de films de Noël ne peuvent sans doute pas imaginer que, sur sa chaîne premium, le service public estime utile d'en diffuser. Or, continuer à fournir aux drogués de films de Noël leur dose quotidienne, n'est-ce pas une mission de service public?

Côté primetime et grosses audiences, le film de Noël a moins la cote que lorsqu'il s'agit de remplir les grilles de l'après-midi. Un seul soir, un film de Noël a eu droit au primetime. Sur la RTBF, et sur TF1, qui en était le premier producteur. Un téléfilm bien français, tourné à Paris, et pas une production à la chaîne made in USA. Diffusé à 20h36 le 2 décembre sur La Une, ses deux épisodes ont réuni… 150.000 amateurs de mystères de Noël. Soit à peine plus qu'un bon téléfilm de Noël proposé en semaine à 16h00 sur TF1 (qui a diffusé le téléfilm en soirée le 13/12, avec moins de 97.000 téléspectat·rices·eurs belges au rendez-vous [3]). En vertu des données accessibles, nous ne savons pas ce que cette belle œuvre de Gilles Paquet-Brenner, rassemblant des stars comme Marie-Anne Chazel Max Boublil, Caroline Anglade ou Jarry, a fait comme audience en J+7.

Les films de Noël ne font donc pas l'unanimité. Mais, pour une partie du public, ils sont désormais devenus incontournables. Même si ceux de demain, ou d'après-demain, seront les mêmes que ceux d'hier ou d'avant-hier. Tout en étant un tout petit peu différents. Un peu comme les cases d'un calendrier de l'Avent.

Frédéric ANTOINE

(1) It happened one night (titre original) a recueilli les cinq principaux Oscars attribués à Hollywood en 1935.
(2) Paradoxalement, TF1 a coupé le robinet cette semaine, juste avant Noël, comme si le film de Noël devait précéder Noël mais jamais l'accompagner (plus stratégiquement, la chaîne diffuse désormais de films grand public l'après-midi, ce qui permet de ratisser plus large côté audience).
[3] Mais, en France, ce téléfilm a fait 3,59 millions de téléspectateurs, et a fait 26% de PDM sur les femmes de moins de 50 ans.

17 décembre 2021

Les Traîtres (RTL-TVI): un programme un peu… traître?


Originalité de la rentrée d'automne sur RTL-TVI, Les traîtres est un jeu couleurs belges, diffusé en prime-time le mercredi. Mais Dieu qu'il est compliqué ! L'audience semble l'avoir compris : elle baisse chaque semaine.

Mettre des personnalités belges issues d'émissions de télé-réalité ensemble dans un château bien wallon, désigner secrètement parmi elles des "mauvais" (appelés "traîtres") et pousser les "bons" (appelés "fidèles") à les identifier, alors que les "mauvais" éliminent chaque soir un des "bons" : c'est, en fort résumé, le pitch de ce programme qui recourt à de nombreux ressors du genre télé-réalité. A commencer par être un "jeu" où on élimine un candidat à chaque épisode, où les participants sont amenés à accomplir des épreuves et où ils vivent tous ensemble dans un lieu à peu près clos.

À l'heure où aucune chaîne ne met plus de jeu de connaissance à l'antenne en prime-time, c'est le genre de programme que l'on voit bien occuper les écrans en soirée lors de la grande audience, un peu à l'image de Koh-Lanta ou, dans un autre genre, du Meilleur Pâtissier. Le format a été conçu pour RTL4 aux Pays-Bas, puis a été vendu à l'international, et notamment déjà adapté en Flandre par VTM, la désormais télévision-sœur de RTL Belgique depuis son rachat par Rossel-DPG.

NOIR-JAUNE-ROUGE

La boîte qui truste la production de quasi tous les programmes de RTL-TVI, Never Ending Story (1), a mis beaucoup d'œufs dans ce panier-là, et pas mal de moyens. Sur le plan de la réalisation, le résultat est assez bluffant, même si on ne peut s'empêcher de faire des comparaisons avec d'autres émissions du genre. L'animateur de l'émission, Frédéric Etherlinck (2), semble ainsi être un fils caché de Patrice Laffont errant dans les couloirs de Fort Boyard…

RTL-TVI fait un gros pari en choisissant de produire pareil programme, qui fait partie de l'arsenal de réponses que la télévision privée peut brandir quand on lui dit qu'elle ne diffuse pas assez de primetime belges. Ici, tout est noir-jaune-rouge, des compétiteurs aux différents lieux mis en valeur par l'émission, qui prend parfois des airs de feu Télétourisme. Fort bien, donc. Mais le pari rencontre-t-il son audience? Est-on là devant un des blockbusters de la station en ce qui concerne l'audience?

PAS CONVAINCANT

La réponse doit être nuancée. De manière globale, non, Les traîtres n'est pas une vache à lait d'audience pour RTL-TVI. Le public ne se rue pas le mercredi sur le programme, et il le déserte même un peu de semaine en semaine.

 Il faut dire que le premier épisode, diffusé le 1er décembre, était si touffu et peu compréhensible qu'il a dû faire fuir quelques dizaines de milliers de téléspectateurs. En trois semaines, en vision, J+1, le programme a perdu près de 70.000 "fidèles". Le crash s'est surtout produit entre les épisodes 1 et 2. La chute s'est poursuivie sur le 3, mais moins fortement. 

Tout de même, une audience qui fond de 25%, ce n'est pas vraiment un succès. La complexité des mécanismes et la diversité des personnages, que l'on suppose connus et que l'émission ne prend donc pas le temps de faire connaître, n'y sont sûrement pas étrangères. Suivre des agriculteurs qui rencontrent des âmes sœurs, ou trois-quatre couples qui se marient au premier regard, c'est vachement plus simple à comprendre. Pas besoin de trop convoquer ses neurones. Ici, on est plutôt comme dans Koh-Lanta, mais en plus compliqué et du moins bien installé. Tout est stratégie, suspicions, coups fourrés. Le téléspectateur doit être attentif à chaque instant s'il ne veut pas se laisser larguer. Beaux esprits et QI au-dessus de la normale, rendez-vous sur vos téléviseurs (même si la télé-réalité et se héros n'est pas votre tasse de thé).

 UN PETIT ÉCHEC

 À ce stade, Les traîtres est-il donc un échec? Oui et non. La grosse audience n'est pas au rendez-vous, mais… elle l'est de moins en moins sur RTL-TVI. Depuis la rentrée, la chaîne ne compte plus d'audiences au-dessus de 400.000 téléspectateurs que… le dimanche. Et 300 les lundis. Pas mal d'autres jours, on tourne plutôt autour des 200.000. Comme le montre le graphique ci-dessus, cette audience baisse de jour en jour au cours de la semaine. Le mercredi est donc un jour moyen. Sur le graphique, la colonne en bleu est celle de la semaine précédant le premier épisode des Traîtres. On voit clairement que cette nouvelle émission a attiré davantage de spectateurs que la semaine précédente, et que par la suite l'audience retrouve son niveau "normal".

 En moyenne, sur une semaine, le prime-time de RTL attire environ 270.000 téléspectateurs (3). Les scores des Traitres sont donc inférieurs à ce chiffre moyen. Mais il est meilleur que tous les résultats obtenus le mercredi soir par la chaîne depuis la rentrée, en tout cas pour ses deux premiers épisodes. 

À l'heure actuelle, le bilan est donc mitigé. D'autant que ces données ne concernent que l'audience J+1.Le CIM ne donne actuellement accès qu'aux résultats J+7, et sur tous types d'écrans, que pour le premier épisode. Cette semaine-là, Les traîtres ont gagné 54.000 spectateurs en audience différée, soit + 16%. À l'instar d'autres programmes comme Koh-Lanta, ce type d'émission attire un public en dehors de la diffusion en linéaire. Un nouveau mode de consommation où l'on peut zapper les pubs et faire "pause" ou  "rewind" quand on n'a pas compris. Pour Les traitres, c'est sûrement un atout!

Frédéric ANTOINE.

(1) 71, Mariés au premier regard, Images à l'appui, Enquêtes, Expédition Pairi Daiza, Vu à la télé, etc etc (www.nesprod.com/productions)

(2) Qui représenta la Belgique à l'Eurovision en 1995… 

(3) La semaine avant Les traîtres: 247.000. Celle du 1er épisode: 288.000. Celle du 2e: 265.000.

15 décembre 2021

Fin du mythe de Koh-Lanta : les héros sont nus

 
En laissant la 20e édition sans vainqueur officiel, la production a reconnu que, alors que les épisodes de Koh-Lanta narraient la Geste de héros au grand cœur, dans la vraie vie, ça se passait tout autrement.

Nous avons hier, avant la finale, consacré un long texte à « l'affaire des repas frauduleux » qui se sont déroulés dans Koh-Lanta La légende. Nous renvoyons donc le lecteur aux commentaires que nous avions faits à cette occasion (1). Le petit texte de ce jour entend juste tirer les conclusions de ce qui s'est déroulé hier soir mardi sous les yeux de millions de téléspectateurs médusés, dont plusieurs centaines de milliers de Belges (2). 

TOUT EST VRAI !

« Médusés » en effet, car il y avait bien eu des rumeurs dans les médias à propos de tricheries qui auraient émaillé le déroulement de la télé-réalité. Mais si, à 20h50, on commence par vous dresser un portrait dithyrambique des derniers compétiteurs, que ceux-ci versent des larmes en pensant à leur famille, puis que l'on vous fait suivre l'épreuve des poteaux à grands coups de commentaires élogieux, qu'à la fin, comme d'ordinaire, le choix du deuxième finaliste par le gagnant est un moment d'immense émotion et que, pour terminer, tout le monde se congratule lors du conseil final, on ne peut se dire qu'une chose : que, ce soir, on est bien dans le schéma classique d'une finale de Koh-Lanta. On rebobinerait dix ans en arrière, on aurait eu à peu près le même déroulé, le pathos en moins (car celui-ci a fortement crû ces dernières années). La finale de Koh-Lanta, c'est une suite de rites. Tout comme l'ensemble de l'émission. Et ce sont ces rites, finement modifiés chaque année, qui font entrer le spectateur dans le cérémonial de la télé-réalité et le confortent dans l'idée selon laquelle, à Koh-Lanta, tout est vrai. Aussi vrai qu'une victoire de Max Verstappen au dernier GP de la saison de F1.

Quand, ensuite, on croit arriver en direct dans les studios de TF1 à Paris pour assister à l'ouverture de l'urne où se cache le nom du vainqueur, on continue à se dire : tout va bien, ça se passe comme d'habitude, l'animateur va prendre 45 minutes à meubler en faisant parler des participants de tout et de rien, répéter des choses mille fois entendues (mais n'est-ce pas cela, l'art du mantra?), puis il ira chercher la fameuse urne qu'il a scellée là juste devant nous, avant le dernier écran de pub et le rappel que, si on joue par SMS ou par téléphone, on pourra recevoir 2000€ tous les mois pendant vingt ans. Et que le grand gagnant sera connu à la fin de l'émission (3).

TOUT VA BIEN, MAIS…

2021
Tout va bien, sauf une toute petite chose, qui échappe sans doute à la majorité des téléspectateurs (4): d'ordinaire, lors d'une finale de Koh-Lanta, dans le haut supérieur droit de l'image, le sigle de TF1 n'est pas seul à être à l'image. Il est accompagné de la mention « en direct ». Or, cette fois, il n'y a rien que TF1. Le retour studio pour désigner le vainqueur ne se passe donc pas en direct (5). Qu'est-ce que cela veut dire? Personne ne se le demande. Mais c'est pourtant un indice que, cette fois-ci, le protocole classique ne sera pas respecté. Peut-être parce que, en direct, on ne sait jamais vraiment ce qu'il peut arriver…
 
Mais cool, pour l'instant tout se passe normalement : on rend hommage aux superhéros, au courage, aux qualités d'âme, aux rêves trop tôt avortés de celles et ceux qui ont été éliminé(e)s trop rapidement. Tout cela dure une éternité, comme d'habitude. Une fois ou l'autre, l'animateur dit bien que ce soir ne sera pas une finale comme les autres, mais on s'attend à un coup d'éclat, à un concurrent qui cède sa place à un autre, à quelque chose d'encore plus top que d'habitude. Et il faut attendre 23h20, soit 1h54 après le début du programme, pour que l'animateur, s'adressant tout à coup au téléspectateur les yeux dans les yeux, lui lise un texte issu d'un prompteur (pour être sûr que seuls des mots finement pesés – sans doute par des juristes – seront prononcés). En substance, il y a eu des tricheries, des « manquements au code d'honneur » de la part d'un « petit nombre » de participants… Ce qui, on s'en doute, n'a plus mis tout le monde sur le même pied. Donc, il n'y aura pas de lauréat cette année, et l'argent promis ira à la fondation de Bertrand Kamal. 
Près de 2h d'émission où l'on a décliné à la mandoline tout le vocabulaire d'héroïcité, de force, de bravoure et d'humanité cher à l'émission… pour en arriver à dire que personne ne gagne, et qu'en fait le jeu a été pipé.
 
UNE ABSENCE DE RESPECT

Donc, tout ce qu'on a suivi depuis des semaines, tout ce qu'on a pris comme du vrai héroïsme, pour certains compétiteurs, ce n'était que de la poudre de perlimpinpin. On admirait leur courage face à l'absence de nourriture, leur résistance devant la faim… Et ils se gavaient en cachette! Pire, il semble que les deux finalistes ont, à un moment, opéré un chantage vis-à-vis de la production, en exigeant d'obtenir des… pains au chocolat, faute de quoi ils faisaient grève. On croit rêver. Des héros en grève ? Des professionnels en grève, oui. Au Tour de France, les coureurs ont parfois mis pied à terre pour obtenir gain de cause. Mais des anonymes, des « messieurs et madames tout le monde », qui participent pour du vrai au rêve de leur vie?

À 23h25, si ne s'y doutait de rien, le rideau du Temple s'est déchiré dans bien des foyers. Le mythe Koh-Lanta s'est effondré. Les héros sont nus. Et pas toujours beaux à voir. Pourquoi la finale n'a-t-elle pas été annulée? Pourquoi n'a-t-on pas annoncé immédiatement à 21h10 qu'il y a ait eu tricherie et que, donc, le programme ne pouvait continuer? La production affirme n'avoir été informée de tout cela que   « tout dernièrement ». A-t-on une raison de la croire, alors qu'elle avait déjà « puni » Teheiura pour des tricheries identiques ? À Koh-Lanta, y a-t-il de la fumée sans feu? Pourquoi la diffusion des épisodes n'a-t-elle pas été simplement suspendue? 

TF1 et la production n'ont pas eu de respect pour le téléspectateur. La cash-machine Koh-Lanta devait aller jusqu'au bout, même si on la savait gangrénée. 

Demain, qui pourra encore croire que les héros sont des héros, qu'ils ne sont pas des acteurs qui, derrière les décors, font tout le contraire de ce qu'ils montrent d'eux devant les caméras? Non les amis, des Robinsons débarqués seuls sur une île déserte, en télévision, cela n'existe pas. Et, en Polynésie française, vis-à-vis d'un programme phare de la télévision nationale, encore moins qu'ailleurs.

Pour redonner une virginité au programme, l'animateur a annoncé en toute fin d'émission que l'édition 2022, dont le tournage a déjà eu lieu aux Philippines, ne réunira que de tout nouveaux candidats. Des purs, des propres, des béotiens. Des naïfs peut-être. Mais en tout cas pas des vieux briscards du programme, rois de la triche et de la combine. Cela suffira-t-il pour remettre des paillettes dans les yeux des enfants (et des adultes) qui s'imaginaient, un jour peut-être, être eux aussi sélectionnés et devenir des surhommes et des surfemmes, comme celles et ceux qu'ils ont vu(e)s à l'écran ? 

Cela suffira-t-il pour encore croire que, à la télévision, des « vrais » héros, cela peut exister ?

TF1 a elle-même cassé le mythe qu'il avait créé, et qui avait si bien résisté au temps. Mais elle l'a mal cassé. Sans honnêteté. 

Au point de, malgré tout ce qui avait été dit justde avant, révéler le contenu des votes du dernier conseil au cours du générique final. 

Alors, il a gagné ou pas, le super-candidat qui n'a jamais réussi à tenir le dernier sur les poteaux? Non, puisqu'il n'y a pas eu de vainqueur. Mais oui, si on compte tout de même les votes exprimés. Finalement, rien n'est clair. Tout est brumeux. Allez vous y retrouver. En tout cas, la fiction que se voulait Koh-Lanta est morte. Mais que vaut sa réalité ?

Frédéric ANTOINE

(1) https://millemediasdemillesabords.blogspot.com/2021/12/koh-lanta-ce-soir-le-crepuscule-des.html

(2) En France, la finale de l'émission a accueilli 4,4 millions de spectateurs, le programme se faisant dépasser par… France 3, et ayant un score inférieur de plus de 1 million de personnes par rapport à 2020. En Belgique, à l'heure où ces lignes sont écrites, les résultats du CIM ne sont toujours pas disponibles. 

(3) Ce qui, en l'occurrence, est un gros mensonge, car la désignation de l'heureux gagnant de ce prix a totalement été zappée de la fin de l'émission (et pour cause).

(4) Comme le fait qu'une partie du décor d'un épisode de My Yiny Restaurant (Tipik) ait été floutée par la production…

(5) Certes la partie studio de l'émission finale n'a pas toujours été en direct (en 2020, pour cause covid), mais c'est très généralement le cas.


13 décembre 2021

KOH-LANTA: CE SOIR, LE CREPUSCULE DES DIEUX


L' "affaire" Koh-Lanta, dont l'épilogue a lieu ce mardi soir, rapporte la télé-réalité au rang de ce qu'elle prétend être : de la réalité vraie. Elle démontre que les candidats y sont à la fois des êtres comme les autres, mais aussi pas comme les autres. Oui, télé-réalité rime avec oxymoron.

Pendant 36 jours, ils n'auront à manger que du riz, du manioc (s'ils en trouvent), des poissons (s'ils réussissent à les pêcher) et des fruits de mer (s'ils parviennent à les attraper). La faim va les tirailler. Seule solution pour échapper à ce régime forcé qui leur fait perdre de nombreux kilos: réussir les épreuves de confort. En tout cas celles où la récompense esy, chers amis, entendez-moi bien, oui, de la nour-ri-tu-re. Du jamais vu jusqu'ici. Un repas de rêve auquel ils songent toutes et tous. Et qui leur donnera la force, le lendemain, de se surpasser à l'épreuve d'immunité…

SUR LE MONT OLYMPE

Elle a la vie dure, la geste de cette télé-réalité vieille de vingt ans. Ce n'est pas pour rien que cette édition anniversaire a été baptisée Koh-Lanta la légende. Une version spéciale, peuplée de héros, comparables aux dieux et déesses de l'Olympe qui, par le passé, s'étaient tous distingués par leur courage, leur détermination, leur résistance ou, parfois, comme les dieux grecs, par leur capacité à concevoir des coups fourrés ou de Jarnac afin d'arriver aux portes de la victoire: tenir le plus longtemps possible sur des poteaux…

En 2021, comme d'habitude, les héros n'ont cessé de se dépasser au fil des épisodes, Claude et Teheiura confirmant l'aura qui les accompagne depuis leur entrée dans le programme. Deux êtres surhumains, mais à la fois tellement humains qu'ils sont comme transcendés, et désormais accompagnés de Sam, jeune demi-dieu en devenir. Et ce sans parler d'Ugo, Phénix qui ne cesse de renaître de ses cendres.

 LÎLE DE LA TENTATION

Et puis, voilà qu'alors que, un beau jour, le plus connu des Polynésiens se fait éliminer malgré lui et se voit contraint de rejoindre l'île des bannis, où l'animateur du programme le convoque en entretien singulier. Il lui faire alors avouer que, avec la complicité d'un ou deux pêcheurs du coin qui le connaissaient très bien (il a habité l'îlot d'à-côté), Teheiura a obtenu un peu de nourriture. Coup de tonnerre. Tremblement de terre. Scandale planétaire. L'idole tombe de son piédestal. Des membres de la production l'on vu réceptionner le Graal défendu et s'en délecter. La faute est indiscutable. Toutefois, ce n'est que lorsque le héros quittera l'arène du jeu suite à l'éviction de son binôme que l'on se décidera à le confronter à son méfait. Avec comme punition suprême non de le rayer du jeu (on ne se prive tout de même pas d'une vedette pareille), mais simplement en l'envoyant rejoindre les éliminés, qui constituent le jury final. Ainsi, on peut le garder à l'antenne…

Au moment où l'émission est diffusée sur TF1et le forfait enfin révélé, le Tahitien se voit interviewé par divers médias, et n'a pas sa langue dans sa poche. Il reconnaît le forfait mais confie aussi avoir partagé cette nourriture pirate avec quelques autres concurrents. Des noms circulent alors, et surtout ceux des divinités les plus admirées de l'émission. Bardaf l'embardée? Mais non, voyons. Ce ne sont que des on-dit, et là, il n'y a pas assez de preuves. Voilà pourquoi seul Teheiura aura été puni, et pas les autres. Ah bon, eux ils n'ont pas été vus par la production ? Ben non, Homère vous l'aurait dit: on ne peut pas tuer tous ses dieux à la fois…

LA TRAHISON DES CLERCS

Mais tout cela n'est rien à côté de la déflagration tombée sur la scène médiatique, comme par hasard juste avant la finale, qui a lieu ce mardi soir. Les petits compléments alimentaires du Tahitien ne sont que roupie de sansonnet à côté des banquets que plusieurs candidats se sont offerts à plusieurs reprises pendant le jeu, chaque fois après ces terribles conseils où les participants s'entretuent (virtuellement). Des buffets dans une pension tenue par des autochtones, tellement heureux de voir des divinités se sustenter chez eux qui n'hésitent pas à prendre des photos de ces ripailles maudites, et ce… avec l'assentiment de ces superhéros en pleine trahison. Des dieux qui, pour acheter le silence de ceux qui n'avaient pas été invités aux agapes, leur accorderont le droit de se partager les miettes de leurs festins.

Cette fois, une photo compromettante est parvenue à la production. On passe de "il n'y a pas fumée sans feu" à l'identification du pyromane. Toutefois, étrangement, la preuve irréfutable me parvient pas à TF1 le lendemain des faits, ni une semaine ou même un mois plus tard, le temps qu'elle traverse la moitié de la planète de Bora-Bora à, Paris. Non, c'est le père Noël des mers du Sud qui aura dû se charger du paquet-cadeau: la photo arrive chez qui de droit juste avant la finale (contre accusé de réception en monnaie sonnante et trébuchante?). Quoi qu'il en soit, il semble que la comète qui a jadis éliminé les dinosaures risque d'avoir fait moins de dégâts que cette révélation aussi opportune qu' (im)prévue. 

DES ACTEURS ET DES DIEUX

Voilà donc qu'on se rend compte qu'une partie des participants de cette édition de légende – et pas des moindres – n'étaient en fait que des "tricheurs". Pas des dieux, tellement emplis de leur statut, de leur grandeur et de leur mission qu'ils ne faillissaient jamais. Mais de simples pauvres hères, comme tout un un chacun sur cette pauvre terre. 

Simplement des braves candidats qui ont eu faim et étaient au bout du rouleau au cours d'une édition de l'émission, tournée si près de terres habitées que la tentation était irrésistible? Peut-être. Mais, surtout, des personnes si accoutumées aux conventions du genre "télé-réalité" qu'ils savaient qu'ils étaient là pour jouer un rôle, et endosser les habits personnage dont on les a affublés. Et qui n'avaient qu'à interpréter ce rôle tant qu'on criait "moteur" et que tournait la caméra. 

Les participants à Koh Lanta ne sont pas des dieux mais des acteurs qui, à ce stade de leur implication dans le programme, connaissaient tout des rouages de l'émission et savaient comment ils pouvaient les déjouer, et pourquoi ils avaient quasiment le droit de se le permettre. Parce que, sans eux, pas d'émission, pas d'épreuves, pas d'émotion, pas de tristesse, de larmes de joie ou de déception. Mais aussi pas de records d'audience, pas de beaux écrans de pub. Et, en fin de compte pas de grosses recettes pour TF1. 

Ils ont triché ? Pas grave. La prod était au courant? Pas grave. Le spectacle continue. The show must go on. Jusqu'aux portes de la finale. Pour faire tinter le tiroir-caisse tous les mardis. Juste avant la fin de la diffusion, quand même, on se dira qu'il est temps d'un peu lever le couvercle de la marmite. Comme on l'avait déjà fait, pour Teheiura. 

DU FICTIF QUI DEVIENT RÉEL

Un rebondissement est toujours une aubaine pour l'audience. Alors, si un scandale survient juste avant la finale, c'est le bonus assuré. Y aura-t-il un vainqueur? Touchera-t-il sa récompense? Comme cette dernière partie de l'épisode se déroule en direct, le suspens sera à son comble jusque tard dans la nuit. Jackpot! 

Ils sont vraiment des dieux de la télé commerciale, à TF1. Et les candidats mis en cause? Sont-ils des dieux déchus, ou de pâles marionnettes que la chaîne manipule à son gré? Ils ont en tout cas démontré que, dans Koh Lanta, tout était à la fois loin et proche la réalité. Loin, car les tricheries n'ont pas permis aux candidats d'être sur le même pied lors des épreuves, et ont fait jouer un rôle aux concurrents.  Proche, car finalement, au, diable le jeu, l'essentiel n'est-il pas de se nourrir?

 Comme François Jost l'avait si bien écrit, la télé-réalité se situe au milieu d'un triangle,  à équidistance d'un pôle "réel", d'un pôle "ludique"' et d'un pôle "fictif". S'il fallait un exemple de plus pour confirmer l'existence de cette triangulation, Koh Lanta La légende en aura fourni un hors du commun.

Frédéric ANTOINE

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