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Regard médias

Il y en a des choses à dire sur les médias en Belgique…

25 juillet 2020

Belgium: the country where everybody speaks English


Depuis près d'un mois, les Belges revenant de zones à risques de l'étranger sont obligés de remplir un formulaire, afin de lutter contre la propagation du covid-19. But this docment is only available in English. Is this normal?

Il porte le joli nom de Public Health Passenger Locator Form,  mais tout le monde l'appelle plus simplement Passenger Locator Form. What is translated by Google  by the words "Formulaire de localisation de passagers". Selon le site du ministère des Affaires étrangères (1), tout passager d'un vol extra-Schengen vers la Belgique doit le remplir avant de voyager. Et, à l'arrivée en Belgique, le formulaire doit être remis aux autorités désignées à la frontière.

Chose étonnante, quand on le consulte, on voit que ce formulaire ne parle pas que d'avion, mais aussi de train ou même d'autobus, éléments qui ne sont pas développés sur le site en question. Pour avoir tous les détails à son propos, il faut plutôt consulter… le site de l'Office des étrangers (2), où les mesures sont là détaillées point par point. Un paradoxe pour une personne de nationalité belge, qui illustre une fois de plus le surréalisme quotidiennement à l'œuvre dans ce petit pays.

Autre chose étonnante: ce passionnant document n'existe, à l'heure où ces signes sont écrites, qu'en anglais. Alors que cette obligation de déclaration remonte à la mise en œuvre d'un A.R. datant du 30 juin dernier…

Enfin, selon l'art.4 de la Constitution, "La Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande". Nulle part, le texte fondateur de l'Etat ne fait allusion à la langue anglaise.

NUL N'EST CENSÉ IGNORER L'ANGLAIS


Peut-on donc obliger un Belge à remplir un document officiel dans une langue qui n'est pas la sienne? En cas d'amende pour non respect du prescrit de l'A.R., quel tribunal validerait le fait que le justiciable ait été contraint de remplir un formulaire dans une langue étrangère? On répondra bien sûr que l'anglais est la lingua franca de l'époque. Mais, même si la page 2 du formulaire est parsemé de petits pictogrammes, la connaissance de l'anglais n'est imposée à aucun citoyen belge, et il n'est pas obligé de maîtriser cet idiome mondial pour se rendre à l'étranger. Et ce d'autant plus que, avant la page à compléter par de données pratiques sur son déplacement, il y a lieu de s'engager en page 1 pour de vrai, en signant au bas d'une longue texte se terminant par la formule:   "I HAVE TAKEN NOTICE OF THE INFORMATION PROVIDED ON THIS FORM AND HAVE MADE A TRUTHFUL DECLARATION".

L'usage de ce formulaire devenant une obligation pour tous ceux qui reviendront en Belgique à partir d'août, on annonce tout à coup qu'il va être traduit pour le début de la semaine prochaine. Bonne nouvelle! L'Etat fédéral se rend enfin compte que la pratique de la langue de Freddie Mercury n'est pas imposable à ses citoyens. Il est renversant de constater que, jusqu'alors, personne ne s'en était rendu compte.

A l'heure de la mondialisation, dès que l'on sort de son village ou de son quartier, on doit  être à même de parler l'English. Cette pratique est évidente pour l'Etat Fédéral, parce que elle l'est (ou supposée l'être par les élites) en Flandre, où le shift de mots flamands par des termes anglais est aujourd'hui monnaie courante, et où même la construction des phrases semble influencée par la langue des Britons lorsque les ressortissants du Nord s'expriment en français.

Pour certains, l'anglais est sans doute devenu la seule langue nationale de la Belgique. Une manière radicale de régler tous les problèmes communautaires.

On attend ainsi pour bientôt la publication de The Belgian Official Gazette,  édition unique et unilingue de l'ancien Het Belgisch Staatblad/Le Moniteur belge. Avec, en sous-titre: Voor de Vlamingen hetzelfde/Pour les francophones, la même chose.

Letterlijk.

Frédéric ANTOINE.

(1) https://diplomatie.belgium.be/fr/Services/venir_en_belgique
(2) https://dofi.ibz.be/sites/dvzoe/FR/Pages/Les-voyages-vers-la-Belgique.aspx

16 juillet 2020

Philippot à France Télévision, les souris danseraient-elles boulevard Reyers?



Dans la liste des huit candidats à la présidence de France Télévision qui seront auditionnés par le CSA français, un nom sort du lot: celui de l'administrateur général de la RTBF, Jean-Paul Philippot. Que
le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) avait reconduit à son poste il y a cinq mois, pour un quatrième mandat de six ans.
L'homme n'est pas encore dans le fauteuil de Delphine Ernotte, mais son départ n'arrangerait-il pas bien l'actuelle majorité politique de la FWB?

On devrait savoir pour le 24 juillet au plus tard qui succédera à Delphine Ernotte à la tête de France Télévision. Elle-même, ou l'un de ses challengers, parmi lesquels celui qui semble avoir le plus d'étoffe n'est autre que Jean-Paul Philippot. Aucun des autres candidats ne peut en effet faire preuve d'une expérience de management d'un groupe de médias de service public aussi large et longue que celle de l'administrateur général de la RTBF. Son seul défaut à l'égard de ses concurrents hexagonaux est, peut-être, qu'il ne soit pas Français. Chose qui, hormis dans le monde de l'humour, des variétés et du cinéma, reste tout de même une tare pour bon nombre de compatriotes de Descartes et de Mirabeau. Alors que l'inverse est loin d'être vrai, la RTBF n'ayant jamais rechigné, sous Jean-Paul Philippot, à faire appel à des Français pour y occuper des postes à responsabilités. En Belgique, cette stratégie a, à diverses reprises, permis de surpasser des luttes de chapelle et des ambitions personnelles de candidatures internes. Peut-être l'actuel pouvoir français pourrait-il, pour une fois, être tenté de procéder de même manière face à ce Liégeois devenu Bruxellois dans l'âme, qui vient juste de fêter ses 60 ans.

MOMENTUM

L'élection de cet ingénieur commercial Solvay, dont la carrière s'est toujours focalisée sur les soins d'urgence (dans le secteur hospitalier d'abord, dans l'audiovisuel public ensuite) n'est pas acquise. Mais imaginons qu'elle le soit. Confirmant sa candidature à France Télévision, Jean-Paul Philippot a bien veillé à faire savoir à son personnel que celle-ci n'était "aucunement un aveu de désengagement et de désintérêt pour la RTBF". Cependant, n'est-ce pas pour lui le meilleur moment pour obtenir, ailleurs que sur le petit territoire de la FWB, l'ultime bâton de maréchal qui lui manque? Ayant quitté la présidence de l'UER en 2018, après dix ans de mandat, peut-il lui rester une autre marche (accessible) à gravir?

Quitter la RTBF à ce moment précis lui permettrait aussi de ne pas devoir ferrailler à l'avenir avec un gouvernement de la FWB qui adopte, ces derniers temps, des attitudes interpellantes vis-à-vis de l'actuelle gestion du service public de l'audiovisuel. En février dernier, personne n'aurait compris que ce gouvernement ne reconduise pas, une nouvelle fois, l'administrateur général sortant. Il n'y avait pas d'autre choix. Mais cette décision était-elle un cri du cœur? Assurément non.

BACK TO PURITY

Les recommandations du gouvernement faites au CA de la RTBF lors de sa (re)nomination laissaient bien entendre que, cette fois, M. Philippot serait en liberté surveillée. Avant cela, les propos tenus dans la déclaration de politique générale de ce gouvernement avaient, elles aussi, fait comprendre que le temps de la gestion de la RTBF "à la Philippot" était révolu, et qu'il allait falloir adapter les règles du jeu.

Les décisions prises par ce même gouvernement début juillet 2020 à propos des restrictions de ressources publicitaires imposées à l'audiovisuel public n'ont, en fait, que concrétisé ces intentions. En tentant, même plutôt symboliquement, de limiter la place de la publicité sur les ondes de la RTBF, celles-ci ont comme propos de remettre sur ses rails un opérateur public plus pur, moins tenté de céder aux sirènes des marchés et de la concurrence. Le message politique est clair: l'audiovisuel public doit se recentrer sur ce qui doit faire sa spécificité, quitte à ne pas jouer dans la même cour que les opérateurs privés. Alors que, pour la première fois en 2019, les PDM de La Une dépassaient celles de RTL-TVI, le gouvernement semble indiquer que là ne réside pas l'essentiel.

Que ces restrictions publicitaires imposées à la RTBF tombent au même moment que le cadeau financier accordé par ce même gouvernement à la filiale belge d'une entreprise privée audiovisuelle luxembourgo-allemande peut aussi être lu comme une confirmation de cette volonté de recentrage du service public sur sa pureté essentielle. Au privé de faire du privé, quitte à ce qu'on lui accorde de l'argent public pour y arriver, et au public de faire du 'vrai' service public, quitte à perdre en audience, en concurrence et en moyens.

REAL POLITICS

On peut comprendre que pareils signaux ne jouent pas le rôle de sirènes pour Jean-Paul Philippot, qui a, lui, toujours milité pour et développé une vision très real politics du service public de la radio-télévision. Une vision qui tient compte de la nature économique actuelle du marché de la télévision, qui combat pour que l'audiovisuel public ait les moyens de se battre au moins à armes égales avec le privé, qui choisit d'investir pour le futur plutôt que d'épargner, et qui considère le fait d'être suivi par une audience appréciable comme le meilleur signe de légitimité possible de l'acteur public.

Comme l'UER, l'actuel administrateur général de la RTBF n'a jamais été partisan de médias publics épurés à l'extrême, fiers de leur quintessence, mais n'étant suivis que par une poignée d'auditeurs et téléspectateurs convaincus. Pas sûr que, à l'heure actuelle, ce point de vue soit unanimement partagé par les politiques.

Le 9 octobre 2019, c'est-à-dire peu de temps après l'installation du nouveau gouvernement de la FWB, le bruit d'un éventuel départ de l'administrateur général de la RTBF pour France Télévision avait déjà couru. Tant et si bien qu'on peut se demander si celui-ci ne fait pas partie d'un deal convenu entre l'intéressé et le pouvoir politique de la FWB en février dernier: une reconduction, certes, pour ne pas manifester de désaveu officiel. Mais aussi un encouragement au départ vers de plus hautes sphères, laissant dès lors aux partis politiques en place les mains libres pour penser sereinement au choix d'un·e nouvel·le patron·ne de l'audiovisuel public francophone belge. Quelqu'un (ou quelqu'une) qui correspondrait davantage à la vision plus épurée de l'institution, défendue au moins par certains des partenaires de la majorité.

Ceci n'est bien sûr qu'une hypothèse, faite en chambre, et ne reposant sur aucune confidence. C'est une pure construction intellectuelle. Mais, si l'administrateur général de la RTBF terminait bien sa carrière sur les bords de la Seine et non de la Senne, il est clair que cela permettrait aux souris du boulevard Reyers de danser d'une nouvelle manière. A commencer par celle qui, selon l'ancienne comptine enfantine, "courait dans l'herbe" et que l'on attrapait par la queue.

Frédéric ANTOINE.

10 juillet 2020

L'Avenir - IPM : Quand la grenouille devient le bœuf

L'absorption du quotidien L'Avenir par le groupe IPM modifie les équilibres de force sur le marché de la presse en Belgique francophone. Grâce à L'Avenir, la petite rainette devient ainsi plus forte que le bœuf…

Qu'une entreprise rachète plus fort qu'elle n'est pas fréquent. D'ordinaire, c'est le plus faible qui se fait absorber. Or, c'est pourtant ce qu'a réalisé IPM en acquérant l'éditeur du quotidien L'Avenir.

En 2019, L'Avenir était le titre le plus vendu du marché francophone, alors que ceux d'IPM en étaient les lanternes rouges en terme de diffusion payante (print ou digitale), selon les données CIM (1). Et voici que tout change. En ajoutant aux diffusions d'IPM celles de L'Avenir, le groupe gonfle, gonfle… au point de devenir plus imposant que son (seul et dernier) concurrent.

Merci, L'Avenir!

 

Copies

Subscriptions

Other paid

Total print paid

Digital paid

Total paid

Free

Total all

IPM

19655

33793

1411

54859

16998

71857

699

72556

L’Avenir

8394

55890

658

64942

9013

73955

1314

75269

IPM+Avenir

28049

89683

2069

119801

26011

145812

2013

147825


En 2019, en payante print, L'Avenir réalisait en moyenne/jour plus de 10.000 ventes de mieux que les deux titres d'IPM réunis. Il vendait plus de 50% d'exemplaires en moins au numéro que les deux titres d'IPM, mais possédait un parc d'abonnés 40% plus élevé que celui de La Libre et de la DH réunis.

Grâce à L'Avenir, IPM fait plus que doubler son volume de diffusion payante. En digital payant, le titre namurois est moins performant, malgré de gros efforts consentis ces dernières années. Ses ventes numériques ne font croître IPM que d'un bon tiers. Tous types de ventes confondus, L'Avenir fait mieux que l'entreprise qui le rachète (près de 74.000 exemplaires payants/jour contre moins de 72.000 à IPM). En 2019, L'Avenir représentait 51% des ventes de la nouvelle entité. Ce pourcentage reste à peu près identique si l'on y ajoute les distributions gratuites.

Pole position

On a souvent estimé que, si IPM estimait être "le" concurrent de Rossel sur le marché belge francophone, la vérité des chiffres laissait plutôt conclure que les deux compétiteurs ne jouaient pas nécessairement dans la même division.
En ce qui concerne le volume de diffusion, cette considération doit désormais être remise en cause.
En effet, pour la première fois de son histoire, grâce à l'apport de L'Avenir, IPM réussit à passer devant son concurrent.

 

Copies

Subscriptions

Other paid

Total print paid

Digital paid

Total paid

Free

Total all

IPM+Avenir

28049

89683

2069

119801

26011

145812

2013

147825

Rossel

32004

61985

6385

100374

36105

136479

2049

138528


En diffusion payante, l'arrivée de L'Avenir permet aux titres d'IPM de supplanter Rossel (Le Soir+Sud Presse). Sur ce marché des titres généralistes, en se basant sur les données 2019, IPM représente désormais 54,5% des ventes print payantes, et 51,5% des ventes, tous types confondus. Ce n'est que sur le marché du numérique payant que les titres de Rossel supplantent ceux d'IPM (58% du marché à Rossel, 42% à IPM).

Encore un petit effort

En ce qui concerne les parts de marché du gâteau publicitaire, par contre, le mariage (un peu forcé) de L'Avenir et d'IPM ne donne pas d'aussi beaux enfants. 

(%)

IPM

(+ Paris Match)

L’Avenir

IPM

+ L'Avenir

Rossel

(+ Ciné Télé Revue)

PDM Pub

7,2

26,4

33,6

49


Selon des données 2018 (2), la part du marché publicitaire "éditeurs de presse" en Belgique francophone occupée par IPM étant particulièrement faible (même en y ajoutant Paris Match Belgique), l'apport de L'Avenir l'aide grandement à se hisser dans le classement. En première place, Rossel reste toutefois indéboulonable. En tenant compte de son rachat de Ciné Télé Revue en 2019, le groupe de la rue Royale friserait les 50% du marché publicitaire presse en Belgique francophone, laissant le groupe IPM à plus de 15 points de distance.

L'union entre le Bia Bouquet et le "petit ket de Bruxelles" semble ouvrir de nouvelles perspectives de rapports de force. Mais les finances du ménage permettront-elles de faire face aux dépenses qu'exige cette nouvelle vie?


(1) Déclaration des éditeurs 2019.
(2) CIM Brand Report 2018 via Space (Mediabrands publishers landscape in South Belgium)

IPM reprend L'Avenir: la revanche du concombre masqué?

La nouvelle est tombée ce 9 juillet en soirée: le groupe IPM devient finalement acquéreur des Editions de l'Avenir (EDA) et de ses deux hebdos. Si cette nouvelle était somme toute logique, on ne peut oublier que cette acquisition sonne comme le retour de flamme d'une vieille histoire, celle des rapports entre IPM et le groupe L'Avenir.

IPM n'a cessé de le déclarer, notamment dès sa première offre de reprise EDA à Nethys lors du scandale Publifin : ce groupe de presse l'intéressait. Et l'avait déjà intéressé par le passé. La chose est incontestable. Mais cela met un peu de côté ce qui est antérieur à ce passé récent au cours duquel le groupe bruxellois a marqué de l'intérêt pour le quotidien catholique historiue du Namurois. Tant et si bien qu'on ne peut s'empêcher de penser que cette acquisition d'un "gros poisson" par une entreprise médiatiquement moins forte pourrait avoir des airs de petite revanche. On n'osera pas dire : de vengeance.

QUAND L'AVENIR RÉGNAIT

Il y a près de 30 ans, le paysage de la presse en francophonie ne revêtait pas la même configuration qu'aujourd'hui. A l'époque, le groupe IPM n'appartenait pas à une seule famille. Et les co-actionnaires du groupe variaient plutôt avec le temps. Jusqu'à ce que se fige, il y a environ 25 ans, une situation qui paraîtrait aujourd'hui paradoxale: le contrôle d'IPM par Vers L'avenir!
Bon nombre d'acteurs et d'observateurs ont sans doute perdu de vue ce moment historique. Mais il est essentiel, et correspond, en gros, à la période où le groupe namurois sortit de sa torpeur provinciale pour envisager de nouveaux horizons de développement, qui le mèneront par la suite à se dénommer Medi@bel. Les péripéties de cette époque ont été narrées avec précision par feu l'irremplçable Xavier Mabille dans un CH du CRISP (1). Notre ambition ne sera pas de paraphraser ici cette excellente étude, mais d'en inscrire les éléments marquants en regard de la situation actuelle.


En 1995, la SA IPM est détenue non par un, mais par trois actonnaires. Via la CDM, la famille le Hodey ne détient alors pas un tiers du capital du groupe. Le contrôle de l'éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure-les Sports s'opère via les participations croisées de deux acteurs: la société Quatuor Invest, habilement basée au Luxembourg, et la Financière de l'Avenir, elle aussi inscrite sur les hospitalières terres grand-ducales. A elles deux, ces sociétés possèdent 67,6% d'IPM. Derrière Quatuor Invest se cachent deux actionnaires: l'un, majoritaire, qui n'est autre que… la Financière de l'Avenir. L'autre est le groupe de presse Dupuis (implanté à Uccle, ce dernier est à ne pas confondre avec son homonyme de Marcinelle), qui édite alors notamment le magazine de luxe L'Evénement, et la revue sur la pub et les médias Media Marketing (ainsi que toutes les publications y attenantes).

A y bien regarder, le pilotage du contrôle du groupe IPM est donc alors réalisé par La Financière de l'Avenir, qui dépend elle-même de deux actionnaires: la SA Vers L'avenir, majoritaire, et le groupe de presse français La Voix du Nord, qui n'a pas alors encore été racheté par Rossel (ce ne sera le cas qu'en 1997). A l'époque, la SA Vers L'Avenir est elle-même contrôlée de manière écrasante par l'évêché de Namur et le prélat en place, Mgr Léonard.

En remontant l'ensemble de la filière, il apparaît donc clairement que c'est alors le groupe Vers L'Avenir qui dirige le groupe IPM, tout comme il choisira de se développer en s'engageant dans d'autres activités de presse (et notamment dans l'éphémère quotidien de gauche Le Matin).

UN CAMISOLAGE MAL TOLÉRÉ


Cet contrôle, pour ne pas dire ce camisolage de force, d'un groupe de presse bruxellois, éditant un des titres les plus prestigieux de la presse belge, et d'histoire catholique de surcroît, par une entreprise médiatique provinciale dépendant d'un évêque perdurera jusqu'au début des années 2000.
Il résistera au rachat de La Voix du Nord par Rossel, qui fera ainsi temporairement du groupe bruxellois un co-détenteur d'IPM. Il survivra à la sortie de l'évêché de Namur d'une grande partie du capital de ce qui s'appelle désormais Medi@bel, et qui sera majoritairement détenu à partir de 2009 par des intérêts catholiques flamands, en partie liés au monde de la presse (VUM), le solde étant entre les mains de deux évêchés, dont celui de Luxembourg.


L'ensemble de ces modifications de capital aura contribué à maintenir vivace un des éléments de la piliarisation de la société belge, la propriété du quotidien régional namurois et celle du groupe bruxellois éditant l'illustre Libre Belgique restant contrôlées par des intérêts liés à l'Eglise.

Ce qui est significatif, et intéressant, est que, rapidement, cette configuration n'a pas été appréciée par la CDM, détenue par la famille le Hodey. Celle-ci a intenté à plusieurs reprises des actions judiciaires contre Medi@bel. L'une d'entre elles soutenait qu'il y avait eu des clauses secrètes liant La Voix du Nord et les Editions de L'Avenir, et réclamait qu'elles soient rendues publiques. En juin 1999, la justice donnera raison sur ce point à la CDM.
Mais, comme le notait la revue Médiatiques, publiée alors l'ORM de l'UCL (2), la plus déterminante des action de la CDM aboutit le 3 juillet 2000. Ce jour-là, le tribunal arbitral jugeait recevable et bien fondée la plainte de la CDM contre Medi@bel, et ordonnait à cette dernière de permettre à la CDM de racheter les parts d'IPM que Medi@bel détenait. Et ce à condition que la direction de la CDM agisse avant trois mois. Ce qu'elle s'empressera de faire, contre versement à Medi@bel d'une somme alors évaluée à 240 millions de FB. Suite à ce jugement, La Libre Belgique et La DernièreHeure reviendront donc dans le giron de la famille le Hodey.

Ayant conquis son indépendance face à L'avenir en 2000, IPM, tombée intégralement entre les mains de la famille le Hodey, mettra finalement vingt ans à opérer le retour de balancier qui lui permet désormais d'avoir une totale mainmise sur le groupe namurois…

Frédéric ANTOINE.



(1) 1999/31-32 (n° 1656-1657)
(2) n° 22-23, 2001.

04 juillet 2020

Session de juin: le covid a sauvé des 'vies'

Un peu moins de 10.000 décès en Belgique, plus de 130.000 aux USA et 60.000 au Brésil, plus d'un demi-million dans le monde. Les drames causés par le covid 19 ne cessent d'augmenter.
Il arrive cependant aussi que, grâce au coronavirus, des 'vies' aient été en quelque sorte sauvées. Comparaison n'est pas raison, et la peine des uns ne peut évidemment être comparée à la joie des autres. Mais ce qui s'est passé pendant la session d'examens de juin 2020 n'aurait sans doute jamais eu lieu sans la pandémie.

Tout le monde s'accorde pour le dire: en moyenne, les résultats scolaires de juin 2020 sont meilleurs que ceux des années précédentes. Il y a eu moins d'échecs, et plus de réussites. Dans une proportion relative toutefois: non pas tout le monde, mais davantage de monde, a réussi à sauter l'obstacle. Pour l'école de la réussite, c'est assurément une bonne nouvelle. Surtout que, dans certains cénacles, on avait cru que, devant le désarroi auquel ils avaient été confrontés, beaucoup d'apprenants auraient rencontré des difficultés à réussir leur session. Certains avaient aussi redouté que les modes d'évaluation imposés par la crise n'aient pas été favorables aux éudiant·e·s.
On ne peut pas tout à fait dire que ces appréhensions aient été confirmées par les faits…

MIEUX PRÉPARÉS


A l'échelon de l'enseignement supérieur, les plus optimistes expliquent cette augmentation des taux de réussite par les incontestables progrès réalisés pendant le covid par les éudiant·e·s. Ayant eu davantage de temps pour étudier, ils auraient pu mieux approfondir leur connaissance des matières et ainsi être  fin prêts au moment de l'épreuve. Le fait que certains cours aient vu leur mode d'évaluation modifié, par exemple remplacé par un travail personnel, leur aurait aussi permis de s'approprier le contenu de cours de meilleure manière et de démontrer, voire de révéler, aux professeur·e·s, leurs capacités analytiques, réflexives et interprétatives personnelles. Dans la foulée, des voix se sont fait entendre pour que les institutions scolaires s'interrogent à l'avenir sur leurs critères et modèles d'évaluation, et remettent en cause, renoncent ou minimisent, la part qui y est réservée à la restitution des acquis de connaissances, ceux-ci ayant parfois, en temps normal, une fâcheuse propension à pénétrer par une oreille des apprenants à la veille d'un examen pour en ressortir aussitôt par l'autre, celui-ci terminé…
De grands chantiers prometteurs s'annoncent donc!

Assurément, une partie des 'vies sauvées' lors des examens de juin est liée à la ténacité des éudiant·e·s, voire à leur opiniâtreté, à tenir tête aux circonstances et à se surpasser pour réussir, malgré tout, une année pas comme les autres. Mais on ne peut pas se voiler la face et n'expliquer cette bonne nouvelle que  de cette manière positive. Pour les examens écrits (ne parlons pas des oraux, qui constituent un autre cs intéressant), la hausse des réussites n'est pas seulement due aux opportunités d'étude fournies par la crise du covid. Les conditions dans lesquelles les examens 'traditionnels' écrits se sont réalisés n'ont pas, elles non plus, été étrangères aux taux de réussite rencontrés.

SANS SURVEILLANCE

Réalisés en distanciel et non en auditoire, les examens écrits se déroulant sous forme traditionnelle ont placé les éudiant·e·s dans des configurations exceptionnelles. En auditoire, la première chose qui est demandée aux candidats est de déposer toutes leurs affaires loin d'eux, hormis de quoi écrire et éventuellement de se désaltérer. Des dispositifs de distanciation entre éudiant·e·s sont organisés, faisant en sorte de les dissuader de porter un regard involontaire sur la copie de leur voisin·e. Le silence est de rigueur. Les assistants passent entre les rangées pour s'assurer que l'un ou l'autre petit papier, ou un téléphone, tombé à terre, n'a pas été malencontreusement ramassé. Les seuls ouvrages autorisés sont souvent des dictionnaires de langue, un code (sans annotation), ou une calculette (sans mémoire permettant de stocker des informations). Aucun participant n'est autorisé à remettre sa copie avant un certain nombre de minutes, et les retardataires ne sont acceptés à entrer que pendant un laps de temps limité, afin que les énoncés des questions ne circulent pas inopinément en dehors des auditoires dès le début de l'examen. Enfin, lors de la remise de sa copie, l'étudiant·e est invité·e à présenter sa carte d'identification académique, afin que son identité soit vérifiée.

Bien difficile, évidemment, d'appliquer tout cela lors d'examens à distance, réalisés chacun chez soi. Et ce d'autant que, à juste titre, étudiant·e·s et associations représentatives ont crié au viol de la vie privée face aux tentatives de certaines institutions d'imposer à domicile, domaine du privé par excellence, des mesures qui s'inspiraient un tant soit peu de ce qui se déroulait en public en auditoire (en recourant en l'occurrence cette fois au contrôle par caméra, à la prise de photographies, à l'enregistrement visuel de la carte d'étudiant, etc…).

INSPIRATIONS

Sans dévoiler la couronne, il semble que l'on peut au moins dire que, dans plusieurs jurys d'examen, on a évoqué cette année l'un ou l'autre cas ponctuel de "tricherie" à l'écrit. Ceux-ci ont été un peu plus nombreux que d'habitude. Mais pas dans des proportions impressionnantes. Difficile, en effet, d'identifier avec précision ce qui se passe à distance à partir du moment où le correcteur ne se trouve pas devant une reproduction flagrante d'un même contenu sur plusieurs copies. Et ce d'autant que rien ne peut prouver la source de cette similitude, hormis si celle-ci est une pure reproduction d'un énoncé trouvé sur internet (ce qui, semble-t-il, a parfois été le cas). La question devient, de plus, totalement incontrôlable lorsque l'on a affaire à des examens de type QCM où même l'éventuel choix majoritaire d'une réponse erronée n'a pas de signification en soi (on n'est tout de même pas au Grand concours des animateurs de TF1…).

Bon nombre d'enseignants ayant pratiqué des examens écrits à questions ouvertes seront d'accord pour estimer qu'un 'certain esprit' a soufflé sur le déroulement de plusieurs épreuves en ligne. S'est-il propagé par télépathie, téléphonie, visiophonie, ou via d'autres modes de médiation? Impossible de le savoir. Tout au plus certain·e·s ont-ils pu relever dans les copies virtuelles des concordances de réponses, des formulations un peu trop identiques,  qui ne se retrouvent pas d'ordinaire avec la même fréquence lors d'examens en présentiel. Parfois, l'inspiration tombée du ciel a été plus flagrante. Par exemple quand, à un examen où chaque question comprenait plusieurs variantes que le logiciel distribuait aléatoirement entre les questionnaires, un étudiant en est venu à fournir une réponse qui ne correspondait pas à la question qui lui avait été spécifiquement posée, mais à une autre de ses variantes. Ou lorsque, au sein d'une réponse, un participant avait inclus une donnée quantitative (du type production totale de cacahuètes en Ouzbekistan en 2014) de ma manière tellement précise que, sauf par miracle, seul un éléphant drillé côté mémoire eût été susceptible de la retenir de manière aussi détaillée…
Mais, en temps de covid, n'est-il pas parfois bon de croire au miracle?

Ces étonnements passés, on en viendrait presque à plaindre les quelques malheureux qui n'ont pas exploité les inspirations qui les ont touchées avec la finesse requise pour passer entre les mailles des filets des éventuel·le·s inquisiteurs et inquisitrices. Comme l'a écrit Victor Hugo, Ô combien de marins, combien de capitaines. Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont évanouis ! Combien ont disparu, dure et triste fortune !

SUR L'HONNEUR

"Pourquoi ne part-on pas du principe qu'il faut faire confiance aux étudiants?", a-t-on aussi entendu dire de divers bords avant et pendant la session. Certaines universités et écoles supérieures, qui étaient parties sur ce principe, en sont quelque peu revenues. Pour un peu cadrer la chose, des enseignants avaient parfois aussi fait signer aux étudiant·e·s une "déclaration sur l'honneur" où le/la candidat·e s'engageait à ne pas consulter ou avoir recours à des sources extérieures pendant la durée de l'examen en ligne. De manière quasi unanime, les participant·e·s à ce type d'épreuve s'y sont engagé·e·s. Mais sans doute le sens des mots 'sur l'honneur' n'est-il pas universellement compris. Et comme il était interdit de chercher le sens de celui-ci sur internet pendant l'examen, peut-être a-t-il simplement échappé à certains participants.

Ces derniers jours, des médias se sont aussi fait écho de situations plus inimaginables encore. Dès que les modes d'évaluation à distance avaient été connus, des bourses en ligne auraient été ouvertes afin de recruter des 'remplaçants' prêts à prendre, contre menue rémunération, la place de certain·e·s étudiant·e·s ne se sentant pas assez préparés pour réussir l'épreuve. Des étudiants d'années supérieures, voire d'anciens étudiants, auraient été sollicités et, de facto, des examens auraient été passés par procuration. Derrière l'invisibilité de la toile, impossible de le vérifier, ni dans un sens ni dans l'autre. Mais si pareils appels ont bien circulé en ligne, ne serait-il pas du devoir des universités et des écoles concernées de porter plainte contre x, et de réclamer enquête aux autorités compétentes, comme la Federal Computer Crime Unit?

Pire, il se dit même que des parents auraient eux-mêmes été solliciter d'anciens professeurs de secondaire de leurs enfants pour leur demander de remplir ce rôle de remplaçant temporaire. Certains ont-ils cédé à ces stridentes sirènes? Sur ce dossier, l'omerta ne planerait-elle que sur Palerme?

REBELOTE

Afin d'avoir le cœur net, le véritable test aura-t-il lieu lors de la session d'août-septembre?
Certaines institutions ont choisi à ce moment de revenir autant que possible au présentiel, qui devrait aplanir les éventuelles équivoques de la session de juin. Mais est-il juste de ne pas donner aux étudiants présentant en août les mêmes conditions (pour ne pas dire les mêmes 'chances') que lors de la première session? Déjà, les étudiants de première année d'enseignement supérieur, qui pouvaient repasser en juin des examens ratés en janvier, s'étaient plaints de ne pas disposer alors des mêmes conditions que lors de leur premier passage, certains enseignants ayant modifié leurs modalités d'examen ou leur type de questions, afin d'y rendre en juin les 'réponses collectives' un petit peu moins aisées…

L'adaptation des questions aux nouvelles configurations semble, dans certains cas, avoir été le mode de réponse le plus adéquat au changement de conditions de l'épreuve que constitue un examen. Même si cela n'a pas toujours plu aux personnes concernées, le 'bouche à oreille' virtuel tant pratiqué à l'heure actuelle ayant davantage l'habitude de recommander la manière d'étudier une matière sur base de la manière dont celle-ci avait précédemment été évaluée que d'anticiper ce vers quoi une nouvelle évaluation pourrait s'orienter…

Quoi qu'il en soit, les comparaisons de taux réussite entre juin et septembre seront difficiles à établir. Restera ensuite à déterminer qui sera le grand gagnant de cette année coronavirus. Les résultats seront peut-être étonnants.

"Dans quelques années, lorsque je consulterai un kiné, je commencerai par lui demander la date de la fin de ses études", disait en boutade il y a peu quelqu'un prenant part à une conversation. Devra-t-on l'avenir poser la même question à son ingénieur·e des ponts et chaussées, son/sa chirurgien·ne, son infirmier·e, son avocat·e ou son/sa communicat·eur·rice préféré·e? "Pour toutes les matières qui ne sont pas au cœur de la formation, tout cela n'est pas très grave", entend-on parfois dire en réponse. Oui, mais pour les autres?

Frédéric ANTOINE.




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