01 septembre 2025

LN24 : où sont passées Les News ?


Depuis ce 1er septembre, LN 24 n'a plus de "news" que dans son nom. Le pari de transformer la chaîne d'info en une énième généraliste casse totalement son image de marque, pour la reléguer, en grande partie, à celle d'une chaîne de rediffusions de tout et de rien. De quoi sauver le soldat LN24 ? Rien n'est moins sûr.

Qui n'en avait rêvé ? Doter la minuscule Communauté française de Belgique d'une "vrai" chaîne all-news, tous les journalistes, en tout cas, n'attendaient que cela. Et peut-être aussi une petite petite partie de l'erratique public de la tv de ce petit territoire sous protectorat télévisuel français. Et voilà que ce qui était inimaginable devenait réalité. Deux extraterrestres de la planète médias (en tout cas, on les considérait alors comme tels), annonçaient en octobre 2018 que, un an plus tard, ils allaient lancer la première chaîne d'info tv propre au Sud de la Belgique. Du jamais vu en télévision et (presque) en radio, si on oublie ce temps révolu où avait existé une version belge de BFM radio (1). Joan Condijts et Martin Buxant avaient la tête dans les étoiles, et Boris Portnoy était prêt à transformer leur folie en réalité.

On l'a dit et redit lors du lancement de la chaîne, le 2 septembre 2019 : le projet était plus que risqué. Ce n'était pas sans raison que personne, jusque là, n'avait eu l'audace de relever pareil pari. 
À  commencer par RTL et Rossel, poids lourds des médias privés en Belgique francophone. Ce à quoi il faut ajouter que l'expérience préalablement menée côté flamand avait capoté. Alors que le public était là plus large et, surtout, plus fortuné, donc davantage une bonne cible pour les publicitaires.

HORS DE PRIX 

Et voilà que deux farfelus plongeaient dans l'aventure. Avec véritablement la conviction de voir la gageure réussir, ou l'intention de d'abord se faire plaisir et se donner une visibilité certaine ? Seule l'histoire le dira peut-être un jour. Toujours est-il qu'ils n'étaient pas seuls dans une aventure qui a cruellement révélé qu'elle manquait de moyens. Surtout que, en tout cas à ses débuts, LN24 refusait l'idée d'être une chaîne "show-chaises", comme disent les Québécois, c'est à dire peuplée de talk-shows et de débats filmés dans un studio. L'ambition était bien plus grande. On pourrait dire démesurée. Et il n'a pas fallu longtemps pour s'en rendre compte, quand la chaîne de news n'a pas réussi à couvrir en direct certains grands événements demandant de nombreux facecam en extérieur, des journalistes rodés à l'exercice et des connexions de qualité. 

LN24 a rapidement renoncé à ses trop grandes ambitions et a, largement, viré au "show-chaises", tout en confirmant son statut de chaîne d'info… qui avait même fini par faire peur aux traditionnels praticiens du journalisme télévisé publics ou privés, LN24 s'évertuant à faire de l'info à des heures où ni la RTBF ni RTL TVI n'en faisaient plus. Il n'a pas fallu longtemps pour que les patrons de LN24 se rendent compte que le modèle économique prévu était intenable, et qu'il fallait rationaliser tout en augmentant le (petit) capital. On peut dire qu'à partir de ce moment, la station a un peu été de Charyble en Scylla et de repêchage en repêchage, les fondateurs fuyant le navire les uns après les autres, ce qui n'aidait ni la cohérence du projet, ni ne garantissait une bonne continuité de gestion. Il fallait du courage et de la conviction pour s'accrocher à cette barque chahutée dans les tempêtes du monde médiatique.

LA VENUE DU SAUVEUR 

Quand IPM, qui était alors dans une époque d'ambitions et avait la volonté de créer un "vrai" groupe multimédias, a annoncé qu'elle allait racheter une grande partie du capital, faire déménager la chaîne dans ses locaux et lui donner un nouveau projet, on l'a cru sauvée. L'arrimage à un grand groupe de presse n'est-il pas la recette recommandée partout lorsqu'il s'agit d'assurer l'avenir d'un média solitaire, devant à lui seul assurer toutes les tâches ?  Les premiers mois chez IPM n'ont pas manqué d'enthousiasme. Sous la houlette d'un philosophe-professionnel de la programmation télévisuelle, qui en devient directeur début 2022, l'heure est au grands projets et aux vastes ambitions, que ce soit pour la chaîne ou pour sa version en ligne, qui doit en être la tête de pont pour le public moins âgé. Il y avait un vrai projet, audacieux, avec de nouvelles émissions qui auraient dû faire le buzz, mais n'ont pas eu le succès escompté. Ce plan aurait pu sans doute aboutir dans une entreprise aux reins solides, qui aurait donné à la chaîne le temps de s'installer et de conquérir petit à petit un public tout en se développant sur les nouveaux médias. Mais les propriétaires n'en avaient pas les moyens. Fin 2023, finis les grands projets. La direction de la chaîne reviendra à l'intérieur de l'entreprise, et la voilure sera amplement ramenée, tout ce qui était en lien avec les médias en ligne étant notamment supprimé. Mais ceux qui travaillent à LN24 y croiront toujours, remodelant la grille d'année en année, ouvrant entre autres de larges plages de l'antenne à la diffusion de vieux documentaires des télévisions françaises (qui, paradoxalement, feront de bonnes audiences).

LA MESSE EST DITE 

L'an dernier, le pari de réaliser des avant-soirées et des soirées centrées sur l'actualité avait été lancé par les derniers rescapés de LN24, qui ont tenu la barre tant qu'ils ont pu. Les rediffusions de certaines de ces émissions, qui a occupé la chaîne tout cet été, démontrent qu'un beau travail a été réalisé. Mais, une nouvelle fois, sans que les objectifs soient remplis et l'équilibre financier en vue.

Depuis quelques mois, et le naufrage des médias "papier" du groupe IPM repêchés par Rossel, la messe de LN24 (qui reste chez IPM) semblait dite. Mais imaginait-on qu'une chaîne qui s'est bâtie sur le traitement de l'info deviendrait une sorte de sous-chaîne généraliste, sans plus le moindre journal télévisé, et où ne subsisteraient que quelques émissions de plateau, plutôt de type talk-show à chroniqueurs, et quelques programmes spécialisés.

La comparaison entre la grille des programmes de septembre 2024 et de septembre 2025 parle d'elle-même : où sont les news, sinon dans le titre et… dans la diffusion télé du morning live de LNRadio ? 

 

Tous les "nouveaux" programmes (ou les rediffusions de shows et de jeux français) ne sont pas encore là, et hormis l'arrivée de la version belge d'une émission dont Eric Dupont-Moretti était la vedette en France, d'autres surprises sont annoncées. Mais, semble-t-il, soit elles seront de l'ordre de l'infotainment, soit plus vraiment du ressort de l'info au sens strict. Plus de JT, plus de news, plus de journalistes, juste des chroniqueurs et des apports du personnel d'IPM, cela permet sûrement de réduire les dépenses, tout en misant (comme d'autres acteurs médiatiques soutenus par la majorité à la FWB) sur le pactole supposé des diffusions de compétitions sportives et des magazines sportifs y attenant.

LN24 sans Les News, est-ce la bonne formule ? C'est sans doute la dernière possible, avant l'écran noir. Le public de l'info était difficile à conquérir. Soit. Mais quid du "grand public" qui regarde déjà certains de ces talks ou documentaires sur les télévisions françaises, et sont déjà abreuvés de rediffusions tant sur les chaînes de la RTBF que celles du groupe RTL, sans parler bien sûr de AB3 ou des sous-chaînes françaises accessibles sur toutes les plateformes.

Créer une nouvelle chaîne qui n'a rien (ou presque) pour se distinguer des autres à un moment où bien des augures annoncent la fin prochaine de la télévision généraliste mérite un certain courage. Celles et ceux qui ont relevé le mât écorché de LN24 n'en manquent sûrement pas. Mais pourront-ils cette fois mener leur navire à bon port, et jusqu'à quand leur armateur leur laissera-t-il la bride sur le cou ? 

Frédéric ANTOINE. 

(1)  Décrochage belge de BFM France à partir d’octobre 1994, puis mise à l’antenne sur Bruxelles en 1995 (107.6 MHz), avant extension en Wallonie. Arrêt : 14 août 2008.

 

 

08 juillet 2025

Les adieux de Léa : c'était écrit

(image réalisée par IA)
 
Le 3 juillet dernier, Léa Salamé faisait ses adieux à la matinale de France Inter. Une séquence "émotion" dont la sincérité a profondément touché bien des auditeurs, ainsi que les réseaux sociaux. Ce moment-clé ne s'est cependant pas déroulé dans l'improvisation. Les larmes n'étaient pas dues au hasard. C'était écrit.

Le grand art de la radio est qu'elle évoque le monde sans le montrer. Puisqu'elle ne représente pas ce dont elle parle, chacun peut se l'imaginer en toute liberté. « La force de la radio, c'est qu'elle n'a pas d'images », a affirmé le "journaliste, écrivain, animateur de radio et dirigeant de télévision français" (1) Michel Field, paraphrasant de manière populaire les réflexions de plusieurs chercheurs, à commencer par Pierre Schaeffer qui écrivait dans Propos sur la coquille que la radio « délivre de la vue, organe de la description extérieure », pour mieux « dé­masquer la forme sonore ». Même à l'heure de la radiovision, l'essentiel de la magie radiophonique disparaît ainsi lorsque l'image impose sur sa suprématie sur le son. 

Les adieux de Léa Salamé à la Matinale de France Inter en constituent un exemple. À l'écoute, le moment du “grand départ” de la journaliste représente une séquence sonore à l’émotion rarement égalée. Si l’essentiel de ces presque 5’30 est constitué par un “discours” de la partante, l’ouverture et la fermeture de la séquence proposent des moments où les deux personnages se parlent, où il y a des esquisses de dialogue, avec des serrements du cœur allant crescendo. Jusqu’à ce que, à la fin, l’interlocuteur de Léa termine, selon les dires des médias, par la formule : « Je préfère m’arrêter là. »… Alors que, en réalité, il ne s’arrête pas là mais dit exactement : «  Je préfère m’arrêter là et juste te dire à quel point tu vas me… tu vas me manquer. Ça va être, ça va être dur. Allez on reprend notre souffle… ».

On imagine les deux animateurs de cette tranche matinale à grande écoute se parlant de cœur à cœur, tout en se regardant les yeux dans les yeux, cherchant parfois leurs mots. Même au cours de ce qu'on appellera "le discours" de Léa Salamé, car comment définir autrement le long billet d’adieu qu’elle prononce alors en monologue, son complice essayant vainement d’y intercaler l’un ou l’autre mot ? 

LES NOTES DANS LES YEUX, version courte

Et puis, on regarde les images de ce moment-émotion inoubliable. Et que voit-on sur la version courte mise en ligne par France Inter (2) trouvable aussi sur Youtube ? Que Léa Salamé et Nicolas Demorand n’ont quasiment jamais de regard l’un pour l’autre. L’essentiel du temps de cette petite séquence, ils sont tous les deux penchés sur leurs notes. Leurs yeux ne se portent pas ailleurs. Par timidité ou crainte de craquer ? Ou, plus simplement, parce que les mots qu’ils prononcent à l’antenne ont été écrits de A à Z et n’ont rien d’une improvisation où se livreraient les âmes. Dans cette courte séquence, il n'y a que le dernier moment de l'animateur qui déroge à cette règle.

 LES NOTES DANS LES YEUX, version longue

Dans la version longue diffusée sur le TikTok de France Inter (2), et qui dure 5’21, les attitudes sont en grande partie semblables. Avant le début du propos introductif (écrit) de N. Demorand, Léa Salamé le regarde un bref instant : elle l'écoute. Ensuite, le présentateur développe son intro, le nez dans ses notes. Il lève un fois le regard en direction de la caméra du studio qui lui fait face et lui permet de parler à l'auditeur-spectateur, puis retourne à ses notes et tourne la tête vers Léa à la fin de son propos.

La « partante » enchaîne ensuite en entamant la lecture de son texte. Au début, elle s'adressera à son “comparse” en le tutoyant, et, à ce moment, jettera un regard vers lui. Elle suivra ensuite son texte à la lettre, levant de temps à autre la tête vers une caméra de studio qui doit être en face d'elle (mais qui n'est pas celle avec laquelle est effectuée la prise d'image), et parfois vers la caméra qui filme la scène, dans une tentative d'établir le contact avec l'auditeur-spectateur.  
 
 
 À  quelques rares reprises, elle jette un coup d'œil vers N. Demorand tout en poursuivant sa lecture. Lorsque, dans le texte, il est prévu qu'elle s'adresse à lui, elle tourne son regard. C'est alors que N. Demorand tente d'entrer dans le jeu et prononce un ou deux mots qui répètent ± les propos de son interlocutrice. 
Elle aura la même attitude lorsque, dans son texte, il est prévu qu'elle s'adresse à l'équipe de la Matinale, aux journalistes ou aux techniciens.  
 

C’ÉTAIT ÉCRIT

 
L'observation de l'ensemble de la séquence entière ne donne donc pas totalement la même impression que celle du montage court réalisé par France Inter. Mais il faut dire que ce dernier ne comprend aucun élément de tout le centre du discours, et se concentre sur les éléments émotionnels figurant essentiellement en finale. Toutefois, toutes ces images montrent ce qu'est finalement réellement la radio (et que la radio elle-même ne montre pas) : qu'elle est un média où, la plupart du temps, rien n'est improvisé mais prévu, écrit à l'avance jusque dans les moindres détails. En ce et y compris les expressions d'émotion où l'impression que, étreint par le moment, on en « reste là » alors qu'on aurait sûrement encore beaucoup à dire… 
Une préparation professionnelle que révèle très bien le montage vidéo court de France Inter, comprenant notamment des images sous-titrées par ses propos où Léa Salamé rédige son texte, et des moments où, autour de la photocopieuse, sous l'œil d'un photographe, où elle et Nicolas Demorand annoncent qu'ils vont pleurer lors du direct. Ce qui ne semble toutefois pas s'être vraiment produit.
Inspirer l'émotion : l'absence d'image permet assurément à la radio de le proposer non seulement par le propos tenu, mais aussi par la parole, le phrasé utilisé, la tonalité de la voix, ses hésitations. Et, rarement, par le dialogue. Car lui aussi doit avoir été pré-écrit. Comme dans tout déroulé classique d'une émission, où rien n'est jamais improvisé.

JUSTE DE LA RADIO ?
 
Le décalage interpellant ressenti dans cet exemple récent est celui qui sépare ce qu'il s'est réellement passé en studio, et qui a pu être émouvant à certains moments, comme l'atteste le montage court réalisé par France Inter, et la représentation à distance de ce vécu par l'auditeur. Qui, dans certains cas, a été tellement touché ensuite qu'il a souhaité partager l'émotion qu'il avait lui-même ressentie en postant sur des réseaux sociaux des extraits… vidéo de l'événement. Extraits qui attestent que, en finale, ce moment exceptionnel était surtout une séquence de radio, conçue selon les canons de la radio (un peu) filmée, dans le cadre d'une émission de radio répondant à toutes les conventions classiques du genre. Y compris celui concernant la production (ou la restitution) d'émotion.
 
TOO MUCH ? 
 
Car, en définitive, ce terrible moment radiophonique doit être relativisé : ce ne sont pas là des adieux à jamais. La journaliste n'est pas porteuse d'une maladie grave qui l'empêche de travailler, elle ne part ni en Patagonie ni ne se retire du monde pour entrer dans un monastère. Non, gravissant un échelon de plus de son irrésistible carrière, elle passe simplement de l'info radio du matin à la présentation du jt du soir… tout en restant animatrice d'un talk-show qu'on aurait peut-être quelques difficultés à classer comme relevant du parfait exercice de journalisme. Mais cela, c'est sûrement une autre histoire…
 
Frédéric ANTOINE 

(1)   source: Wikipédia…

(2) https://www.facebook.com/watch/?v=1510547403657906, https://www.youtube.com/watch?v=O9FbqlyWqG0

(3)  https://www.tiktok.com/@france.inter/video/7522822428674755862


 

 


26 juin 2025

Presse locale : Et si la vraie question était la valeur de l’information

Les justifications de l’absorption du pôle presse d’IPM par Rossel mettent de côté une raison essentielle : celle de la perte de la valeur réelle de l’information produite par les médias dans une société où, à cause de l’horizontalité des réseaux sociaux, celle-ci semble être devenue un simple bien commun que tout le monde peut piller sans vergogne.

 
Petit cas d’école vécu : ce soir-là, dans le ciel de ce village, les habitants voient longuement tournoyer hélicoptère et drone, visiblement à la recherche de quelque chose (ou de quelqu’un). Sur le Facebook des habitants de la localité, des internautes placardent immédiatement des messages où ils demandent à leurs “amis” s’ils connaissent la raison de ce remue-ménage. Pas de réponses. Jusqu’au lendemain matin où, sur le même Facebook, on voit fleurir des captures d’écran d’un article de L’Avenir, avec titre, photo, et chapeau du texte, donnant la réponse aux interrogations de la veille, y compris sur le fait que les recherches en question n’ont pas abouti. Un des “amis” qui poste pareil message illustré l’accompagne même d’un petit commentaire qui semple personnel, mais qui est, en fait, pléonastique, car il y répète, mais comme si cela venait de lui, que ces recherches n’ont rien donné.

Le Facebook du village estimera avoir rempli son rôle de média de proximité. Il a informé les membres de la communauté à propos d’un événement local. Mais il l’a fait en s’appropriant un contenu produit par un média professionnel, reproduit sans autre forme de procès sur le réseau social. Et, il y a plus que de fortes chances de le penser, sans que la moindre autorisation (ou la moindre demande de paiement de droits) ait été adressée dans la nuit à la rédaction de L’Avenir.

MÉDIAS-CITOYENS ?

Quelques-unes des réactions bien inspirées lues à la suite de l’annonce de l’absorption des titres d’IPM par Rossel affirmaient qu’il ne fallait pas s’étonner que L’Avenir soit mangé par Sud-Info, puisque, aujourd’hui, plus personne ne s’informe via la presse, mais via les réseaux sociaux. Et en particulier les jeunes générations, nourries par des algorithmes qui ne les abreuvent que de contenus de même nature. Certes, il n’y a plus désormais un hameau, un petit village, sans page Facebook ou Instagram, pour la plupart non pas conçues et animées par les autorités locales (car cela ne pourrait bien sûr être que de la propagande), mais par ces fameux simples citoyens qui, pour des raisons fort diverses, se sont accaparé le rôle d’informateurs locaux et ont créé ce qu’ils considèrent être des nouveaux « médias locaux ». Des vrais, des purs, des durs, pas des qui dépendent de la finance et des groupes de presse dont il faut évidemment se méfier, ni des qui sont associés à ces « grands » médias à coloration forcément politique que sont, par exemple, les “médias de proximité”…

Mais, évidemment, pour nourrir ces médias immaculés, auréolés du cachet de “médias-citoyens”, genre "T'es un vrai 
Houte-Si-Ploutois si…", quand il ne s’agit pas d’y poster des annonces de brocantes, de fêtes de quartier ou des propositions de ventes d’un vêtement ou d’un meuble, certains s’appliquent à nourrir la bête… avec le contenu de ces fameux médias abhorrés. Car, quoi qu’on en dise, les citoyens lambda n’en sauront jamais sur un fait ou une actualité locale autant que les journalistes, correspondants, chroniqueurs et autres informateurs des “médias professionnels”. Ceux qui ont leurs sources ou possèdent les moyens, les réseaux, les méthodes et les techniques pour trouver les infos, et ne se contentent pas toujours de produire des articles en assistant aux séances du conseil communal ou aux réunions officielles et aux inaugurations de chrysanthèmes. (1)

NOURRIR MOLOCH

Tout comme « Dieu a besoin des hommes », titre d’un jadis célèbre film de Jean Delannoy (1950), les « médias-citoyens » des années 2020 ont vachement besoin des infos des médias classiques pour ne pas être que des nombrilistes chambres de résonance des identités locales. Sauf que, pour cela, ils font leurs, sans demander leur reste, le travail, la sueur, l sang et les larmes des vrais professionnels des médias. De ceux qui bossent, triment et souvent se donnent sans compter pour débusquer cette fameuse info qu’on ne voit pas en se postant simplement sur le pas de sa porte.

Le moloch des « médias locaux citoyens » ne se nourrit pas d’enfants, comme celui de la Bible, mais plus simplement du travail des autres. Un travail qui coûte à produire et dont le produit doit donc être vendu, en tout cas s’il est réalisé dans le cadre d’une entreprise à caractère privé… 

L’INFO = BIEN PUBLIC ?

Les réseaux sociaux en particulier et, de manière plus générale, la tendance au fonctionnement par horizontalité et au réseautage qui caractérise le monde actuel, ont transformé le concept de « l’information est un bien public » en une divinité intouchable. Certes, pour la chercheuse française Julia Cagé (1), « le point central est de considérer l'information politique et générale comme un bien public, faisant partie du secteur de l'économie de la connaissance au même titre que l'école, les cinémas, les bibliothèques, les musées ».

Mais l’information, une fois produite et diffusée par un média, est-elle toujours un bien aussi commun ? Par nature, « la nouvelle » appartient à tous. Mais en est-il de même dans le cas d'une « nouvelle » recherchée, traquée, traitée, mise en forme et divulguée par des journalistes ? Parce que c’est une information, tout le monde peut-il la faire sienne et se l’accaparer gratuitement, sans coup férir et sans possibilité de réaction de la part de celles et ceux qui ont contribué à sa production ?

RÉAGIR OU MOURIR ?

Que fait la presse régionale, qui est en train de mourir sous les coups que lui font subir à longueur de journée les posts sur les réseaux diffusant ses contenus largement et gratuitement (voire avec des retours publicitaires pour ceux qui gèrent ces réseaux) ? Rien. Elle semble laisser faire, alors que, pour protéger ses droits, elle aurait au contraire d’abord dû se doter de services chargés de faire la chasse à ces usages non contractuels, au nom du respect du boulot accompli par des professionnels de l’information. Si les réseaux locaux devaient payer pour relayer du contenu produit par des médias classiques, et que ceux-ci renâclaient à le faire, les infos qui sont diffusées sur ces pages perdraient inévitablement en intérêt et popularité. Elle aurait pu aussi gérer elle-même sa présence sur les réseaux sociaux, faire de l'entrisme dans ces médias-citoyens en y postant des contenus qu'elle aurait contrôlés et qui auraient incité les lecteurs à, ensuite, se rendre sur ses propres médias en ligne. Mais les réseaux sociaux locaux, pour la presse régionale, cela semble plutôt être une terra in-cognita

Jadis, on s’informait via son journal régional ou local, que l’on achetait ou auquel on était surtout abonné sans discuter, parce que l’on savait qu’il était le seul moyen de tout savoir de ce qui se passait, s’était passé et allait se passer près de chez soi. Bref d’être au monde, de vivre dans son monde, et d’avoir du lien social avec lui.

Aujourd’hui, on croit qu’en consultant les pages Facebook créées dans les villages par l’une ou l’autre personne (ou influenceur/euse ?), et notamment nourries du contenu des médias “professionnels”, on aboutit au même résultat, mais sans bourse délier.

Mais, pour les médias-pro, n'est-il pas beaucoup trop tard pour réagir? Et n'est-il pas plus simple, pour les propriétaires, de rationaliser, fusionner, et licencier?

Frédéric ANTOINE.

(1) Hélas, je sais qu'il peut y avoir des exceptions à la règle de la description idéale faite ici, et que ceci explique peut-être en partie cela.

(2) Julia CAGÉ, Benoît HUET, L’information est un bien public, refonder la propriété des médias, Paris, Seuil, 2021.


L'Avenir de L'Avenir ?

Dessin hélas réalisé en urgence par IA sur base d'éléments demandés par l'auteur du texte, et non image fournie par un dessinateur de presse professionnel


(Le contenu ci-après a été posté sur les réseaux sociaux le 23/06/2025, jour de l'annonce de la fusion Rossel-IPM. Il est suivi de la réponse fournie le 25/06 à un commentaire rédigé sur Linkedin à la suite du post en question).

 

L’avenir de L’avenir tient il encore à un fil? Le communiqué d’annonce de l’absorption d’IPM presse par Rossel confirme que la messe est dite pour le quotidien namurois jadis si proche des trônes et des autels : son insertion avec Sud-info dans une structure commune signe la fin de l’autonomie du titre, qui devra sans doute se soumettre à la loi de son concurrent, hydre à plusieurs têtes, différentes selon les régions.


Le plus incroyable de l’affaire est que l’on va sans doute sacrifier sur un autre autel, celui de la rentabilité économique, le titre le + vendu en Belgique francophone en 2024, dépassant Le Soir de près de 3000 ventes et son « ennemi » Sud-info de près de 10.000 exemplaires. Ce champion des ventes est en effet jugé non rentable par les deux groupes de presse qui ont conclu l’opération. Non rentable avec 62.000 exemplaires vendus par jour, dont près de 50.000 en papier ou en abonnement papier certains jours seulement, et le reste en digital.


A-t-on estimé la « rentabilité sociale » de L’avenir, la valeur du rôle qu’il joue dans les campagnes, les villages et les petites bourgades dont il est le héraut depuis la fin de la Première Guerre Mondiale?


Le célèbre professeur de presse écrite de l’UCL qui fut mon mentor et consacra pas moins que sa thèse au journal namurois, avait coutume de dire que les titres de Sudpresse produisaient de la « fausse locale », c’est à dire que la production d’info locale n’était pas le vrai but premier de ces titres, mais bien un prétexte, un attrape-mouches, pour gaver le lecteur d’info géné, de faits divers et de scandales. C’est à dire pas tout à fait la même tasse de thé que L’avenir, dont le localisme était l’ADN, la raison de vivre, même si le titre se revendiquait être un « vrai journal » dans lequel le local n’occupe « que » le deuxième cahier.


L’absorption d’IPM, qui ne donnait pas l’impression d’être un tel oiseau pour le chat, conduira-t-elle à l’homogénéisation du marché de la presse régionale sous l’égide d’un seul titre peu garanti de succès là il n’était pas bien implanté? Ou à un partage strict des zones de diffusion en fonction des endroits où L’avenir ou son concurrent étaient les plus appréciés ? On imagine en tout cas que journalistes de L’avenir et de Sud info vont devoir se résoudre à ne plus faire qu’un. Au risque de voir dépérir toutes les nouvelles sur la vie locale produites par des professionnels de qualité, loin des ragots, cancans et fake News que l’on trouve sur bien des médias sociaux non-professionnels jaillis en tous sens dans les hameaux et les villages.


On croyait que le XXIe siècle serait celui de la diversité. Il risque d’être celui de l’homogénéisation des contenus médiatiques. Jusqu’à ce qu’on trouve plus simple de les commander directement à l’IA. Ce qui assurera en tout cas à ces médias une rentabilité inégalée.


(Ceci est une réaction à chaud. Des commentaires plus argumentés viendront prochainement)

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Réponse à un commentaire posté sur Linkedin à la suite du texte ci-dessus :

Jusqu’à il y a peu, IPM se concevait comme le pendant de Rossel, cherchant à bâtir un groupe multimédia solide et cohérent, profil que le rachat de L’Avenir devait contribuer à édifier du coté PQR et magazines, tout comme l’acquisition de médias audiovisuels LN24 et Fun radio. 

Tout cela vient de s’effondrer comme un château de cartes, la grenouille ayant voulu se faire plus forte que le bœuf. Est-ce donc vraiment une « sortie par le haut », ou une opération sauve qui peut? 

Je ne suis pas sûr non plus que, au delà des discours rassurants et des déclarations de circonstances, cela ait été profondément pensé. 

Je pense enfin que, quand on parle d’information, la rationalité économique ne peut pas  être seule à être convoquée. L’information n’est pas un bien comme les autres et le rôle sociétal des entreprises de presse ne peut être comparé à celui des entreprises classiques. Il y a quelque chose du « sacerdoce » dans l’exercice de la mission d’un média d’information, même propriété d’actionnaires privés. Est-ce à ce titre que Rossel « accueille » en son sein les médias écrits de IPM ? Il y a sans doute un peu de cela. Mais la situation permet surtout à Rossel de finaliser un vieux fantasme, celui d’être en stand-alone sur le marché francophone belge.

 

02 juin 2025

Médias belges francophone : une inexorable peau de chagrin (2e partie)

Dans la presse écrite régionale aussi, la réduction du nombre de médias est aujourd'hui à l'ordre du jour, alors que les bruits de rapprochements entre les deux derniers éditeurs de quotidiens se font plus pressants. Le petit paysage médiatique de Belgique francophone se réduit vraiment comme une peau de chagrin.

L'article Médias belges francophone : une inexorable peau de chagrin (1ere partie), publié le 1er juin sur ce blog, commençait par ces phrases : « La Belgique francophone ? C'est grand comme un Land allemand. Et, voyez-vous, dans un Land allemand, il n'y a qu'un seul journal quotidien. Comparez avec le sud de la Belgique. Il est évident qu'il y a chez nous économiquement trop de médias ! » 

Plus encore que pour les télévisions de proximité dont il était question dans cette première partie, cette affirmation fréquente dans le monde de l'édition depuis plus d'un quart de siècle est pertinente à propos du sort de la presse écrite en Belgique francophone. Là aussi sont à l'œuvre "la main invisible du marché" chère à Adam Smith et l'action, un peu plus visible, de divers acteurs du paysage médiatique.

QUEL AVENIR POUR L'AVENIR ?

 L'alerte a été lancée récemment aux  Éditions de L'Avenir, dont l'actionnaire majoritaire a décidé de fusionner deux des éditions locales, Entre Sambre et Meuse et Basse Sambre, affirmant que les coûts d'impression de chacune d'elle étaient supérieurs aux revenus qu'elles généraient. 
Une chose à peine croyable alors que, selon les derniers chiffres CIM disponibles pour 2023 [et semble-t-il aussi pour 2024 (1)], L'Avenir est, de tous les titres de la presse belge francophone, le quotidien affichant la plus forte diffusion payante tous supports confondus (papier+digital). En papier seul, L'Avenir est aussi aussi le journal le plus vendu. 
Fusionner deux éditions dans pareil contexte a plus  que quelque chose de paradoxal.
 
Les éditions locales "papier" de L'Avenir étaient au nombre de 8. Les voilà ramenées à 7. Rien ne dit que, demain, la même motivation ne sera pas évoquée pour fusionner d'autres éditions, même si l'opération pourrait s'avérer moins aisée suite à la taille de chacune des zones couvertes et en raison de leurs spécificités très différentes. 
Mais, dans le cadre de la logique de médias "provinciaux" qui inspire aussi le projet de restructuration du secteur des "télévisions de proximité", rien n'empêcherait d'envisager une fusion des deux éditions de L'Avenir en province de Liège, le titre ne couvrant que très très peu Liège centre et se focalisant essentiellement sur les deux pôles est et ouest de la province. Idem pour la province de Namur, où il pourrait être géographiquement "logique" de rajouter l'édition centrale Namur-Dinant aux deux éditions qui viennent déjà d'être fusionnées. Ce qui réduirait dans le futur le groupe L'Avenir à cinq éditions "papier".
 
CE QU' " ÉDITER" VEUT DIRE
 
Éditions "papier", ou aussi numériques ? Officiellement, à côté de ses 8 éditions "papier" le quotidien régional compte en effet 12 "éditions" en ligne, les 8 "papier" + 4 éditions qu'on pourrait qualifier de  "péri-urbaines", consacrées aux très grandes villes wallonnes et à Bruxelles. Mais sont-ce réellement des éditions ? 
Là est sans doute toute la question pour le futur du quotidien. Car une édition, ce n'est pas seulement l'impression d'un journal papier pour une région donnée, ou la mise en ligne sous le même onglet d'une série articles épars consacrés à une même agglomération. Une "édition", c'est d'abord une rédaction distincte, avec un ou des chefs d'édition. A l'heure actuelle, chaque édition (papier) de L'Avenir est liée à une rédaction propre, dirigée par un (ou parfois deux) chefs d'édition. Aux éditions de L'Avenir, chaque édition est aussi associée à des "bureaux régionaux" propres. Si L'Avenir en affiche actuellement 8, l'implantation du titre sur le terrain est plus précise que cela. L'édition
Entre Sambre et Meuse, qui doit être fusionnée, possède en effet 2 bureaux : un à Philippeville et un à Charleroi. Idem pour L'Avenir Luxembourg (Arlon et Marche-en-Famenne) et pour L'Avenir/Courrier de l'Escaut (Tournai et Ath). 

Fusionner deux éditions papier signifie inévitablement aussi réduire la structure hiérarchique, donc de ne plus compter qu'un chef d'édition (papier). Car les "'éditions" en ligne ne semblent déjà pas être de "vraies" éditions, pour la simple raison que ce qui s'affiche en ligne ne paraît pas être le fruit de choix éditoriaux précis, ni d'une sélection ou d'un traitement hiérarchique de l'info.
 
COUPER LES RACINES
 
Au même titre que pour les "télévisions de proximité", réduire le nombre d'édition d'un quotidien régional revient à priver le média de ce qui fait sa spécificité : son ancrage sous-régional et, dans le cas de la presse quotidienne, quasi-local. Couvrir un plus grand territoire avec moins de moyens (les réduction de personnel ont déjà commencé), et moins d'espace papier.
 
La réponse à cette critique pourrait être simple : si ce qui est affirmé ci-dessus est vrai pour le journal papier, cela ne le sera plus quand, très bientôt, il aura disparu, et que tout le monde consommera son média régional uniquement en ligne, sans hiérarchie ni sélection de l'info certes, mais en bénéficiant grâce aux algorithmes de masses d'articles ciblés sur une même sous-région.
 
TUER LA POULE AUX ŒUFS D'OR
 
Outre le fait que la pléthore de l'offre ne fait pas le journalisme, cette réponse évite un élément essentiel, déjà évoqué plus haut : à l'heure actuelle L'Avenir est le plus grand journal belge. Et le roi des ventes d'abonnements papier. C'est ce qui fait sa force. Gardera-t-il la forme s'il perd ce qui fait sa raison d'être ? Comment mieux dissuader les lecteurs d'un quotidien sous-régional de conserver leur abonnement qu'en réduisant la richesse du contenu de leur information de proximité ?
 
Les journalistes de L'Avenir évoquent leur crainte d'assister à un dépeçage progressif de leur média. On peut le comprendre, à un moment où leur titre n'est plus qu'un pion dans la partie d'échec qu'ont commencé à jouer les deux derniers éditeurs de presse quotidienne du sud du pays. Un secteur où la tendance à la raréfaction des acteurs n'a d'ailleurs pas attendu ces derniers mois, et où l'application de la comparaison avec un Land allemand (cfr. début du texte) est sans doute sur le point de se produire, si ce n'est totalement, du moins partiellement. 
En cas de création d'une grande coupole regroupant tous les titres de presse quotidienne du pays, l'opération ne sera pertinente et "rentable" qu'en supprimant la concurrence et la diversité, c'est-à-dire en éliminant les doublons. Sauf peut-être, pour l'image de marque, du côté de la presse de qualité. 
La presse régionale et son implantation locale seront sans doute la première cible d'une rationalisation qui, si elle n'amène pas à la subsistance d'un seul titre de presse régionale, organiserait en tout cas les implantations sur le mode du partage strict des zones d'influence (un peu comme les Américains et les Soviétiques le firent à Yalta en se répartissant l'Europe). Finie la concurrence et les zones de double couverture, finie la chasse à l'exclusivité pour son titre au détriment du confère, finie la diversité du traitement. Il ne subsisterait alors qu'un seul et unique contenu de presse locale, à consommer dans un seul et unique contenant. A prendre ou à laisser.
 
Pour le meilleur de l'économie des médias ? Ou pour le pire ? Plus que jamais, ces médias pourront alors être accusés de conformisme, de connivence avec les pouvoirs et les élites, voire de manipulations de l'information. Plus que jamais, la fonction d'enquêteur du journaliste et celle de chien de garde de la démocratie qu'on attribue aux médias seront difficiles à tenir.
Et, plus que jamais, les gens auront tendance à délaisser ces vieux médias devenus uniques pour trouver de l'info, de la "vraie", de la "crédible", de l'"humaine" et de la "proche" sur les réseaux sociaux où tous les villages, voire les hameaux ont leurs pages (officielles ou beaucoup moins officielles) et des cohortes d'abonnés qui échangent horizontalement des infos. Mais où circule aussi tout et n'importe quoi. Sans choix éditoriaux, sans responsables d'édition. Sans traitement professionnel. Mais à grands coups de on-dit, de rumeurs, et de communications orchestrées par ceux qui y ont tout intérêt…
 
Frédéric ANTOINE. 

(1) Alors que les chiffres CIM pour 2024 ne sont officiellement plus rendus publics, le directeur d'études auprès de l'agence média Space et chargé de cours invité à l'UCLouvain Bernard Cools a récemment publié sur le site de l'agence Space un article qui confirme la première place de L'Avenir en 2024 (https://space.be/what-we-say/articles/541).
 

01 juin 2025

Médias belges francophone : une inexorable peau de chagrin (Iere partie)


Presse écrite régionale télévision de proximités… : la réduction du nombre de médias est aujourd'hui à l'ordre du jour en Belgique francophone. Simple coïncidence, ou est-il inévitable que ce petit paysage médiatique se réduise comme une peau de chagrin ?

« La Belgique francophone ? C'est grand comme un Land allemand. Et, voyez-vous, dans un Land allemand, il n'y a qu'un seul journal quotidien. Comparez avec le sud de la Belgique. Il est évident qu'il y a chez nous économiquement trop de médias ! » Voilà, en substance, une affirmation souvent entendue dans le monde des éditeurs de presse belge depuis un bon quart de siècle, sinon plus. Jusqu'à présent, au nom de la démocratie, du pluralisme et de la diversité, on a fait plus ou moins fi de ne pas l'entendre, ou de ne pas se rendre à cette dramatique évidence économique. Notamment en comptant sur les aides des pouvoirs publics. Mais l'idée d'une réduction du nombre de médias a petit à petit fait son nid. Et elle est en train de devenir une réalité. Doit-on l'attribuer à "la main invisible du marché" chère à Adam Smith, ou plutôt à l'action, un peu plus visible, de divers acteurs du paysage médiatique ? Toujours est-il que, cette année, l'heure des grandes manœuvres semble avoir sonné.

Le paradoxe de la situation est que, coïncidence ou pas, l'enclenchement du compte à rebours de la raréfaction des médias belges francophones concerne au même moment deux secteurs diamétralement opposés par la nature de leur identité économique et leur rapport apparent au politique. Deux secteurs qui ont aussi peu de points communs à propos des supports de communication qu'ils exploitent dans leur cadre de leur fonction de fournisseurs de contenus informationnels, mais qui se rejoignent sur un point : leur ancrage régional ou sous-régional. Puisqu'il s'agit de la presse écrite régionale d'une part, et des médias dits "de proximité" (entendons : les télévisions régionales) de l'autre.

Pour des raisons de longueur, cet article ne traitera que de ce dernier point. Le sort de la presse régionale sera analysé dans un prochain texte.

 UNE PROXIMITÉ COÛTEUSE

Depuis l'installation d'une nouvelle majorité à la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), on sait les télévisions de proximité dans la ligne de mire du pouvoir politique. Leur mise au régime est au menu du gouvernement, tant à propos des moyens qui leur sont alloués par l' État qu'en ce qui concerne leur nombre, l'argument avancé, là comme ailleurs, étant que la petite Belgique francophone vit au-dessus de ses moyens, surtout dans les domaines liés à la culture, et qu'il est urgent de tailler dans le gras tant qu'il y en a encore.

Pareil état des lieux des finances communautaires a été fait par les gouvernements successifs de la FWB depuis près de deux décennies. Mais, jusqu'à présent, le choix politique avait été de n'intervenir qu'à la marge, dans le but d'épargner tant que faire se pouvait la diversité et le pluralisme des médias de la FWB. Médias qui, en définitive, ne sont tout de même déjà pas si nombreux que cela, la domination culturelle de la France sur la Belgique francophone n'y étant pas totalement étrangère…

Le gouvernement actuel n'a cure de telles préoccupations, ou à tout le moins pas autant. Quelle que soit la bête, il s'agit d'en réduire la taille et le volume. La volonté manifestée paraît si claire et indiscutable qu'on ne peut que s'interroger sur les véritables raisons des choix opérés. Certes, l'économique y joue un rôle. Mais l'aisance avec laquelle les décisions sont prises peut laisser croire que les raisons de cet interventionnisme ne sont pas uniquement financières mais aussi, sinon d'abord, politiques et idéologiques.

UN MODÈLE DE GÉNIE

Le modèle des télévisions de proximité est totalement atypique dans une économie des médias qui accorde le beau rôle à, voire privilégie, les acteurs privés. Il y a exactement cinquante ans cette année, la Belgique francophone autorisait, à titre expérimental, quelques "télévisions communautaires" diffusant sur un territoire réduit via la câblodistribution. Les "médias de proximité" actuels sont les petits-enfants de ces médias originaux dont l'autorité publique avait choisi de soutenir l'émergence en contribuant largement à leur financement. On était alors dans l'ère Ivan Illich, où la remise en cause des modèles médiatiques dominants était à la mode, de même que les tentatives visant à les remplacer par des médias coopératifs, et donc communautaires, dont les vastes étendues du Québec avaient été la source.

Les actuels "médias de proximité" ont aussi hérité d'un statut hors du commun : devoir remplir des "missions de service public", comme n'importe quel média public, mais… tout en n'appartenant pas à la Puissance publique. Ces médias sont des ASBL pilotées par des Conseils d'administration dont la composition a fait l'objet d'âpres discussions au fil des ans, notamment à propos de la place que pouvaient (ou devaient) y occuper les représentants du monde politique local et/ou les délégués du secteur socio-culturel local.

La configuration des zones de couverture des "médias de proximité" reflète leur histoire individuelle et explique que certains couvrent de vastes étendues tandis que d'autres se confinent à une sous-région, voire à une aire plus réduite encore.  Ainsi en compte-t-on douze, que l'on pourrait aujourd'hui pour la plupart qualifier de 'médias d'information sous-régionaux'. Et ce même si le site de la FWB les qualifie étrangement toujours de "télévisions locales" (1).

UN GOÛT DE PLAT PAYS…

Ce type de médias n'est pas le propre de la Belgique francophone. Mais l'investissement que leur consacre la puissance publique distingue sans doute ces télévisions de proximité de modèles que l'on peut trouver dans d'autres contrées (2), voire en Flandre. De l'autre côté de la frontière linguistique, si la reconnaissance de "télévision régionale" n'est accordée (comme au sud du pays) qu'à des ASBL, celles-ci sont seulement responsables du contenu des chaînes, car « le fonctionnement des canaux est généralement assuré par des entreprises exploitantes » (3) qui sont, elles, (ou ont été) rattachées à des groupes médias (4). 

Les nouvelles conventions de collaboration récemment établies entre le gouvernement flamand et les chaînes de télévision régionales de cette partie du pays reposent sur une aide publique d'environ 2,8 millions €/an (5). En comparaison, la FWB accordait en 2023 un peu plus de 16 millions €/an de financement aux télévisions de proximité du sud du pays, dont 10,4 en frais de fonctionnement (6). 

La Flandre compte 10 télévisions régionales seulement et, signe des temps, il y règne aussi dans l'air un parfum de… fusion depuis fin 2023, afin de se limiter à terme à… une seule télévision régionale par province (ou presque). Il est ainsi prévu de fusionner les 2 télévisions de Flandre Orientale, ainsi que les 2 de Flandre Occidentale. Ce qui ramènerait le nombre de télévisions à 8. Nombre qui semble devenu télévisuellement un peu magique dans notre petit pays, tant au Nord qu'au Sud.

AP(PROXIM)ITÉ

Inconsciemment peut-être, le modèle de la FWB pourrait se rapprocher de son alter ego flamand. Il resterait juste à ajouter à la formule actuelle la couche des "entreprises exploitantes" qui permettrait de faire entrer des acteurs privés dans une structure qui ne serait peut-être plus vraiment chargée de remplir des missions de service public. Si les porteurs de la réforme actuelle entendent aller jusqu'au bout de leur raisonnement et remettre en cause le modèle actuel des télévisions de proximité du sud du pays, cela serait cohérent. Et permettrait à l'État de se désinvestir encore davantage de ce créneau, tout en ouvrant la porte de cet univers à l'arrivée d'opérateurs médiatiques privés, univers dont ils sont aujourd'hui exclus. A terme, les télévisions de proximité ne pourraient-elles pas devenir simplement des médias privés ? Et pourquoi ne se transformeraient-elles pas aussi en une déclinaison audiovisuelle des contenus de la presse régionale privée ? 

Tout cela ne servirait pas la richesse de la diversité médiatique ni sans doute la démocratie, mais tant qu'à appliquer à ce domaine une rationalité purement économique, tous les horizons ne sont-ils pas possibles ?

LE FANTÔME DE LA RTBF

L'application du même type de réforme dans le sud du pays contribuera en tout cas inévitablement à rendre les télévisions fusionnées moins "locales", évidemment, mais aussi moins "proches" de leurs publics. La question de la différenciation entre le travail de ces opérateurs "semi-publics" et celui du service public de l'audiovisuel deviendra alors de plus en plus pressante. Les télévisions régionales de proximité ne pourraient-elles pas se rapprocher plus encore de la RTBF, ce qu'elles ne font que du bout des lèvres depuis belle lurette, quitte à en devenir par absorption plus ou moins lente le bras droit télévisuel ? Les décrochages matinaux régionaux de VivaCité, par exemple, commencent à avoir de l'âge. On pourrait, comme cela a été le cas pour les émetteurs régionaux de France Bleu en France, les transformer en média 360, avec une version "radio filmée". Mais on pourrait aussi, par exemple, en faire des programmes pour les télévisions régionales qui, à l'heure actuelle, ne proposent en matinée que des rediffusions. Le tout sous l'égide d'une RTBF retournant à l'époque de ses "centres de production" régionaux, mais évidemment sans adjonction de moyens financiers nouveaux.

Cela fait longtemps que certains rêvent de mettre fin à l'existence de ces semi-OVNIS que sont les ex-télévisions communautaires. L'actuelle réforme ouvre des portes et en referme d'autres. Pas sûr en tout cas qu'elle garantisse un véritable avenir serein pour ces médias au profil si original.

Frédéric ANTOINE.

 

 

 

(1) https://statistiques.cfwb.be/culture/audiovisuel-et-medias/subventions-accordees-aux-televisions-locales/
(2) Par exemple, les "télévisions associatives" françaises du type de Télé Mille Vaches.
(2)https://www.vlaamseregulatormedia.be/nl/over-vrm/rapporten/2019/rapport-mediaconcentratie/mediaconcentratie-in-vlaanderen-2019/1-de-6 
(3) Regionale Media Maatschappij appartient à Roularta, et la société De Buren, qui "opérationnalise" plusieurs télévisions régionales flamandes, appartenait à Mediahuis qui l'a vendue l'an dernier à la SA Via Plaza, de l'homme politique et prestataire de soins de santé David Larmuseau.
(3) L'estimation n'est pas aisée car l'aide varie en fonction de plusieurs facteurs, notamment la taille de l'organisation, son engagement dans la transformation numérique et les éventuelles fusions.
(4)  https://statistiques.cfwb.be/culture/audiovisuel-et-medias/subventions-accordees-aux-televisions-locales/